Une seule chair. Essai sur le mariage de Iossef et Mariam

Par Francine Dupras et Jean-Marc Rufiange

 

Prologue: Devenir une seule chair

Pour ceux et celles qui considèrent la conception virginale de Ieschoua, une question aux répercussions inattendues, longtemps insoupçonnées, s’est posée. De tout temps. Le mariage de Iossef et Mariam est-il un « vrai » mariage ou tout simplement un mariage contracté pour des raisons de convenance?

Le mariage de convenance justifierait le fait que l’on traite généralement Iossef comme un figurant de l’Histoire, important certes, mais dont le rôle se borne à couvrir du manteau de la légalité une situation extraordinaire: la Vierge qui enfante. Mais quelles sont les implications du fait que ce mariage soit, au contraire, véritable?

Posons la question autrement, en termes bibliques cette fois, appliquant à Iossef et Mariam les paroles de la Genèse concernant le mariage: « L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Genèse 2, 24 BJ[1]). Iossef a-t-il quitté ses père et mère pour s’attacher à Mariam, devenant une seule chair avec elle?

Si c’est le cas, il nous faut renouveler notre manière de penser cet appel à devenir une seule chair, inscrit dans l’Humanité depuis le commencement, car la virginité des époux ne s’y oppose plus.

 

1. De l’Esprit et de la Chair

1.1 Les oeuvres de la chair

Le regard que nous posons sur le mariage de Iossef et Mariam, les parents de Ieschoua, est conditionné par la conception que nous nous faisons de la « chair ». N’a-t-on pas caricaturé la figure de Iossef pour en faire un vieillard impotent afin de « préserver » la virginité de Mariam, la supposition étant que cet âge avancé était le seul moyen pouvant permettre à Iossef de « maîtriser » sa chair?

Le problème vient notamment du fait que la chair est associée au péché et qu’on lui attribue une connotation sexuelle, d’où le sens que l’on donne ordinairement à l’expression: « péché de la chair ». Prenons par exemple la Lettre aux Galates: « on sait bien tout ce que produit la chair: fornication, impureté, débauche » (Galates 5, 19 BJ). Il semble en effet que les oeuvres de la chair soient incompatibles avec la « vertu » qui donne accès au Royaume annoncé par Ieschoua.

Cependant, la nomenclature dressée par l’apôtre Paul ne s’arrête pas à ce qu’on pourrait appeler des désordres d’ordre sexuel. S’y ajoutent : « idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiments d’envie, orgies, ripailles et choses semblables – et je vous préviens », écrit Paul, « que ceux qui commettent ces fautes-là n’hériteront pas du Royaume de Dieu. » (Galates 5, 20-21 BJ)

Dans sa lettre, Paul met donc en contraste les oeuvres fautives de la « chair » – que l’on doit comprendre dans un sens plus large que sexuel – et le fruit de l’Esprit, qui est: « charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi » (Galates 5, 22-23 BJ).

Jusqu’ici, nous avons déjà fait un pas important quoique simple pour nous dégager d’une approche au premier niveau, qui associe de façon exclusive « chair » et « sexe ».

L’être humain est toujours aux prises avec les multiples divisions, scissions, dissensions, qu’il éprouve en lui-même, c’est-à-dire dans sa chair. Paul témoigne lui-même de cette condition conflictuelle dans une autre de ses lettres:

Car je sais que nul bien n’habite en moi, je veux dire dans ma chair; en effet, vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir: puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. (Romains 7, 18-19 BJ)

Mais qui donc serait le véritable « habitant » de notre chair? Paul offre une réponse essentielle qui ouvre sur la possibilité de dénouer l’impasse, car il existe en effet une issue dont le Christ est la porte:

Or ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit Saint nous fasse aussi agir (Galates 5, 24-25 BJ).

Que l’Esprit Saint, donc, nous « habite » et même qu’il nous « anime » plutôt que les passions et convoitises, puisque celles-ci nous empêchent d’atteindre la cible que nous poursuivons au plus profond de nous-mêmes, attisées qu’elles sont par cet autre esprit, tourmenteur de la chair. Tel est le conseil de l’apôtre.

Mais si Paul établit une opposition entre ce que produit la chair et l’Esprit, il faut toutefois bien comprendre l’enjeu pour ne pas succomber au piège que comporte justement le fait de les opposer. Le dualisme de la chair et de l’esprit a conduit à de nombreuses dérives théologiques et pastorales, tout au long de l’histoire de l’Église.

Ce dualisme défigure l’Humanité en séparant ontologiquement la Chair de l’Esprit. Il fait entre autres perdre de vue que la division présente dans la chair n’est pas dans la nature originelle de celle-ci, mais la conséquence d’une chute de l’Humanité dont nous éprouvons encore et toujours les effets.

La chair, bonne ou mauvaise, n’est jamais seule à prendre en compte, elle est toujours en relation avec l’esprit qui l’anime.

il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme (Marc 7, 15 BJ)

1.2 Au commencement

Le dualisme fait partie de ce qui « sort de l’homme », il dénature les données de départ en quelque sorte, inscrivant dans la pensée un principe de division, de séparation. Ce principe conduit fatalement à la « mort » puisqu’il tend à exclure le vis-à-vis : la chair excluant l’esprit, l’esprit excluant la chair, par exemple. Le dualisme est à la fois un des facteurs de la division et l’un de ses signes. Comment en éviter le piège?

Salomon dit dans le Livre de la Sagesse :

Il [Dieu-Elohim] a tout créé pour l’être; les créatures du monde sont salutaires, en elles il n’est aucun poison de mort, et l’Hadès ne règne pas sur la terre (Sagesse 1, 14 BJ).

Et encore :

Oui, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature; c’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde (Sagesse 2, 23-24 BJ).

Sans doute inspiré par cette Sagesse, saint Léon se dégage entièrement du dualisme qui oppose la Chair et l’Esprit lorsqu’il précise dans une homélie de Noël:

si nous sommes le temple de Dieu et si l’Esprit de Dieu habite en nous… nous ne voulons pas pour autant vous prescrire ou vous conseiller de mépriser les oeuvres de Dieu, ou de juger qu’il y ait quelque chose d’opposé à votre foi dans ces choses bonnes que le Dieu bon a créées.[2]

Salomon et Léon font tous deux clairement référence au premier chapitre de la Genèse dont le récit de création est ponctué par ce refrain: « Et Elohim vit que cela était bon ».

Au commencement, Elohim créa les cieux et la terre… l’Esprit de Elohim planait sur les eaux… et tout ce que Elohim a fait était très bon. Cela pourrait être, en effet, une façon de résumer Genèse 1.

Ainsi en est-il de la nature de toutes choses créées. Animée par l’Esprit, appelée à la fécondité, la chair aussi est bonne. Mais sous une autre influence, la division (diable signifie « diviseur ») est entrée dans la chair comme un principe de mort. C’est ce qu’illustre le récit de ce qu’on appelle « la chute », au chapitre 3 de la Genèse. L’Humanité a pour ainsi dire perdu l’Esprit, compagnon de toute chair.

Un principe exégétique apparaît dès lors: il importe de bien situer la logique de l’ensemble des concepts bibliques que l’on retrouve dans Genèse 1 et 2, comme se déployant AVANT cette « chute » décrite en Genèse 3. Car la perspective que l’on adopte à cet égard a une incidence sur la manière d’interpréter et de traduire les termes employés, dont le mot « chair » fait justement partie.

Prenons en guise d’exemple le concept « ra » dans l’expression: « ets hadaat tov va ra », que l’on retrouve dans Genèse 2 et 3 et que l’on traduit généralement de la façon suivante: « arbre de la connaissance du bien et du mal ». En donnant au mot hébreu « ra » le sens de « mal », cette traduction de « tov va ra » (« bien et mal ») suggère la préexistence du mal. En effet, en inscrivant le mal, dès Genèse 2, dans l’arbre de la connaissance que Iahveh Elohim a lui-même placé au milieu du jardin, le mal aurait ainsi existé AVANT la chute, qui survient en Genèse 3. Cette interprétation peut même impliquer, ultimement, que le mal aurait son origine en Dieu, ce qui est un non-sens du point de vue biblique.

Considérons aussi la manière dont le rapport entre l’homme et la femme est conçu dans les premiers chapitres de la Genèse. Au contraire de ce que l’on a pu être amené à penser, ces chapitres n’établissent nullement qu’il est dans la nature de l’humanité que l’homme domine sur la femme, et donc que le mari domine sur son épouse. Cette domination est une conséquence de la chute, indiquée en Genèse 3:

À la femme, il (Iahveh Elohim) dit: « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. » (Genèse 3, 16b BJ)

En Genèse 2, la dynamique du rapport entre l’homme et la femme est toute différente:

l’homme s’attache à sa femme et ils deviennent une seule chair (Genèse 2, 24).

Le mot « chair », qui se dit bassar en hébreu, apparaît pour la première fois dans le contexte de ce chapitre au verset 21, donc, avant la chute. Et il culmine au verset 24 dans l’expression « devenir une seule chair », qui révèle la profonde unité entre l’homme et la femme, établie au commencement.

La chute, en Genèse 3, entraîne la division, transformant pour ainsi dire l’homme et la femme en « sexes opposés », au sens propre, l’étymologie du mot « sexe » et de ses dérivés pointant aussi vers l’idée de division.

D’un  point de vue exégétique, il faut donc prendre en compte que l’évènement de la chute a aussi entraîné, dans notre manière de considérer les choses, notamment « la chair », une re-qualification de toute la logique antérieure – « ces choses bonnes que le Dieu bon a créées ».

Mais le Dieu bon, auteur de toute bonté, déclenche aussitôt après la chute un processus nouveau. Iahveh Elohim suscite déjà une aspiration, annonciatrice d’une nouvelle phase de son Projet pour l’Humanité: la Rédemption. Il fait une Annonce. Et cette annonce fonde l’espérance d’un redressement de la condition humaine, du relèvement proprement dit de la chair, comme le proclamera Jean le précurseur:

Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers; tout ravin sera comblé, et toute montagne ou colline sera abaissée; les passages tortueux deviendront droits et les chemins raboteux seront nivelés. Et toute chair verra le salut de Dieu. [3] (Luc 3, 4-6 BJ)

Nouvelle création. Cieux nouveaux et Terre nouvelle. Eaux nouvelles du salut sur lesquelles plane l’Esprit Saint. Comment ce salut promis à toute chair s’accomplira-t-il? Iahveh Elohim annonce, dès la Genèse, que cette Rédemption « future » advient par la voie d’un lignage qui supprimera définitivement l’influence exercée par le fauteur de division :

Alors Iahveh Elohim dit au serpent: « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon. » (Genèse 3, 15-16 BJ)

1.3 Le relèvement de la chair

Situé au centre de l’Histoire, le mariage de Iossef et Mariam est au coeur d’une nouvelle Annonce, comme une réponse à la quête primordiale de relèvement.

