Études scientifiques?

Une étude récente, publiée dans une prestigieuse revue scientifique a créé tout un tapage médiatique, tel que rapporté dans La Presse: «Les découvertes scientifiques font parfois l’effet de petites bombes, et celle-ci risque de détonner fort. Selon une étude publiée récemment dans la revue Personality and Social Psychology Review, les gens religieux sont en moyenne moins intelligents que les athées.»

Voici un résumé de cette étude. L’article intitulé The Relation Between Intelligence and Religiosity: A Meta-Analysis and Some Proposed Explanations” prétend qu’il y aurait une corrélation négative de r=-0,24 entre la «religiosité» et l’intelligence analytique. La religiosité étant définie dans l’article comme le degré d’implication d’une personne dans une dimension ou l’autre de la religion. Les auteurs avancent les explications suivantes:

1) les gens moins intelligents sont plus portés à se conformer, et donc ne résistent pas aux dogmes religieux.

2) les gens plus intelligents adoptent une façon de penser plus analytique, par opposition à intuitive, qui se rapproche plus de la croyance.

3) plusieurs éléments positifs émanant de la «religiosité», comme le contrôle compensatoire, la gestion de soi, l’automotivation et l’attachement, peuvent être conférés par l’intelligence. Par conséquent, les gens intelligents n’ont pas besoin de croyances et pratiques religieuses.

Si nous examinons cet article du point de vue de la méthodologie scientifique, nous pouvons constater quelques faiblesses. D’abord, cette méta-analyse est basée sur 63 études différentes répertoriant de l’information sur l’intelligence et la religiosité des populations étudiées. Le nombre total d’individus inclus est impressionnant (plus de 70000) mais les populations étudiées sont hétérogènes, variant en ethnies, âges et classes sociales. De plus, ces études s’étendent sur une période variant entre 1928 à 2012 et utilisent chacune des méthodes différentes pour évaluer l’intelligence. Certaines de ces méthodes sont très limitées (par exemple, une étude mesure l’intelligence par un test de vocabulaire) ou encore, prennent plus en compte l’éducation que l’intelligence. De plus, l’évaluation de la religiosité manque de précision. Elle n’est basée que sur l’un des trois critères suivants: la participation aux activités religieuses, l’adhérence à un groupe religieux, ou encore simplement, les croyances de quelqu’un. Les religions comprises dans l’étude sont le judaïsme, le christianisme en général et plus spécifiquement le catholicisme, sans que l’on en examine d’autres.

Revenons à la formule  r=-0,24, sur laquelle est basée principalement la conclusion de l’étude. C’est une corrélation de Pearson, utilisée fréquemment en statistique. Brièvement, cette corrélation («r») est une mesure statistique qui exprime la dépendance linéaire entre deux variables, x et y, et qui donne une valeur se situant entre -1 et +1 (voir la figure 1).  Plus la valeur se rapproche de 1 (ou -1), plus la corrélation, est forte. Par contre, les hypothèses et conclusions d’une telle étude statistique doivent être appuyées par une solide argumentation car le fait que deux variables soient fortement corrélées ne démontre pas qu’il y ait une relation de causalité entre l’une et l’autre. Prenons un exemple:

Le nombre de coups de soleil observés dans une station balnéaire, par exemple, peut être fortement corrélé au nombre de lunettes de soleil vendues; mais aucun des deux phénomènes n’est probablement la cause de l’autre. [Wikipedia Corrélation (statistiques)]

Figure 1: Exemples de corrélations calculées selon l’équation de Pearson

a) corrélation r=0,22. b) Corrélation r=0,64. c) corrélation r=0,51.

Vous conviendrez sans doute comme moi qu’une corrélation de -0,24 est très ténue. D’autant plus que, le véritable résultat obtenu par l’étude est de -0,13, ce qui nécessite ensuite, pendant deux pages, une gamme de manœuvres mathématiques et statistiques pour en arriver à -0,24!

C’est à se demander comment une revue aussi réputée que le «Personality and Social Psychology Review» peut se permettre d’entériner une déclaration si «percutante» à partir d’une étude basée sur un raisonnement scientifique aussi questionnable. Question de lobbying? Subventions accordées à la revue par des gens intéressés à voir publier une telle conclusion? Presse à sensation? Quoi qu’il en soit, cette supposée bombe créa quelques remous, mais sans plus, sans doute à cause de la faiblesse de l’argumentation scientifique et du manque de sérieux de la méthodologie utilisée par les auteurs.

C’est un peu «gros» et me laisse songeuse… quant aux justifications utilisées parfois pour faire valoir la laïcité. Au fond, on peut facilement écarter la foi, puisque les gens intelligents n’en ont pas besoin. Mais fait-on alors preuve d’esprit scientifique?

