Médiatrice, Mère, Femme

Le Concile Vatican II s’est terminé il y a déjà près de cinquante ans. L’un des aspects importants de ce Concile fut le débat sur la Vierge Marie. Quels étaient les enjeux? Qu’en est-il aujourd’hui? Ce débat est-il encore pertinent?

Rappelons d’abord quelques faits.

Après la première guerre mondiale, en Belgique, se manifesta un large mouvement pour honorer la médiation universelle de Marie. Rome approuva alors un office propre à la fête de Marie Médiatrice fixée le 31 mai.

À l’époque du Concile, au début des années 60, un cinquième des délégués présents attendaient la définition de la médiation de Marie, soit 400 sur 2000. Ils voulaient présenter un document à part sur Marie, pour souligner l’importance qu’ils lui donnaient aux côtés du Christ Rédempteur. Par contre, d’autres voulaient plutôt mettre l’accent sur le lien entre Marie et l’Église, et aller ainsi dans un sens plus œcuménique : Marie étant parmi les fidèles, bien qu’un membre privilégié de l’Église, il était préférable, soutenaient-ils, d’insérer le texte la concernant dans celui du traité sur l’Église. Cette question divisa l’assemblée. Au vote, les partisans de l’insertion l’emportèrent 1114 contre 1074. Le texte devint le chapitre VIII de la Constitution sur l’Église.

Le chapitre VIII ne mentionne pas spécifiquement le titre de Marie comme «Mère de l’Église». C’est le 21 novembre 1964 que Paul VI prit l’initiative de proclamer ce vocable. Lors de sa proclamation, certains Pères du Concile restèrent assis, alors que d’autres se levèrent pour applaudir. Il faut dire qu’il y avait, chez beaucoup d’entre eux, une forte réticence à étendre la maternité de Marie à tous les humains. Le titre de Marie Mère de l’Église leur semblait-il aller trop loin? Pourquoi une telle déclaration de la part de Paul VI, lui qui, peu de temps avant, alors qu’il était cardinal, affirmait être tout à fait contre la médiation de Marie? Il aurait certainement été intéressant de le découvrir.

Donc, malgré le fort courant marial des années préconciliaires, le Concile ne s’est pas engagé sur la voie de la définition de la médiation de Marie. Il a préféré faire la moyenne entre les tendances présentes, tout en tenant ouvertes, pour l’avenir, les recherches sur le sujet.

Il est évident que le Concile n’avait pas pour but de «proposer un enseignement complet sur Marie»; «le travail des théologiens n’a pas encore atteint son point final. Toutes les questions ne sont pas résolues», peut-on lire dans Marie de Vatican II (p.18, et note 16). C’est dans ce livre écrit par Henri-Marie Guindon en 1971 que j’ai pris connaissance des enjeux qui ont animés le Concile lors des discussions sur la médiation de Marie. Je l’ai lu dans le contexte d’une recherche sur la question des rapports homme-femme, ma conviction étant que l’avancement de l’humanité passe par une rénovation de ces rapports, et que celle-ci se fera par une reconsidération de la vocation de Marie. Certains aspects présentés dans ce livre me paraissent problématiques en regard de cette question. Ils permettent par contre d’apercevoir les présupposés d’ordre théologique sur lesquels peut prendre appui une certaine distorsion des rapports homme-femme qui affecte l’Église. J’en relèverai quelques-uns ici.

Qui est le plus grand?

Dès les premiers chapitres de Marie de Vatican II, on sent un malaise. Où situer Marie, quelle est sa place? J’ai retenu ces trois tentatives de le définir :

– «prend-elle place aux côtés du Christ… ou simplement parmi les fidèles?» (p.15);
– elle est inférieure au Christ, mais supérieure à l’Église (p.19);
– «aux côtés du Rédempteur figure discrètement cette maternelle Associée» (p.48).

En fait, le malaise s’accentue si l’on comprend le processus que révèle le langage employé. Car l’inférieur (simplement et discrètement) appelle le supérieur. Or, ce qui est supérieur exerce une fascination dont il est question dans les évangiles : «Qui est le plus grand dans le Royaume des cieux», demandent les disciples (Mt 18,1); même les apôtres «en arrivèrent à se quereller sur celui d’entre eux qui leur semblait le plus grand» (Lc 22, 24).

