Avant-propos aux Séquences de vie cachée

par Francine Dupras et Jean-Marc Rufiange

Inspiration

Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à écrire un livre ou à faire un film sur la vie de Jésus? C’est souvent une inspiration qui concerne l’angle d’approche. Jésus de Nazareth est un personnage historique. Telle ou telle hypothèse plus ou moins scientifique, voire l’apport de quelque découverte archéologique ou scripturaire, ou encore le déclic consécutif à un témoignage jusqu’alors inédit, peut bouleverser à ce point l’idée que l’on se faisait de lui que le désir surgit de revoir le fil des évènements de sa vie en tenant compte de l’élément nouveau.

C’est ce qui nous est arrivé. Le déclic fut de considérer Jésus comme étant le fruit du mariage de Marie et Joseph, fils de David.

Au départ, l’angle d’approche semble à peine modifié comparativement à ce que l’on dit communément de Jésus, mais il a ouvert une veine d’inspiration qui nous a menés à la rédaction de ce que nous avons appelé : « Séquences de vie cachée ».

La vie cachée

Avant de quitter ses disciples devenus ses amis, Iéshoua (« Jésus », en hébreu) leur confia : « J’aurais encore beaucoup à vous dire mais vous ne pouvez le porter maintenant. Mais quand celui-ci viendra, lui, le souffle de vérité, il vous fera cheminer vers la vérité tout entière. » (Jean 16, 12-13) [1]

Qu’avait-il encore à dire de si difficile à porter qu’il faille le temps et surtout l’Esprit Saint, souffle de vérité, pour y parvenir?

Chaque époque aurait donc son mystère, quelque chose qui jusqu’alors caché se dévoilerait? Quel serait le secret offert à notre époque?

Si l’on considère nos sociétés occidentales en pleine déchristianisation, on est porté à croire qu’il n’y aura plus rien de nouveau sous le soleil de l’Évangile en ces temps de confusion. L’Évangile, pourtant toujours nouveau, apparaît édulcoré, affadi, frelaté. Il arrive même qu’on le brandisse – sans l’ouvrir – pour promouvoir une morale qui s’exprime dans un langage qui souffre d’un certain décalage par rapport aux temps que nous vivons. Ainsi aspire-t-on à une nouvelle évangélisation, mais peut-il encore sortir quelque chose de bon de cette bonne nouvelle?

Iéshoua a vécu environ trois ans de vie publique, partiellement publiée dans les évangiles. Nous disons « partiellement publiée », puisque Jean témoigne lui-même du fait que tout est loin d’avoir été consigné: « Iéshoua en a fait beaucoup d’autres. Si tout cela était écrit un à un, même l’univers, je pense, ne pourrait contenir les livres écrits. » (CT, Jean 21, 25)

Et cela ne tient même pas compte des trente années que Iéshoua a vécu précédemment avec ses parents, amis et compatriotes. Une part de vie au moins dix fois plus grande: 30 ans contre 3! On aborde ces années primordiales en passant, les réduisant bien souvent à un récit de légendes charmantes que l’on reprend aux fêtes de Noël. Pourtant, cette vie elle-même dite cachée ne l’est pas complètement puisque Matthieu et Luc en évoquent les évènements cruciaux au début de leurs évangiles respectifs. Alors pourquoi demeure-t-elle dans l’ombre?

Peut-être que le vécu de cette période fait justement partie de ces choses cachées que les disciples étaient encore incapables de porter?

Le rapport d’amour inédit vécu par Mariam et Iôçeph (« Marie » et « Joseph », en hébreu) dont Iéshoua a été le témoin privilégié, leur mariage unique dont il a été le fruit par l’Esprit Saint, accomplissant la promesse faite au roi David par Dieu lui-même, imprègnent, croyons-nous, son enseignement à des degrés de profondeur encore insoupçonnés.

Si l’on pense notamment au rapport entre l’homme et la femme, on peut dire que Iéshoua a causé toute une commotion lorsqu’il a répondu à une question sur le divorce en évoquant le texte de la Genèse : « Homme et femme, il les créa. C’est pourquoi l’homme s’attache à sa femme et ils ne font plus qu’une seule chair. » Dans le même contexte, il a même suscité une incompréhension totale chez ses disciples en leur révélant qu’il y aurait des eunuques à cause du Royaume des cieux. (Matthieu 19, 3-12)

Or, puisque l’on reconnaît généralement que Iéshoua a puisé les images de ses paraboles dans son expérience quotidienne, pourquoi son enseignement ne serait-il pas aussi tributaire du témoignage et de l’éducation qu’il a reçus de ses parents? Son enseignement projetterait alors une lumière non seulement sur l’Église à venir mais encore sur les prémisses du Royaume qu’il avait mission d’annoncer, prémisses qui ont d’abord germé dans le terreau saint et fertile de sa famille.