Iosseph bèn David, ne frémis pas de prendre chez toi Mariam, ta femme. (Matthieu 1, 20a AC)

Prendre avec lui Mariam, son épouse, comme l’y encourage l’ange de son Annonciation, constitue pour Iossef, fils de la lignée de David, l’acte de mariage proprement dit. En effet, comme il est d’usage chez les Juifs, ce geste scelle le mariage des époux.

Mais de quel type était le rapport unissant Iossef et Mariam? Mariam a-t-elle porté son désir sur Iossef et Iossef dominé sur Mariam, comme le stipule la re-qualification des rapports humains enclenchée par la chute originelle?

Dans quel esprit furent scellées ces épousailles, uniques entre toutes?

À l’Ange venu lui annoncer la conception de Ieschoua, Mariam demande: « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme? » L’ange lui répond: « L’ESPRIT SAINT viendra sur toi… » (Luc 1, 35 AC)

L’Esprit Saint, avant de descendre sur les disciples, descend sur Mariam. Ainsi, c’est lui qui authentifie le mariage de Iossef avec elle.

Iosseph bèn David, ne frémis pas de prendre chez toi Mariam, ta femme. Car, ce qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint. » (Matthieu 1, 20 AC)

L’Esprit Saint repose donc sur cette conception et sur ce mariage, tous deux virginaux.

Le fait que Mariam ne « connaisse » pas d’homme n’est pas anodin, en effet. Il nous renvoie de nouveau à la Genèse. Car c’est le mot « connaître » en hébreu qui est employé le plus souvent dans la Bible pour désigner la relation conjugale. Or ce mot n’est utilisé en ce sens qu’APRÈS la chute, au chapitre 4 de la Genèse, alors que l’expression « devenir une seule chair », qui nous occupe, se situe AVANT la chute, en Genèse 2, 24.

Il n’est donc pas déraisonnable de chercher à approfondir le mariage de Iossef et Mariam à la lumière des paramètres qui prévalaient AVANT la chute, et comme un préalable au salut, un signe précurseur et même constitutif de l’avènement rédempteur.

Dans sa Lettre aux familles (1994), Jean-Paul II écrit:

le Christ ne vient pas condamner le premier Adam et la première Ève, mais les racheter ; il vient renouveler ce qui, en l’homme, est don de Dieu, tout ce qui, en lui, est éternellement bon. (Jean-Paul II, Lettre aux familles, 1994, numéro 20)

Renouveler ce qui, en l’être humain, est bon, depuis toujours et pour toujours. Tout ce qui, « en lui », c’est-à-dire dans sa chair, est éternellement bon.

Mais qui a-t-il « en l’homme » qui puisse être éternellement bon?

 

2. Créés à l’image de Elohim

2.1 Zakar ouneqeva

Bien que toutes choses aient été créées bonnes, Ieschoua a aussi dit: « Nul n’est bon que Dieu seul » (Luc 18, 19b BJ). Elohim seul est bon car tout ce qui est bon vient de lui. Il est celui qui est bon. Or, entre toutes les choses bonnes qu’il a créées, Elohim a privilégié l’Humanité.

Elohim créa le Adam à son image, à l’image de Elohim il le créa; zakar ouneqeva il les créa[4] (Genèse 1, 27).

Ce verset est capital, il est porteur du fond de sens originel de notre nature humaine. L’interprétation que l’on en fait est par conséquent elle aussi déterminante. Tout s’ensuit, pourrait-on dire.

Comme on peut le remarquer, nous avons conservé dans la mention de ce verset quelques mots hébreux. Dans les traductions conventionnelles, on lit: « Dieu créa l’homme (le Adam) à son image, à l’image de Dieu il le créa; homme et femme (« zakar » et « neqeva ») il les créa » (Genèse 1, 27 BJ). Le recours aux mots hébreux nous permet de relever certaines difficultés rencontrées et même engendrées par les traductions.

Il arrive au mot « adam » en hébreu ce qui survient en français avec le mot « homme ». Ce  mot peut être pris au sens d’un individu de genre masculin, un homme, ou au sens générique signifiant l’humanité, l’Homme avec un « H » majuscule. Dans les trois premiers chapitres de la Genèse, le mot « adam » est toujours employé au sens générique: « le Adam« . Il faut donc en tenir compte dans les traductions. Celles-ci jouent un rôle déterminant dans la compréhension que nous pouvons avoir de ce type de nuances qui touchent, dans le cas présent, à l’essentiel du texte hébreu.

De plus, dans « Dieu créa l’Homme à son image; homme et femme il les créa », on traduit deux mots hébreux différents: « Le Adam » et « zakar » par le même mot français: « homme ». Le Adam, qui est l’appellation générique de l’Humanité en hébreu, est bien rendu par le mot français « Homme », au sens générique: l’être « humain » qui vient de l’« humus », c’est-à-dire de la terre. En effet, la terre en hébreu se dit « adama »: le Adam vient de la adama[5].

Zakar porte un sens très différent, d’autant plus évocateur au niveau sémantique qu’il est associé à neqeva. Les mots zakar et neqeva, que l’on traduit « homme » et « femme », ont chacun un fond de sens antérieur et plus global qui constitue en quelque sorte la racine de leurs sens, sens au pluriel, car la langue hébraïque est éminemment polysémique. À l’aide d’une approche étymologico-sémantique, on pourrait éventuellement constituer zakar ouneqeva en une rubrique maîtresse extrêmement significative pour la définition de l’humanité.

Car il faut retenir que le verset 27 de Genèse 1, où se situe le couple zakar ouneqeva, se présente comme le sommet, le point d’arrivée de tout le processus de création qui est décrit auparavant.

Ainsi, il devrait être possible de démontrer que ce processus de création repose sur un principe de complémentarité, émanant de l’organisation du cosmos par Elohim : les cieux et la terre, la terre ferme et les eaux, les petits et les grands (astres, animaux), le haut et le bas, et ainsi de suite. Cette approche pourrait également prendre en compte les sens antérieurs de zakar comme « souvenir » et neqeva comme « creux », qui relèvent respectivement de l’ordre temporel et de l’ordre spatial, pour symboliser le principe de déploiement de la création en tant que temps et espace, le déroulement des jours de création se développant en concomitance avec l’organisation du cosmos. Dans cette perspective, le couple zakar ouneqeva apparaîtrait effectivement comme le symbole éminent d’une complémentarité primordiale et universelle.

Pour sa part, la traduction conventionnelle de zakar ouneqeva par « homme et femme » au sens strict de « mâle et femelle » peut nous induire à cristalliser leur sens en oblitérant les réalités préalables et plus globales que ces mots évoquent et que le texte hébreu relie par une conjonction (ou, c’est-à-dire « et ») pour qualifier le Adam, cette Humanité créée à l’image de Elohim.

2.2 Isha et ish

L’utilisation de l’appellation « homme et femme » est encore plus ambiguë quand il s’agit des mots hébreux « ish » et « isha » dans Genèse 2.

En Genèse 2, 7, nous avons: « Alors Iahveh Elohim modela l’Homme (le Adam) avec la glaise du sol (adama) ». Au contraire de ce que l’on croit communément, il s’agit alors de l’être humain au sens générique et non du « mâle »[6]. Dans la suite du récit, le mot qui dit le Adam reste présent mais s’y ajoutent les mots isha, suivi de ish, que l’on traduit ordinairement par « femme » et « homme », respectivement.

Puis, de la côte qu’il avait tirée de l’homme (le Adam), Iahveh Elohim façonna une femme (isha) et l’amena à l’Homme (le Adam). Alors celui-ci (i.e. le Adam) s’écria: « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! Celle-ci sera appelée « femme » (isha) car elle fut tirée de l’homme (ish), celle-ci!  » C’est pourquoi l’homme (ish) quitte son père et sa mère pour s’attacher à sa femme (sa isha), et ils deviennent une seule chair. (Genèse 2, 22-24)

Les exégètes restent dans une bonne mesure perplexes devant ces quelques versets, sans pouvoir s’entendre sur le sens exact à donner aux réalités qu’ils évoquent. Ce qui choque la raison et la conscience anthropologique que nous avons du rapport homme et femme, c’est une interprétation qui conduit à faire de la femme un sous-produit de l’homme. Car c’est ce qui arrive lorsqu’on attribue indifféremment au Adam ou à ish, le sens de mâle dans ce contexte : la femelle serait « façonnée » à partir de la côte du mâle Adam, ou encore appelée « femelle », c’est-dire « isha », parce que tirée du mâle « ish ».[7]

Or, isha, au contraire de ce qu’il pourrait sembler quand on ne connaît pas l’exégèse impliquée, n’est pas le féminin de ish. Dans certaines de nos langues, il suffit d’ajouter un « a » ou un « e », ou encore « esse » comme dans « maire » et « mairesse » pour former le féminin à partir d’un mot de genre masculin; la forme féminine du mot est alors en quelque sorte « tirée » de sa forme masculine. Mais ce n’est absolument pas le cas de isha et ish en hébreu. Le choix de la translittération et nos habitudes grammaticales nous induisent ici en erreur.

Comme nous le soulignions dans un autre texte:

les deux mots n’ont même pas de racine commune. L’auteur de la Genèse met l’accent sur la communauté structurelle de base qui existe entre l’Adam et son aide assorti, une communauté structurelle dont la ressemblance des termes, exploitée par le biais d’une sorte de jeu de mots, devient sémantiquement significative. (Amorce dialogale, Premier extrait)

Cette explication implique un renouvellement de notre approche du texte dans son ensemble[8].

Ainsi, dans Genèse 1 et 2, quand on interprète sans les distinguer les mots zakar et neqeva, ish et isha, comme signifiant « homme » et « femme » au sens de « mâle » et « femelle », on fait un choix de traduction qui a pour effet d’en réduire considérablement l’épaisseur sémantique, un choix qui peut même aller jusqu’à en détourner le sens. Choisissant de mettre l’accent sur la mâlitude et la femellitude, cette traduction monosémique contribue à nous renvoyer une image tronquée de ce qu’est l’humanité, alors que la diversité des mots hébreux employés dans Genèse 1 et 2 aurait justement pour fin d’en évoquer les multiples dimensions[9].

