Au pas des exilés

par Jean-Marc Rufiange et Francine Dupras

Un guide providentiel

Ils arrivèrent à Rama très tôt le matin. C’était la veille de Shabbat. Iôçeph, malgré la fatigue, se mit donc immédiatement en quête de renseignements sur le trajet à suivre pour atteindre l’Égypte. On lui présenta bientôt un homme du nom de Iaqov (Jacob) qui était dans les parages par affaire et qui proposa de les accompagner. Il était natif d’Alexandrie et faisait partie des descendants de ces Iéoudïm qui, à l’époque du premier Ptolémée surnommé Soter [1], avaient décidé d’émigrer pour s’installer dans la métropole égyptienne.

L’Alexandrin à la barbe grise était fort sobre en paroles et il se dégageait de sa personne cette force caractéristique de la maturité. Iôçeph lui fit aussitôt confiance. Il lui offrit un salaire que Iaqov refusa en arguant que, de toute façon, il devait faire le voyage de retour vers sa ville et qu’il serait bien payé en bénéficiant de la présence d’agréables compagnons pour ce long voyage.

Sans donner de détails, bien entendu, Iôçeph lui confia que ce voyage leur était en quelque sorte imposé et lui fit part de son désir de voyager dans la plus grande discrétion. Habitué aux continuelles tensions politiques auxquelles les Iéoudïm faisaient face, Iaqov ne posa aucune question. Il assura à Iôçeph que le meilleur moyen pour ce faire était de se mêler à une caravane. Il avait par ailleurs appris qu’un bon groupe de Iéoudïm allait quitter Gaza vers l’Égypte incessamment. Pour pouvoir s’y joindre, il fallait cependant partir au plus tôt. La première étape serait de gagner Emmaüs, situé à quelque vingt milles [2] de Rama. C’était envisageable, même avec l’Enfant, estimait Iôçeph. Ils en avaient vu d’autres.

Après avoir parlé de tout cela avec Mariam, ils décidèrent de partir le lendemain de Shabbat. Ils profitèrent ainsi d’un nécessaire repos en ce jour du Seigneur.

La piste qu’ils suivirent descendait des hauteurs de Rama vers Emmaüs, ce qui leur permit de couvrir la distance à bonne allure. Ils arrivèrent le soir même de leur départ. Ils étaient certes fatigués et l’âne avait très soif, mais l’Enfant, sur l’âne, dans son panier d’osier molletonné de lin et de laine, semblait tout à fait frais et même ravi.

Iaqov proposa à Iôçeph d’acheter à Emmaüs certains effets dont l’utilité lui paraissait indispensable. Entre autres, des couvertures et des outres pour transporter de bonnes quantités d’eau. Il offrit à Iôçeph de s’occuper de ces démarches lui-même. Iôçeph accepta avec reconnaissance et lui donna l’argent nécessaire à l’acquisition de ces biens.

La rencontre de Iaqov s’avérait vraiment providentielle. Iôçeph ne pouvait s’empêcher de voir dans les initiatives que prenait son guide une prévenance qui s’apparentait à celle qu’avait déployée l’ange Rephaël auprès de Thobia [3]. Il comprit que Iaoué dans sa bonté leur avait envoyé quelqu’un pour les soutenir au cours de ce voyage.

Alors Iôçeph dit à Mariam qui était au côté de lui: « Mon amie, ne crois-tu pas que cet homme-là est un ange envoyé des cieux? »

– « Oui », répondit Mariam qui regardait Iaqov s’éloigner, « mais un ange blessé… »

Saisi, Iôçeph se mit à voir son guide sous un angle nouveau. Connaissant bien son épouse, il sut qu’elle n’en dirait pas davantage pour le moment. Il ne poursuivit donc pas la conversation.

Mariam continua cependant de réfléchir à la question de son époux et à sa propre réponse, qui l’avait surprise elle-même. Un ange blessé? Était-ce une chose possible? Si un homme est envoyé par Iaoué pour soutenir son frère, il s’agit en effet d’un Ange, mais s’il s’agit d’un homme, cet Envoyé peut effectivement être blessé. Or, Mariam percevait en Iaqov une zone d’obscurité, comme un vide ou une absence.

Elle repensa aux origines de cet homme. Il faisait partie des Iéoudïm hellénisés dont elle avait tant entendu parler chez elle et dans sa famille. L’hellénisation consécutive aux conquêtes d’Alexandre était une question constante et douloureuse pour ceux qui voulaient rester fidèles à la Torah. Combien de fois n’avait-elle pas écouté les conversations que ses parents avaient eues à ce sujet avec leurs invités, dont certains étaient même des rabbins ou des prêtres! Ceux-ci ne se préoccupaient guère de savoir si cette enfant parmi eux, si discrète, écoutait les grandes conversations des adultes.

La petite fille ne comprenait pas entièrement, mais elle emmagasinait tout dans sa mémoire et son intelligence. Ainsi Mariam avait retenu que les Iéoudïm hellénisés étaient rejetés par beaucoup en terre d’Israël. Ils étaient considérés comme des infidèles, parce qu’ils avaient adopté des moeurs contraires à la Loi, ou, à tout le moins, parce qu’ils étaient insuffisamment fidèles à ses prescriptions.

Elle se rappelait tout particulièrement une discussion entre ses parents et un ami, partisan des Pharisiens. Pour défendre l’intégrité des enseignements de la Torah, les Pharisiens s’érigeaient contre tout mouvement d’assimilation étrangère. Avec le temps, sous l’effet d’un zèle excessif, ils étaient parvenus à des interprétations déraisonnablement pointilleuses de la Loi. Certains d’entre eux, notamment, se montraient des accusateurs implacables de leurs frères hellénisés. L’ami en question était de ceux-là et, au fur et à mesure de l’échange, ses propos s’étaient faits plus acerbes.

Mariam se souvenait de la manière dont son père s’y était pris pour endiguer cette hargne. Il avait fait remarquer qu’au temps de la révolte contre l’envahisseur séleucide [4], le juste Mattathias et ses cinq fils, dont l’illustre Iéouda le Makabi (Judas dit Maccabée) [5], avaient décidé d’enfreindre la loi du Shabbat quand il s’était agi de leur survie, et qu’en cette occasion, même les Pharisiens qui s’étaient joints à eux avaient endossé le geste [6].

Cela ne prouvait-il pas que les lois, si saintes soient-elles, ne sont pas faites pour elles-mêmes mais pour le bienfait de l’homme? Et qu’il fallait savoir distinguer entre les prescriptions humaines et celles de Iaoué qui, Lui, nous appelle à la perfection véritable? L’ami n’avait pas su quoi répondre. L’argument avait porté et ses propos se firent désormais plus nuancés.

Ainsi, des questions de « rectitude religieuse » pouvaient très bien être à la source de cette impression d’absence que Mariam percevait chez Iaqov. Lorsqu’il revenait au pays d’Israël pour ses affaires, le juif alexandrin se sentait peut-être comme un étranger parmi son propre peuple, exclu des prédilections et des promesses divines attachées à cette Terre. Toutefois, il y avait, dans l’attitude et le comportement de Iaqov, des indices qui lui indiquaient que sa blessure avait aussi une origine plus personnelle, qui avait atteint son coeur au plus intime.

Quand Iaqov revint quelque temps plus tard avec ce qu’il fallait pour poursuivre le voyage, Mariam lui sourit, mais il détourna son regard, troublé.

Il était accompagné d’un tout jeune homme du nom de Shemouel (Samuel) et de sa soeur, sa jumelle, appelée Shelomit (Salomé), qu’il avait rencontrés dans ses courses. Eux aussi cherchaient un guide pour aller en Égypte. Leurs parents étaient décédés récemment, à quelques mois d’intervalle, et ils désiraient rejoindre Alexandrie où de leur parenté vivait, suivant en cela les recommandations que leur père leur avait faites avant sa mort. Touché par le récit des deux orphelins, Iaqov les avaient pris sous son aile.

Il les présenta à Iôçeph et Mariam et proposa de les embaucher pour les aider dans les diverses tâches relatives au voyage. De plus, argua Iaqov, ils seraient désormais cinq adultes et un enfant, ce qui leur permettrait de passer plus facilement inaperçus.

Étant jumeaux, Shemouel et Shelomit se ressemblaient évidemment beaucoup, mais c’est avec grande stupéfaction que Iôçeph constata qu’ils ressemblaient aussi de façon extraordinaire à Mariam, son épouse. Et ils avaient presque son âge.

Mariam et Iôçeph les virent donc et les aimèrent immédiatement.

Un âne bien bâté

Le matin de leur départ de Emmaüs, Shemouel s’empressa d’aider Iôçeph à bâter l’âne. Il termina le travail en serrant fortement la sous-ventrière, comme le lui avait montré son père. À son grand étonnement, Iôçeph la desserra considérablement. Il expliqua au jeune homme que le bât était conçu de telle sorte qu’il n’était aucunement nécessaire de serrer la sous-ventrière de façon excessive.

Iaqov s’approcha de la scène et se mit à observer le bât avec plus d’attention. C’était un bât comme il n’en avait jamais vu.

La structure reposait sur deux arceaux de bois, très profonds, qui permettaient d’y accrocher toutes sortes de bagages et d’y placer une selle, très compacte, sur laquelle un adulte pouvait s’asseoir. Les arceaux étaient aussi faits de manière à éloigner les bagages, sacoches, couvertures et autres commodités, des jambes du monteur. Ils s’appuyaient sur le dos de l’animal grâce à quatre patins de bois recouverts de peau de mouton. Ainsi assujettis, ils épousaient parfaitement ses formes. Enfin, pour que l’ensemble du bât soit parfaitement horizontal, les arceaux étaient reliés par deux longerons de bois cintré eux aussi.

C’était là l’oeuvre d’un artisan exceptionnel et Iaqov ne pouvait s’imaginer qu’un tel bât puisse avoir été conçu sans des raisons précises.

En effet, Iôçeph leur confia qu’à ses yeux, son âne avait été appelé à transporter le plus important des cargos; non pas seulement des bagages et du matériel, mais encore des êtres chers et précieux. Shemouel et Iaqov crurent d’emblée qu’il faisait essentiellement allusion au fait que l’âne portait le petit Enfant. Mais Iôçeph leur raconta le voyage qu’ils avaient fait de Nazareth à Beit Lehèm alors que Mariam était enceinte.

Les deux hommes l’écoutaient, ahuris. Ils se représentaient très bien les innombrables montées et descentes que comportaient les pistes sinueuses des montagnes, à l’occident du Jourdain, et ils comprirent, sans autres explications, le rôle de ces lanières de cuir qui couraient dans toutes les directions pour former un harnachement à la fois simple et efficace, composé d’un avaloir à l’arrière et d’une bricole à l’avant, tous deux rattachés de surcroît aux longerons pour une stabilité inégalée. Ainsi pourvu, le bât ne pouvait glisser ni vers l’avant dans les descentes ni vers l’arrière dans les montées.