Cette logique hiérarchisante conditionne la manière de concevoir les rapports et conduit à des phrases comme celle-ci : «Marie est donc, par sa nature, inférieure, comme nous, dans la hiérarchie des êtres, aux anges» (p.52). La nature humaine inférieure à la nature angélique… Cette affirmation de l’auteur perpétue entre autres l’idée de la supériorité de l’esprit sur la matière avec tout ce que cela entraîne comme déséquilibres, y compris, éventuellement, celui qui persiste entre l’homme et la femme.

Comment sortir de cette impasse supérieur-inférieur ? Une piste nous est donnée par un théologien, Mgr Joseph Lebon, que cite d’ailleurs Henri-Marie Guindon : «Le Christ et la Vierge sont associés par la volonté de Dieu, dans le plan divin de la Rédemption, en un principe total de salut et de vie pour l’humanité» (p.19). Cette approche a le mérite de dépasser le clivage supérieur-inférieur, sans pour autant camper dans un parallélisme contraignant, le Christ et Marie ayant chacun leur vocation propre.

Maternité restrictive

«Parmi tous les titres qu’on peut donner à Marie, rien n’exprime mieux ce qu’elle est que celui de Mère», écrit H.-M. Guindon (p.65). L’aspect de la maternité est sans doute fondamental, mais il n’est pas le tout de la vocation féminine. Dans le cas de Marie, prototype féminin, s’en tenir à son rôle de mère, si glorifié soit-il, me paraît éclipser et donc empêcher la pleine connaissance de sa vocation, et par là, celle de la femme. Et cela d’autant plus, si on nous présente la maternité comme une pauvreté : «dans la pauvreté foncière de la nature humaine, la maternité est une autre dimension de cette pauvreté» (p.55).

L’auteur de Marie de Vatican II fonde son affirmation sur celle de saint Thomas d’Aquin à l’effet que la puissance génératrice de la mère serait imparfaite en regard de celle du père (p.55). On peut certainement s’interroger sur le sens et les implications d’une telle prémisse, mais poser en partant la maternité comme une pauvreté teinte inévitablement le titre de «Mère» attribué à Marie : le titre devient restrictif.

Une attention au langage peut aussi nous amener à réfléchir sur le fait d’employer le mot père pour désigner les prêtres et celui de mère pour les religieuses. Est-ce, dans ce cas, une pauvreté que d’être mère ? Les pères sont-ils supérieurs aux mères? Certes, on est passé dans la pratique pastorale à frères et sœurs mais il subsiste, dans l’attitude sacerdotale notamment, un rapport de ceux-ci aux autres de même qu’un rapport homme-femme, de type supérieur à inférieur, qui n’a pas lieu d’être entre baptisés à part entière. La soumission liée à l’obéissance évangélique est d’un tout autre ordre.

De plus, s’il y a des pères et des mères, il y a des fils et des filles. Cependant, la relation mère-fils ou mère-fille ne couvre pas toute la réalité des relations humaines dans lesquelles des femmes sont engagées. Comment considérer par exemple, l’annonce de la résurrection aux apôtres par Marie-Madeleine d’abord et les autres femmes? «Aux yeux de ceux-ci ces paroles semblèrent un délire et ils ne croyaient pas ces femmes», raconte Luc (24,11). Pourquoi ce scepticisme chez les apôtres? Les femmes n’agissaient pas en tant que mères, alors à quel titre?

Plus loin dans le livre, on voit un effet restrictif de cette insistance mise sur la maternité dans la manière de présenter la catéchèse mariale. On dit de cette catéchèse qu’elle apporte un élément qui lui est propre, l’élément maternel (p.170). Marie y est présentée comme comblant un besoin affectif chez l’enfant et l’adolescent, et même chez l’adulte (p.173). Personnellement, je crois que la présence de Marie va bien au delà d’un besoin affectif. Ainsi agit-elle d’une façon particulièrement efficace auprès du chrétien adulte dans l’exercice plénier de sa foi et de son baptême. Je dirais que son action est plus effective qu’affective, et ce à plusieurs niveaux.

