Le pain et le vin – p. 3

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1.2  La complémentarité fonctionnelle du pain et du vin en tant que symbole

Revenons à la clef de distinction des deux éléments pain et vin, en tant qu’ils représentent principalement les deux dimensions de la nourriture: le manger et le boire, et, encore plus généralement, qu’ils représentent le solide et le liquide. C’est Jésus lui-même qui suscite cette interprétation en invitant les disciples présents à la Cène à manger le pain parce que «Ceci est mon corps» et à boire le vin parce que: «Ceci est mon sang».

Laissons ici les nuances (importantes, par ailleurs) sur les sens du mot sôma, «corps» (chair). On sait que dans bien des textes néo-testamentaires[13], il déborde largement le sens qu’on lui accorde généralement. Ici, cependant, Jésus lui donne en quelque manière ce premier sens, mettant en rapport pain-corps et vin-sang dans une perspective de consommation. La dichotomie solide-liquide est tout autant principale pour le couple pain-vin que pour le couple corps-sang; ce qui peut être aisément confirmé par la conception intuitive que chacun se fera des relations suivantes:

Pain           —          Vin

Corps           —          Sang

Solide          —          Liquide

Cette complémentarité fonctionnelle apparaît également dans la perception de notre corps, la perception générale de notre corps étant qu’il comporte quelque chose de solide dans lequel circule du liquide. Les Juifs, qui attribuaient le sens de la vie au sang, opéraient la même distinction à ce niveau.

Comme les récits de créations mettent eux-mêmes en présence deux éléments, un solide et un liquide[14], il n’est pas insignifiant de distinguer ces deux mêmes aspects dans la complexion du corps humain: les os, les muscles, la chair, servent de support à une vie qui, d’autre part, est assurée par une constante circulation de liquide dont le sang, la lymphe, les hormones. La chair (os, muscles, chair proprement dite) est stable, passive, solide; le sang (lymphe, hormones, sang proprement dit) est en mouvement perpétuel, actif et liquide. La chair seule est morte, sèche; le sang seul est inutile, répandu, gaspillé. Le solide et le liquide occupent des fonctions complémentaires dans le corps humain, dans le système qu’il constitue. On peut donc admettre que, schématisé, le corps humain formé de chair et sang se comporte comme tout autre système binaire.

En poursuivant cette schématisation, on arrive à un point très intéressant où la chair comme «support» peut être perçue comme structure et le sang comme message; la nourriture, l’oxygène, les codes hormonaux maintiennent la vie dans le corps et le font fonctionner. Un nouveau couple se profile alors: structure-communication, lequel n’est pas loin du couple symbologique structure-code[15]. Ces deux couples ont beaucoup de points en commun dont la structure et le fait que code et communication soient tous deux ponctuels et évanescents.

Pour confirmer ce rapport structure-communication présent dans le corps humain, on n’a qu’à observer l’extension technique que l’homme en a fait à travers tous ces mécanismes de services inventés dans le prolongement de l’outil : un élément fluide ou énergétique est habituellement complété par une infra-structure mécanique lui servant d’appui. Que l’on passe par les systèmes domestiques de plomberie, d’électricité ou de ventilation, jusqu’aux systèmes de communication proprement dits (téléphone – satellites – systèmes de transport routier), le principe reste le même. L’informatique elle-même est conçue d’une façon binaire équivalente: «hardware» et «software»; notons les mots «dur» et «mou» qui servent à caractériser chacun des termes. On pourrait sans doute analyser tout système vivant ou vital et y retrouver le même mécanisme de fonctionnement.

Voici maintenant quelques exemples de rapports que l’on peut rapprocher du couple structure-communication:

Tableau STRUCTURE-COMMUNICATIONCette nomenclature suggère que tous les couples de mots, ou presque, seraient susceptibles de s’y adjoindre et que, tout en respectant les nuances particulières de leurs significations propres, ils pourraient présenter un rapport différentiel[16] équivalent. Autrement dit, on pourrait analyser le binaire selon tout couple différentiel défini et replacer une grande quantité de couples naturels ou symboliques sous cette nouvelle rubrique maîtresse, que ce soit le couple dur-mou, ou celui, très utilisé par ailleurs, quantité-qualité, de même pour tout autre couple.

Ainsi le couple yin-yang et le couple pain-vin peuvent servir de rubrique maîtresse pour un grand nombre (peut-on en définir la limite?) de rapports binaires, de n’importe quel type que ce soit. Dussaut, par exemple, considère que le couple pain-vin est représentatif de la vie du Christ selon les termes respectifs incarnation et passion (la dimension temporelle s’y inscrit aussi)[17].

Comme on le disait dans un premier essai, si le symbole consiste en un surgissement des structures profondes de la réalité dans le langage, on comprendra qu’un sens nouveau de l’Eucharistie s’offre à nous, et que ce sens, vu son universalité, nous rapproche de Dieu même. N’est-ce pas là ce que le Christ voulait exprimer lors de la dernière Cène en choisissant ces éléments symboliques?

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[13]. Léon-Dufour, op. cit., 141-142.
[14]. Voir «Le rond et le pointu», p. 4.
[15]. Voir «Le symbole et le réel», p. 4 et 5. Le couple structure-code est une rubrique importante en symbologie, comme en témoignent les approches contrastées de Sperber et Lévi-Strauss
[16]. Dans tous les cas, le groupement que l’on fait de deux termes s’opère selon un principe de continuité et leur finalité respective dans un rapport réciproque différentiel s’opère selon le principe de rupture. Sperber (op. cit., p. 63-69) propose une conception semblable, si l’on excepte qu’il insiste davantage sur la dimension rupture.
[17]. Dussaut, op. cit., p. 241-247.

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