Deborah Duclos

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6 Responses to Études scientifiques?

  1. Luke dit :

    Merci Madame Duclos pour une réflexion honnête sur un problème épineux.

    J’ai moi aussi lu l’article en question. Pour ma part, je tends à me méfier des études présentant de telles généralisations. Vous parlez de la difficulté de mesurer l’intelligence par la variété de tests étudiés pour l’article. Comment peut-on mesurer la religiosité?

    En plus des risques associés à l’hétérogénéité de la population étudiée, une méta-analyse sur une si longue période d’étude présente son propre lot de risque. Dans leur méthodologie, les auteurs ne précisent pas l’accès de première main qu’ils pouvaient avoir aux données originales, mais expliquent comment ils ont écarté certains groupes et certaines données qualifiées « d’extrêmes » pour ne pas fausser les résultats. On parle dans l’article « d’éliminer le bruit statistique ». Je serais curieux de savoir comment la ligne a été tracée d’une façon ou d’une autre (extrême négatif ou extrême positif). J’imagine facilement que les 63 études avaient des tolérances très différentes et des grilles d’interprétation des résultats qui variaient proportionnellement aux tests utilisés.

    Mais ce qui m’intéresse plus dans ce contexte est une autre étude qui avait été publiée dans le Journal of Religion s’intitulant « Saying Your Prayers, Constructing Your Religions: Medical Studies of Intercessory Prayer » (http://www.jstor.org/stable/10.1086/597818) qui présentait comment une méta-analyse de 18 articles publiés entre 1965 et 2006 sur l’intersection entre le monde de la santé et la prière permettait d’en apprendre plus sur l’état d’esprit des chercheurs-auteurs des articles étudiés que sur le sujet visé. Les deux conclusions auxquelles les auteurs sont arrivés soulignaient premièrement l’imperfection des outils scientifiques à mesurer des éléments spirituels et deuxièmement l’importance dans le continuum scientifique de se poser des questions sur la relation avec la religion.

    En effet, l’abondance relative de recherches tentant de tracer des liens entre santé et religion ne nous permet pas d’observer que les docteurs ont commencé à prescrire des prières sur la base d’une étude prouvant une corrélation positive, pas plus que les groupes de prière n’ont arrêté de fonctionner sur la base d’une faible corrélation. De même façon, bien que ce serait plaisant pour plusieurs politiciens, ce serait une erreur de revoir le curriculum scolaire pour exclure la religion et espérer qu’on remontera ainsi l’intelligence (!)

    Presque pour illustrer cet élément, les auteurs de l’étude “The Relation Between Intelligence and Religiosity: A Meta-Analysis and Some Proposed Explanations” présentent dès l’introduction une différence entre la corrélation de l’intelligence/croyance religieuse et l’intelligence/gestes religieux, présentant une corrélation plus faible entre le geste religieux et la faible intelligence.

    Tenter de faire une distinction coupée au couteau entre le geste religieux et la croyance religieuse m’apparait en soi comme un exercice qui en révèle beaucoup sur les auteurs eux-mêmes et sur leur position de départ.

    On ne laisse pas les études sur le café ou le vin (qui sont pourtant très quantitatives) influencer sérieusement notre comportement de consommation. Comme vous l’évoquez dans votre conclusion, j’ai hâte de voir si une étude si isolée et qualitative aura plus de poids sur notre comportement de société de « laïcisation » vorace et de charte hâtive.

    Je vous laisse donc sur une question: dans l’article que vous commentez, les auteurs présentent l’intelligence abstraitement comme un trait de caractère variable indépendant désirable en soi. Mais peut-on vraiment traiter du facteur de l’intelligence de façon autonome comme dans une éprouvette? L’intelligence « nue » est-elle vraiment une intelligence désirable?

    Est-ce vraiment ce qu’on veut cultiver et rechercher? …ou ne serait-ce pas une petite utopie laïciste commode?

    £.