Ce manque de rigueur a contribué à « disqualifier » les récits de création de la Genèse en ce qui a trait à la quête de compréhension de la nature humaine, nous privant de la richesse sémantique qu’ils comportent en réalité. Par conséquent, une meilleure interprétation de ces textes bibliques fondateurs pourrait nous conduire à des considérations plus appropriées concernant le rapport entre l’homme et la femme, et, particulièrement, le rapport entre l’homme nommé Iossef et la femme nommée Mariam.

2.3 Le Adam et isha

Poursuivons encore plus en profondeur notre analyse de Genèse 2.

Nous pensons qu’il est important de considérer que le rapport s’établit d’abord, non pas entre ish et isha, mais entre le Adam et isha. Ce fait, qui a retenu notre attention, nous a aiguillés vers une interprétation différente de ce qui serait en jeu sémantiquement. À l’instar du couple zakar ouneqeva en Genèse 1, le couple isha et ish en Genèse 2 pourrait être une manière d’exprimer la nature de l’Humanité (le Adam), mais à un autre niveau.

Revenons donc à l’affirmation de base donnée en Genèse 1: le Adam a été créé à l’image de Elohim.

Tout au long de Genèse 1, Elohim est ce Nom qui, bien que prenant la forme du pluriel (la terminaison des mots en « im » indique le pluriel en hébreu), est sujet de verbes au singulier. Par exemple, Elohim « dit », « créa », « fit », et « vit ». Il s’agit donc d’un mot au pluriel que l’on utilise au singulier. Certains n’y voient qu’une anomalie sans conséquences. Pour notre part, nous y accordons une réelle importance sémantique d’autant plus que Elohim n’est sujet d’un verbe au pluriel qu’une seule fois en Genèse 1 et que cela se produit à un moment stratégique:

Elohim dit: « FAISONS le Adam à NOTRE image, comme NOTRE ressemblance, et qu’ILS dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre. » (Genèse 1, 26 BJ)

Genèse 1, 26 est le premier verset où il est question de créer le Adam (l’humanité, au singulier). Dans « Elohim dit », nous avons un nom au pluriel (« Elohim »), sujet d’un verbe au singulier (« dit »). On remarque ensuite que la dimension « multiple » de Elohim, marquée par l’emploi de la 1ère personne du pluriel (« faisons », à « notre » image, comme « notre » ressemblance), coïncide avec celle de l’humanité entendue comme un pluriel (qu' »ILS » dominent », 3e personne du pluriel). Et cela, avant même qu’apparaissent les concepts zakar ouneqeva que l’on traduit par homme et femme, en Genèse 1, 27.

Être créés à l’image de Elohim pourrait alors signifier que la nature à la fois une (« le Adam ») et multiple (« ils », « zakar ounequeva ») de l’Humanité est à l’image de la nature à la fois une et multiple de Elohim. Si Elohim n’est pas « UN » (Echad, en hébreu[10]) au sens monolithique du terme, le Adam créé à son image ne le serait pas non plus.

Cette « coïncidence » du singulier et du pluriel à propos du nom Elohim n’est pas sans évoquer la révélation chrétienne de la nature à la fois une et trine de Dieu: « Père et Fils et Esprit ». Qu’il s’agisse de Elohim ou de la révélation chrétienne de la Trinité, le dévoilement de la nature une et multiple de Dieu touche aux questions de l’identité et de l’Être[11].

Considérés sous cet angle, les concepts bibliques isha et ish dans Genèse 2 pourraient manifester eux aussi un rapport de ressemblance avec la nature de Iahveh Elohim, mais à un autre niveau: ontologique, cette fois. Le récit de la création de Genèse 1 se faisant sur un plan essentiellement cosmologique, le récit de création de Genèse 2, particulièrement dans les versets 22-24, traiterait de la réalité ontologique du Adam.

Pour tenter de mieux cerner le sens de cette interprétation, revenons encore un moment à la révélation chrétienne de ce que l’on pourrait appeler l’ontologie « trinitaire », en considérant l’épisode évangélique qui relate le baptême de Ieschoua par son cousin Jean.

Et il advint qu’en ces jours-là Jésus vint de Nazareth de Galilée, et il fut baptisé dans le Jourdain par Jean. Et aussitôt, remontant de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit comme une colombe descendre vers lui, et une voix vint des cieux: « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur. » (Marc 1, 9-11 BJ)

Tel l’Esprit de Elohim planant sur les eaux originelles, l’Esprit Saint reposa sur Ieschoua, baptisé dans les eaux du Jourdain. Et comme « Elohim dit » dans Genèse 1 et « Iahveh Elohim dit » en Genèse 2, une voix se fit entendre pour dire: « Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur ». Or cette exclamation du Père à l’égard du Fils se rapproche, dans sa texture, de l’exclamation du Adam lorsqu’il découvre isha: « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair. » (Genèse 2, 23 BJ)

Le Père et son Fils bien-aimé sont deux personnes différentes mais de même nature. D’une certaine façon, la dualité Père et Fils, que l’on retrouve en présence de l’Esprit Saint dans cet épisode évangélique, se reflèterait dans la dualité ish et isha du Adam, non pas au sens où ish serait « père » et isha  « fille » – une personne qui serait en ce sens ontologiquement « mineure »-, mais au sens où tous deux partagent ontologiquement la même nature. N’oublions pas que c’est le Adam, l’Homme au sens générique, et non ish, qui dit: « c’est l’os de mes os et la chair de ma chair », exclamation à laquelle correspondrait, sur un plan ontologique: « c’est l’être de mon être ».

Le rapport entre isha et ish décrirait donc un rapport de niveau ontologique plutôt qu’une simple manière de dire autrement le rapport mâle et femelle, comme on l’entend habituellement. Si le Adam, zakar ouneqeva manifestait la nature humaine créée à l’image de Elohim, à la fois une et multiple (Genèse 1), le Adam, isha de ish, manifesterait la communauté de « nature », « d’espèce », de l’un et l’autre, inhérente à une véritable communion, à l’instar de la communion des personnes en Elohim révélée lors du baptême de Ieschoua.

Dans la nature même du Adam, l’autre (isha) est lié à l’un (ish): il s’agit du même « être ». Comme Elohim, qui n’est pas seul en lui-même, l’être du Adam est « UN », mais il n’est pas SEUL :

Et Iahveh Elohim dit : « Il n’est pas bon que l’homme (le Adam) soit seul. Il faut que je lui fasse une aide assortie (un ezer kenegdo). » (Genèse 2, 18 BJ)

Iahveh Elohim, après avoir – et cela explicitement – créé les animaux comme une sorte de première tentative pour offrir au Adam cet ezer kenegdo, nécessaire à ses yeux, vit que le Adam n’avait pas trouvé l’aide qui lui convenait. Les animaux ne pouvaient pas combler sa solitude ontologique : n’étant pas de même nature ou espèce, cette mutualité ou réciprocité dans le rapport qui permet la communion véritable ne pouvait être satisfaite. La mutualité du rapport fait donc intrinsèquement partie de la nature humaine.

Si la dimension du rapport de l’homme et de la femme ordonnée à la perpétuation de l’espèce est aussi impliquée dans ces versets de Genèse 2, c’est en tant qu’application de ce principe ontologique qui, lui, signifie une réalité plus profonde et plus englobante, qui apparente la nature humaine à la nature même de Elohim.

En effet, pourquoi Elohim aurait-il créé le Adam à son image, zakar ouneqeva, isha de ish, sinon en vue d’établir lui-même un rapport de communion avec l’Humanité, et avec chaque personne humaine en particulier, et ce depuis le commencement?

La perpétuation de l’espèce est ordonnée à une Humanité UNE et UNE avec Elohim.

Il demeure néanmoins que le rapport plus spécifique entre un homme et une femme est aussi visé dans Genèse 2. De quelle manière? Pour répondre à cette question, il nous faut à nouveau tenir compte de l’avant et de l’après chute.

2.4 Adam et Hava

Yahvé Dieu (Iahveh Elohim) façonna du sol toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme (le Adam) pour voir comment il les appellerait: le nom que l’homme (le Adam) donnerait à tout être vivant serait son nom. L’homme (le Adam) appela de leur nom tous les bestiaux, les oiseaux du ciel et toutes les bêtes des champs ; mais pour l’homme (le Adam) il ne trouva pas d’aide qui lui fût assortie (de ezer kenegdo). (Genèse 2, 19-20 CO)

Que le Adam ait bel et bien « NOMMÉ » chacun des animaux comporte de profondes incidences sémantiques. Le fait de nommer, d’appeler quelque chose ou quelqu’un d’un nom particulier, constitue en effet un acte qui s’apparente à celui de la création. Par exemple, dans Genèse 1,3, Elohim DIT: « Que la lumière soit » et la lumière FUT. On définit l’être en le disant, et, en le nommant, on l’appelle à l’existence. Ce n’est d’ailleurs qu’après que le Adam ait nommé chacun des animaux qui lui furent présentés par Elohim, qu’il apparut évident qu’aucun d’entre eux ne pouvait être son ezer kenegdo.

La perspective dans laquelle nous fait entrer la sémantique des « noms » hébreux nous invite donc à élargir le champ des considérations que nous pouvons avoir du rapport homme et femme. Car, en persistant à nommer le « premier » homme et la « première » femme, Adam et Hava (Ève), on discarte avec une certaine légèreté les autres noms mentionnés au préalable.

C’est au chapitre 4, soit APRÈS la division consécutive à la chute, que nous lisons: « Adam connut Hava, sa isha » (Genèse 4, 1). Ce verset donne suite à Genèse 3, 20a, où il est dit: « Le Adam NOMMA sa isha, Hava ».

Le nom Hava n’apparaît donc qu’après la chute, en Genèse 3. Il est à noter que ce nom est alors en relation avec le mot hébreu qui signifie l’Homme au sens générique, « le Adam », ce qui donne également au nom Hava une portée plus générique que « individuelle », davantage englobante, à ce stade du récit. Ce n’est qu’au chapitre 4 que nous entrons pour ainsi dire définitivement dans le flot de l’histoire des individus, avec celle d’un premier couple humain identifié par les noms: Adam et Hava.

