Le pain et le vin – p. 2

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CHAPITRE PREMIER:

La structure binaire au cœur du symbolisme eucharistique

1.1 Le choix par le Christ du couple pain-vin

Pain et vin constituent une dualité dont il convient de saisir la portée. Pourquoi cette double action? Une première réponse est fournie par ceux qui connaissent bien la mentalité antique: les enseignements se font ordinairement par dualité[5].

Et Jésus ne fait pas exception. Il faut cependant dire que son choix des éléments symboliques pain et vin ne dépend pas d’une interprétation abstraite de la réalité. Le repas et la pâque juive imposaient déjà culturellement un ensemble d’éléments de nourriture intégrés à un système symbolique bien établi.

À ce propos justement, le problème est complexe. Les exégètes contemporains s’entendent surtout pour affirmer leur incertitude quant à la teneur de la Cène de Jésus en tant que repas et, surtout, en tant que repas traditionnel juif. Une certaine proportion de ce groupe de chercheurs croit que la Cène de Jésus était directement superposée à un repas pascal traditionnel. Ils se sont rangés particulièrement derrière J. Jérémias[6]. D’autres, de plus en plus nombreux, pensent qu’il n’en fut pas ainsi et se rangent évidemment contre la position de Jérémias. Bien que le livre de celui-ci ait eu un impact évident, il semble possible de remettre en question plusieurs des arguments en faveur d’une Cène-repas pascal[7].

Ne connaissant pas la teneur exacte du repas, on ne sait pas précisément comment il devait se dérouler. Il existe cependant un fait essentiel s’y rapportant: l’absence de mention de la manducation de l’agneau dans les récits de la Cène. Une réponse surgirait à cette troublante question si l’on prouvait que Jésus était issu d’une secte baptiste:

Ce qui pose vraiment problème dans les relations avec la Cène, c’est qu’on ne parle pas de la manducation de l’Agneau, qui est pourtant le rite majeur (ne pas parler d’agneau dans un repas pascal, c’est un comble!) Voilà bien le problème : Jésus était-il d’origine baptiste? Beaucoup d’éléments semblent l’indiquer; le rite baptiste pratiqué par le groupe de Jésus durant son ministère, d’après Jean, et puis pratiqué par la première Église, et bien d’autres éléments qui nous permettent de voir qu’on a affaire là à une secte de nazoréens, d’observants, de gardiens, de baptistes. Or ces baptistes se signalent par leur ascèse sans doute, mais aussi par leur refus le plus entier de la manducation des viandes, et surtout de viandes sacrificielles[8].

Mais les baptistes ne buvaient pas de vin non plus. Il faudrait donc penser que Jésus ait su prendre ses distances par rapport à sa propre secte, s’il en était, comme il le fit de toute façon par rapport à la religion traditionnelle: on le traitait de buveur de vin («on», c’est-à-dire les autres membres de sa secte? Pourquoi pas.)[9].

Comme on le voit, le problème est loin d’être simple. Pour cette raison, on s’en tiendra aux faits considérés sûrs: la structure commune à tous les repas juifs festifs, ou empreints de quelque solennité. Elle est marquée par une bénédiction sur le pain au début du repas et une bénédiction sur la coupe à la fin de celui-ci[10]. Ces deux éléments sont justement ceux qui forment le couple symbolique de l’Eucharistie. Ils constituent donc une sorte de résumé basé sur les deux principaux éléments de la tradition commensale juive. L’analyse de Dussaut met ce fait en relief en faisant ressortir la valeur symbolique de la séparation temporelle de ces deux moments assurément présents dans l’Eucharistie primitive[11].

Si ce «couple de totalité» est expressif dans sa dimension temporelle, il l’est aussi en tant que binaire; et si cette structure s’était déjà imposée dans les repas juifs, on peut supposer qu’il s’agissait d’une symbolisation inconsciente de la totalité par le groupement de deux éléments binaires. Cette valeur de totalité repose simplement sur le fait, bien pragmatique, que l’être humain, pour se nourrir, mange et boit[12].

Une première signification de ce choix du pain et du vin comme symbole serait alors fondée sur leur valence objective de nourriture complémentaire, solide et liquide. Une deuxième se dégagerait de la réalité binaire en tant que structure. Si le Christ convie à une communion à la totalité en offrant son corps et son sang, à manger et à boire, et que cela constitue une structure expressive de la totalité, il faut concevoir cette réalité en tant que binaire.

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[5] Xavier Léon-Dufour, s.j., Le partage du pain eucharistique, p. 335.
[6] Joachim Jérémias, La Dernière Cène. Les paroles de Jésus, Éditions du Cerf, Paris, 1972.
[7] Voir à ce sujet Léon-Dufour, op. cit., 349 ss, et Charles Perrat, «Les repas juifs et l’eucharistie», dans Raymond Didier, L’Eucharistie, le sens des sacrements, p. 88-89.
[8] Didier, op. cit., p. 88-89, citation de Perrat.
[9] Ibid., p. 89.
[10] Ibid., p. 83.
[11]. Note de bas de page #1
[12]. Note de bas de page #2

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