Le pain et le vin – p. 4

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1.3 Le couple symbolique pain-vin et sa signification profonde

Pour Léon-Dufour, le couple pain-vin représente la réalité tout entière:

L’univers de la création trouve alors son plein sens. Déjà nous savions que la nourriture reçue de Dieu devenait repas fraternel, source d’unité pour les convives, expression d’alliance. Or, dans le rite eucharistique, le pain et le vin, où se condense en quelque sorte la création, «symbolisent» le corps et le sang de Jésus[18].

Et si la signification du couple symbolique pain-vin apparaît maintenant dans une dimension universelle, on peut dire que son efficacité repose sur le rituel symbolique de la manducation des deux éléments eucharistiques, le corps et le sang de Jésus-Christ. En effet:

Le Verbe, principe de vie, rend vivifiant le corps qu’il a pris dans l’Incarnation et ce corps, en s’unissant à nous dans la communion nous vivifie à son tout. Cette union du corps du Christ avec le communiant est pensée par les Pères à l’aide de la notion de «manducation», d’assimilation nutritive, par le moyen de laquelle la vie communiquée au corps du Verbe pénètre notre être et lui donne la vie éternelle et la résurrection[19] [20].

Dans le sacrement de l’Eucharistie:

Jésus qui donne le pain à manger symbolise son amour non pas par un don extérieur à lui-même, mais en se donnant lui-même sous forme de nourriture; il atteint ainsi le niveau le plus profond de la rencontre: en donnant ce pain il se donne. En un sens on pourrait dire que le mystère eucharistique est le symbole par excellence, le sur-symbole, puisque la relation entre locuteur et destinataire devient assimilation réciproque[21] [22].

Beaucoup de gens conçoivent le symbole, encore aujourd’hui, comme un «signe» abstrait voire arbitraire. Sur certains aspects, il en est de même dans l’Église. Pie XII s’inquiétait déjà des questions «modernes» sur l’Eucharistie qui se posaient en termes de symbolisme:

Il s’en trouve pour soutenir que la doctrine de la transsubstantiation, fondée, disent-ils, sur une notion philosophique vieillie de la substance, doit être corrigée, de telle sorte que la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie se réduise à une sorte de symbolisme; en ce sens que les espèces consacrées ne seraient que les signes efficaces de la présence spirituelle du Christ et de son intime union en son Corps mystique avec les membres fidèles[23].

Dans ce commentaire officiel de l’Église, le symbole est perçu comme une «réduction» métaphysique. La conception encore considérée comme valable par le Magistère, à propos de la présence réelle du Christ transfigurée dans le pain et le vin, s’appuie sur le concept de transsubstantiation. La solution «métaphysique» comporte certes des mérites, mais elle suscite aussi de nombreuses questions pour l’esprit contemporain, dont la moindre concerne la validité de la philosophie qui lui est sous-jacente, en regard des connaissances modernes.

De plus, ne faudrait-il pas considérer l’apport traditionnel juif dont Jésus tient compte lorsqu’il choisit les «espèces» pain et vin du repas pour son mémorial? Son choix serait-il tout à fait arbitraire, le transfert des «substances» de toutes autres «espèces» étant théoriquement possible?

Relativiser l’importance du rôle symbolique de l’Eucharistie et de la communion risque fort, comme on peut le voir, d’évacuer toute capacité de résonance dans une pratique du sacrement, surtout si l’on s’en tient trop strictement à des valeurs philosophiques que d’aucuns considèrent périmées.

La pensée du Magistère sur l’existence de deux espèces se limite généralement à exprimer la présence réelle du Christ sous chacune de ces espèces selon le principe de concomitance naturelle qui unit «toutes les parties du Seigneur Jésus-Christ»[24]. Ce faisant, le Magistère s’appuie sur le maître à penser de l’Église, Thomas d’Aquin, qui affirme : «Il faut absolument professer, selon la foi catholique que le Christ tout entier est dans ce sacrement»[25]. Le Magistère de l’Église, maintes fois confronté à la question de la communion sous les deux espèces, s’est toujours appuyé sur ce principe: si le Christ est tout entier sous chacune des espèces, il paraît sans conséquence que les fidèles ne communient qu’au pain, comme le stipule et le réitère le Canon 852 du code de 1917: «La très sainte Eucharistie doit être distribuée sous la seule espèce du pain»[26].

Il faut remonter au XIIe et XIIIe pour voir peu à peu l’usage de communier sous les deux espèces se perdre[27]:

Depuis des siècles on s’était rendu compte de la difficulté de bien manipuler le calice de communion, et on avait eu recours à divers moyens pour y obvier […] Mais comme, entre-temps, on s’était convaincu théologiquement que le Christ était présent tout entier sous chaque espèce, on fit le pas décisif[28].

Et il faudra attendre jusqu’à nos jours pour voir revenir, sous un mode facultatif et circonstancié, l’autorisation pour le peuple chrétien de communier au pain et au vin. Une vision symboliste aura de la difficulté à s’accommoder de cet état de choses, surtout si elle entend dégager la structure signifiante complémentaire des «deux espèces». Et elle se questionnera d’autant plus si elle pressent, non seulement une faiblesse d’interprétation, mais encore une faiblesse du vécu, évidemment si l’on considère que le symbole est «réellement» efficace.

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[18]. Léon-Dufour, op. cit., p. 88. Je souligne.
[19]. Didier, op. cit., p. 19.
[20]. Je voudrais faire observer que le terme « pain » prend facilement le rôle de terme générique du couple eucharistique, comme « homme » celui de l’humanité.
[21]. Id.
[22]. Léon-Dufour, op. cit., p. 153-154.
[23]. P. Cattin et H.Th. Conus, Sources de la vie spirituelle, Documents pontificaux, Tome I, p. 245, extrait de « Humani Generis » (Pie XII).
[24]. Gervais Dumeige, s.j., La foi catholique, Textes doctrinaux du Magistère de l’Église, p. 411, extrait du « Décret sur la Très Sainte Eucharistie » (Concile de Trente, XIXe Oecuménique, XIIIe Session (1551).
[25]. Thomas d’Aquin, Somme théologique, Tome 4, question 76, article 1, p. 583.
[26]. Dumeige, s.j., op. cit., p. 427.
[27]. J.A. Jungmann, Missarum sollemnia. Explication génétique de la Messe romaine, Tome 3, p. 318.
[28]. J.A. Jungmann, La liturgie de l’Église romaine, p. 141.

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