Un autre élément venait compléter cette savante structure et retenait tout spécialement leur attention. Le bât reposait sur une magnifique couverture dont le fin tissage de lin et de laine aurait fait l’envie de bien des êtres humains. Ses couleurs éclatantes et ses motifs complexes en faisaient une véritable oeuvre d’art. Bien qu’il ne fût pas vraiment nécessaire de le mentionner, Iôçeph leur déclara avec une évidente fierté que son épouse en était l’admirable ouvrière.

Iaqov resta un moment silencieux et songeur. Il flatta gentiment la tête de l’âne et lui déclara doucement: « Tu es bien traité, l’ami, très bien traité. Traite donc bien tes maîtres en conséquence. » L’âne ne réagit guère à ces paroles, quoique Iaqov eût l’impression que celui-ci pensait que cela allait simplement de soi. Et il sourit. Pour la première fois, il sourit.

Et il pensa à cet homme, comment il était bon et ingénieux, et à son épouse, qui dégageait une telle force et une telle autorité qu’il en était intimidé. Qui donc étaient ces gens qui avaient pourtant une apparence si modeste?

Ce qui l’ébahissait par-dessus tout et lui faisait l’effet d’un aiguillon, c’était la foi en Iaoué qu’ils manifestaient. Chez lui les épreuves avaient tari, en même temps que l’espérance, la foi. La dernière épreuve surtout, au plus intime de lui-même, bien que déjà lointaine, lui avait porté un coup fatal. Elle avait fait de lui un homme sans foi ni lieu. Esseulé, en exil du sens de sa propre destinée, il avait comme perdu son chemin sur la terre et les cieux semblaient s’être obscurcis. Une seule prière sans-nom retentissait encore dans cette nuit où il se débattait: « Pourquoi m’as-tu abandonné? »

Et voilà que, soudain, à cause d’un âne bien bâté, un peu de lumière avait percé ses ténèbres. Il avait souri…

Il souriait encore légèrement quand il aida à accrocher les sacoches, les couvertures, les outres, la poche de grain. Puis Iôçeph procéda aux dernières manoeuvres d’ajustement du bât. Il fixa la selle qui servait désormais à soutenir le panier de l’Enfant et son ombrelle, car Mariam préférait marcher au côté de son époux.

Iaqov détailla ensuite à ses compagnons l’itinéraire qu’ils emprunteraient à partir de Emmaüs. D’abord Gézer, puis Iabné où ils prendraient la route de la Mer en direction du sud, vers Ashdod et Ashqelon, pour atteindre finalement Gaza. Une soixantaine de milles au total qu’il faudrait couvrir en moins d’une semaine, si possible. Iaqov savait que Mariam et Iôçeph pouvaient le faire en moins de temps, ayant vu comment ils avaient pris les vingt milles de Rama à Emmaüs, mais il s’inquiétait un peu des deux nouveaux voyageurs. Il fallait voir.

Mariam installa elle-même son Enfant dans le panier et positionna l’ombrelle, secondée par la jeune Shelomit. Et, enfin paré, le singulier équipage s’ébranla pour rejoindre la route de la Mer et Gaza au sud où, espéraient-ils, se trouverait encore à leur arrivée ce groupe de voyageurs en partance pour l’Égypte, dont Iaqov leur avait parlé.

Iôçeph contemplait à l’avance le long voyage et continuait de méditer sur le sens que cet exil avait dans la volonté infiniment sage de Iaoué. Malgré la fatigue, Mariam était forte et constante et elle avançait avec la détermination d’une guerrière. À chaque jour, elle devenait plus belle. Son corps déjà sain devenait plus vigoureux. Il pensa au Chant des chants: « Qui est celle-ci qui surgit comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, redoutable comme des bataillons? » [7]

Quant à l’Enfant, rien ne semblait pouvoir le sortir de ses bonheurs quotidiens, entouré de sa mère et de son père, escorté d’aimables compagnons, ou bien assis sur le dos de l’âne, où il semblait régner comme sur un petit royaume hors du temps. C’est pourquoi, à partir de ce jour, Iôçeph appela l’âne « Issakar », car l’Écriture dit: « Issakar est un âne robuste » [8], et encore: « les fils d’Issakar savent discerner les temps » [9], et que le fardeau qu’il portait, c’était le Roi annoncé!

Vers le pays d’Égypte

Ils parvinrent à Gézer en un peu plus de deux heures et prirent une pause, notamment pour s’occuper des besoins de l’Enfant.

Ayant constaté que les deux jeunes frère et soeur ne manifestaient aucune fatigue, Iaqov proposa de pousser jusqu’à Iabné, à quelque quinze milles. Ainsi, si tout allait bien, ils pourraient envisager d’entrer à Gaza le soir du troisième jour, avec des étapes journalières d’une vingtaine de milles en moyenne; ce qui serait vraiment très bien.

Ils reprirent donc la route et marchèrent en silence. Préoccupée par la part de détresse qu’elle sentait chez Iaqov, la faisant sienne en quelque sorte, Mariam poursuivait intérieurement sa réflexion. Ces Iéoudïm qui avaient choisi de s’installer en Égypte, qui avaient adopté au moins en partie la culture et les coutumes des Hellènes conquérants et parlaient même leur langue, étaient-ils infidèles à Iaoué pour autant? Le fait de vivre ou même d’être nés, comme Iaqov, en dehors de Juda ou d’Israël signifiait-il qu’ils avaient délaissé les racines de la foi de leurs pères?

Mariam avait appris de ses parents qu’il fallait être prudent dans les jugements. Le juste devait s’attacher à l’enseignement de la Torah en toute droiture [10], mais sans oublier que la sagesse de Iaoué inscrite dans la Loi dépassait toujours l’intelligence que l’on pouvait en avoir. Sa mère lui avait donné, entre autres, ce conseil: « Conserve dans ton coeur les promesses de Yahvé et tu ne failliras pas envers lui. » [11]

Aussi Mariam ne perdait jamais de vue l’essentiel: tout dans sa vie était jaugé à l’aune du projet de Iaoué. Gardant les yeux fixés sur ses Promesses, elle priait sans cesse pour que sa volonté s’accomplisse, que son peuple égaré, dispersé, soit sauvé et connaisse le bonheur qui lui était destiné, un bonheur qu’elle vivait déjà en espérance!

Soudain, l’amour qu’elle avait pour le peuple élu s’ouvrit pour embrasser celui d’Égypte, cette terre à la fois ancienne et nouvelle, vers laquelle se dirigeaient leurs pas. Car de sa mémoire avait jailli, lumineux, cet oracle de Ishaia:

Ce jour-là, il y aura un chemin allant d’Égypte à Assur. Assur viendra en Égypte et l’Égypte en Assur. L’Égypte servira avec Assur. Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l’Égypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre, bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot: « Béni mon peuple l’Égypte, et Assur l’oeuvre de mes mains, et Israël mon héritage. [12]

Alors que les paroles de Ishaia retentissaient encore à l’intérieur d’elle-même, Mariam entendit un gazouillis. Tout naturellement, elle se tourna vers Iéshoua qui, après avoir sommeillé quelque temps dans son panier, s’était réveillé et regardait de tous ses yeux si clairs. La bonne humeur de l’Enfant irradiait. L’amour de Iaoué s’accrut en Mariam à un point tel que seul le silence était assez grand pour le contenir. Iôçeph, qui était à son côté, en reçut aussi les effluences. Alors, sans que ni l’un ni l’autre n’en eût conscience, leur louange monta, intérieure et unanime: « Que ton Nom soit chanté par toute la terre, par la bouche des enfants, des tout petits. » [13]

Les voyageurs marchèrent sans incidents. Après une seule autre pause à mi-chemin, ils arrivèrent à Iabné au coucher du soleil. Une bonne nuit de repos serait bienvenue mais personne ne se plaignait. Au contraire, il régnait parmi eux une joie et un calme qui allégeaient le poids de leurs efforts.

Iaoué bénit tous ceux qui suivent ses chemins.

Marche en Philistie

Pendant que Iaqov, assisté des jumeaux, préparait l’installation de leur campement pour la nuit, Iôçeph s’occupa de l’âne et alluma le feu. Quand Mariam eut pris les dispositions nécessaires au coucher de Iéshoua, elle vint le rejoindre.

Au cours de la marche de cette journée, Mariam avait réalisé que la route sur laquelle ils s’étaient engagés leur faisait traverser les anciennes grandes villes de la Philistie, cette région de l’antique Palestine [14], où Daouid avait fait ses premiers pas comme chef de guerre. Elle en fit part à Iôçeph et, lorsque tous se furent assis autour du feu pour profiter de la paix du soir avant d’aller dormir, Mariam le mentionna aussi à leurs compagnons.

Très vite, elle les entraîna bien au-delà. Sans qu’elle l’ait prémédité, certains évènements de l’histoire de son peuple lui revenaient à l’esprit et, au fur et à mesure, elle en découvrait le secret enchaînement et le communiquait à ses auditeurs.

Elle les invita à se remémorer avec elle comment Isaac était venu s’installer dans cette région, accueilli par le roi des Philistins Abimelek; comment il tenta de faire passer son épouse Rivqa pour sa soeur, tellement elle était belle et qu’il craignait que les Philistins le tuent pour l’avoir; et combien il était devenu puissant, suscitant une telle jalousie que les Philistins finirent par lui enjoindre de s’en aller.

Iaoué n’a jamais cessé de bénir son héritage, expliquait Mariam, un héritage qui faisait l’envie des peuples.

Puis, elle évoqua la figure de Iéoshoua (Josué) dont le nom signifie « Iaoué sauve », comme celui de son propre fils. Après être entré en Philistie à l’orient en traversant le Jourdain, Iéoshoua avait conquis Jéricho, puis marché vers le soleil couchant – comme eux-mêmes l’avaient fait durant la journée -, et il avait battu Ôram, le roi de Gézer, sans toutefois pouvoir s’emparer de la ville. Il en fut de même pour Daouid en son temps; victorieux contre les Philistins grâce à Iaoué, il avança jusqu’à la porte de Gézer, mais pas davantage. Car jamais, en effet, les Hébreux n’avaient pu conquérir cette ville. Finalement, ce fut Shelomo qui reçut Gézer de la main de Pharaon, mais seulement une fois que celui-ci l’ait prise et réduite en cendres. Pharaon donna la ville en dot à Shelomo pour son mariage avec sa fille.

Si les Israélites n’avaient pu conquérir Gézer, sinon détruite, il y avait des raisons liées au projet de Iaoué. De quel ordre étaient les conquêtes qui lui plaisaient? interrogeait Mariam.