Séquences

Les Séquences de vie cachée, bien qu’elles se présentent dans un style littéraire, s’abordent comme le scénario d’un film.

Nous disons « séquences », car, comme le confirme Jean, il est impossible de reproduire de minute en minute ce que fut la vie de Iéshoua. Aucun film ni aucun livre ne le pourrait, et, de toute façon, aucun spectateur ni aucun lecteur ne disposerait du temps nécessaire pour en voir la fin.

Les évangélistes eux-mêmes ont choisi de nous relater des scènes qui les ont marqués et qu’ils considéraient essentielles, sur la base d’une mémoire et d’une inspiration qui étaient propres à chacun et que nous pouvons percevoir dans les textes qu’ils ont écrits. Certains d’entre eux ont privilégié des séquences que les autres n’ont pas relevées. Matthieu, Marc et Luc partagent plusieurs scènes selon un schéma qui se ressemble – on appelle ces évangiles: « synoptiques », pour cette raison. Par contre, il est évident que l’angle d’approche de Jean est différent, ce dont témoignent les scènes qu’il est le seul à relater et sa manière de le faire, qui tient davantage de la théologie que de la pure chronique. Mais dans l’ensemble, même si chaque évangile apporte quelque chose d’unique, y compris les synoptiques, il faut voir qu’ils sont aussi extraordinairement complémentaires. Selon nous, ils ne se contredisent jamais.

Dans toute leur diversité de points de vue, on reconnaît le même Esprit dévoilant la même personne: ce Iéshoua qui a complètement bouleversé leur vie et celles de multitudes. Les évènements de la vie de Iéshoua se sont ainsi insérés comme ils s’insèrent encore dans l’histoire des peuples comme des personnes.

En effet, encore aujourd’hui, malgré l’indifférence et les divisions qui touchent la religion, tout projet cinématographique d’une vie de Jésus suscite d’emblée un intérêt à l’échelle mondiale et soulève tout aussitôt de vives controverses.

Car si Iéshoua est l’image d’un Dieu invisible, quel acteur, quel réalisateur ou réalisatrice, ou scénariste, peut arriver à rendre correctement ce qu’il a vécu, ce qui émanait de sa personne, de sa manière d’être, d’agir et de dire les choses? Les inspirations qui guident l’interprétation ne sont pas toutes du même Esprit, il faut bien le dire, et même la meilleure interprétation, si elle peut nous en donner un aperçu, demeure en deçà de la réalité.

Si l’on privilégie une version trop « divine », le personnage sera interprété en conséquence : un regard illuminé presque vitreux, des gestes emphatiques presque liturgiques, une démarche solennelle presqu’éthérée, une manière de dire les choses plutôt théâtrale qui n’a rien à voir avec une vie normale, l’ensemble dégageant une aura de demi-dieu grec. Si l‘on privilégie au contraire une version trop « humaine », on projettera sur lui les fantasmes, tentations et appétits humains, pour en faire un personnage somme toute moins accompli que bien des individus dont l’histoire a retenu le nom et les œuvres.

Aspiration

Si la tâche de faire un film sur la vie de Iéshoua s’avère impossible en principe, l’exercice n’est pas inutile. Contempler les scènes qui nous ont été transmises par les Évangiles et, à partir de ce fondement, développer un film intérieur dans lequel Iôçeph, Mariam et Iéshoua méditent les Écritures, pensent les évènements auxquels ils sont confrontés, se parlent et interagissent avec les personnes qu’ils rencontrent, peut contribuer à nous les rendre plus réels et plus proches, vivants en somme, et, qui sait, nous faire découvrir des aspects encore inconnus ou méconnus de l’Évangile.

