La dynamique du binaire – p. 11

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2.3.2 Les couleurs complémentaires et la nature

Une autre application de complémentarité peut être trouvée dans les couleurs. On sait entre autres que le blanc contient toutes les couleurs et fait figure de totalité. Il appert en outre que la science optique applique la notion de complémentarité à des couples de couleurs définis.

Dans Le langage des couleurs, René-Lucien Rousseau offre une interprétation des couleurs en ce sens. Bien qu’on ne puisse accorder à son étude une autorité équivalente à celle de Niels Bohr, certaines idées qui se dégagent de l’ensemble sont intéressantes et servent encore le propos de cet essai.

Au point de départ, Rousseau aborde la question de la complémentarité comme quelque chose de primordial. Il est à la recherche d’une structure absolue, solution aux problèmes que pose la compréhension du monde, et, pour lui, cette structure est justement fondée sur l’idée de complémentarité. C’est la raison pour laquelle son traité des couleurs est essentiellement articulé autour d’une polarité représentée par le couple couleurs froides (vert-bleu) – couleurs chaudes (rouge-jaune)[40].

On peut s’appuyer sur la recherche scientifique pour affirmer sans difficulté l’existence d’un principe de complémentarité relatif aux couleurs, puisque les physiciens eux-mêmes appellent complémentaires des couleurs qui, mises ensemble, produisent la sensation du blanc. D’ailleurs, il semblerait que le phénomène des «couleurs accidentelles» fonctionne selon ce principe[41].

L’application du principe de complémentarité aux couleurs a d’autres implications. D’après Rousseau, le cycle énergétique à la base de la Vie sur la Terre est fondé sur un échange entre deux parties de la Biosphère: les versants rouge et vert.

Quand on parle du vert, bien sûr, il s’agit du vaste monde végétal  vert = chlorophylle. La chlorophylle se trouve à la base de la vie végétale; c’est elle qui permet l’absorption de la lumière, processus qui permet lui-même à la plante d’absorber le gaz carbonique et d’émettre de l’oxygène[42]. Il ne faut pas oublier que la couleur d’un objet dépend de la capacité qu’il a d’absorber une certaine partie du spectre lumineux et d’en refléter une autre. Dans le cas de la plante, il reflète systématiquement le vert et absorbe les autres couleurs. Or, il semblerait que c’est principalement le rouge (et l’infrarouge), couleur complémentaire du vert, qui sert à la plante lors de l’assimilation du carbone[43]. Le rouge et l’infrarouge sont les rayons proprement calorifiques de l’ensemble du rayonnement solaire. On peut donc dire que la plante se construit en absorbant principalement de la chaleur par les rayons rouges du soleil, l’absorption du gaz carbonique, l’eau et les sels minéraux contenus dans la terre, de sorte que l’on peut considérer le végétal comme un accumulateur d’énergie. En effet, la construction principalement hydro carbonique de la plante est directement tributaire de l’absorption de lumière (énergie). Pour l’auteur, le processus est essentiellement endothermique.

Comme le dit l’adage, une pente descendue doit toujours être remontée, et ce principe s’applique de fait à l’équilibre et à l’échange énergétique au coeur de la Biosphère. Rousseau place aux deux pôles opposés de cet équilibre le végétal (vert) et les mammifères supérieurs (rouges). Le principe endothermique de la photo-synthèse est complété dans le cycle par tous les types de combustion principalement reliés à l’oxygène et nécessairement exothermiques. Bien sûr, la combustion simple (le feu) dégage de la chaleur (la flamme est rouge), mais ce qui retient l’attention de l’auteur est la couleur du sang des animaux supérieurs: rouge. Cette couleur provient de l’oxydation du fer lors du passage du sang dans les poumons; le processus permet de faire parvenir régulièrement aux cellules du corps l’oxygène nécessaire aux échanges énergétiques dont chaque cellule est responsable. Ce processus est donc aussi essentiellement exothermique[44].

Les conclusions tirées de ces remarques de l’auteur sont simples. L’équilibre énergétique de la Biosphère repose sur un mouvement à deux temps que l’on pourrait caractériser par le couple «accumulation-décharge», lequel se rapproche des autres couples semblables comme inspir-expir, systole-diastole, et autres. L’effort de construction végétal qui sert d’accumulateur d’énergie se résout dans la détente que constitue la combustion, et dans les couleurs, qui correspondent aux deux états, soit respectivement le vert et le rouge, couleurs qui sont considérées comme complémentaires, du point de vue de la physique optique.

Comme confirmation de l’existence de ces deux pôles, Rousseau fait remarquer la différence de constitution que l’on peut observer entre les structures de type végétal et de type animal. Le végétal rayonne de manière non essentiellement symétrique; au contraire de l’animal, ses différents «membres» connaissent une grande autonomie, pouvant souvent même servir à la reproduction totale d’un autre représentant de leur espèce. L’animal, lui, est essentiellement centralisé, c’est-à-dire dirigé par un système nerveux central, et aucune partie de son corps n’est réellement autonome et ne peut servir à quelque forme de «bouture» que ce soit.

Ces deux types de structure correspondent aux caractéristiques énergétiques de chaque type : le végétal est endothermique, par conséquent passif; sa structure ne requiert pas un contrôle précis des fonctions des différentes parties, celles-ci étant toutes principalement attelées à la tâche d’absorber les éléments et l’énergie nécessaire à leur construction. L’animal, par contre, est exothermique, actif de par sa nature, une centralisation est nécessaire pour coordonner l’ensemble des activités qui le caractérise, le déplacement, la manipulation, etc., qui sont, de ce point de vue, des phénomènes beaucoup plus complexes que la croissance végétale[45].

On notera pour terminer que, d’une part, le végétal déploie généralement sa structure physique sur un vecteur principalement vertical, les racines vers le bas, le feuillage vers le haut, et que, d’autre part, l’animal, lui, déploie sa structure sur un vecteur horizontal appelé «latéralité», dans laquelle on distingue de plus deux autres pôles complémentaires: la gauche et la droite. Il est remarquable que le végétal et l’animal soient axés par rapport à l’espace de façon complémentaire. Le merveilleux équilibre présidant à la structure naturelle se présente alors comme ayant pour pivot essentiel le facteur de complémentarité.

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[40]. René-Lucien Rousseau, Le langage des couleurs, St-Jean de Braye, Editions Dangles, 1980.
[41]. Ibid., p. 20. Il s’agit de l’expérience que l’on fait parfois après avoir fixé longtemps une couleur: si l’on ferme les yeux, l’impression qui subsiste est celle d’une autre couleur et, justement, sa complémentaire.
[42]. Ibid., p. 29.
[43]. Ibid., p. 24.
[44]. Ibid., p. 90 ss.
[45]. Ibid., p. 73. Une chose intéressante à noter: si l’on coupe la queue d’une marmotte en état d’hibernation, lorsque la température de son corps avoisine celle de l’air ambiant, elle repousse. Ce phénomène montre le rapprochement des deux «règnes» et situe l’importance de l’activité et, partant, de la température, pour la délimiter.

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