Nous insistons sur ce fait. Dans Genèse 1 et 2, le mot hébreu Adam, que l’on conserve en français en lui attribuant généralement le caractère d’un nom personnel, prend exclusivement, comme nous l’avons souligné à maintes reprises, l’acception d’être humain au sens générique. C’est pourquoi nous avons privilégié la transcription « le Adam » et le mot français Homme avec un « H » majuscule, ou Humanité. Et bien que, dans les versets 21-25 de Genèse 2, le sens du mot soit plus difficile à interpréter, il demeure que « Adam » n’apparaît clairement comme nom du premier humain de genre masculin qu’au chapitre 4.

Les trois premiers chapitres constituent en fait le prologue de l’histoire humaine. Ils sont d’autant plus fondamentaux qu’ils en expriment à leur manière unique les présupposés. La conception que nous avons du rapport homme et femme et de son avenir, comme aussi celui de la chair, a beaucoup à voir avec les présupposés voire les préjugés que nous avons à propos de ce que nous « disons être » (nommer) la nature humaine.

Chercher à approfondir l’exégèse des récits bibliques de création implique un renouvellement de notre manière de penser à partir du commencement. Écarter ces récits sur des bases qui leur sont préjudiciables (les reléguant au rang de contes primitifs, par exemple), c’est nous exposer à bâtir notre manière de voir les choses sur les prémisses exclusives de la chute qui divise, ne pouvant considérer le rapport homme et femme que sous l’angle de la dynamique du désir et de la domination, ou encore en termes exclusivement sexuels: « Adam connut Ève, sa femme ». Comme nous le disions plus haut, c’est le terme hébreu signifiant « connaître » qui est généralement employé pour désigner la relation conjugale. Et c’est dans ce verset (Genèse 4, 1) qu’il est utilisé en ce sens pour la première fois. Après la chute.

Mais si la chute change la donne, re-qualifie le rapport entre l’homme et la femme en termes de désir et de domination, elle ne change pourtant pas la nature de ce qu’est l’Humanité.

Ainsi, dans Genèse 2, soit AVANT la chute, le Adam avait déjà donné un nom à son ezer kenegdo. Le récit nous dit que du côté qu’il avait tiré du Adam, Iahveh Elohim façonna isha et l’amena au Adam. Alors le Adam s’écria: « Pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair! » Et le Adam l’APPELA « isha », « car isha fut tirée de ish » (cf. Genèse 2, 22-23).

Le fait que le Adam ait déjà nommé « isha » le premier terme de la différenciation de son être en « l’un et l’autre » est indicatif d’un principe: c’est l’existence de l’autre qui montre la nature de l’un. Ainsi, en nommant isha, la chair de sa chair est nommée. Ce faisant, le Adam NOMME aussi cette distinction complémentaire, marquant à la fois la différence de l’un et l’autre et leur commune nature: isha tirée de ish. En ce sens, ce sont là les premiers NOMS de l’homme et de la femme: ils sont, l’un pour l’autre, « isha de ish ». On comprend mieux alors le verset qui suit:

C’est pourquoi ish quitte son père et sa mère et s’attache à sa isha, et ils deviennent une seule chair. (Genèse 2, 24 BJ)

Quant au dernier verset de ce récit (Genèse 2, 25): « Or tous deux étaient nus, le Adam et sa isha, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre », il exprime ce qu’était la condition humaine avant la chute: être l’un devant l’autre, sans honte, sans séparation, sans division.

C’est donc dire que le Adam en renommant Isha, Hava (Genèse 3, 20a) re-qualifie le rapport de l’un vis-à-vis l’autre selon les conséquences de la chute mais aussi en vue du salut annoncé, lequel adviendra par la victoire du lignage de la Isha sur le lignage du Diviseur, par la voie d’un Enfantement:

L’homme appela sa femme « Eve », parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. (Genèse 3, 20 BJ).

Devenir une seule chair: bassar echad, en hébreu, fait donc partie de la condition humaine initiale. Mais l’un et l’autre se « connaissent » désormais en vue de cette victoire, de cet Enfantement salvifique.

2.5 Iossef et Mariam

Évidemment, il nous est impossible de retourner à l’Eden pour retrouver la teneur originelle exacte du rapport entre l’homme et la femme, dans ce qu’il a pu être avant la chute. Toutefois, nous demeurons tous à même de ressentir que le rapport de l’homme et de la femme est en quête de rédemption, de relèvement, d’accomplissement, aujourd’hui comme hier.

Tout en restant aux prises avec la problématique complexe de ses diverses relations interpersonnelles, l’être humain demeure en quête de cet apport mutuel et de cette proximité bienheureuse exprimés dans les premiers chapitres de la Genèse, que tous les peuples, de tous les temps, appellent aussi en leurs langues diverses: l’amour.

À la suite du long apprentissage et de multiples épreuves, le peuple Israël, cette « épouse infidèle » que Iahveh Elohim a choisie et instruite dans ses voies, a engendré en suivant la logique du lignage posée dès l’origine, non seulement un roi, David, mais une femme et un homme selon son coeur et cette lignée: Mariam et Iossef, qui l’aimèrent et s’aimèrent d’un amour virginal, sans division.

Alors l’Humanité put porter son Fruit, unique entre tous. Au coeur de notre Histoire humaine.

Pour saisir toute la profondeur de l’amour qui unissait Mariam et Iossef, il faudrait être en mesure de retrouver la teneur originelle de la virginité. Car la virginité souffre tout autant que la chair des vicissitudes de nos interprétations. On l’entend généralement comme un « pas encore » ou un « ne pas » en regard de la sexualité, ou encore comme un état de vie choisi par quelques-uns ou quelques-unes, un genre de sacrifice « des plaisirs de la chair » que l’on peut connaître ici-bas, en vue d’un au-delà de ce monde qui en serait dépourvu.

Encore une fois, il faudrait dire qu’au commencement, il ne pouvait pas en être ainsi. L’un et l’autre dans le Adam que Elohim a créé à son image étaient pour ainsi dire « vierges » de nature, au sens où ils ne connaissaient pas cette dynamique de désir et domination qui inscrit la division dans la chair, qui « sexualise » (divise) en ce sens.

Le mariage virginal de Iossef et Mariam porte en lui le fruit de la Rédemption, il symbolise le relèvement de la chair, en Ieschoua, le Verbe fait chair. Et Mariam peut dire, avec encore plus de profondeur qu’Hava, et Iossef avec elle: « J’ai eu un enfant avec Iahveh Ehohim. » (Genèse 4, 1)

C’est aussi grâce à Joseph que le mystère de l’Incarnation et, avec lui, le mystère de la Sainte Famille, est profondément inscrit dans l’amour sponsal de l’homme et de la femme et, indirectement, dans la généalogie de toute famille humaine. Ce que Paul appellera le « grand mystère » trouve dans la Sainte Famille son expression la plus haute. (Jean-Paul II, Lettre aux familles, 1994, numéro 20)

Inscrite dans la généalogie de toute famille humaine, la réalité du mariage virginal de Mariam et Iossef est donc fondamentale.

Elle exprime la corrélation parfaite entre Elohim qui est éternellement bon et l’Humanité:

Ton créateur est ton époux, Yahvé Sabaot est son nom, le Saint d’Israël est ton rédempteur, on l’appelle le Dieu de toute la terre. Oui, comme une femme délaissée et accablée, Yahvé t’a appelée, comme la femme de sa jeunesse qui aurait été répudiée, dit ton Dieu. Un court instant je t’avais délaissée, ému d’une immense pitié, je vais t’unir à moi. (Isaïe 54, 5-7 BJ)

Entre l’Esprit et l’Épouse:

L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. (Luc 1, 35 BJ)

Au commencement, Elohim créa le Adam à son image; zakar ouneqeva il les créa. Or, Elohim leur avait dit: « Soyez féconds » (Genèse 1, 27-28). Il en fut ainsi de Mariam et Iossef, au-delà de toute espérance.

 

3. Ieschoua et la Chair

3.1 Le Verbe s’est fait chair

Jean, celui que Ieschoua a présenté à Mariam en tant que fils (« Isha, voici ton fils ») et que la tradition appelle « l’apôtre vierge »[12], a écrit un prologue à son témoignage de l’Évangile. Son coeur est tout entier dans cette exclamation bienheureuse: « Et le Verbe s’est fait chair » (Jean 1, 14 BJ).

L’importance de cette annonce du Verbe fait chair est telle pour le disciple bien-aimé qu’elle permet d’opérer un discernement entre l’esprit de Dieu et la séduction de l’Antichrist.

À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu (1 Jean 4, 2 BJ)

C’est que beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde, qui ne confessent pas Jésus Christ venu dans la chair. Voilà bien le Séducteur, l’Antichrist. (2 Jean 7 BJ)

Le regard que nous posons sur la chair est donc fondamental non seulement à notre compréhension du mariage de Mariam et Iossef, mais à notre compréhension de ce qu’est l’Évangile dans sa visée la plus profonde et décisive.

Or, dans son enseignement, Ieschoua fait lui-même référence à la création du Adam, zakar ouneqeva (Genèse 1, 27), ainsi qu’au verset qui présente ish et isha comme faisant « une seule chair »  (Genèse 2, 24). Ce fut à l’occasion d’une question posée par les Pharisiens sur le divorce.

Des Pharisiens s’approchèrent de lui et lui dirent, pour le mettre à l’épreuve : « Est-il permis de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? » Il répondit : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme (zakar ouneqeva), et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme (ish) quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme (isha), et les deux ne feront qu’une seule chair ? Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Eh bien ! ce que Dieu a uni, l’homme (le Adam) ne doit point le séparer. » (Matthieu 19, 3-6 BJ)

Dans ce contexte, lorsque Ieschoua exprime le lien entre l’homme et sa femme dans les termes de la Genèse : « ils ne sont plus deux mais une seule chair », on comprend bien qu’il ne fait pas référence à la « chair » au sens sexuel du terme. Il reprend l’expression « une seule chair » pour décrire la qualité foncière du lien matrimonial et affirmer le devoir de fidélité, d’attachement à l’épouse, que ce lien implique.

« Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas », ne le « sexualise » pas, pourrait-on dire, à l’encontre d’une dynamique de désir et de domination qui durcit le coeur. Le divorce (du verbe divorto: « se séparer de », « se détourner de ») scelle en effet une division: la séparation des époux.