Ainsi, à la lueur de la flamme qui révélait sur son visage toute l’intensité de son âme, Mariam leur faisait revivre l’histoire du peuple élu, si prodigieuse et pleine de vicissitudes. Les étapes de leur trajet devenaient comme les pierres blanches de cette histoire dont chacun devenait partie prenante.

Iaqov, les yeux fermés, écoutait Mariam avec une étonnante soumission. Il ne pouvait s’empêcher d’admirer l’érudition et la sagacité de cette femme. Il ne se sentait pas encore capable de rencontrer son regard car elle avait ce don mystérieux de réveiller sa douleur cachée. Sa présence tout comme ses propos avaient cependant quelque chose de lénifiant.

Shelomit ne bougeait pas. Elle ne quittait pas Mariam des yeux, sinon pour jeter un bref coup d’oeil à Iôçeph. La pensée de Iéshoua qui dormait sous la tente, tout près, était toujours présente à son esprit. Que deviendra l’enfant de tels parents? Elle avait eu elle-même la grâce d’avoir de bons parents, attentionnés et fidèles aux prescriptions de la Loi et aux oeuvres de miséricorde. Mais elle le sentait, il y avait chez Mariam et Iôçeph l’empreinte de Iaoué, une élection. Vigilante, Shelomit avait pressenti, depuis les tout débuts, qu’un mystère ineffable se trouvait là, devant ses yeux.

Son frère lui avait raconté ce qu’il avait appris le matin au sujet du bât de l’âne et du voyage extraordinaire de Nazareth à Beit Lehèm. Pour quelles raisons avaient-ils dû entreprendre un tel voyage dans la condition où se trouvait Mariam? Et pourquoi ce nouveau voyage vers l’Égypte? Toutes ces questions auxquelles les jumeaux n’avaient pu trouver de réponses, au lieu de les troubler, contribuaient, en cette soirée mémorable, à augmenter la ferveur de leur écoute.

Ainsi, alors que Mariam faisaient défiler devant leurs yeux l’histoire des villes situées sur leur parcours, un changement s’était opéré en Shemouel. Pour lui, la priorité n’était plus de rejoindre leur parenté installée à Alexandrie. Ce périple lui semblait tout à coup s’inscrire dans l’histoire de son peuple. L’histoire du peuple de Dieu devenait leur propre histoire. Ils étaient eux-mêmes appelés, mais à quoi? Et Shemouel répétait, inconsciemment: « Parle, ton serviteur écoute », comme le fit en sa jeunesse le juge et prophète dont il portait le nom avec honneur. [15]

Inlassable, Mariam poursuivait, toujours sur sa lancée. Car c’était aussi dans cette région que les Maccabées avaient remporté de belles victoires. Les Pharisiens se réclamaient de la révolte des Maccabées contre le mouvement d’assimilation initiée et dirigée par les Séleucides, cette dynastie étrangère qu’ils exécraient. Après avoir peu à peu attaqué les fondements mêmes du judaïsme, l’un des membres de cette dynastie était allé jusqu’à installer l’abomination dans le Temple à Iéroushalaïm et fait construire ces gymnases indignes qui rendaient les circoncis honteux dans leur nudité! [16]

Mattathias et son fils Iéouda Makabi incarnaient le courage et la fidélité à la Loi. Mais en ce qui concerne les autres frères, surtout Ionatan (Jonathan), et les fils de Shimôn (Simon), c’était une autre histoire. Mariam, de par son ascendance aaronienne, avait été sensibilisée à la corruption de l’intention initiale des Maccabées, qui était survenue non seulement à cause de la duplicité et de la perfidie des Séleucides, mais encore de l’orgueil des successeurs de Shimôn. Le titre même de « Grand Prêtre » était progressivement devenu l’apanage de cet orgueil et avait constitué le centre d’attention de tous les descendants survivants de Mattathias. Ionatan fut le premier à se faire attribuer le titre par Alexandre Balas et, ensuite, par Démétrius Nicator. Déjà, depuis le grand prêtre Alkime, cette fonction sacrée n’était plus qu’un outil de manipulation politique manié avec brio par les Séleucides. [17]

Mariam voyait là le signe d’une dégénérescence chronique de son peuple qui avait atteint les autorités et mené à la perversion absolue incarnée par Ôrôdôs.

Il y eut un moment de silence. Chacun sembla mesurer les conséquences de cette dégénérescence qui s’opposait au plan de salut de Iaoué pour Israël.

Puis Iôçeph se leva pour attiser le feu. Tout en remuant calmement les braises, il prit la parole à son tour et avança avec éloquence qu’à l’enjeu de la fonction de grand prêtre s’était ajouté celui de la royauté et, ultimement, son usurpation. Car les Hasmonéens [18] finirent par s’arroger le titre de « Roi des Iéoudïm », par-dessus celui de « Grand Prêtre », au grand dam des juifs pieux et des pharisiens en particulier, qui voyaient là une trahison du sens de la révolte des Maccabées. Ainsi, depuis la division du royaume de Daouid à la suite de l’infidélité de Shelomo, la lignée royale s’était pratiquement éteinte. Et, après avoir été tant de fois envahi, humilié, exilé, massacré, le peuple de Dieu en était réduit à cette faible population dominée par l’envahisseur romain, avec, comme « roi », cette effigie de Baal Zeboub qu’était Ôrôdôs!

Iôçeph réalisa qu’il s’était emporté en parlant de Ôrôdôs. Pourquoi ce nom lui faisait-il toujours cet effet? Obscurité et mort, pensa Iôçeph. En tant que fils de Daouid, il portait avec douleur le fait que Ôrôdôs, le maître des intrigues de palais, avait réussi à obtenir des Romains, grâce à l’influence d’Octave [19], le titre de roi des Juifs, alors qu’il n’était certainement pas descendant de la famille royale et même pas juif, plutôt un descendant des Iduméens, né à Ashqelon, cette ville qui serait l’une de leurs prochaines étapes. Et, surtout, l’Ange l’avait prévenu: « Ôrôdôs va rechercher l’Enfant pour le faire périr »! [20]

Iôçeph était resté accroupi près du feu, son tisonnier improvisé à la main, perdu dans ses pensées douloureuses. Il s’aperçut enfin que le feu était ravivé et rayonnait sa chaleur alentour. Lentement, il retourna s’asseoir.

Il jeta alors un regard vers Shelomit et Shemouel dont il sentait l’ardeur juvénile s’enflammer pour la cause de Iaoué, et il reprit son entrain, comme le feu. Il avait devant lui, en un contraste éclatant, comme un signe. Ces enfants d’Israël respiraient grâce et santé, tout comme son épouse. Il savait aussi que bien des gens étaient des justes et de vrais adorateurs de Iaoué. Lumière et vie.

Une idée était en train de prendre forme en lui. C’était comme si, de façon secrète, cette dégénérescence s’était accompagnée d’une purification du peuple élu. Cela était-il dans les desseins de Dieu? Avait-il caché aux yeux des hommes et des peuples, cette petite peuplade et cette lignée, affinées, passées au crible et au feu purificateur, pour un jour les faire ressurgir à la lumière, au plus grand étonnement de tous? Iôçeph se disait que l’on reconnaissait l’arbre à ses fruits. Or, les fruits qu’il voyait devant lui étaient beaux et bons, alors que les fruits de Ôrôdôs étaient la discorde, la jalousie et la haine, la mort, et surtout son inimitié fondamentale envers LE Fruit de la lignée de Daouid, qui était encore un petit Enfant innocent et vulnérable.

Comme si elle avait pu suivre le cheminement intérieur de la pensée de son époux, Mariam avait poursuivi son récit en disant qu’il fallait garder en mémoire le fait que Iéouda Makabi était le seul parmi les fils de Mattathias à être demeuré vraiment fidèle aux visées de Iaoué. Or, il était justement celui qui, au jour où il faisait face aux forces supérieures en nombre de l’ennemi, avait confié son action au Dieu de Daouid.

Tu es béni, toi, Sauveur d’Israël,
qui as paralysé l’emportement du héros
par la main de David, ton serviteur,
et qui as enfermé le camp des Pelishtîm (Philistins)
aux mains de Ionatan, le fils de Shaoul (Saül) et du porteur de ses armes.
Enferme donc ce camp en main de ton peuple Israël
et qu’ils blêmissent avec leur armée et leurs chevaux.
Donne-leur de frémir devant toi, brise la fermeté de leur force:
ils trembleront de leur brisure.
Fais-les tomber par l’épée de ceux qui t’aiment
tous ceux qui pénètrent ton nom te louangeront avec des hymnes. [21]

Mariam voulait ainsi montrer que pour discerner la direction des volontés de Iaoué, il fallait s’attacher fidèlement à la lignée de son Élu, le roi Daouid, et à sa descendance, dépositaire des Promesses. Tout le récit inspiré de Mariam menait à ce dénouement et tous le comprirent. Le silence se fit.

À la lueur des braises, Shelomit et Shemouel furent les premiers à se retirer. Iôçeph et Mariam continuèrent de deviser ensemble un moment. Puis, il ne resta plus que Iaqov.

Encore tremblant de sa propre brisure, Iaqov sentait confusément que Mariam, d’une certaine manière, s’était particulièrement adressé à lui. C’était comme un message lui indiquant la voie à suivre, un message qu’il n’arrivait cependant pas à saisir, pas encore…

Un vent propice vint lui caresser le visage et disperser les cendres. Alors, seulement, Iaqov alla se coucher.

Cabrioles et galipettes

Le lendemain, ils partirent pour Ashdod.

Iôçeph, en son for intérieur, ne put s’empêcher de noter la géométrie de leur trajet. Il avait remarqué, par la position du soleil, que la route de l’Orient de Jéricho à Iabné formait une ligne parfaitement droite et presque à angle droit de la route de la Mer. Sensible, par son métier, à de telles considérations, cela devint pour lui un nouveau sujet de méditation sur la providence de Iaoué.

Ils se dirigeaient désormais vers le midi. Pénétrant plus avant dans cette ancienne Philistie, la présence de l’envahisseur romain se faisait davantage sentir. Ils allaient aussi traverser des villes considérées comme des châteaux forts de Ôrôdôs. Iôçeph le savait. Malgré les risques que cela pouvait représenter, il n’en fallait pas moins continuer.

Par ailleurs, il s’avéra bientôt qu’un nouveau compagnon s’était joint à eux.

C’est l’âne qui, le premier, en prit conscience. Pour Issakar, il était facile de remarquer l’intrus, car il connaissait bien ceux de sa race qui avaient la fâcheuse tendance de croire que les ânes aimaient se faire mordre les jarrets. Si celui-ci s’avisait de s’essayer, il subirait le même sort que ses quelques prédécesseurs, qui avaient connu les inconvénients d’une bonne ruade. Mais, pour l’instant, l’animal se maintenait systématiquement à distance règlementaire des dangereux sabots.

Iaqov le remarqua aussi et en fit mention aux autres voyageurs. Le petit animal les suivait probablement depuis Iabné.

