Table des matières • 1 • 2 • 3 • 4 • 5 • 6 • 7 • 8 • 9 • 10 • 11 • 12 • 13 • Conclusion
CHAPITRE PREMIER
1.1 La structure comme préalable au sens
Du point de vue de Sperber, la symbologie doit étudier le dynamisme des rapports dans un système symbolique, plutôt que le «sens caché» de ses différents termes. Sperber se sert comme exemple d’un complexe symbolique qu’il a eu le loisir d’étudier en tant qu’ethnologue lors de son séjour chez une peuplade d’Ethiopie méridionale: les Dorzé[3].
Le premier point qui frappe l’ethnologue en assistant aux différentes fêtes et rituels dorzé est l’utilisation du beurre. Celui-ci semble être au centre de toute la vie de ce peuple[4].
Au cours de certaines fêtes, les dignitaires du village se mettent un morceau de beurre sur la tête. Les jeunes mariés, eux, s’en font littéralement un casque. L’incongruité de ce geste fait appel à l’imagination du spectateur étranger qui, issu souvent d’une culture teintée de freudisme, n’hésitera pas à accorder au beurre utilisé dans ce contexte la signification de sperme. Ayant découvert le «sens caché» du symbole, il en restera là.
Sperber a poursuivi. Ayant observé l’utilisation du beurre en dehors de ces rituels, il a été amené à se demander si celui-ci ne se trouvait pas au coeur de tout un réseau symbolique, dont les résonances seraient toutes autres que celles impliquées dans l’interprétation cryptologique du beurre en tant que sperme[5].
Une première chose se dégage de ses observations: le beurre au cours du repas quotidien est consommé fondu, et en petite quantité. On en use aussi dans le rituel des dignitaires, mais dur et en grande quantité; au cours d’une cérémonie de mariage, on l’utilise aussi, dur et en abondance, à l’excès. Pour Sperber, ce rapport modération-excès devient prégnant: le beurre, denrée précieuse et rare, dont on use très modérément au cours du repas, utilisé abondamment durant les fêtes, concourt à donner le sens de la joie dans la prodigalité.
Sperber va regrouper ainsi un ensemble d’éléments symboliques apparemment disparates. Le beurre comme bien consommable sera aussi mis en rapport avec les excréments contenus dans l’intestin d’une bête sacrifiée et consommés par le sacrificateur du village au cours d’un rituel[6]. Le beurre qui est délicieux est consommé par le peuple entier; les excréments sont consommés par le seul sacrificateur et ce fait contribue à montrer le rôle abject qu’il joue dans la structure sociale.
Les excréments reviennent eux aussi au sein du rituel, dans un autre contexte, alors qu’ils sont lancés sous forme de bouse de vache au «mendiant» du village. De plus, le fait de lancer quelque chose prend également un sens; en un autre moment, ce sont des pierres que l’on lance autour de la place du marché, dans une cérémonie structurée de la même façon que celle du mendiant[7].
Les différents éléments symboliques groupés par couples s’interpénètrent pour former un réseau complexe et cohérent, un jeu, principalement axé autour des différents personnages formant le corpus officiel du village.
Si l’on dresse un tableau des principaux éléments du complexe symbolique étudié par Sperber, on y observe aisément une cohérence, basée sur un rapport entre deux éléments qui se correspondent, soit par analogie soit par opposition, et souvent les deux en même temps[8]. Il ressort que les significations cachées sont inexistantes et que le sens surgit des rapports, ou si l’on veut, de la structure.
À partir des notions que Sperber propose, l’étude du symbole devient la recherche de tels rapports, au sein desquels un terme symbolique prend son sens grâce à son vis-à-vis contrasté.
← Page précédente | Page suivante → |
Table des matières • 1 • 2 • 3 • 4 • 5 • 6 • 7 • 8 • 9 • 10 • 11 • 12 • 13 • Conclusion