La dynamique du binaire – p. 8

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2.2 Le deux, manifestation et altérité

Dès que l’on s’attarde à essayer de poser le «un» comme objet d’analyse, il réclame aussitôt d’être manifesté:

Le double aspect de l’Un comme Totalité-Unité et unité de compte (Monotes-Henotes) contient déjà virtuellement le deux. C’est pourquoi l’Un primordial était déjà, en ce qui concerne son contenu […] caractérisé comme «Père-Mère», «Silence-Force» divins[22].

On peut facilement appliquer cette remarque aux évangiles, lorsque Jésus dit: «Qui me voit, voit le Père». Celui-ci est le principe générateur, tandis que le Fils est le Verbe, celui qui manifeste, révèle. La Seconde Personne divine est le Révélateur[23]. La logique numérique contenue dans l’idée même de la Trinité[24] se retrouve à tous les niveaux de l’être et de l’existence, le deux jouant toujours le même rôle:

le deux apparaît comme base de presque toutes les possibilités de connaissance, non seulement physiques, mais également psychiques, car, auprès de sa relation spécifique avec la base binaire de la matière, il possède un rapport tout aussi important avec les phénomènes dits liminaires de notre conscient[25].

Mais le deux est plus qu’un facteur herméneutique, il devient le signe d’une organisation inscrite dans la matière:

Cette antique identification de la matière avec le deux redevient aujourd’hui d’autant plus significative que nous savons désormais que, lorsque l’homme «compte» en électronique à l’aide de la matière, c’est-à-dire de l’énergie physique, l’arithmétique binaire, comme image de notre logique bivalente, s’est révélée être le système de calcul le plus adéquat[26].

S’ajoute à cela que les sciences modernes interprètent la réalité physique, comme on le verra plus loin, en termes de deux. À ce moment:

le deux n’apparaît plus seulement comme associé arbitrairement à la matière par notre spéculation consciente, mais comme lié à un arrangement déjà présent dans la nature elle-même[27].

De sorte que:

L’association de la dualité avec la matière d’une part et avec l’apparition de la conscience d’autre part n’a ainsi rien de fortuit, car les phénomènes matériels et les contenus de la conscience ont en commun le fait qu’ils sont relativement distincts, discontinus et «invariants»[28].

Cette continuité, si l’on admet qu’elle est inscrite dans l’ensemble du réel, est donc fondée sur l’altérité nécessaire à la révélation du principe[29].

C’est précisément dans le deux que se produisent les manifestations du réel:

Bien que, du point de vue mathématique, le deux, dans le concept de symétrie bilatérale, demeure indéterminé quant à son contenu […] on n’a cessé d’y associer l’idée d’une polarité, spécialement en physique où le principe de symétrie a été mis en connexion avec l’électricité positive et négative et avec le magnétisme. En fait, l’identité de ces manifestations polaires a été prouvée récemment, si bien que l’on tend aujourd’hui à remplacer d’une façon générale le concept de polarité par celui de symétrie. Si toutefois l’on considère le nombre deux comme un modèle dynamique de la pensée humaine, l’idée de polarité s’impose comme image propre à désigner de nombreux phénomènes vitaux[30].

Encore une fois, cela s’applique tout aussi bien au niveau de la pensée:

Dans le domaine psychique, la symétrie est vécue la plupart du temps comme polarité, même si, là également les deux pôles sont souvent identiques, conformément à la maxime: les extrêmes se touchent[31].

C’est ainsi que le binaire apparaîtra dans ses manifestations matérielles étudiées par les sciences, comme porteur d’un principe de complémentarité, lequel ne situe pas les termes de la polarité dans un rapport d’opposition annihilant, mais dans une relation visant la totalité ou la complétude.

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[22]. Ibid, p. 103-104, dans notes de bas de page.
[23]. Vatican II, Les seize documents conciliaires, Constitution dogmatique «Dei Verbum», article 2, p. 102.
[24]. Chevalier et Gheerbrant, op. cit., p. 971-976.
[25]. Von Franz, op. cit., p. 105. Je souligne.
[26]. Ibid., 104.
[27]. Id.
[28]. Ibid., 107.
[29]. Bien entendu, on ne peut pas exprimer la structure du réel seulement par la dualité; si on se reporte au «mythe» trinitaire (selon la définition du mythe exposée dans «Le symbole et le réel», p. 6 et 7), la plénitude n’est en effet accomplie qu’avec le troisième terme. Tout en gardant ce fait en mémoire, je n’ai cependant pas l’intention de m’y attarder; ce qui est important ici est l’analyse du moment duel du réel avec ses implications. ↩
[30]. Von Franz, op. cit., 103.
[31]. Ibid, 103.

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