Shemouel et Shelomit ne s’avancèrent pas. Ils se méfiaient un peu de lui, habitués aux chiens errants et sales qui pullulaient dans les rues de leur ville. Mais celui-ci était fort différent. Très petit, d’un blanc éclatant avec des reflets d’ivoire, avec un poil très soyeux et à peine frisé, il était tout à fait propre et sain. Iôçeph se pencha et l’appela d’un geste de la main. Aussitôt, au grand étonnement des voyageurs, l’animal s’approcha de l’homme et lui lécha gentiment les doigts en agitant sa queue. Les cinq amis firent alors, tour à tour, de petites caresses au chien qui appréciait visiblement.

Ils profitèrent de cette pause pour s’occuper de Iéshoua, puis ils lui présentèrent également le petit chien. Aussitôt, celui-ci se mit à faire des cabrioles effrénées et à courir dans tous les sens, ce qui eut pour effet de faire rire abondamment les adultes et stimula l’Enfant au plus haut point.

Iaqov prit l’animal et l’examina plus attentivement. Il avait déjà vu de tels chiens à Alexandrie. Ils étaient très populaires dans certains cercles, chez les notables de la ville notamment, et en Égypte en général. Il était évident pour Iaqov que l’animal, encore très jeune, avait été perdu par son propriétaire ou un commerçant.

Ils lui donnèrent un petit morceau de viande séchée et de l’eau, et, sans plus s’attarder, se remirent en route. Évidemment, le chien ne les quittait plus. De plus, il se tint désormais juste au côté de l’âne et vis-à-vis de Iéshoua.

C’est à l’entrée de Ashdod que se produisit un évènement insolite.

La ville était fortifiée et il fallait passer par une porte pour y entrer. Or cette porte était gardée, non pas par des soldats romains mais par des mercenaires comme ceux que recrutait Ôrôdôs habituellement. Iôçeph éprouva, pour la première fois depuis leur départ précipité de Béthanie, une angoisse que Iaqov remarqua et qui l’alerta lui-même. C’est alors que le petit chien se mit à faire des galipettes qui eurent l’heure de provoquer les rires bien sonores des soldats, qui semblaient d’ailleurs fort détendus et qui finirent par les laisser passer sans même leur prêter attention. La présence du petit chien prit soudain tout un autre sens pour Iôçeph, qui se demanda s’il ne s’agissait pas d’une autre de ces actions si surprenantes de la providence [22]. Il retrouva alors sa sérénité et se mit à sourire largement en repensant au spectacle que le petit chien venait d’offrir.

C’est ainsi que, sans qu’aucune consultation ne soit nécessaire, un nouveau membre fut admis dans ce groupe si curieusement composé.

Ils passèrent la nuit dans un petit caravansérail situé un peu à part, près de la sortie de la ville.

Quant à Iaqov, l’épisode de la porte de Ashdod lui fit comprendre que le roi installé à Iéroushalaïm, cet Ôrôdôs dont la réputation de cruauté était parvenue à Alexandrie, n’était pas étranger au péril qui semblait guetter cette famille si discrète.

La Grande Mer

Ils atteignirent Ashqelon vers la neuvième heure. À leur surprise à tous, Iaqov les fit traverser et même sortir de la ville, et poursuivre dans la direction du couchant. Ils comprirent bientôt ses intentions: il les emmenait vers la Grande Mer.

Ils marchaient depuis moins d’une heure sur un sentier un peu rocailleux lorsqu’ils perçurent le bruit des vagues sur le littoral. Cela rappelait un peu le bruit du grand lac de Kinèrèth (Génésareth), mais en plus régulier et plus doux.

Une senteur fraîche, à la fois minérale et végétale, emplissait l’air.

Quelques pas encore. Puis ils montèrent sur une butte et, soudain, là, sous leurs yeux émerveillés, s’étendaient, à perte de vue, les eaux immenses de la Grande Mer.

Pour la première fois de leur vie, Mariam, Iôçeph, Shemouel, Shelomit, et, bien sûr, Iéshoua, virent la Mer. Il s’en dégageait une lumière azurée, très douce aux yeux. Le soleil commençait déjà à teinter ses eaux de reflets argentés, puis cuivrés. Les vagues venaient se casser en un modeste fracas sur le sable mouillé qui prenait une teinte ocre. Le grondement des vagues reprenait sans cesse pour se terminer chaque fois sur un bruissement, comme une rumeur qui s’éteint dans le temps.

Ils descendirent sur la plage et s’assirent sur le sable encore chaud.

Après un moment, on entendit comme un chuchotement, et ensuite, un murmure, qui se greffait sur le fond sonore des eaux. C’était Mariam. Une émotion indéfinissable l’avait saisie et elle ne pouvait retenir en elle cette poussée qui était comme une plainte. La plainte de ne pouvoir exprimer l’indicible. Un chant montait en elle, irrépressible. D’abord, ce silence composé de soupirs. Et bientôt des mots: « Iaoué!… Oh! Iaoué!… Mon Élôïm!… » Puis des phrases mélodieuses: « Que tu es beau… Que tu es grand dans les merveilles de tes oeuvres! » Et, enfin libéré, le chant du Alel [23] jaillit de ses lèvres:

Alelou -Ïa! [24] qui est aux cieux!
Alelou! dans les Hauteurs !
Alelou! tous ses Envoyés!
Alelou! toutes ses Armées !
Alelou! Soleil et Lune!
Alelou! Vous toutes, Étoiles de lumière!
Alelou! Cieux des Cieux,
Et les Eaux au-dessus des Cieux!
Qu’ils louangent le Nom de Iaoué!
Oui, il l’ordonne et ils sont créés!
Il les maintient à jamais, en perpétuité des temps,
Siècles des siècles, son décret à jamais!

Iôçeph avait mêlé progressivement sa voix à celle de son épouse-aimée. Il se produisait ainsi des harmonies uniques, des amplitudes de sons et de pleins silences, des battements d’ondes qui se nouaient, se mariaient et portaient, vers les cieux et vers la terre, le Alelou -Ïa de toute humanité.

Alelou -Ïa! Ceux de la terre!
Grands Monstres marins et toutes les Abysses!
Feu et Grêle, Neige et Brume,
Souffle des tempêtes, qui accomplissent sa Parole!
Montagnes et toutes les Collines,
Les Arbres à fruit et tous les Cèdres!
Les Âmes de vie, et tout le grand Animal marcheur,
Le petit Rampant, l’Oiseau volant!

Des images se formaient graduellement dans l’esprit des voyageurs. Oui, ils voyaient les mers, les ïamïm! Agglomérations des eaux, les maïm de la création! Et la terre, soeur des cieux, les shamaïm! [25] Et ils voyaient l’Esprit de Élôïm planer sur les eaux et, ensuite, sur tout l’univers, les choses et les êtres, astres et âmes vivantes…

Shemouel le jeune homme et Shelomit la vierge se tenaient la main et vibraient en silence, envahis par ces images colossales. Des spirales de couleurs et de formes allaient et venaient au rythme des vagues, dont ils entendaient toujours la calmante clameur sous le chant de leurs compagnons qui, eux, psalmodiaient encore:

Rois de la terre et tous les Peuples,
Chefs et tous les Juges de la terre,
Les jeunes Hommes et les Vierges aussi,
Les Vieux et les Jeunes,
Qu’ils louangent le nom de Iaoué !
Oui, son Nom unique est sublime,
Sa Majesté est au-dessus de la terre et des cieux!
Aussi Il fait pousser la corne de son peuple,
Son propre Alel pour tous ses saints,
Les Enfants d’Israël, son Peuple proche!

« Alelou -Ïa! Rois et Peuples, Chefs et Juges de la terre », avaient chanté l’homme et la femme de leurs voix accordées. Iaqov eut alors une soudaine fulgurance. Il comprit le sens des paroles que Iôçeph lui avaient dites. Le sens du silence et du secret. Et le sens de leur équipée. Il comprit qu’il avait devant lui, pauvre exilé, privilège incommensurable, le descendant de Daouid, ce petit Enfant calme et joyeux et si charmant, Fils Promis pour libérer de la honte les enfants d’Israël, proches et lointains [26]. Et il sentit une guérison dans son âme. Des larmes abondantes coulèrent sur ses joues et sa barbe grise.

Puis il fut pris d’une forte impulsion de joindre sa voix à celles de Mariam et Iôçeph, et il chanta. Avec sa grosse voix de pèlerin de la vie, il chanta, un seul mot répété et modulé sans cesse, un mot de sa langue, un mot grec:

« Eυχαριστώ (Evcharisto)! Eυχαριστώ! Eυχαριστώ! ». Merci! Merci! Merci!

Nul ne sut combien de temps cela dura, mais lorsque le silence se fit, il était déjà très tard et les étoiles brillaient dans les cieux. Le jeune chien semblait dormir. Il s’était couché tout près de Iéshoua, sa petite patte gentiment appuyée sur l’un des pieds de l’Enfant qui reposait lui-même tout contre son père. Une brise suave effleurait leurs corps rompus par la marche de cette journée. Personne ne dit mot. Ils s’étendirent sur place, à même le sable de cette plage, et s’endormirent à leur tour, d’un sommeil profond et saint.

Le lendemain, ils s’éveillèrent à l’aurore, plus frais et dispos que jamais. Ils n’évoquèrent aucunement l’évènement de la soirée précédente, mais ils sentaient une harmonie spéciale et une sérénité nouvelle.

Iôçeph avait compris que cette épreuve de l’exil que Iaoué semblait leur avoir imposée n’était pas d’abord pour l’Enfant mais pour eux, Mariam et lui-même. Or, était-ce bien une épreuve? N’était-ce pas plutôt une sorte d’affinement dans la grâce vers lequel Iaoué voulait pousser les parents de son Fils? Cette marche vers l’Égypte prenait alors un autre sens. C’était une descente dans la grâce de Iaoué. Une voie royale de sanctification.

Iôçeph voyait devant lui la tâche de soutenir l’Enfant et de lui témoigner tout son amour, comme signe de l’amour même du Père des cieux, qu’il éprouvait aux moments de bénédiction. Tout le sens des paroles de Jérémie se déployait à ses yeux, sens de l’intérieur et de l’extérieur:

Ils viennent en pleurant, et je les conduis au milieu de leurs supplications. Je les mène vers des torrents d’eau. Par un chemin uni où ils ne chancellent pas. Car je suis un père pour Israël. [27]

Iaoué enseigne et guide, il protège et veille à la croissance de son peuple Israël. C’est ce que fait un père et c’est ce qu’il ferait pour l’Enfant. Au nom du Père.

Puis Iôçeph considéra leurs compagnons, leur pas d’exilés. Eux aussi étaient fils et fille de Iaoué. « Le Seigneur répond à nos supplications. Il nous guide vers des eaux tranquilles et rafraîchissantes. Il nous conduit par un chemin parfait vers notre Égypte intérieure », pensait Iôçeph.