À ce sujet, il faut souligner un fait que l’on oublie trop souvent. Si Ieschoua ne s’est pas exprimé directement ou de façon extensive sur la question dite sexuelle[13], il demeure qu’il a pris soin d’évoquer le second chapitre de la Genèse, traditionnellement interprété dans le sens de l’institution du mariage, et ce alors qu’on serait plutôt porté à penser que ce chapitre ne le concerne guère puisqu’il est réputé être vierge, à l’instar de sa mère, et même de son père, comme l’affirme la tradition catholique.

En fait, c’est tout le contraire: le deuxième chapitre de la Genèse est au coeur de la pensée et de l’enseignement de Ieschoua. Mais il se situe à un niveau plus profond et plus universel des rapports.

3.2 Les commandements de l’amour

Ieschoua propulse au sommet de ses priorités deux grands commandements. LES deux grands commandements.

Un scribe qui les avait entendus discuter [à propos de la question des Pharisiens sur la répudiation], voyant qu’il leur avait bien répondu, s’avança et lui demanda : « Quel est le premier de tous les commandements ?  » Ieschoua répondit : « Le premier c’est : Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.  Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Marc 12, 28-31 BJ)

Ce passage de l’évangile de Marc est fondamental au sens où il rejoint des fondements déjà inscrits dans la Genèse. Ainsi, le second commandement: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », qui répond au premier: « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », découle directement de la notion exprimée par le « ezer kenegdo » de Genèse 2, 18.

Et Iahveh Elohim dit : Il n’est pas bon que le Adam soit seul. Il faut que je lui fasse un ezer kenegdo.

Pour l’Humain, c’est-à-dire le Adam au sens générique, aimer son prochain comme soi-même, c’est reconnaître et assumer que l’autre, pour l’un, est son prochain et qu’il le complète. Le mot hébreu kenegdo implique cette notion de « proximité » : le « proche », le « prochain »[14]. Il faut noter ici que le mot ezer qui précède kenegdo n’a pas cette détermination de genre féminin qu’on lui attribue généralement en traduisant « une aide ». Ezer étant un mot masculin, si on avait voulu lui accorder le genre féminin, on aurait pu utiliser sa forme féminine, qui existait.

Il est donc « bon » (tov, en hébreu) que l’être humain ait un prochain. On peut alors en déduire que ce qui caractérise l’un et l’autre en humanité, encore plus fondamentalement que le fait d’être homme et femme au sens spécifique de mâle et femelle, c’est le fait d’être des proches, des prochains l’un pour l’autre.

Revenons au premier des deux grands commandements. Il est important de souligner que l’en-tête de la prière centrale chez les Juifs, le Shema Israel auquel réfère Ieschoua, contient l’affirmation essentielle de l’unicité de Iahveh. En hébreu, cela se dit :

Shema Israel Iahveh Elohinou, Iahveh Echad.

Écoute Israël, Iahveh Elohim, Iahveh UN

Dans l’expression « Iahveh Echad », « Echad »  veut dire « UN » au sens le plus fort du terme, celui de l’unité fondamentale : « Iahveh-UN ».

Or, le verset évoqué par Ieschoua, que l’on traduit souvent par « ils (ish et isha) ne font qu’une seule chair », s’écrit en hébreu:

vehayu le bassar echad

et ils sont (deviendront) chair UN

L’accent est mis, là aussi, sur l’unité : « bassar echad », « Chair-UN ».

Dans cette perspective, on devient plus à même d’apercevoir le niveau de profondeur auquel Ieschoua appelle ses auditeurs uniquement préoccupés de débattre de la question du divorce. La fidélité conjugale qui émane du bassar echad de Genèse 2, 24 rejoint ainsi les deux commandements principaux, l’amour de Iahveh (Iahveh-UN) et l’amour du prochain comme soi-même (chair-UN), auxquels « se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Matthieu 22, 40).

Or, le mot hébreu bassar, que l’on traduit par « chair », est un mot étranger à la notion de sexualité. Le bassar évoque plus spécifiquement la réalité corporelle dans sa globalité, disons la corporéité, conçue comme la qualité de l’être au monde de l’Humain. Bassar echad, chair-UN, réfère donc à l’unité de cette corporéité de l’Humain.

Dans le Nouveau Testament, dont la version la plus proche de l’original est écrite en grec, nous trouvons deux mots qui, tout en étant différents, semblent converger pour exprimer cette qualité de l’être: sarx, signifiant « chair », est surtout utilisé dans l’évangile de Jean, et soma, signifiant « corps », dans les autres évangiles dits synoptiques.

Ce qui semble caractériser la chair-sarx, que l’on retrouve aussi dans les Lettres apostoliques, c’est qu’elle est perdue lorsqu’elle vit la division, spécifiquement la division de son COMPLÉMENT, qui est l’Esprit. Lorsque Paul oppose systématiquement la chair à l’Esprit, il fait ressortir la conséquence de la faute qui consiste justement en leur SÉPARATION. La chair, séparée de l’Esprit, sombre dans le « péché ». D’où son ambivalence.

Or, le Fils s’est fait chair, PAR l’Esprit. C’est pourquoi sa naissance est elle-même le signe du relèvement de la Chair. Dans l’Évangile du Verbe fait chair, toute Chair est elle-même renouvelée PAR l’Esprit, compagnon originel de sa destinée.

3.3 Un esprit nouveau

Le divorce inscrit pour ainsi dire une division dans la chair-UN du mariage. Certaines sources nous laissent penser qu’à l’époque de Ieschoua, il était largement répandu. Les règles le concernant s’appuyaient sur cette indication donnée par Moïse:

Soit un homme qui a pris une femme et consommé son mariage; mais cette femme n’a pas trouvé grâce à ses yeux, et il a découvert une tare à lui imputer; il a donc rédigé pour elle un acte de répudiation et le lui a remis, puis il l’a renvoyée de chez lui. (Deutéronome 24, 1 BJ)

Chez les Pharisiens, il y avait une controverse au sujet de l’interprétation de cette directive: quelle était cette « tare » que l’on pouvait imputer à la femme afin d’obtenir un acte de répudiation? Certains l’interprétaient dans le sens le plus large possible et se servaient du précepte de Moïse pour justifier divers motifs allant jusqu’aux plus futiles. Pour les autres, le seul motif valable était l’adultère ou la prostitution. Les interlocuteurs de Ieschoua cherchaient donc à connaître sa position sur la question, pour mettre à l’épreuve la « nouvelle » doctrine qu’il enseignait.

La réponse de Ieschoua dénie derechef toute valeur à l’interprétation qui permet la répudiation « pour n’importe quel motif ». Se dégageant de la dispute légaliste qui occulte l’enjeu véritable, il ramène ses auditeurs à l’esprit de la lettre: « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme (zakar ouneqeva)? » Le mariage émane d’un rapport constitutif de l’être de l’humanité; il n’est pas le lieu d’un marchandage où, par exemple, il est possible à l’homme de se détacher de sa femme, si elle lui est devenue désagréable. C’est ce que répond Ieschoua.

« Pourquoi donc, lui objectent alors les Pharisiens, Moïse a-t-il prescrit de donner un acte de divorce quand on répudie? » Tout en insistant à nouveau sur ce qu’était la condition humaine au commencement, Ieschoua leur donne l’explication suivante:

C’est en raison de votre dureté de coeur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi. (Matthieu 19, 7-8)

L’expression « dureté du coeur » est très significative dans le contexte d’une réflexion sur la chair, car elle rappelle la promesse de purification faite par Iahveh Elohim à la maison d’Israël:

Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés; de toutes vos souillures et de toutes vos ordures je vous purifierai. Et je vous donnerai un coeur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j’ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes. (Ezéchiel 36, 25-27)

Il y a effectivement un esprit nouveau dans l’enseignement de Ieschoua, notamment sur le rapport entre l’homme et la femme, qui transparaît dans sa discussion avec les Pharisiens. Ieschoua fait appel à une transformation du coeur: non plus un coeur de pierre (qui divise), mais un coeur de chair (qui unit). Dans cette dynamique du coeur de chair, l’attention à l’autre se fait délicatesse, prévenance, fidélité, épris de ce qui est juste et, inversement, avisé en regard de ce qui ne l’est pas, comme dans le cas de la répudiation:

celui qui renvoie sa femme si ce n’est pour prostitution il fait que celle-ci devient une femme infidèle et celui qui épouse une femme renvoyée il prend la femme d’un autre. (Matthieu 19, 9 CT)

La traduction que nous avons utilisée ici est celle de Claude Tresmontant. L’interprétation qu’il fait de ce verset de Matthieu essaie de rendre compte du substrat hébreu, selon l’hypothèse de plus en plus retenue que l’hébreu aurait été la langue originaire dans laquelle les évangiles furent écrits.

Cette traduction a l’avantage de faire ressortir la qualité du « raisonnement » de Ieschoua, une qualité qui donne à penser, par exemple, que Iossef, « homme juste », aurait pu réfléchir en ces termes la situation particulière dans laquelle il se retrouvait avec Mariam sa fiancée, enceinte avant qu’ils aient habité ensemble. En effet, Iossef ne pouvait la renvoyer sans faire d’elle une « femme infidèle » puisque telle était « la tare imputable » pour une répudiation. Par contre, la présence de l’enfant qu’elle portait l’intimait de ne pas s’imposer lui-même à la place d’un Autre, car savait-il quelle était la volonté de Elohim? D’où sa décision de répudier Mariam, mais en secret, pour ne pas l’exposer aux duretés de la loi qui disait de lapider les femmes adultères.[15]

Mais, pour l’heure, autour de Ieschoua, ils sont peu nombreux à comprendre le sens de ses paroles. Même les disciples s’étonnent:

Si c’est comme cela la condition de l’homme avec sa femme alors il n’est pas bon de prendre une femme. (Matthieu 19, 10 CT)

Encore une fois, nous favorisons la traduction de Tresmontant[16] qui nous renvoie clairement à Genèse 2, 18 où Iahveh Elohim dit: « Il n’est pas bon que le Adam soit seul ».

Les disciples qui n’étaient pas sans connaître les récits de création de la Torah, aiguillés par les références de Ieschoua à ceux-ci, raisonnent à leur manière: au commencement, il était bon de prendre une femme, mais selon l’enseignement « nouveau » de Ieschoua, le mariage comporte désormais plus d’exigences que d’avantages. Alors, s’il en est ainsi, « il n’est pas (plus) bon de prendre une femme ». Ieschoua serait-il en train de contredire la Torah?

