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1.2 Le sens relatif du «terme symbolique»
On fera ici un pas en arrière pour reconsidérer la question de la signification d’un élément symbolique simple. Sperber montre bien l’importance des rapports comme porteurs de signification. Mais ceux qu’il appelle sémiologues[9] se laisseront-ils vraiment convaincre du «non-sens» de leurs interprétations particulières? Ne pourraient-ils pas interroger Sperber à savoir comment ses rapports peuvent seulement se réaliser si les protagonistes symboliques sont «in-signifiants»? Qu’est-ce qui permet à Sperber de dire que l’utilisation excessive du beurre lors de cérémonies est un signe de joie dans la prodigalité? Si le beurre n’était pas connu comme consommable, bon au goût et précieux, son utilisation excessive n’aurait aucune valeur de signification.
Il faut donc que le terme symbolique possède au départ une quelconque qualité qui lui appartienne en propre, complètement indépendante du contexte symbolique lui-même. En l’occurrence, le beurre possède au moins ces trois qualités, d’être consommable, bon au goût et précieux, qu’on l’utilise ou non dans le contexte symbolique précité. Il en est de même des excréments qui possèdent aussi des qualités propres, qu’il est inutile de préciser, des pierres qui sont dures, des bouses de vaches qui sont molles, et ainsi de suite.
Un autre point que soulèvera le sémiologue est encore plus troublant: si, dans le cas bien spécifique des Dorzé, la consommation d’excréments (coprophagie) prend un sens en rapport avec la consommation du beurre, bon au goût, cela voudrait dire que la signification principale de ce rituel est sans rapport avec les innombrables autres cas de coprophagie dans les rituels d’autres cultures et époques, à moins que ces occurrences se produisent dans un contexte symbolique exactement équivalent, ce qui n’est pas le cas[10].
Pour résoudre cette apparente impasse, il est bon de considérer ce qui fait la qualité propre d’un terme symbolique. Dans l’exemple du beurre, c’est surtout son usage comme nourriture qui le caractérise, et le fait que sa fabrication, dans des conditions artisanales et en quantité limitée, le rende encore plus précieux. Donc, pour ce cas, sa qualité est surtout reliée à sa réalité et plus précisément sa réalité avant tout fonctionnelle. En ce qui a trait aux excréments, si l’on s’en tient à l’interprétation de Sperber, il s’agit aussi de sa réalité fonctionnelle (qui est nulle) et, surtout, de sa réalité strictement biologique de rebut du corps animal.
On s’aperçoit aussitôt que la notion de rapport entre l’esprit et la matière s’applique très justement au sens pouvant appartenir à un terme symbolique. En effet, dans les deux exemples analysés par Sperber, la réalité matérielle impose un sens, une signification strictement objective à la réalité symbolique, c’est-à-dire qu’il n’y a pratiquement pas de distance entre le «sens objectif» du terme symbolique et sa réalité matérielle perçue par l’esprit humain. À ce point, on se situe à une extrémité de la perception du réel où le sujet s’efface pour faire place à l’objet (quoique pas absolument). L’histoire de l’utilisation subjective du beurre en tant que terme symbolique est donc d’abord fondée sur «l’expérience» quotidienne et fonctionnelle que font les gens de celui-ci. Il en est de même pour les excréments. La mise en rapport graduelle de ces deux termes, par exemple, se produit en fonction de cette expérience et acquiert bientôt, en tant que rapport symbolique, une signification supplémentaire. Le symbole est donc sujet de l’expérience et confère à des réalités matérielles ou figuratives des significations précises dans un rapport lui aussi signifiant.
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