Mais, pourrait-on objecter, l’imagination est fertile, comme s’il s’agissait uniquement d’un défaut dans les circonstances. Il y a en effet dans les Séquences quelques « inventions ». Elles ne visent qu’à servir de contexte, de fonds de scènes sur lesquels nous posons des rapports, des interactions, des personnages, des situations, des dialogues, entre autres. Cependant, nous avons toujours basé ces inventions sur des éléments que l’on retrouve dans les Écritures bibliques ou dans la tradition de l’Église, ou encore en nous appuyant sur l’histoire et même des découvertes archéologiques. Toutefois, quand nous disons « baser », il ne s’agit en aucun cas de prétendre, par exemple, que tel évènement mis en scène dans les Séquences s’est effectivement passé et de cette façon précise. Disons qu’à partir du fondement biblique et de la tradition de l’Église, auxquels nous nous référons sans cesse et en priorité, nous avons toujours tenu à ce que chacune des Séquences comporte une dose importante de plausibilité tout en tenant compte du fait que la sainteté divine en Iéshoua apparaissait également dans sa personnalité, et ce dès sa plus tendre enfance.

Si quelque Séquence a pour effet d’enclencher chez le lecteur un certain rapprochement avec les personnes de Iôçeph, Mariam et Iéshoua, une disposition à la méditation personnelle, un désir de mieux vivre de l’Évangile, ne serait-ce qu’un peu de cela, notre but sera atteint.

Francine Dupras et Jean-Marc Rufiange

Mercredi, 2 juillet 2014

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Séquences de vie cachée

Avant-propos
Avertissement des auteurs
Mariam à l’aube

Iôçeph au réveil

Marche vers Beit Lehèm
Quarantaine
Le Secret du Roi
Au pas des exilés

Premiers mots. (Devarïm)
Index des noms hébreux



[1] Cette traduction de Jean 16, 12-13 est celle de Claude Tresmontant. Pour les citations bibliques, nous utilisons généralement la traduction de la Bible de Jérusalem. Lorsqu’il s’agira d’une autre version, nous l’indiquerons.

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3 Responses to Avant-propos aux Séquences de vie cachée

  1. Stéphane dit :

    Si comme vous le dites : « Les évangélistes eux-mêmes ont choisi de nous relater des scènes qui les ont marqués et qu’ils considéraient essentielles, sur la base d’une mémoire et d’une inspiration qui étaient propres à chacun et que nous pouvons percevoir dans les textes qu’ils ont écrits. Certains d’entre eux ont privilégié des séquences que les autres n’ont pas relevées. ».

    Peut-on aussi considérer les 4 évangiles comme des histoires avec leur part de fiction?
    De plus, l’Esprit qui a habité l’écriture de ces manuscrit n’est-il pas le même que celui qui habite ceux qui apportent de nouvelles révélations?

    • Stéphane,

      Disons tout d’abord que les Séquences de vie cachée ne se situent pas du tout au même niveau que les Évangiles, pas plus que les homélies qui s’inspirent de ceux-ci ou les recherches théologiques qui les prennent pour objet, ou encore les « révélations » subséquentes auxquelles vous faites allusion, et ce aussi éclairantes qu’elles puissent être éventuellement.

      Les Évangiles sont essentiellement axés sur des témoins : véridiques et contemporains des évènements relatés. Et surtout, ils ont pour mission de témoigner avec fidélité de la Vie et du Message de Jésus.

      C’est pourquoi l’évangéliste Luc insiste sur l’importance et la qualité des témoins:

      « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. » (Luc 1, 1-4)

      Jean insiste lui aussi, à sa manière, mais c’est toujours la même idée:

      « Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi vous croyiez. » (Jean 19, 35)
      « Jésus a fait sous les yeux de ses disciples encore beaucoup d’autres signes, qui ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom. » (Jean 20, 30-31)

      Les Évangiles n’ont donc rien à voir avec une approche fictionnelle, même partielle.

      Pour ce qui est de la « part de fiction » que l’on retrouve dans les Séquences de vie cachée, elle a de la valeur dans la mesure où elle peut nous aider dans certains cas à mieux comprendre telle ou telle scène des Évangiles, par le biais d’une mise en contexte plus large et plausible, par exemple.

      L’Esprit Saint ne se manifeste donc pas de la même manière dans les Évangiles et dans toutes les formes de leur interprétation. S’il est vrai que l’Esprit, comme le laisse entendre Jésus, nous aidera à comprendre d’autres choses en leur temps – et cela est essentiel -, il ne s’agira jamais d’une re-rédaction des Évangiles. Les Évangiles sont immuables, leur lecture est vivante et dynamique. Il faut donc s’assurer de rester le plus fidèle possible à la « vérité » qu’ils contiennent.

  2. Stéphane dit :

    Merci pour ces précisions!

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