Mais leur voyage les menait aussi vers l’Égypte extérieure. Alors Iôçeph comprit finalement la parole d’Osée:

Quand Israël était jeune, je l’aimai. Et j’appelai mon fils hors d’Égypte. [28]

À partir de cette heure, avant même d’y être entré avec l’Enfant et sa Mère, Iôçeph ne fit plus qu’attendre simplement que l’Ange lui indique, comme il l’avait annoncé, le moment venu de sortir d’Égypte. [29]

Les caravaniers du désert

Lorsqu’ils entrèrent dans Gaza, ils ne virent que quelques voyageurs. Ils apprirent que le groupe principal qui devait bientôt quitter pour l’Égypte s’était installé dans un caravansérail situé à quelques milles de Gaza vers Rafah. La journée étant très avancée, il était trop tard pour s’y rendre, mais on les invita à ne pas s’inquiéter puisque le départ ne se ferait certainement pas avant le matin du troisième jour.

Ils trouvèrent à se loger près de la porte du midi et purent se reposer en paix. Étant donné ce qui s’était passé à la porte de Ashdod, Iaqov nourrissait bien quelques inquiétudes. Il ne vit pourtant pas la moindre manifestation de la police de Ôrôdôs, habituellement omniprésente en cette ville importante. Le chien n’eut donc pas l’occasion de refaire ses frasques salvatrices…

Le lendemain, veille de Shabbat, ils se rendirent au caravansérail qu’on leur avait désigné. Il était presque aussi grand qu’un village de bonne taille. Il y avait des tentes à perte de vue et toutes sortes de bâtiments pour accueillir les hommes et les animaux, de même que de nombreux entrepôts. Ceux-ci étaient remplis d’amphores de vin ou d’huile, de grandes quantités d’encens, ainsi que d’une variété extraordinaire d’épices et d’étoffes, comprenant même de la soie qui venait de très loin à l’orient.

Il régnait une atmosphère fébrile. Des gens de toutes races s’y rencontraient. On y voyait beaucoup d’animaux, des ânes, bien sûr, mais aussi des centaines de chameaux, des chevaux et même des éléphants. Il y avait là quelque chose de très intimidant.

Il fallut plus d’une heure pour que Iaqov parvienne à retrouver la trace de ces Iéoudïm auxquels il voulait se joindre avec ses protégés. Heureusement, dans leur campement bien ordonné, ces gens semblaient beaucoup plus calmes que les autres alentour. Les caravaniers leur firent un accueil cordial et acceptèrent sans la moindre hésitation de les prendre avec eux. Ils étaient plus de trente et rapportaient en Égypte quantité de biens, de souvenirs et autres trésors qu’ils étaient venus glaner au pays d’Israël. Ils possédaient plusieurs chameaux et s’apprêtaient effectivement à partir le surlendemain.

Nos voyageurs étaient finalement arrivés à temps. Merci, Seigneur! Leur semaine achevée, ils pouvaient maintenant se reposer tout en sanctifiant le jour de Shabbat.

Il ne restait maintenant qu’une seule étape avant d’entrer en Égypte: Rafah, la ville frontière. Au matin, le départ du caravansérail fut impressionnant. Il formait désormais une troupe composée de plus de cinquante personnes, dont deux autres familles avec des enfants, moins jeunes que Iéshoua toutefois. Il y avait bien trente chameaux et deux douzaines d’ânes, tous chargés lourdement. Certains d’entre eux portaient les victuailles adaptées à un voyage dans le désert.

Bientôt un homme aux traits basanés vint saluer le petit groupe de Iôçeph et Mariam. Il considéra un moment le jeune Enfant Iéshoua, mais ne passa pas de commentaire. Puis il prit tous les adultes ensemble et se mit à leur expliquer comment fonctionnerait la caravane à laquelle ils s’étaient adjoints. L’homme leur fit comprendre que cette caravane était composée surtout de transporteurs expérimentés. Il voulait s’assurer que la cadence de marche ne serait pas trop ardue à suivre pour les nouveaux venus. Il leur parla des étapes et des pauses. « La marche dans le désert a ses exigences. Elle peut être difficile et même dangereuse », prévenait-il, « mais elle peut aussi être très efficace ». Et, à leur grande surprise, celle de Iaqov en particulier, il leur annonça qu’il leur faudrait réapprendre à marcher.

Ces gens étaient, en effet, des hommes du désert et des marcheurs aguerris. Cela se voyait. L’impression de résistance et la profonde sérénité qui les caractérisaient étaient vraiment remarquables, Iaqov lui-même n’avait jamais voyagé avec un tel groupe.

Le caravanier leur enseigna une façon de marcher qui impliquait une synchronisation précise entre les pas et la respiration. « Toujours inspirer par le nez », disait-il. Ça, Iaqov le savait. « Inspirer sur trois ou quatre pas, retenir l’air un pas et expirer sur cinq ou six pas. » La technique pouvait être adaptée aux capacités de chacun. L’homme insista surtout sur la nécessité de maintenir une grande régularité, puis, adoptant soudain une expression indéchiffrable, il termina en leur suggérant qu’une telle expérience serait aussi une bonne occasion de prier. Nos amis se regardèrent en souriant, même Iaqov; cela leur convenait au plus haut point, bien entendu.

La prochaine étape vers Rafah serait pour eux l’occasion de s’habituer à cette nouvelle façon de marcher.

Ils partirent donc et marchèrent vers l’Égypte. L’étape était assez longue. Quelque vingt-cinq milles. Nos voyageurs prirent quelques heures à adapter leur pas au rythme suggéré. Ils devaient pour cela aller à l’encontre de leur instinct. À leur première pause, la fatigue était plus grande que celle qu’ils éprouvaient ordinairement, mais ils persévérèrent et, progressivement, surtout dans les heures les plus chaudes de la journée, ils en ressentirent l’effet bénéfique. Ils étaient de moins en moins fatigués et un calme, une paix, s’établissait en eux. La prière venait naturellement et le temps passait, sans attente ni presse.

C’est ainsi que, vers la douzième heure du jour, ils arrivèrent à Rafah. L’Égypte enfin!

La caravane s’installa dans un camp de voyageurs. Il y en avait beaucoup à Rafah. Bientôt, il y eut, tout autour, des tentes et des feux. L’odeur de la cuisson et des épices remplissait l’air. Des chants s’élevaient ici et là. Des airs inconnus dans des langues différentes. Les sensations les plus diverses abondaient.

Iôçeph ressentit comme un grand soulagement, sans en comprendre immédiatement la source. Il regarda alentour et, peu à peu, il perçut comme des présences. Des présences nouvelles et subtiles.

« Des anges! Des myriades d’anges », pensa-t-il.

L’Ange (s) et la Bête

L’âne, sans en avoir l’air, surveillait avec l’attention de tous ses sens le campement des hommes, d’abord affairés et maintenant plus calmes.

Le sens du goût était, bien sûr, principalement concentré sur le simple repas qu’on lui avait présenté, mais cela n’entravait guère son attention. Ce n’était pas une priorité pour lui.

Par contre, il avait déjà enregistré toutes les nouvelles senteurs qui venaient s’ajouter à celles qu’il connaissait déjà. Il mit à jour son catalogue d’odeurs au sommet duquel se trouvaient celles de ses maîtres.

Des souvenirs d’âne lui revenaient. Une troupe d’hommes l’avaient emmené hors de son pays alors qu’il n’était encore qu’un ânon et on l’avait offert à la famille de celui qu’on nomme Iôçeph. Ils s’attachèrent bien vite l’un à l’autre. Il aimait sa douceur mais aussi son pas qui était sûr et régulier. Quand il l’avait connu, cet homme marchait déjà bien.  Et il savait même courir… Ce que l’âne appréciait un peu moins, mais enfin. L’âne aimait particulièrement travailler avec lui. Ah, cette senteur à la fois unique et si nuancée du bois et la bonne odeur du travail… Très bon!

Il y avait aussi sa compagne. Très spéciale! Pas un âne ne pouvait la confondre avec une autre. D’ailleurs, dans son très précis registre de souvenirs, elle n’avait pas son égal. Faute de comparatifs, il lui avait réservé une catégorie exclusive dans son classement des senteurs, parmi les milliers qu’il connaissait parfaitement. Elle marchait aussi fort bien selon lui et, surtout, courait moins. Parfait.

Et là, le Petit. L’âne en frissonnait. Dé-li-cieux! Toutes les sensations semblaient saturées d’harmonie en sa présence. L’âne avait déjà développé un fort attachement à ce petit d’homme qui, cependant, avait encore beaucoup à apprendre en ce qui concerne la marche…

Et, enfin, les trois nouveaux. Le premier comme une vieille pièce de cuir, fleurant la cendre et le sable. Il marchait comme quelqu’un qui a beaucoup marché. Avec confiance mais sans en jouir, comme fatigué sans l’être.

Les deux jeunes étaient comme un reflet l’un de l’autre. Ils sentaient la ville et leur pas était vif, un peu précipité, comme s’ils cherchaient à se rendre en un endroit qui s’échappait sans cesse devant eux. S’ils continuaient de marcher, peut-être y parviendraient-ils un jour? L’âne savait l’importance de marcher. Pas à pas. Marcher.

Ainsi absorbé par la fenaison sauvage qu’on lui avait offerte, les sons et les odeurs, et, malgré sa relative placidité, il sursauta tout de même un peu quand il entendit: « Salut, Âne! Salut, Issakar! » C’était une voix inconnue et étrangement indéfinissable.

Il regarda autour de lui. Tout le monde était occupé au campement. Ses maîtres y compris. Après l’avoir débâté et attaché à un arbre avec cette nouvelle corde que le dénommé Iaqov venait d’acheter et qui ne goûtait vraiment pas bon, ils l’avaient laissé là, confiants dans le fait qu’il se contenterait de se sustenter et de boire tout son soûl.

Mais il y avait ici une présence. Peu à peu, il finit par distinguer quelque chose, une apparence, qui pouvait rappeler celle d’un homme. Ce n’était pas clair. Il faut dire que sa vue n’était pas très bonne, comme tous les ânes. Mais le plus troublant, c’était le manque absolu de senteur.

– Salut, Issakar, répéta la voix. L’âne ne savait guère que répondre, ne sachant pas parler. Il n’était pas encore habitué à ce nom étrange que son maître lui avait donné, « Issakar ».

Les ânes ne parlent pas, comme tout le monde le sait. Pourtant, quelque chose en lui répondit et, même, posa la question: « Qui es-tu? » Cela ne fit qu’ajouter à son trouble.

– Je suis Envoyé, Mission, Protection et Service, déclara l’Apparence qui semblait en constante transformation.