Maternité passive

Nous pouvons trouver dans la Tradition de l’Église différents titres qui désignent Marie. En faisant l’histoire du titre de Marie Mère de l’Église, Henri-Marie Guindon rapporte ceux-ci : Nouvelle Ève, Arbre du Paradis, Arche d’Alliance, Échelle de Jacob, Tabernacle du Très-Haut, Cité de Dieu, Femme ennemie du Serpent, Femme vêtue de Soleil. Du côté des écrits des papes, il mentionne : « Docteur » et « Reine », chez Léon XIII entre autres (p.70).

Le texte du Concile qui parle de Marie cite les Écritures : «Femme, voici ton Fils» (Jean 19, 26-27). Le mot Femme est très important. Il est employé dans la Genèse et repris par Jésus lors de deux moments clés, soit les Noces de Cana et son agonie sur la croix, c’est-à-dire le début et la fin de sa vie publique, ce qui est très significatif. H.-M. Guindon lui-même souligne que l’emploi du mot « Femme » indique un plan de relation entre Jésus et Marie autre que celui de Mère (chapitre V). Mais après avoir ouvert la voie, il la referme aussitôt en ne mettant l’accent que sur la sainteté personnelle de Marie, la proposant comme modèle sans véritablement lui reconnaître sa part active dans l’œuvre de la rédemption. Marie demeure passive, se contentant de recevoir les grâces du salut. Passive? Serait-ce un effet corollaire de la pensée du Père Guindon stipulant la pauvreté de la maternité? Or, les différents titres de Marie (« Échelle de Jacob », par exemple) me semblent aller dans le sens d’une médiation active, plutôt que dans le sens d’une maternité essentiellement passive.

Conclusion

Il semble qu’au Concile, l’élan vers la définition de la médiation de Marie ait été freiné par l’argument de l’œcuménisme. Étrangement, le cardinal Mercier, un pionnier du début du 20e siècle dans le rapprochement anglican-catholique, travaillait à la promotion de la médiation de Marie, soutenant que Marie Médiatrice contribuerait à l’unité des chrétiens. Loin donc de nuire, Marie Médiatrice favoriserait la réunion des chrétiens, voire même un attrait universel pour une dynamique homme-femme renouvelée.

L’argument œcuménique paraît masquer une résistance beaucoup plus profonde et plus tenace, relative à la structure hiérarchique de l’Église. Mais les réticences des «Pères» du Concile sont aussi justifiables : elles pourraient exprimer le pressentiment que la réflexion n’était pas mûre sur ce sujet, ou plutôt, qu’elle s’engageait dans une voie toute nouvelle qu’il convenait d’explorer en profondeur.

Ce qui était proposé au Concile concernant la médiation de Marie implique une vision nouvelle de l’insertion de l’homme et de la femme dans l’humanité et le projet du salut. Ce qui n’était pas mûr à l’époque de Vatican II l’est peut-être aujourd’hui. Témoins de cela, ces nombreux films et écrits contemporains… On cherche la femme… Qui est-elle? Quelle est sa mission?

Mais la restauration de l’humanité en marche vers son accomplissement implique aussi une reconsidération des relations hommes-femmes et une compréhension plus dynamique et plus fructueuse de toutes les relations interpersonnelles. Il m’apparaît qu’un geste fut posé en ce sens à l’ouverture du Concile. Jean XXIII a confié le Concile Vatican II à Joseph, lui offrant même son anneau papal. Un geste d’une telle portée n’est pas indifférent. Il ne peut pas être que le signe d’une dévotion personnelle de Jean XXIII, qui d’ailleurs portait le nom de Joseph. C’est un geste qui révèle l’aspiration de l’Église, par l’intermédiaire du successeur de Pierre, à un aggiornamento non seulement de la réflexion ecclésiologique ou même mariologique, mais de la réflexion sur les rapports entre Joseph, Marie et Jésus, prémisses de l’Église.

En cette année de la foi, où Benoît XVI invite l’Église à redécouvrir les textes du Concile, on peut se rappeler que ceux-ci considéraient que des études nouvelles devaient être entreprises, en particulier pour donner de nouvelles bases anthropologiques et théologiques à la réflexion mariale. C’est, certes, une belle invitation à relever.

Sylvie Trudelle

Autre article suggéré : Ioseph, Mariam et Ieshoua par Jean-Marc Rufiange

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16 Responses to Médiatrice, Mère, Femme

  1. Anne dit :

    Ça fait du bien de vous lire!

    Je lisais récemmment un livre où l’on raconte plusieures conversions de juifs et une des choses qui m’a frappé est leur amour pour l’Église catholique car entre autre ses doctrines sont claires.