Ce que Ieschoua leur répond va encore ajouter à leur étonnement:

et alors lui il leur a dit
tous ne sont pas capables [de comprendre et de réaliser]
[cette affaire cette chose] cette parole
mais [seulement] ceux à qui cela a été donné
car il y a des eunuques
qui depuis le ventre de leur mère sont nés ainsi
et il y a des eunuques
qui ont été rendus eunuques par [la main de] l’homme
et il y a des eunuques
qui se sont rendus eux-mêmes eunuques à cause du royaume des cieux
celui qui est capable de comprendre qu’il comprenne (Matthieu 19, 11-12 CT)

Que veut-il dire par là?

C’est toute la question du sens de la destinée humaine qui est ainsi posée. En effet, une contradiction semble s’élever entre la vocation originelle de l’homme et de la femme à devenir « une seule chair » (Genèse 2, 24) – ainsi qu’on interprétait alors la destinée humaine -, et cette « continence » en vue du Royaume qui apparaît sur une base exceptionnelle, mais souhaitable.

Pourtant, cette contradiction s’estompe lorsque nous considérons le mariage de Mariam et Iossef, modèles d’amour de Iahveh et d’amour du prochain que Ieschoua avait eu quotidiennement sous les yeux. En eux se manifeste une parfaite conciliation du projet initial de la Création et du Royaume à venir. C’est l’une des intuitions fondamentales de Jean-Paul II:

Le mariage de Marie avec Joseph, dans lequel l’Eglise honore Joseph comme époux de Marie et Marie comme son épouse, cache en même temps en soi le mystère de la parfaite communion des personnes, de l’homme et de la femme, dans le pacte conjugal, ainsi que le mystère de cette exceptionnelle continence pour le Royaume des Cieux; continence qui servait dans l’histoire du salut à la plus parfaite fécondité de l’Esprit-Saint. Mieux, elle sera, en un certain sens, la plénitude absolue de cette fécondité, étant donné que c’est précisément dans les conditions nazaréennes du pacte de Marie et Joseph, dans le mariage et la continence, que s’est réalisé le don de l’incarnation du Verbe éternel. (Jean-Paul II, TDC, 24 mars 1982, numéro 3)

À travers l’enseignement de Ieschoua, des cieux nouveaux, une terre nouvelle, des temps nouveaux sont annoncés. Et Mariam et Iossef annoncent ce qui dans notre Humanité est en devenir.

3.4 La chair qui ressuscitera

Dans la lignée du mariage de Iossef et Mariam, le projet de Rédemption se résout dans un retour de la Vie, avec un nouvel arbre de Vie et son Fruit: le Verbe fait chair.

« Il est le Principe, Premier-né d’entre les morts », dit Paul aux Colossiens:

car Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. Vous-mêmes, qui étiez devenus jadis des étrangers et des ennemis, par vos pensées et par vos oeuvres mauvaises, voici qu’à présent Il vous a réconciliés dans son corps de chair, le livrant à la mort (Colossiens 1, 18b-22 BJ)

Le Christ est vainqueur de la mort, dernière grande division: séparation de la vie.

Car, dans la Genèse, les conséquences de la faute impliquent, non seulement la chute de la « chair », mais justement la mort:

Et Iahveh Elohim fit à l’homme ce commandement: « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (tov va ra) tu ne mangeras pas, car, le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. » (Genèse 2, 16-17 BJ)

C’est pourquoi Jean nous présente Ieschoua établissant le lien étroit qui unit la chute de la chair et la mort, et le moyen par lequel la rédemption sera accomplie: l’offrande de sa chair à manger et de son sang à boire.

« Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » Les Juifs alors se mirent à discuter fort entre eux; ils disaient: « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger? » Alors Jésus leur dit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » (Jean 6, 51-56 BJ)

La chair de Ieschoua a été offerte pour le relèvement et la vie de toute chair, car c’est bien de la résurrection de la « chair » dont il s’agit: « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour. »

Il est révélateur, dans le contexte de nos réflexions sur la chair, à propos du rapport homme et femme, et notamment du mariage de Mariam et Iossef, que nous nous retrouvions devant une autre référence de Ieschoua à Genèse 2 dans le contexte d’une question posée, non plus sur le divorce, mais sur la résurrection. Et ce sont les Sadducéens, eux qui ne croient justement pas à la résurrection, qui vont permettre à Ieschoua de boucler la boucle de sa logique, alors qu’ils l’interrogent sur la pérennité du mariage et l’idée de résurrection:

Il y avait sept frères. Le premier prit femme et mourut sans laisser de postérité. Le second prit la femme et mourut aussi sans laisser de postérité, et de même le troisième ; et aucun des sept ne laissa de postérité. Après eux tous, la femme aussi mourut. A la résurrection, quand ils ressusciteront, duquel d’entre eux sera-t-elle la femme? Car les sept l’auront eue pour femme. (Marc 12, 20-23 BJ)

Ieschoua leur répondit:

N’êtes-vous pas dans l’erreur, en ne connaissant ni les Écritures ni la puissance de Dieu? Car, lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux. (Marc 12, 24-25 BJ)

Certains en ont conclu que Ieschoua annonçait un Royaume sans hommes ni femmes, en s’appuyant en outre sur ce que dit Paul dans sa Lettre aux Galates:

Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ: il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. (Galates 3, 26-28 BJ)

C’est perdre de vue le contexte dans lequel Paul situe son affirmation. Il évoque l’esprit de division qui sépare, opposant les uns aux autres, non seulement l’homme et la femme mais aussi le Juif et le Grec, l’esclave et l’homme libre. L’accent mis ici, c’est encore la division. Le Christ vient tout réconcilier en lui, pour ne faire qu’un seul peuple, dans lequel tous seront libres et serviteurs les uns des autres.

Mais, « lorsqu’on ressuscite… on est comme des anges dans les cieux », dit Ieschoua. Est-ce que cela signifie que l’Humanité changera de nature, délaissant la chair pour la condition de pur esprit?

Le Adam créé à l’image de Elohim, zakar ouneqeva, ne peut quitter cette nature pour prendre celle de l’ange. Ce que l’être humain ressuscité a de commun avec l’ange, c’est son immortalité[17] et donc l’absence de nécessité de se reproduire pour perpétuer son espèce. La réponse de Ieschoua aux Saduccéens telle que rapportée dans l’évangile de Luc est explicite en ce sens:

Et Jésus leur dit: « Les fils de ce monde-ci prennent femme ou mari; mais ceux qui auront été jugés dignes d’avoir part à ce monde-là et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari; aussi bien ne peuvent-ils plus mourir, car ils sont pareils aux anges, et ils sont fils de Dieu, étant fils de la résurrection. » (Luc 20, 34-36 BJ)

Ce qui est appelé à « changer » concerne donc la dimension du rapport « homme et femme » au sens spécifique de « mâle et femelle », puisqu’elle est ordonnée à la perpétuation de l’espèce.

Ainsi, à partir des références qu’il fait aux Écritures, spécialement à la Genèse, Ieschoua nous donne effectivement un enseignement renouvelé en regard du mariage. Un enseignement pour ce temps et en vue de la résurrection de la chair.

Tout d’abord, le lien matrimonial que traduit l’expression « devenir une seule chair (bassar echad) n’est pas d’ordre sexuel, mais qualifie l’amour mutuel des époux en termes de fidélité de leur attachement l’un à l’autre et de leur unité (« ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas »). De plus, pour Ieschoua, comme nous avons essayé de le démontrer, cette fidélité conjugale émane de la fidélité aux deux grands commandements: l’amour de Iahveh Elohim (Iahveh Echad) et l’amour du prochain (ezer kenegdo).

En outre, faisant référence à la création du Adam, zakar ouneqeva, Ieschoua présente cette unité « inséparable » des deux comme signifiant à sa manière le dessein bénévolent de Elohim, créant l’être humain, à son image, en vue d’une communion avec lui.

Enfin, le mariage conçu en vue de la perpétuation de l’espèce n’est pas une institution perpétuelle, nous dit Ieschoua, puisque « lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari ». L’union conjugale des époux, considérée sous l’angle de la perpétuation de l’espèce, ne peut donc pas être envisagée comme la finalité ultime des rapports humains. Quand nous parvenons à l’unité finale, elle n’a plus lieu.

Dans l’enseignement de Ieschoua, cette finalité est l’amour-agapè, béatitude des cœurs purs qui verront Elohim, auquel nous ordonnent les deux grands commandements. Il émane de la vertu de charité (qui se dit agapè en grec), la seule « vertu » qui demeure dans l’ordre de la résurrection de la chair.

Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité. (1 Corinthiens 13, 12-13 BJ)

Verbe fait chair, Ieschoua nous entraîne à sa suite vers l’accomplissement de ce qu’est l’humanité, dans la plénitude de son âge, nous donnant ce commandement final:

Je vous donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres. (Jean 13, 34-35 BJ)

Tout est amour en Elohim. Le Père a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils, son unique (Jean 3, 16). Ieschoua lui-même a donné sa chair et son sang pour le rachat de l’Humanité et c’est par l’Esprit Saint que s’amorce la transformation des disciples, hommes et femmes, petits et grands. Simon, « la Pierre », fut le premier à l’annoncer, en ce jour de Pentecôte:

Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l’un à l’autre: « Que peut bien être cela? » D’autres encore disaient en se moquant: « Ils sont pleins de vin doux! » Pierre alors, debout avec les Onze, éleva la voix et leur adressa ces mots: « Hommes de Judée et vous tous qui résidez à Jérusalem, apprenez ceci, prêtez l’oreille à mes paroles. Non, ces gens ne sont pas ivres, comme vous le supposez; ce n’est d’ailleurs que la troisième heure du jour. Mais c’est bien ce qu’a dit le prophète[18]: « Il se fera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Alors vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards des songes. Et moi, sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai de mon Esprit. » (Actes 2, 12-18 BJ)

Cet épisode fondateur de l’histoire de l’Église ne doit pas nous faire oublier ses prémisses: le Verbe s’est fait chair par l’Esprit dans le saint mariage de Iossef et Mariam. Et le combat de l’Enfantement est toujours en cours, les divisions étant récurrentes, autant dans l’Église, qu’entre les nations et entre les personnes.