Cela ne pouvait le satisfaire, car un âne, même en bonne santé, ne peut enregistrer de telles notions, surtout s’il n’y a pas de senteur. Pourtant, de nouveau, contre toute la logique de sa nature, il eut l’impression de comprendre et dit: « Tu es ici pour mes maîtres ».

L’Ange, car il s’agissait bien d’un ange, tout en évitant de démontrer la moindre condescendance, lui fit savoir qu’il avait raison.

– Oui, cette famille est d’une importance extrême pour l’humanité et pour l’histoire du monde. Pour toutes les âmes vivantes et tous les anges, et pour le cosmos même. Toi-même, Issakar, tu fais partie du grand projet de Élôïm. Ainsi que les deux jeunes, et l’homme-guide et le petit chien. Vous êtes associés à Mission, Protection et Service.

Cette tirade laissa l’âne pantois. Il en oublia son picotin et prit une attitude corporelle que même un ange pouvait comprendre. C’était vraiment trop, là!

– Je suis l’Ange des voyageurs mais nous sommes aussi légions. Douze légions pour protéger et servir. Nous sommes les anges envoyés par le Père Unique. Jusqu’à ce que l’heure soit venue, rien ne pourra arriver à Celui qui est l’Ange des anges, l’Envoyé de Élôïm, son Fils même.

À ces paroles, Issakar se sentit rassuré car, de par sa nature, il s’inquiétait de beaucoup de choses, et il avait perçu une sourde menace, comme un noir nuage planant au-dessus de ces humains qu’il aimait et, surtout, sur ce petit Innocent. Il reprit son repas tranquillement et ne perdit plus jamais cette impression de Présence une et multiple qui les accompagnait désormais.

Debout

Après quelques étapes dans des oasis situés sur la piste menant à Alexandrie, qui traverse cette portion de désert égyptien longeant la Grande Mer, la caravane fit halte dans un vaste camp que les locaux appelaient dans leur langue: le « Ruisseau des Palmiers ». L’appellation portait fort à la méprise. En effet, quand ils arrivèrent au dit « Ruisseau », il était parfaitement sec. On leur expliqua qu’il ne se remplissait que lors des grandes pluies et apportait l’eau des montagnes situées à l’orient du camp. Mais pour ce qui était des palmiers, il y en avait plus que le regard ne pouvait embrasser! Il s’agissait d’une luxuriante palmeraie qui faisait bien dix milles à partir de la mer et jusqu’à deux ou trois milles de part et d’autre du « ruisseau ». Certains palmiers étaient énormes, atteignant les cinquante ou soixante coudées [30], et leurs feuilles certainement quinze. Ils étaient remplis de dattes. C’était le paradis des dattes! La caravane avait d’ailleurs prévu en faire ample provision lors de cette étape.

Ils campèrent dans une des aires installées à cet effet. Leur nombre était extraordinaire car le « Ruisseau des Palmiers » était le passage obligé de tous les voyageurs qui empruntaient cette route désertique.

La fin d’après-midi était très douce et les gens étaient joyeux.

L’Enfant était assis par terre et le petit chien courait autour de lui. Iéshoua riait de le voir ainsi tourbillonner sans cesse. Il se mit à quatre pattes comme l’animal et fit mine d’accompagner son petit ami pendant quelques moments, mais il s’arrêta bientôt devant un gigantesque palmier et se mit à le contempler, fasciné. Il regarda les adultes qui marchaient autour de l’arbre et particulièrement Iôçeph, son « abba », qui se tenait debout juste à côté.

Alors le Petit rampa jusqu’au pied du palmier qui procurait de l’ombre à son corps et il le toucha. Il regarda vers le haut et, appuyant ses petits poings à terre, il s’accroupit et se redressa le long du tronc. Enfin debout, un peu chambranlant, le visage reflétant tout à la fois triomphe et étonnement, il essaya de regarder tout autour, et, soudain moins certain, retomba lourdement assis.

Sur le coup, son expression se transforma en une sorte de déception et réprobation, mais ce qui le fit davantage réagir fut le formidable « Hi-han » de l’âne, incapable de se contenir devant la pittoresque et charmante mésaventure de son petit homme adoré.

Évidemment, l’Ange (s) jeta un regard stratégiquement sévère vers l’âne, mais ce qui s’ensuivit le décida à retenir la fraternelle remontrance qui se formulait sur ses immatérielles lèvres. Des éclats de rires sereins avaient aussitôt succédé à la sortie inopinée de l’âne et, qui plus est, ils semblaient provenir essentiellement des deux parents qui assistaient à la scène avec grand plaisir.

Le Petit resta bouche bée un seul et court instant et émit un borborygme parfaitement audible qui ressemblait fort à un éclat de rire. Et il se mit à secouer les bras dans tous les sens, en proie à une excitation légitime, en une sorte d’approbation implicite que, en effet, le tout était vraiment très drôle.

Il y eut comme un frémissement dans l’air, qui monta jusqu’aux cieux. Une sorte de silence transitoire vint marquer un seul instant ce moment unique: l’Enfant s’était mis debout!

L’Ange (s), qui avait jusqu’alors retenu ses savants commentaires, annonça à Issakar qu’il s’agissait bien là d’un moment important. Le pauvre âne ne voyait guère comment le fait de se lever debout constituait pour ce petit enfant un tel exploit, lui qui s’était dressé sur ses quatre pattes à peine né!

– Et c’est là toute la différence, lui expliqua patiemment l’Ange (s). L’homme ne se dresse pas sur ses pattes comme les animaux, il se met debout. Il y a des puissances qui unissent les Cieux et la Terre. Ces puissances descendent et montent sans cesse, accompagnées de myriades d’anges. La puissance qui descend est celle qui fait que tu ressens le fardeau sur ton dos. C’est la raison pour laquelle tous les animaux, comme toi, ont quatre pattes. Cela vous permet d’abord de vous dégager de la terre et de vous tenir solides au-dessus d’elle. Certaines créatures, souvent plus petites, vivent sur la terre sans en être dégagées. Elles sont collées à la Terre. Leur rapport avec elle est plus direct et plus intime.

L’être humain se distingue des bêtes et bestioles, car il ressent l’autre puissance, celle qui remonte vers les cieux. Et voilà pourquoi, attiré, il se met debout. Il éprouve intensément le désir que son esprit s’élance vers les cieux et, se redressant, sa tête se retrouve ainsi au plus haut de son corps. L’homme veut sans cesse s’élever et c’est parfois ce qui le perd, car il lui faut aussi embrasser la terre!

Issakar sembla ému par ces pensées. Il regarda les hommes et fut soudain rempli, plus que jamais, d’un grand désir de les servir. Ainsi, se disait-il, ses maîtres pourraient peut-être l’entraîner lui-même vers les hauteurs appropriées à son espèce.

Les fruits du désert

Après cette halte à la délicieuse palmeraie, ils s’engagèrent définitivement en plein désert.

Et le temps passait paisiblement, les étapes s’enchaînant comme des colliers fins dans cette mer de sable, de silence et de soleil.

L’âne, toujours aussi fin observateur, remarqua des changements subtils dans la démarche de tous ses amis. Ce qui le frappait le plus était cette impression qu’ils marchaient désormais comme poussés en avant, sans que les efforts demandés ne soient plus élevés. Serait-ce le fait de ces légions d’anges dont il connaissait la présence par son interlocuteur éthéré? Les marcheurs humains avaient désormais une nouvelle démarche, parfaitement cadencée. Cette cadence pondérée caractérisait d’ailleurs toute la caravane à laquelle ils s’étaient joints. Et l’âne éprouvait en cela beaucoup de satisfaction.

Le chien toujours aussi guilleret réservait maintenant ses démonstrations au seul profit de l’Enfant et demeurait, le reste du temps, remarquablement discret.

Les humains, quant à eux, profitaient de cette aventure [31] de façon tout à fait inattendue. Aucun d’entre eux n’avait anticipé ni la richesse d’expérience que comporterait le fait de marcher ainsi, jour après jour, conscients de leur pas et de leur respiration sans en être obsédés, ni, surtout, le climat de calme pénétrant que provoqueraient la quiétude profonde du désert et l’économie presque totale de paroles au cours de la marche.

Iaqov était transformé. Son abord un peu rêche et son attitude générale de retrait avaient fait place à une sorte d’émanation continue de sérénité qui, de son âme, suintait presque visiblement, comme une huile.

Les deux jumeaux, leurs pas pourtant fermement plantés sur la terre, semblaient en contemplation perpétuelle. Leur regard était lumineux et la grâce de leur être se répercutait autour d’eux en une sorte de contagion qui amenait tous les autres à sourire à leur seule vue.

Quant à Mariam et Iôçeph, ce qu’ils ressentaient surtout et plus que jamais, c’était une confiance absolue, inaltérable, dans la Providence et la réalisation des Promesses du Très-Haut.

Iôçeph vit soudain l’avenir s’étaler devant lui, comme la Terre promise.  En ces jours-là, Iaoué avait conclu une alliance avec Abram en ces termes: « À ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d’Égypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate » [32], et encore: « Je fixerai tes frontières de la mer des Roseaux à la mer des Philistins, et du désert au Fleuve ». [33]

Alors, le dernier psaume de Daouid [34] qu’il avait récité si souvent prit tout son sens.

O Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice,
qu’il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits. [35]

Émerveillé, Iôçeph se mit à en goûter chaque mot au rythme délibéré de sa marche, répétant à haute voix certains passages fulgurants. Car cet avenir entrevu, c’était bien plus que la Terre promise! C’était un royaume nouveau aux bornes infinies, comme le proclamait le Psaume:

En ses jours justice fleurira et grande paix jusqu’à la fin des lunes;
il dominera de la mer à la mer, du Fleuve jusqu’aux bouts de la terre.
Devant lui se courbera la Bête, ses ennemis lécheront la poussière;
les rois de Tarsis et des îles rendront tribut.
Les rois de Sheva et de Çeva feront offrande;
tous les rois se prosterneront devant lui, tous les païens le serviront. [36]

Iôçeph aspirait de tout son coeur et de toutes ses forces à l’avènement de ce Royaume, qui prenait vie dans le Fils de Daouid et du Très-Haut: Iéshoua, le Roi promis!

Soit béni son nom à jamais, qu’il dure sous le soleil!
Bénies seront en lui toutes les races de la terre,
que tous les païens le disent bienheureux! [37]

Mariam s’unissait à la psalmodie ardente de son époux qu’elle percevait par bribes. Comme à son habitude, elle se répandit à l’intérieur d’elle-même, exultante de louanges, complètement, irrémédiablement donnée à son Seigneur. Elle laissa travailler en elle la grâce de Dieu qui la remplissait toute entière, grâce intarissable et débordante. Contemplant le saint désert, elle invoqua Iaoué avec les mots du même psaume:

Foisonne le froment sur la terre, qu’il ondule au sommet des montagnes, comme le Liban quand il éveille ses fruits et ses fleurs, comme l’herbe de la terre! [38]

C’est ainsi que, sans que l’on puisse l’expliquer, flottait dans les airs une senteur, à la fois distincte et unie, de nard et de rose.