    Je crois qu’on fait erreur de limiter le rôle de Marie au nom de favoriser l’oecuménisme. Si on cherche le plus grand commun dénominateur, on laisse tomber trop de choses et on ne peut pas exprimer clairement la vérité qui rends libre. Tel est le cas au sujet de Marie et de Joseph. Tous deux uniques et précieux dans leur vocation.

    Votre texte est complémentaire à celui de la sainte famille et en ce début de 2013, je prie pour qu’il y ait un effort véritable…et en vérité sur le rôle de Marie, Joseph, et Jésus car notre monde en a tant besoin.

    Merci à vous et à M. Rufiange

  2. Louis- Michel Jean dit :

    Madame Trudelle,
    Un 1er mot pour vous remercier de ces écrits rafraîchissants qui éclairent ma relation à Marie.

    J’ aime beaucoup Marie, Mère de l’ Église et tout autant Marie, Mère de Dieu. Ces
    deux vocables bien réels me portent à penser que Marie est un trésor inestimable . Par conséquent, une approche restrictive pour en parler, me semble inappropriée.
    Si j’ y prête attention quelques moments, la réalité de Marie, Mère de Dieu m’ ouvre la voie à méditer et à contempler des heures et des heures ou plutôt toute ma vie.

    On me dirait que sa qualité de mère englobe toutes les facettes de son être, mon esprit s’y refuserait. Pensons à une femme qui n’ a pas d’ enfant, a-t-elle une identité, est-elle une personne à part entière ? A l’ évidence la réponse est oui. Je connais beaucoup de ces femmes qui sont des perles pour Dieu et qui rayonnent en montrant le beau, le bon et le bien. Cela m’ édifie.

    Si nous, créatures de Dieu, pouvons communier à ce point, imaginons le degré de sainteté et de communion à Dieu et à tous, réalisé en Marie, elle qui avance à pas de géante sur le chemin de la grâce.

    Merci pour ce partage fraternel qui a fait écho en moi !

    Louis-Michel Jean

  3. Véronique dit :

    Mme Trudelle,

    L’Eglise a longtemps basé sa pensée sur Thomas d’Aquin, qui je le reconnais, a structuré admirablement l’ensemble du contenu de la foi chrétienne. Mais, n’y a t-il pas certaines faiblesses dans sa pensée, qui pourraient entraver la réflexion? Une « mise à jour » ne serait-elle pas fructueuse, sans rejeter quoique ce soit de la doctrine de l’Eglise, mais en en rendant compte avec de nouveaux fondements?

  4. Nathan dit :

    Au début de votre essai, vous posez une fameuse de bonne question: «Le débat sur la Vierge Marie est-il encore pertinent?» Je pense qu’il ne l’a jamais été autant. Mais qui veut rouvrir ce débat dans l’Église? J’ai l’impression que plusieurs le considèrent comme un vieux débat alors qu’en fait il n’a jamais été réglé. Ce n’était pas mûr il y a cinquante ans, soit. Mais aujourd’hui, qui veut s’y mettre? Eh bien, j’ai découvert une lettre que le cardinal Joseph Ratzinger a écrite aux évêques du monde entier en 2004 dans laquelle il parle de la collaboration entre les hommes et les femmes. Il emploie un mot qui me ramène directement à votre propos; il parle d’une collaboration « active ». Dans ce contexte, il présente Marie, mais pas Joseph. http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20040731_collaboration_fr.html

    • En effet, ce débat est tout à fait pertinent, car il implique la fécondité de l’Eglise. Si le mariage de Joseph et Marie a produit Le Fruit, ainsi, dans la même logique, une collaboration active entre hommes et femmes portera fruit.
      Cette collaboration doit s’inscrire dans la même dynamique que celle de Joseph et de Marie, soit celle de la virginité, qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne divise pas les hommes et les femmes, mais les unit dans un même projet.

      Mais il faut pour cela des hommes et des femmes « à part entière » dans la vie de l’Eglise. La double réticence face à la présence active de Joseph et à la médiation de Marie va de pair avec celle qui entoure la participation entière des baptisés à la vie de l’Eglise. Si ceux-ci sont « prêtres, prophètes et rois », ils vivent nécessairement un aspect de médiation. Joseph d’autant plus… Mais, même si ce thème a été abordé lors du Concile Vatican II, les réalités impliquées ne sont pas encore passées dans le tissu quotidien du vécu de l’Eglise. Découvrir Joseph fera certainement avancer cette réflexion.