En son temps, Jean Charlier de Gerson (1363-1429) faisait la promotion de l’instauration d’une fête en l’honneur du mariage de Iossef et Mariam. Il y avait chez lui bien plus que l’expression d’une dévotion personnelle ou un indice de religiosité populaire. À cette époque éminemment troublée par des divisions politiques et religieuses (l’affrontement entre Armagnacs et Bourguignons et le grand schisme d’Occident), le chancelier de l’université de Paris avait conclu un long discours adressé au roi et aux princes sur cette exhortation:

[nous] devons honorer ce mariage virginal, cette sacrée et très chaste conjonction, nous qui querons [cherchons, demandons] paix et union.[19]

Jean Charlier de Gerson fut peut-être le premier véritable « auteur » théologien à se pencher sur les implications du mariage de Iossef et Mariam, et à découvrir la figure éminemment significative de Iossef, qui était alors généralement relégué à un rôle de figurant[20]. Le fait qu’il fut aussi l’un des seuls théologiens à prendre ouvertement le parti de Jeanne d’Arc, sa contemporaine, en lui reconnaissant le droit de « diriger » des hommes à la guerre, citant des passages bibliques à l’appui de sa conviction, et qu’il fut l’un des premiers à écrire en français (langue vernaculaire) des oeuvres de spiritualité s’adressant aux « gens simples sans lettre », incluant prioritairement les femmes[21], n’est pas étranger, selon nous, à l’importance fondamentale qu’il accordait au mariage virginal de Mariam et Iossef.

En notre temps, le successeur de Pierre nommé François dit dans son exhortation apostolique portant « sur l’annonce de l’évangile dans le monde d’aujourd’hui »:

la première annonce ou “kérygme” a un rôle fondamental, qui doit être au centre de l’activité évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial. Le kérygme est trinitaire. […] Quand nous disons que cette annonce est “la première”, cela ne veut pas dire qu’elle se trouve au début et qu’après elle est oubliée ou remplacée par d’autres contenus qui la dépassent. Elle est première au sens qualitatif, parce qu’elle est l’annonce principale, celle que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau (Evangelii Gaudium, 24 novembre 2013, numéro 164)

Et il ajoute au paragraphe suivant:

Toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme qui se fait chair toujours plus et toujours mieux (numéro 165).

Ce kérygme dans sa dimension théologique, trinitaire, doit « apparaître » et s’incarner dans la dimension anthropologique, représentée par la famille pleinement humaine de Iossef, Mariam et Ieschoua. C’est ainsi que l’assemblée des baptisés vise elle-même l’unité, dimension ecclésiologique du kérygme.

 

Épilogue: Bassar echad!

Cette chair, le bassar, qui est une condition de notre humanité, nous la ressentons comme blessée, divisée, en un mot « mortelle ». Elle est pourtant appelée à ressusciter.

Or, pour que la résurrection de la chair soit rendue possible, il fallait que le Verbe lui-même s’in-carne (« dans la chair »), dans un mariage où l’un et l’autre soient bassar echad, Chair-Un. C’est pourquoi Jean s’écrit avec enthousiasme dans son prologue : « Et le Verbe s’est fait CHAIR » : Il s’est fait bassar.

Le Christ a offert sa « chair » (sarx) comme repas pour la vie du monde, son corps rompu comme le grain sous la meule pour le pain et son sang versé comme le fruit sous le pressoir pour le vin, rétablissant ainsi par sa résurrection d’entre les morts, l’unité perdue par la faute, symbolisée par la manducation du fruit de l’arbre du tov va ra, par la isha et son ish (Genèse 3, 6). L’histoire passe d’un repas à un autre.

Par la « comm-union » de ses membres (« qui mange ma chair-sarx et boit mon sang »), l’Église devient elle-même un seul Corps (soma) dans le Christ : Bassar echad!

Aussi bien est-ce en un seul Esprit que nous tous avons été baptisés en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et tous nous avons été abreuvés d’un seul Esprit. Aussi bien le corps n’est-il pas un seul membre, mais plusieurs. (1 Corinthiens 12, 13-14 BJ)

Mais pour quelle fin?

La prière que Ieschoua adresse à son Père pour ces disciples exprime le sens profond et ultime de la mission du Verbe fait chair:

Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient UN (echad). Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croit que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient UN comme nous sommes UN : moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (Jean 17, 20-23 BJ)

Quand il est dit dans l’évangile de Matthieu (1, 24) : « Une fois réveillé, Iossef fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit avec lui sa femme », on est plus à même de comprendre que, tout en étant deux,  Iossef et Mariam ne font qu’une seule chair, « Chair-Un », et que ce mariage virginal est porteur du Fruit éminent de la Création. Inéluctable conséquence de la logique trinitaire divine inscrite dans la « chair » de l’Humanité, depuis le commencement.

Le mariage de Iossef et Mariam est en même temps la révélation que nos rapports les uns avec les autres sont appelés à un renouvellement, à une « virginisation » féconde. Afin que TOUS soient UN comme NOUS sommes UN », priait Ieschoua. Kérygme trinitaire.

Chair-UN. Bassar echad! À l’image de Iahveh Echad. Iahveh-UN!
Rendus parfaits dans l’unité, pour une agapè des cieux et de la terre.
Humanité bienheureuse.

Aussi, mon coeur exulte,
mes entrailles jubilent,
et ma chair reposera en sûreté;
car tu ne peux abandonner mon âme au shéol,
tu ne peux laisser ton ami voir la fosse.
Tu m’apprendras le chemin de vie,
devant ta face, plénitude de joie,
en ta droite, délices éternelles. (Psaume 16, 9-11 BJ)

Le Jardin d’Eden[22] nous est fermé à jamais mais les délices nous sont promises. Nous n’irons plus au Jardin mais nous entrerons dans le Royaume. Le Royaume des Délices éternelles!

 



[1] À cause des enjeux de la traduction des textes bibliques qui sont impliqués dans cet essai, nous utiliserons un code simple pour indiquer de quelle traduction de la Bible sont tirés les versets cités. BJ= traduction Bible de Jérusalem ; AC= traduction d’André Chouraqui ; CO= traduction du Chanoine Osty; CT= traduction de Claude Tresmontant.

[2] Léon I, successeur de Pierre, de 440 à 460. Extrait d’une homélie pour Noël, dans La Liturgie des Heures 1, Vendredi de la 5e semaine, p. 546-547.

[3] « Comme il est écrit au Livre des paroles d’Isaïe le prophète », précise Luc. Il s’agit d’Isaïe 40, 3-5 : Une voix crie: « Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit comblée, toute montagne et toute colline abaissées, que les lieux accidentés se changent en plaine et les escarpements en large vallée; alors la gloire de Yahvé se révèlera et toute chair, d’un coup, la verra, car la bouche de Yahvé a parlé. »

[4] Dans « zakar ouneqeva« , la lettre vav qui sert de conjonction s’attache au mot neqeva qu’elle relie ainsi à zakar, et elle est prononcée comme la voyelle « ou ». C’est pourquoi nous avons utilisé cette translittération.

[5] C’est pourquoi l’exégète Chouraqui traduira le Adam, par « le glébeux », celui qui vient de la « glèbe » (motte de terre).

[6] C’est toujours le cas lorsque Iahveh Elohim dit en Genèse 2,18: « Il n’est pas bon que l’Homme (le Adam-l’humain) soit seul. » Il en va de même jusqu’au verset 21 :« Alors Iahveh Elohim fit tomber une torpeur sur l’Homme (le Adam), qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et referma la chair à sa place. »

[7] Certains exégètes sont même allés jusqu’à traduire ish et isha par « homme et hommesse ». Parmi eux, Martin Luther, qui fut le premier à traduire la Bible en langue vernaculaire, en l’occurrence, l’allemand: « man wird sie Männin heißen, darum daß sie vom Manne genommen ist. » Inventée par Luther, Männin est une féminisation de Manne, équivalente à « hommesse » en français. Cela illustre bien l’importance de la théologie sous-jacente dans la traduction.

[8] Cette explication que nous faisons nôtre est soutenue en particulier par des hébraïstes sérieux.

[9] Dans sa Lettre aux Éphésiens, Paul évoquait, dans un autre contexte, une plénitude de compréhension comportant « la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur ». (Ephésiens 3, 18 BJ)

[10] Dans Echad, qui signifie « UN » en hébreu, le « ch » se prononce comme l’allemand « ach ».

[11] On n’a qu’à penser aux incidences que cette considération de la nature à la fois une et multiple de Dieu, et de l’Humanité, pourrait avoir sur le principe de non contradiction de la logique formelle qui exclut a priori la possibilité d’une coïncidence de l’un et du multiple.

[12] Il y a aussi Jean le Baptiste, cousin de Ieschoua, qui est réputé être vierge, de même que l’apôtre Paul, qui traite de la virginité dans le septième chapitre de sa première Lettre aux Corinthiens.

[13] Le mot « sexualité » est d’usage assez tardif (XVIe siècle). Prendre pour acquis qu’il définit la nature fondamentale de l’homme et de la femme en tant qu’êtres sexués a sans doute contribué à une certaine dérive dans la manière de considérer le rapport homme et femme, essentiellement stéréotypique, parce que ne tenant pas suffisamment compte des « origines » de l’humanité, justement.

[14] Chouraqui, par souci de précision, traduit : « Je ferai pour lui une aide CONTRE lui. » Le mot français « contre » rend en effet très bien cette réalité de « proximité » exprimée par kenegdo, comme dans l’expression : « joue CONTRE joue ».

[15] C’est cette interprétation qui est sous-jacente à la « séquence de vie cachée » intitulée: « Iossef au réveil » que l’on retrouve sur ce site.

[16] Alors que Tresmontant traduit: « Si c’est comme cela la condition de l’homme avec sa femme alors il n’est pas bon de prendre une femme. » La bible de Jérusalem traduit: « … il n’est pas expédient de se marier » et Chouraqui: « il n’y a pas intérêt à prendre femme ».

[17] Ressuscité, on ne meurt plus. Comme le dit Paul: « si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui, sachant que le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, que la mort n’exerce plus de pouvoir sur lui. » (Romains 6, 8-9)

[18] Pierre fait référence au prophète Joël : « Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Nos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit. » (Joël 3, 1-2 BJ)

[19] Jean Gerson, Oeuvres complètes, par Mgr Glorieux, volume VII*, L’oeuvre française (sermons et discours), 389: « Rex in sempiternum vive », Paris, Desclée, 1968, p.1030.