Premiers pas

À toute occasion, l’Enfant, parfois avec l’aide de l’un ou l’autre de ses parents, ou même de leurs amis, apprenait à être debout. Ses petites jambes prenaient de la force. Il tombait de moins en moins vite et de moins en moins souvent, et semblait être souverainement heureux de ces exercices fondateurs.

Puis un soir, il lâcha la main de son père qui le tenait doucement sans le retenir et, mettant l’un de ses petits pieds en avant de l’autre, il marcha. L’Âne, sans savoir pourquoi, frémit. L’Ange se tut. Il n’y avait plus rien à dire. L’Enfant avait fait ses premiers pas.

Car il ne suffit pas d’être debout comme il ne suffit pas de marcher. L’Animal marche mais il n’est pas debout. L’Arbre est debout mais il ne marche pas. L’Homme, lui, est debout et il marche. Mais il marche pour aller vers l’autre, pour franchir la distance, unir l’espace, et ainsi se faire le proche, le prochain de l’autre.

Ces premiers pas de l’Enfant sont ceux de celui qui, un jour, enseignera la loi de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain.

Des petits pas d’Enfant, aujourd’hui. Demain, le grand pas de l’Humanité.

________________________

Séquences de vie cachée

Avant-propos
Avertissement des auteurs

Mariam à l’aube

Iôçeph au réveil

Marche vers Beit Lehèm
Quarantaine
Le Secret du Roi
Au pas des exilés
Premiers mots. (Devarïm)

Index des noms hébreux



[1] Soter signifie « Sauveur ». Ce titre fut accordé à Ptolémée 1er par les Rhodiens auxquels il avait, à leur demande, porté secours.

[2] Nous emploierons la mesure de distance utilisée par Matthieu (cf. Mt 5, 41) : le mille romain, qui vaut 1481 mètres.

[3] Tobie 5, 4: « Tobie sortit, en quête d’un bon guide capable de venir avec lui en Médie. Dehors, il trouva Raphaël, l’ange, debout face à lui, sans se douter que c’était un ange de Dieu. »

[4] La dynastie des Séleucides (de 305 à 64 avant Jésus-Christ) est issue de Séleucos (mentionné dans la bible: 1 Maccabées 7, 1), l’un des diadoques de l’empereur Alexandre, comme Ptolémée. Il avait reçu en partage le territoire de la Babylonie et de la Syrie dont faisait partie la terre d’Israël, alors que Ptolémée s’était vu attribuer le pays d’Égypte.

[5] « Makabi » (Maccabée) qui signifie « Marteau » était le surnom de Judas (Iéouda), fils de Mattathias. Il devint le surnom de toute la famille et le nom donné à la révolte menée par les membres de cette famille contre le mouvement d’assimilation des Séleucides.

[6] 1 Maccabées 2, 29-41 :

Nombre de gens soucieux de justice et de Loi descendirent au désert pour s’y fixer, eux, leurs enfants, leurs femmes et leur bétail, parce que le malheur s’était appesanti sur eux.
On annonça aux officiers royaux et aux forces en résidence à Iéroushalaïm, dans la Cité de David, que des gens qui avaient rejeté l’ordonnance du roi étaient descendus vers les retraites cachées du désert. Une forte troupe se mit à leur poursuite et les atteignit. Ayant dressé son camp en face d’eux, elle se disposa à les attaquer le jour du sabbat et leur dit: « En voilà assez! Sortez, obéissez à l’ordre du roi et vous aurez la vie sauve. »
– « Nous ne sortirons pas, dirent les autres, et nous n’observerons pas l’ordre donné par le roi de violer le jour du sabbat. » Assaillis sans retard, ils s’abstinrent de riposter, de lancer des pierres, de barricader leurs cachettes. « Mourons tous dans notre droiture, déclaraient-ils; le ciel et la terre sont pour nous témoins que vous nous faites périr injustement. »
La troupe leur donna l’assaut en plein sabbat et ils succombèrent, eux, leurs femmes, leurs enfants et leur bétail, au nombre d’un millier de personnes.
Lorsqu’ils l’apprirent, Mattathias et ses amis les pleurèrent amèrement et se dirent les uns aux autres: « Si nous faisons tous comme ont fait nos frères, si nous ne luttons pas contre les nations pour notre vie et nos observances, ils nous auront vite exterminés de la terre. »
Ce jour-là même, ils prirent cette décision: « Tout homme qui viendrait nous attaquer le jour du sabbat, combattons-le en face, et ainsi nous ne mourrons pas tous comme nos frères sont morts dans les cachettes ».

[7] Ct 6, 10.

[8]  Gn 49, 14-15 : « Issakar est un âne robuste, couché au milieu des enclos. Il a vu que le repos était bon, que le pays était agréable, il a tendu son échine au fardeau… »

[9] 1 Chroniques 12, 33 : « des fils d’Issakar, sachant discerner les moments où Israël devait agir et la manière de le faire… »

[10] Proverbes 21, 3: « Pratiquer la justice et le droit vaut, pour Yahvé, mieux que le sacrifice. »

[11] Psaume 119 (118), 9-11 :

Comment, jeune, garder pur son chemin?
À observer ta parole.
De tout mon coeur c’est toi que je cherche,
ne m’écarte pas de tes commandements.
Dans mon coeur j’ai conservé tes promesses
pour ne point faillir envers toi.

[12] Voici le passage dans son entier (Isaïe 19, 18-25) :

Ce jour-là, il y aura cinq villes au pays d’Égypte qui parleront la langue de Canaan et prêteront serment à Yahvé Sabaot; l’une d’elles sera dite « ville du soleil. » Ce jour-là, il y aura un autel dédié à Yahvé au milieu du pays d’Égypte, et près de la frontière une stèle dédiée à Yahvé. Ce sera un signe et un témoin de Yahvé Sabaot au pays d’Égypte. Quand ils crieront vers Yahvé par crainte des oppresseurs, il leur enverra un sauveur et un défenseur qui les délivrera.
Yahvé se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens connaîtront Yahvé, en ce jour-là. Ils offriront sacrifices et oblations, ils feront des voeux à Yahvé et les accompliront. Et si Yahvé frappe les Égyptiens, il frappera et guérira, ils se convertiront à Yahvé qui accueillera leurs demandes et les guérira.
Ce jour-là, il y aura un chemin allant d’Égypte à Assur. Assur viendra en Égypte et l’Égypte en Assur. L’Égypte servira avec Assur. Ce jour-là, Israël viendra en troisième avec l’Égypte et Assur, bénédiction au milieu de la terre, bénédiction que prononcera Yahvé Sabaot: « Béni mon peuple l’Égypte, et Assur l’oeuvre de mes mains, et Israël mon héritage. »

[13]  Psaume 8 (7), 2-3 : « Yahvé, qu’il est puissant ton nom par toute la terre! Lui qui redit ta majesté plus haute que les cieux par la bouche des enfants, des tout petits… »

[14] Le nom « Palestine » vient du nom « Philistie ». La région appelée Palestine correspondait, à l’origine, au pays des Philistins.

[15] Voir 1 Samuel 3, 1-10.

[16] 1 Maccabées 1, 14-15 : « Ils bâtissent un gymnase à Ieroushalaîm selon les coutumes des goîm (nations étrangères). Ils se refont des prépuces et abandonnent le pacte sacré, ils s’accouplent aux goîm (étrangers) et se vendent pour faire le mal. » (Bible Chouraqui)

[17] Alexandre 1er Balas et Démétrius II Nicator sont deux rois séleucides de l’époque des Maccabées. Alkime fut lui-même grand prêtre au temps des Maccabées. Il était favorable aux Séleucides. Sa légitimité est discutée, mais il est possiblement le dernier grand prêtre légitime de cette période qui va jusqu’à la destruction du Temple. En effet, à partir de lui, tous les grands prêtres font l’objet d’une nomination politique.

[18] On appelle généralement Hasmonéens les descendants de Mattathias mais, en fait, la dynastie représente essentiellement Simon (Shimôn) et sa descendance. Hérode (Ôrôdôs) mettra fin à la dynastie avec l’exécution d’Antigone II, dernier descendant de Simon.

[19] Octave est un des membres du second triumvirat. Au moment de sa rencontre avec Hérode, il vient de vaincre de façon décisive Antoine, l’autre membre restant du triumvirat, ce qui le mènera au pouvoir suprême, symbolisé par ce nom: « César Auguste ».

[20] Matthieu 2, 13.

[21] 1 Maccabées 4, 30-33. (Bible Chouraqui)

[22] Tobie 6, 2a et 11, 4.

[23] Psaume 148 (147). « Alel » signifie « louange »; « Alelou! » se traduit par « louez (le)! ». La version de ce psaume présentée ici est de nous, avec quelques idées de Chouraqui.

[24] L’expression « Alelou -Ïa! », qui n’est employée que dans les versets 1 et 7 du psaume 148, a donné notre « Alléluia » et signifie « Louez – Iaoué (Dieu)! ».

[25] Les consonances (ex.: ïamïm, maïm, shamaïm) sont nombreuses dans le Psaume 148 et son style est épuré. Nous avons essayé d’en rendre un peu l’effet en conservant, par exemple, le mot hébreu Alelou et en nous en tenant à une traduction dépouillée, fidèle à l’impression du premier chapitre de la Genèse dont la première partie est une sorte de paraphrase.

[26] Daniel 9, 7 : « A toi, Seigneur, la justice, à nous la honte au visage, comme en ce jour, à nous, gens de Juda, habitants de Jérusalem, tout Israël, proches et lointains, dans tous les pays où tu nous as chassés à cause des infidélités commises à ton égard. »

[27] Jérémie 31, 9. (Bible Louis Segond)

[28] Osée 11, 1.

[29] Matthieu 2, 13 : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte; et restes-y jusqu’à ce que je te le dise… »

[30] La coudée correspond à environ 45 centimètres.

[31] « Aventure », pris dans le sens de « avent », « à venir ».

[32] Genèse 15, 18.

[33] Exode 23, 31a.