      • Louis- Michel Jean dit :

        Madame Trudelle,
        Au deuxième paragraphe, vous parlez de la dynamique de la virginité, à la lumière de Joseph et de Marie. Je crois que c’est
        une réalité de haute importance à approfondir. Je demanderai à Marie et Joseph de m’aider à en saisir la portée et en vivre
        davantage.
        Je crois que Joseph est un modèle pour toutes les personnes. N’ est-il pas plus facile de le dire faible plutôt que de considérer sa force ? N’ est-il pas plus facile de le dire un peu fou, plutôt que de reconnaître sa sagesse ? N’ est-il pas plus facile de le dire insignifiant plutôt que de communier à sa réalité de phare pour l’ Église et tous ses membres ?

    • Nathan,

      Merci de votre commentaire et de l’article suggéré. Je l’ai lu avec attention, mais je dois avouer qu’il ne m’a pas satisfait, à part la mention de la collaboration active entre homme et femme. Je sens un malaise dans ce texte.
      Le rôle des femmes est présenté presque exclusivement en lien avec la famille. Parlant de la figure de Sion, on dit « épouse en attente du jour de son salut ». Plus loin, on donne comme caractéristiques des baptisés, mais particulièrement des femmes, l’écoute, l’accueil, l’humilité (bien sûr…), la fidélité, la louange et l’attente. Qui alors s’occupe de l’annonce, de l’enseignement, de la proclamation, du témoignage, et d’initiative dans la transmission du message de l’évangile? Les hommes, et encore, les hommes prêtres.
      Et le déséquilibre continue, exprimé par l’absence de Joseph…
      Oui, il faudrait travailler à ce vieux débat. C’est une question structurelle, fondamentale pour la fécondité de l’Église.
      En passant, une question inspirée de ce texte : si Adam est un terme générique, pourquoi lui faut-il une aide?

      • Nathan dit :

        Madame Trudelle,

        Je suis très content d’avoir votre perception de cette lettre de Joseph Ratzinger. Moi aussi je suis quelque peu dérouté par la façon dont le texte évolue après avoir proposé cette idée louable et certainement souhaitable d’une collaboration active entre les hommes et les femmes dans l’Église. Un passage m’a laissé particulièrement perplexe: «Dans cette perspective, on comprend aussi en quoi le fait que le sacerdoce ministériel soit exclusivement réservé aux hommes n’empêche en rien les femmes d’accéder au cœur de la vie chrétienne.» Je suis peut-être obtus mais je ne comprends pas. En tout cas, la logique invoquée ne me convainc pas.
        Je me suis demandé ce qui, structurellement, pouvait avoir suscité cette justification inopinée du sacerdoce ministériel, alors que, par ailleurs, l’absence de Joseph reste inexpliquée et injustifiable. Votre propre questionnement suite à la lecture du texte s’inspire, je pense, du passage suivant : «Une fois modelé par Dieu et placé dans le jardin dont il reçoit la gérance, celui qui est encore désigné d’un terme générique comme Adam fait l’expérience d’une solitude que la présence des animaux ne réussit pas à combler. Il lui faut une aide qui lui corresponde.»
        Il y a une théologie qui présente Marie comme la Nouvelle Ève et Jésus comme le nouvel Adam. Cette orientation pourrait expliquer, au moins en partie, pourquoi Joseph n’apparaît pas sur le radar quand on essaie de définir le rapport homme et femme dans l’Église. De plus, il y a une théologie qui identifie ontologiquement le prêtre au Christ. On pourrait donc penser, dans la foulée de ces théologies, que la collaboration des femmes s’identifie à celle de Marie et celle des prêtres à l’action du Christ. Et les hommes non-prêtres dans l’Église? À l’instar de Joseph, ils tombent dans les limbes de la théologie.
        «Nous avons Adam Homme et Femme et nous avons Adam Fruit», écrit Jean-Marc Rufiange dans son essai «Ioseph, Mariam et Ieshoua». Personnellement, je trouve cette approche éclairante. Je vois Ioseph et Mariam dans la foulée de l’Adam Homme et Femme et Ieshoua dans la foulée de l’Adam Fruit. À partir de là, il me semble que la collaboration de l’homme et de la femme prend une autre tournure, plus équilibrée, plus ajustée au modèle original de Dieu.