[20] Voir : Jean Gerson, Oeuvres complètes, par Mgr Glorieux, volume VII*, L’oeuvre française (sermons et discours), 300: « Considérations sur saint Joseph », Paris, Desclée, 1968, p.1030.

[21] Dans son introduction à son œuvre la plus connue intitulée « La Montagne de contemplation », Gerson explique les raisons pour lesquelles il a décidé d’écrire sur ce sujet ordinairement réservé aux clercs, en français plutôt qu’en latin, et en s’adressant plus aux femmes qu’aux hommes. Jean Gerson, Oeuvres complètes, par Mgr Glorieux, volume VII, L’oeuvre française (sermons et discours), 297: « La Montaigne de contemplation », Paris, Desclée, 1966, p.16.

[22] Eden, le nom du Jardin de la Genèse, signifie « délices ».

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10 Responses to Une seule chair. Essai sur le mariage de Iossef et Mariam

  1. Marielle dit :

    Je trouvé le texte très beau mais pour dire vrai je n’en n’ai lue que la moitié et voilà que déjà je jubile à savoir que l’on a été crée à l’image de la trinité, semblable à la trinité. Oh! Que la Genèse m’apparait tout à coup d’un attrait éblouissant, je n’en reviens pas de ses bonnes nouvelles, revoir les traductions nous est un plus. Merci beaucoup pour votre beau et bon travail.

  2. Elizabeth dit :

    J’ai finalement trouvé dans la bible de Jérusalem la traduction « et qu’ILS dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre ». J’imagine que c’est cette traduction que vous utilisez. Je me demande pourquoi c’est la première fois que je remarque cela. Est-ce que parce que ce n’est pas la traduction de la bible de Jérusalem qui est utilisée dans le Prions? Ou bien c’est parce que cela fait longtemps que je n’ai pas regardé le texte. En tout cas, ça fait bien toute la différence! Et je suis bien contente aussi que vous m’aiyez fait remarquer le contraste entre l’utilisation de la troisième personne du singulier avec la première personne du pluriel pour Elohim.
    Je commence à saisir plus l’importance de l’analyse des mots.

    Merci!

  3. Anne dit :

    Bonjour Madame Dupras et Monsieur Rufiange,

    Je vous remercie pour ce texte très profond et très clair qui nous fait découvrir la richesse des textes de la Genèse et qui nous en ouvrent leur mystère.

    De saisir la profondeur de la relation complémentaire de ‘le Adam’ qui est isha et ish dans le plan originel de la création, est un ‘eye opener’. La découverte d’Elohim (un et multiple) et que ‘le Adam’ est à son image (un et multiple) corrige effectivement plusieurs mauvaises interprétations qui nous divisent.

    Je suis d’accord avec vous lors que vous dites que la finalité du mariage ‘n’est pas l’union conjugale’ et j’ajouterai : ni même l’apothéose du mariage, comme certains le prétendent.

    Comme vous avez écrit :

    ‘La fidélité conjugale qui émane du bassar echad de Genèse 2, 24 rejoint ainsi les deux commandements principaux, l’amour de Iahveh (Iahveh-UN) et l’amour du prochain comme soi-même (chair-UN), auxquels « se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Matthieu 22, 40).’

    Je crois que l’amour de Iahveh-UN est fondamental dans toute relation et que ceci doit être premier pour vivre entièrement selon le plan de Dieu et rendre possible la fidélité car Iahveh est fidèle en tout ce qu’Il fait et l’inconstance lui est étrangère.

    Vous parlez que ‘Mariam et Iossef se sont aimés d’un amour viriginale, sans division’. On associe souvent l’amour aux sentiments et aux passions. Dans l’introduction en français (MÉDIASPAUL, page 8) de l’encyclique Lumen Fidei du pape François, Rino Fisichella met en évidence les conséquences de vivre l’amour sans tenir compte de notre créateur:

    ‘l’homme perd le lien à son origine et ne trouve plus l’essence de la vie : l’amour. « Pour l’homme moderne, en effet, la question de l’amour semble n’avoir rien à voir avec le vrai. L’amour se comprend aujourd’hui comme une expérience liée au monde des sentiments inconstants, et non plus à la vérité (LF 27)’

    Pour moi, le lien entre l’amour, la virginité et la vérité est fondamental. Car pour rendre témoignage à la Vérité, il faut avoir un cœur sans partage, entièrement uni. Elohim nous aime dans la vérité et dans la constance. L’amour vierge (non divisé) nous rend matures, courageux et forts car il est appuyé sur le ‘Vrai’, sur la Vérité (le Christ). Dans ce sens, Mariam et Iossef sont les modèles de cet amour virginal, qui était fort en la confiance et l’abandon en Dieu, pour être entièrement disponible au projet de Dieu. Et ceci est justement ce que Dieu avait prévue à l’origine, cette liberté de l’amour qui n’est pas entravé et limité par la domination et la convoitise. Tous sont appelés à un amour vierge quelque soit leur situation de vie. Car l’amour vierge a pour objectif Dieu en premier et il en résulte un amour vrai au sens de la vérité.

    Votre texte m’a apporté beaucoup d’espérance car il m’a fait comprendre que justement l’incarnation du Christ a permit de rétablir la chair et de rendre possible ce de quoi nous avons tous soif, l’amour uni, vrai, encré dans un projet commun qui est celui de notre Créateur. Mariam et Iossef sont les témoins que cette rédemption est effective. Avec l’aide de l’Esprit Saint, nous pouvons y parvenir. Et la clé est de mettre en premier plan notre amour/relation avec Yaveh-UN.

  4. SAM dit :

    Vous nous avez livré encore une fois un texte fort riche, dans un style limpide certainement fruit d’un long travail de recherche et de réflexion. J’y vois une synthèse méditée qui ramasse tous les morceaux d’un puzzle complexe. Je constate à la lecture de ce texte combien l’exégèse est importante quand elle aide à corriger des mentalités erronées. Oui, c’est facile de succomber à la tentation de mépriser la chair en faveur de l’esprit comme c’est aussi facile de verser dans l’exaltation de la chair au détriment de l’esprit. Votre perspective nous permet de sortir du perpétuel balancier entre deux pôles, ici entre chair et esprit,

  5. Hélèna dit :

    L’image de ce petit crucifix (ci-haut) m’est chère et je vous la partage, car je trouve qu’elle évoque bien les réalités présentes dans votre texte.

    Ils vont deux par deux…les humains ne sont pas représentés, mais le principe est-là…je trouve que représenter cette réalité sur un crucifix évoque avec force la rédemption et que « aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu »; elle l’attend dans sa chair.

  6. Hélèna dit :

    Votre essai est pour le moins d’actualité.

    En effet, cet hiver, le pape a demandé un sondage international auprès des catholiques, sur leur vision du mariage et de la famille, en vue du synode d’octobre prochain sur le même thème, le mariage et la famille. Les résultats de ce sondage, au niveau canadien, ont déjà été envoyés à Rome par les évêques catholiques canadiens.

    Personnellement, je n’en ai pas entendu parler cet hiver lors des célébrations eucharistiques auxquelles j’ai assisté. Apparemment que Trois-Rivières a été très pro actif pour récolter l’opinion de ses paroissiens. Il faut croire que je n’étais pas à la bonne place au bon moment. Dommage, j’aurais aimé participer à ce sondage. J’aurais pu brocher une copie de votre essai avec la feuille questionnaire.

    Les résultats de ce sondage ont été gardés confidentiels, tel que Rome l’avait demandé, mais les évêques ont fait ce commentaire: « le processus a révélé qu’un certain nombre de catholiques ne sont guère conscients du contenu positif et de la richesse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille, ce qui pourrait creuser un écart inquiétant entre la doctrine de l’Église et la pensée de nombreux catholiques ».

    Ça sent le dualisme. La doctrine de l’Église face à la pensée de nombreux catholiques. Inquiétant? oui, effectivement. Le plus inquiétant n’est-il pas que chacun semble rester sur ses positions? N’y a-t-il vraiment que ces deux choix: soit maintenir la doctrine de l’Église de façon statique, soit la dénaturer en permettant par exemple, le divorce et la contraception?

    C’est en ce sens que votre essai sur le mariage et la famille arrive à point. Il met en relief justement que la doctrine de l’Église est révélation de l’Esprit Saint. Elle est donc dynamique et en accomplissement. « Le contenu positif et la richesse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille » a actuellement besoin d’être approfondi par tous les baptisés, le clergé aussi, comme un peuple en marche.

    C’est des réflexions précieuses que vous nous partagez. Mon souhait le plus cher serait que ces réflexions puissent trouver une oreille attentive lors du prochain synode sur le mariage et la famille, car je crois que de nombreux catholiques ont soif d’une compréhension plus approfondie de ces réalités.

    Voici la référence pour le commentaire des évêques canadiens:
    Canada: Les évêques ne rendent pas publique la synthèse de la consultation sur la famille

  7. Hélèna dit :

    Je me rend compte que j’ai fait un lapsus lors de on dernier commentaire. J’ai écrit: : c’est en ce sens que votre essai sur le mariage et la famille arrive à point. En fait, le sujet de votre texte est le mariage de Iossef et Mariam, alors que s’ouvrira en octobre prochain le synode sur le mariage et la famille.

    Je ne me suis pas aperçu de mon erreur tout de suite, car votre texte a effectivement nourri ma réflexion sur la famille de façon importante.

  8. Louise dit :

    J’ai relu votre texte aujourd’hui, je trouve que c’est une belle préparation pour la veillée pascale que nous allons vivre ce soir. Avec toutes les lectures que nous allons prier, cela me fait déjà entrer en méditation. Berashit, Bassar echad, Esprit, chair et sang, l’Un et l’Autre, etc. Cela me fait mieux comprendre une prière qui est parfois dite lors des eucharisties et qui ressemble à: « qu’en mangeant ta chair et en buvant ton sang, nous devenions un seul corps dans l’Esprit »
    Alléluia!

  9. Evelyne dit :

    Bonjour Mme Dupras et M. Rufiange,

    Ça fait longtemps que cette question me trotte dans la tête et je ne sais pas comment la formuler…

    Est-ce que je comprends bien qu’en créant isha, Dieu crée une aide assortie à ish (l’humain homme et femme), qui devient son prochain, homme ou femme?
    Donc Isha serait le prochain de ish?
    Alors la réaction du Adam est forte : “la chair de ma chair, l’os de mes os” en parlant de son prochain!…(Et non pas de son complément mâle ou femelle)

    Merci beaucoup pour ce texte très riche

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