[34] Il s’agit du Psaume 72 (71) dont voici le texte complet :

O Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice,
qu’il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits.
Montagnes, apportez, et vous collines, la paix au peuple.
Avec justice il jugera le petit peuple, il sauvera les fils de pauvres, il écrasera leurs bourreaux.
Il durera sous le soleil et la lune siècle après siècle;
il descendra comme la pluie sur le regain, comme la bruine mouillant la terre.
En ses jours justice fleurira et grande paix jusqu’à la fin des lunes;
il dominera de la mer à la mer, du Fleuve jusqu’aux bouts de la terre.
Devant lui se courbera la Bête, ses ennemis lècheront la poussière;
les rois de Tarsis et des îles rendront tribut. Les rois de Saba et de Seba feront offrande;
tous les rois se prosterneront devant lui, tous les païens le serviront.
Car il délivre le pauvre qui appelle et le petit qui est sans aide;
compatissant au faible et au pauvre, il sauve l’âme des pauvres.
De l’oppression, de la violence, il rachète leur âme, leur sang est précieux à ses yeux.
Qu’il vive et que lui soit donné l’or de Saba!  On priera pour lui sans relâche, tout le jour, on le bénira.
Foisonne le froment sur la terre, qu’il ondule au sommet des montagnes, comme le Liban quand il éveille ses fruits et ses fleurs, comme l’herbe de la terre!
Soit béni son nom à jamais, qu’il dure sous le soleil! Bénies seront en lui toutes les races de la terre, que tous les païens le disent bienheureux!
Béni soit Yahvé, le Dieu d’Israël, qui seul a fait des merveilles;
béni soit à jamais son nom de gloire, toute la terre soit remplie de sa gloire! Amen! Amen!

[35] Psaume 72 (71), 1-2.

[36] Psaume 72 (71), 7-11.

[37] Psaume 72 (71), 17.

[38] Psaume 72 (71), 16.

Ce contenu a été publié dans Francine Dupras, Inspirations, Jean-Marc Rufiange, Séquences de vie cachée. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

7 Responses to Au pas des exilés

  1. Esther Martelle dit :

    Bonjour M. Rufiange,

    Je lis à peu près tous vos textes, écrits tantôt par vous même, tantôt par vous et Mme Dupras et l’inverse. Pour le moment je ferai un petit commentaire sur ce qui me semble être en filigrane plus particulièrement de vous seul.

    J’introduis mon commentaire en relation avec votre dernier texte intitulé « Au pas des exilés ». Vous avez une façon bien inusitée d’aborder vos textes. Ceux qui sont reliés à l’enfance de Jésus sont particulièrement suaves.

    Dans un premier temps, on pourrait croire que vos textes sur l’enfance sont uniquement le fruit de votre imagination très créative mais de bon aloi cependant. En parcourant votre texte on constate que vous tirez massivement votre matière de références bibliques. Voilà qui étonne de la façon suivante: Notre imagination est meublée de saints et saintes de plâtre, d’images de papier, de fresques de pierre. de récits figés qui ne s’écartent jamais d’une virgule des textes constituant ceux de la liturgie, ce qui est normal, les textes liturgiques ont à être uniformes, très cadrés, sans un soupçon d’interprétation même justifiée par d’autres textes bibliques. Nous avons de ce fait une construction très formatée de la vie de Jésus. Votre façon d’aborder les mêmes thématiques fait bouger les plâtres et les images et les textes uniformes produisant comme un sentiment de présence vivante entre autres de Jésus, de Marie et de Joseph. J’aime votre façon d’exprimer vos idées mais à certain moment je peux perdre la suite de votre texte et être doucement glissée dans l’atmosphère très unique de la vie de ces trois personnes, ce que nous pourrions décrire comme des moments de contemplation. Cela produit l’effet du vrai qui nous guérit de la rencontre très formatée à laquelle nous convie les commentaires des homélies et même de la plupart des oeuvres spirituelles que j’ai fréquentées. Même La vie de l’enfance de Jésus, de Benoît XVI, nous maintient convenablement dans le créneau de la connaissance. Rares sont les écrits qui nous conduisent si rapidement et si facilement à la contemplation. L’effet final est que la lecture posée de vos textes conduit à une véritable paix intérieure. Ceci dit n’est pas au mépris de tout ce qui existe sur le sujet mais répond d’une façon particulière à ma sensibilité religieuse.

    Si vous éditez un jour la vie de l’enfance de Jésus, je me le procure dès maintenant en rendant grâces à Dieu pour le chemin que vous ouvrez dans le domaine si tel est le cas.

    Esther Martelle

  2. Marilyn dit :

    Je me joins au commentaire d’Esther Martelle car j’éprouve le même sentiment et je cherchais les mots pour l’exprimer. Effectivement, vos textes nous mênent à la contemplation et à l’amour. Tout doucement, notre coeur, au rythme de ses battements, se dilate et s’empli de l’amour de Dieu. Hallelou-Iah!

  3. Eustache dit :

    Moi, c’est la paix que me procure la lecture des textes sur la naissance et l’enfance de Jésus avec Marie et Joseph et tous vos derniers textes dans le même style. Amen.

  4. Esther Martelle dit :

    M. Rufiange,

    Réflexions sur votre texte.

    LES PAS DE L’EXILÉ

    Prologue de St-Jean : « Et le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi nous ». Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli ». Chapitre 1, versets 14 et 11.

    Quand l’enfant cherche à émettre ses premiers sons et à construire ses premiers mots, il s’agit d’un geste initial vers la communion universelle. Le langage en effet est essentiellement l’instrument de la communion. Tous les êtres créés ont un langage qui les relie les uns aux autres en des communautés d’êtres, entre semblables. Exemple : Les baleines émettent à des milles… sans internet. Le langage a pour but la communion. Tous les niveaux de langage ont pour but la communion avec l’Autre, l’autre, tous les autres, même les arts comme la musique et la peinture qui sont des raffinements langagiers. On connaît le langage du son du cor qui annonce soit la guerre ou la victoire. Le son de la trompette sonnera aussi la fin d’un monde. « Et le septième ange sonna de la trompette, et il y eut dans le ciel des voix fortes qui disaient : La royauté du monde a passé à notre Seigneur et à son Christ… ». Ap. 11-15. La toile du peintre dans son fond appelle à une rencontre intérieure en tant que médiatrice entre l’auteur et son visiteur.

    Les premiers balbutiements de l’enfant sont le point de départ de toutes les rencontres de sa vie! Les premiers pas eux marquent l’acte de liberté qui le met face à face à l’Autre, l’autre et tous les autres en vue de la communion dont on parle dans le paragraphe précédent. Il n’y a pas de communion sans la transcendance des uns par rapport aux autres, car, chacun étant socialement unique c’est par les échanges entre gens que peut s’établir une communion qui conduit à l’agapè plus ou moins pressentie à des niveaux différents. Le premier pas de l’enfant affirme cette distinction de l’autre et sa volonté d’entrer en relation avec son vis-à-vis.

    Dans le titre : « Les pas de l’exilé » se trouve inscrit le mystère des mystères : le Verbe, c’est-à-dire Celui qui parle, est venu chez lui rencontrer tous et chacun des hommes, pour leur parler finalement de Dieu. Il a fait ses premiers pas pour aller vers les hommes; pour rencontrer les hommes de tout temps et de tous lieux, pour leur dire très particulièrement qu’il venait les sauver d’un naufrage universel. « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli ». Qui que je sois je suis parmi les siens. Ne serait-il pas convenable que je fasse volte face comme un enfant qui se tourne carrément vers ses parents après son premier pas, pour les rencontrer, les connaître et communier avec eux au point de l’agapè? La joie de l’enfant qui tape des mains pour manifester sa joie d’être debout avec eux, parmi eux engendre chez l’Autre, l’autre et les autres une joie analogue. La joie semble être un des enjeux du premier pas.

    Jésus est toujours au pas des exilés…

    Esther Martelle

  5. Lucie dit :

    Saisissant! Je projette de relire vos écrits dans la séquence indiquée. Il y a vraiment matière pour un livre!
    J’ai bien aimé l’histoire du petit chien qui me fait penser à une peinture de la Ste-Famile où Ieschoua joue avec un petit chien blanc. Et quand Ieschoua essaie de se mettre debout et la réflexion pourquoi l’être humain se met debout.
    Et l’ange qui parle avec l’âne, j’ai pas lu ca souvent…

  6. Marilyn dit :

    Aujourd’hui c’est la Pentecôte, la fête de l’Esprit Saint. En cette belle et grande fête, j’aimerais vous partager que vos textes me font aimer de plus en plus l’Esprit Saint. Sans l’Esprit de Dieu, il est impossible de vivre les relations harmonieuses que vous décrivez si habillement. Il est même impossible d’en parler, ou de les imaginer. Sans l’Esprit de Dieu, je ne peux dire « Notre Père qui est au cieux », je ne peux pas rejoindre l’autre, mon prochain, mon semblable, qui est à côté de moi. C’est l’Esprit de Dieu qui met dans mon coeur le goût de chercher Dieu. Vous parlez de la Sainte Famille et vous décrivez l’onction de la Trinité. Jésus, Marie et Joseph nous enseignent l’amour qui unit le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Amen pour votre don et merci encore mille fois de nous le partager.

    Viens, Esprit Saint, en nos cœurs
    Et envoie du haut du ciel
    Un rayon de ta lumière.
    Viens en nous, Père des pauvres
    Viens dispensateur des dons
    Viens lumière de nos cœurs.
    Consolateur souverain
    Hôte très doux de nos âmes
    Adoucissante fraîcheur.
    Dans le labeur, le repos
    Dans la fièvre, la fraîcheur
    Dans les pleurs, le réconfort.
    O Lumière bienheureuse,
    Viens remplir jusqu’à l’intime
    Le cœur de tous tes fidèles.
    Sans ta puissance divine
    Il n’est rien en aucun homme
    Rien qui ne soit perverti.
    Lave ce qui est souillé
    Baigne ce qui est aride
    Guéris ce qui est blessé.
    Assouplis ce qui est raide
    Réchauffe ce qui est froid
    Rends droit ce qui est faussé.
    À tous ceux qui ont la foi
    Et qui en Toi se confient
    Donne tes sept dons sacrés.
    Donne mérite et vertu
    Donne le salut final
    Dans la joie éternelle. Amen

  7. Gaby dit :

    ¨Je cherche le visage du Seigneur. ¨ À la lecture de votre texte, ce chant de John Littleton me vient en tête. En nous présentant de façon si sympathique et si profonde des gestes de cette sainte famille au quotidien, les images statiques et figées se mettent à vivre tout à coup. Ce ne sont plus seulement Marie et/ou Joseph qui tiennent un enfant au regard d’adulte, mais se sont des parents aimants qui comme tous les parents accompagnent cet être nouveau au monde, tout en ayant leur propre destinée à gérer.

    Tous ces tableaux témoignent de la véracité de l’Incarnation de Dieu dans cette famille unique tout en étant semblable à nous. Cette présentation si humaine m’incite à me réconcilier avec l’humanité dont les manifestations sont si douloureuses, si destructrices et qui pourtant est porteuse de l’image de Dieu, de son Visage

    Hasard ou Providence, la rencontre de Iacob et Iosseph? Dieu est-il autant à l’œuvre dans ma vie ? Combien de ces situations ¨providentielles¨ vécues sans conscience de l’assistance, de l’action de Dieu. Votre texte est aussi une invitation à conscientiser l’action de Dieu qui se fait au quotidien de nos vies.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.