  5. Anne dit :

    Bonjour,

    Vous écrivez plus haut: Mais après avoir ouvert la voie, il la referme aussitôt en ne mettant l’accent que sur la sainteté personnelle de Marie, la proposant comme modèle sans véritablement lui reconnaître sa part active dans l’œuvre de la rédemption. Marie demeure passive, se contentant de recevoir les grâces du salut.

    Ça me fait penser beaucoup à ce que j’ai lue dans le Prions en Église de la fin de semaine passée: 1er janvier 2013 (Vol 76, n. 52) où à la page 37, Jean-Pierre Prévost dit : ‘Marie est proposée comme modèle de foi et non comme modèle socioculturel’.

    Cet été, j’ai eue le privilège de faire un pèlerinage en Europe et je suis allée à des endroits tel Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille, Notre-Dame-des-Grâces à Cotignac, Notre-Dame-des-Victoires à Paris. Je peux vous dire qu’il n’y a aucun doute que Marie nous garde et nous protège, qu’elle combat et obtient des victoires. On sent vraiment sa force d’intercession et qu’elle est une intendante auprès de Dieu. Dieu lui a confié la gérance de ses grâces.

    On n’a pas définitivement pas la bonne image ‘socioculturelle’ de Marie, sa vie n’a pas arrêtée à la crèche à 16 ans, ni au temple avec un glaive, ni à la mort du Christ, elle a certainement jouée une part active dans la formation de l’Église. Si le Christ a été capable de mourir sur la croix, c’est entre autre grâce au témoignage et au soutien de Marie et de Joseph.

    On la campe aussi trop fréquemment dans le rôle de Mère des douleurs (vous savez les femmes sont émotives…). Je ne doute pas qu’elle ait souffert mais si une jeune fille de 6 ans (Antonietta Meo) peut souffrir dans la joie, je crois que Marie en est d’autant plus capable, elle qui était sans péché et beaucoup plus mature.

    Donc quand Jésus s’adresse à elle en tant que Femme, il voulait vraiment dire que c’était toute une femme! et qu’il est temps qu’on laisse tomber des stéréotypes.

    Auriez-vous des suggestions pour une dynamique homme-femme renouvelée? Entre autre, quelle serait selon vous le rôle principale de la femme?

    Merci

  6. Abby dit :

    Anne, je voulais justement faire un commentaire dans le même sens que vous: quel est le rôle de la femme? Il me semble que cela fait des siècles qu’on le cherche. La femme a voulu s’émanciper, se sortir de « l’ombre » de l’homme mais, je trouve qu’en fait, elle est devenue un objet sexuel, une image du désir, quelque chose vers quoi je n’aspire vraiment pas. Je ne suis pas d’accord non plus avec les idées de mettre sur le même pied d’égalité l’homme et la femme mais je me pose la question comme vous: quel est le rôle de la femme, au quotidien, et dans le plan de Dieu pour l’humanité. Je suis contente que Mme Trudelle et M Rufiange parlent tous deux d’asymétrie, c’est soulageant!
    En tout cas, merci de nous faire réfléchir.

    • Anne dit :

      Bonjour Abby,

      Je viens de lire le texte que Nathan a joint à son commentaire et comme lui, je fais le constat de l’absence de Joseph.

      Il me semble que Joseph devrait être utilisé comme modèle du côté masculin et non le Christ. Car le Christ est Dieu et si j’ai bien compris, ce que Joseph Ratzinger a écrit, l’homme et la femme sont tous deux à l’image de Dieu. Donc le Christ englobe les deux réalités (Gn 1, 26-27)…est-ce que je me trompe?

      De plus, si Dieu a choisit de s’incarner dans la famille de Marie et de Joseph, c’est qu’Il considérait que les deux vivaient selon l’esprit du Royaume et donc vivaient dans une relation selon le plan de Dieu. Contrairement à ce qu’on entend régulièrement, je crois que la sainte famille était parfaite.

      Je reformule donc ma question: Que sont pour vous le rôle de l’homme et de la femme?
      Ma question s’adresse aussi à monsieur Rufiange car votre texte touche aussi ces réalités.