  2. Simon dit :

    Je suis bien content que ce sujet soit abordé dans ce site. Je n’ai pas eu le temps de lire l’étude, mais ce que j’en ai entendu m’a laissé avec une impression que la même étude aurait pu tirer des conclusions plus larges, donc plus insignifiantes, et que par conséquent, l’honnêteté des buts visés est questionnable.
    Luke mentionne en entrée qu’il n’est pas facile de mesurer la religiosité, j’ajouterais que, selon moi, la religiosité ne s’applique pas qu’à ceux qui croient en Dieu. Il y a en effet des comportements parmi les supporteurs de n’importe quelle idée morale, philosophique ou politique qui répondent au critère de religieux et qui véhiculent des idées, qui ne sont ni plus ni moins des dogmes. Aucun athée a réussi à prouver que Dieu n’existait pas, sinon que par une série de sophismes.
    Si on avait une façon d’échantillonner les adhérents de chacun des différents courants de pensée susceptibles de générer des dogmes, nul doute qu’on en trouverait des gens qui s’y refugient de la même façon, sinon pire, que les religieux du type croyants.
    Il serait amusant de faire un répertoire des « dogmes » non religieux qu’on entends à longueur de journée et qui ne sont pas remis en question pour la simple raison qu’ils sont très populaires.

    Simon

  3. Sam dit :

    Est-ce que ceux qui ont la foi arrêtent de penser, de se poser des questions, d’analyser leur vécu? Les croyants ou plus largement les personnes religieuses n’ont pas d’esprit analytique? On dirait que c’est la conclusion induite par l’article cité par Madame Duclos. Pourtant ce n’est pas le cas. La foi solide est raisonnée, réfléchie, murie; et s’il y a une catégorie de personnes qui se ¨réfugient dans les croyances¨ ce sont les mêmes catégories de personnes qui se réfugient dans les autres dogmes comme le présente si bien Simon.

    En plus de préciser ce qu’on entend par ¨religiosité¨, il faudrait donc aussi préciser ce qu’on entend par ¨Dogmes¨. Les ¨Mystères¨ clarifiés par les ¨dogmes¨ de foi l’ont été par des personnes dont la raison et l’intelligence ont été éclairées par la foi. La foi n’est pas un moins dans la compréhension des choses mais un plus. Aujourd’hui, ça fait ¨intelligent¨ de résister aux dogmes, et finalement à tout ce qui est de pur bon sens. Pourtant, si les scientifiques s’ouvraient à cette dimension, leurs recherches en seraient enrichies et non appauvries.

    Et qu’est-ce que l’intelligence? Madame Colombe le Roy faisait ressortir dans quelques uns de ses articles, qu’il y a plusieurs formes d’intelligence. Est-ce que l’intelligence analytique est supérieure à toute autre? Voici la voie ouverte pour un nouveau culte : celui de l’intelligence.

  4. Gaby dit :

    Amusant de voir que deux jours après la parution de cet article le Pape François tenait ces propos:
    « C’est beau de demander cette grâce au Seigneur Jésus, qu’il nous envoie son esprit d’intelligence pour que nous n’ayons pas de pensée faible, de pensée uniforme et de pensée selon nos propres goûts : mais que nous ayons seulement une pensée selon Dieu. Avec cette pensée, qui est une pensée d’esprit, de cœur et d’âme. Avec cette pensée, qui est un don de l’Esprit, rechercher le sens des choses et bien comprendre les signes des temps ».

  5. Éloïse dit :

    Le gouvernement a retiré la religion des écoles, prétextant que les valeurs civiques étaient supérieures.

    Comment se fait-il que l’on n’assiste pas à une recrudescence de petits génies dans ces écoles où il n’y a plus d’enseignement religieux?

    Au contraire, à court terme, les employeurs se questionnent à savoir qui ils vont embaucher pour combler les postes vacants dans leurs entreprises. Ils y a de moins en moins de gens compétents sur la marché du travail actuellement.

    Il n’y a jamais tant eu de décrochage scolaire!

  6. Deborah Duclos dit :

    Merci à tous vos commentaires, c’est vraiment très stimulant! Pour répondre à l’ensemble, je crois que je dirais que si on enlève la foi, on atteint la morale forcément; on atteint la base des valeurs et on affecte le jugement. Par conséquent, on a beau être intelligent, on n’a plus les balises données par des valeurs profondément ancrées, et on peut faire n’importe quoi.

    L’intelligence, à mon sens, ce n’est pas qu’une affaire de QI. Quand on dit « il est assez intelligent pour ne pas faire ça », je crois qu’on appelle aussi au jugement. Donc, on fait un lien entre l’intelligence (ou la connaissance des choses) et l’application de cette connaissance dans un certain contexte. Je sais que dans l’article, ils disent bien qu’ils mesurent seulement l’intelligence « analytique ». Si on leur concède que la foi diminue l’intelligence analytique, je crois que cette même foi fait grandir l’intelligence « morale », celle qui nous permet d’utiliser à juste escient notre intelligence analytique. Comme le suggérait Luke, est-ce qu’on veut vraiment cultiver seulement l’intelligence analytique? Moi je crois qu’on en perdrait notre intelligence.

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