  7. Véronique dit :

    Vous parlez dans votre article d’un geste, posé par Jean XXIII, de confier le Concile Vatican II à Joseph et de lui offrir son anneau papal. Cet événement est très peu connu. C’est pourtant un geste fondateur très significatif. Pouvez-vous nous en parler davantage?

  8. Anne dit :

    Bonjour Sylvie,

    J’ai pensée à vous en lisant un article dans la presse d’aujourd’hui:
    http://www.lapresse.ca/international/europe/201307/29/01-4674965-le-pape-ne-juge-pas-les-homosexuels-mais-condamne-le-lobby-gai.php

    Car dans cet article, le rôle de la femme est encore abordé:
    Je cite:
    Ordination refusée aux femmes
    Le pape François a également affirmé que le rôle des «femmes actives dans l’Église» devait être approfondi, tout en refusant catégoriquement leur ordination.

    «L’Église est féminine, mère, et la femme, ce n’est pas seulement la maternité, la mère de famille», a estimé le pape qui a appelé de ses voeux «une théologie approfondie de la femme que nous n’avons pas encore faite». Mais il a redit «non à l’ordination des femmes».

    «La porte a été fermée» par Jean Paul II sur cette demande, a-t-il dit.

    «Une Église sans les femmes est comme le collège des apôtres sans Marie», a-t-il remarqué, ajoutant que «Marie est plus importante que les évêques».

    Je le mentionne car il y a quelque chose de nouveau: c’est qu’il n’associe pas l’ordination au Christ, il l’associe aux évêques. Toujours dans la ligne de successeur de Pierre.

    Qu’en pensez-vous, est-ce une piste à étudier?

  9. Sylvie Trudelle dit :

    Chère Anne, merci pour la mention de cet article qui relance la réflexion.

    Le problème dont vous parlez n’est pas simple parce qu’il s’agit de théologie fondamentale, c’est à dire de la compréhension du fondement de l’être : de quoi est constitué l’univers, quels principes y sont à l’œuvre.
    François y fait d’ailleurs allusion en mentionnant que la « théologie approfondie de la femme n’a pas été faite. »
    Il se rend parfaitement compte que c’est à faire.
    Une réflexion sur les structures profondes est nécessaire pour comprendre ces questions.
    Je vous donne en exemple. Si l’on a une conception monolithique de Dieu, cela se diffusera sur l’ensemble de notre vision du monde. En cherchant rapidement le sens de monolithique, on trouve comme premier sens, « d’un seul bloc », et comme deuxième « rigide ». Significatif, n’est-ce pas?
    Déjà, la notion de Trinité, conduit à une vision du monde différente, beaucoup plus proche de la structure profonde de la réalité, et plus éclairante, globalement, que la structure monolithique. Beaucoup de travail a été fait de ce côté et qui a déjà porté des fruits dans l’ensemble de l’humanité.

    Mais voici un exemple révélateur d’un problème de structure. Voici ce que j’ai lu récemment :

    « Or il est bien connu que dans le roman d’amour qui se joue entre Dieu et l’âme, c’est l’âme qui tient le rôle féminin. C’est Dieu qui doit donner; c’est elle qui doit recevoir… Sans doute il est meilleur de donner que de recevoir. » (Je ne donne pas la référence)

    Faut-il déduire que Dieu est masculin? Est-ce meilleur d’être masculin? Est-il féminin? Est-il neutre dans certaine langue?
    Il n’est pas certain non plus que ce soit si facile de recevoir…
    On voit qu’il y a un problème de structure.
    L’évangile a travaillé l’humanité en profondeur, concernant l’homme et la femme. L’Esprit Saint continue son œuvre, et il faut patiemment poursuivre la réflexion, comme nous invite François à le faire.

    Je n’ai pas complètement répondu à votre question, je vous lance mon premier jet. Mais j’ai l’intention d’y revenir.
    A bientôt!

  10. Marylin dit :

    Dans l’extrait que vous amenez, Sylvie, j’ai l’impression qu’il y a un autre problème: Dieu donne et l’âme reçoit. Il me semble que cela polarise et fait que Dieu est actif et l’âme est passive. (Ou, si l’on veut, le masculin est actif et le féminin, passif). Je ne crois pas que l’âme doit tout simplement être passive et attendre que Dieu agisse?

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