par Francine Dupras
Après avoir terminé ses travaux de la journée, Iôçeph s’empresse d’aller saluer Mariam qui habite la maison que lui ont laissée ses parents déjà décédés [1].
À chacune de ses visites, Iôçeph éprouve le même bonheur. Mariam l’accueille à sa manière, lumineuse et cordiale. Mais, ce soir-là, il y a dans son regard une profondeur nouvelle qui met aussitôt Iôçeph dans l’expectative. Il ne peut cependant pas se douter de ce qu’elle va lui apprendre. Comment le pourrait-il?
Un ange a visité Mariam à l’aube…
En peu de mots, la fiancée a tout dit à son fiancé. Après cette Annonce, Iôçeph ne peut retourner chez lui. Il lui faut marcher, sortir de la ville.
On dira : « La fille de Iéoiaqïm et Hana (Joachim et Anne) est enceinte avant qu’elle et son fiancé aient habité ensemble ! » Iôçeph sait comment la foule réagit dans de telles circonstances et le sort qui sera réservé à Mariam. Il n’est pas difficile d’imaginer les pensées malignes, les comportements mesquins, les regards méprisants et les railleries grossières dont Mariam sera affligée.
Marchant toujours, Iôçeph traverse les champs, le petit ruisseau qui coule dans un ravin.
Les passions des uns et des autres se déchaîneront, il en est convaincu. Le scandale sera d’autant plus grand qu’il touche la maison et la lignée de Daouid. Les faux témoignages afflueront, Mariam ayant toujours été convoitée, jalousée, plus ou moins ouvertement. Puis la vindicte de la populace déferlera sur elle, implacable, pour la mener jusqu’au châtiment ultime et public infligé à la femme adultère [2].
Portant son fardeau d’anxiété, Iôçeph atteint enfin les sommets verdoyants d’où l’on peut contempler Nazareth, toute blanche. C’est là, sur l’une de ces collines où il aime à se retirer, qu’il veut passer la nuit, priant.
– « Iaoué, que puis-je faire? » [3]
Bouleversé, Iôçeph scrute les cieux, s’attendant à découvrir les signes d’un orage prochain qui ferait écho à ses alarmes. Aucun nuage, pourtant, ne monte à l’horizon.
Alors il s’immerge dans sa mémoire, là où les rouleaux des Écritures sont toujours ouverts, y cherchant, confiant, la parole de bon conseil. Comment épargner à Mariam les cruels outrages et la fatale sentence?
Il se souvient de la chaste Shoshana, accusée injustement d’adultère. Iaoué n’a-t-il pas inspiré au jeune Daniel sa défense ? Si on ne pouvait condamner alors une fille d’Israël sans enquête et sans évidence, peut-on laisser diffamer en son temps la fille de Daouid, la très chaste Mariam? [4]
Et puis Iôçeph sait que la folie meurtrière dirigée contre Mariam ne s’abattra pas seulement sur elle. Une vive angoisse l’étreint quand il pense à l’enfant. Il prévoit déjà l’insinuation retorse et malveillante des faux docteurs, infanticides dès l’origine : « Ayant été conçu dans la faute, cet enfant n’est-il pas voué à la mort lui aussi, comme le premier fils adultérin de Daouid et Betsheba?
– « Iaoué, s’il meurt, je ferai le deuil de cet enfant unique. Je pleurerai sur l’innocent, comme on pleure sur un premier-né, promet Iôçeph. » [5]
Puis il retombe silencieux, le cœur battant, comme s’il venait d’être soulevé par une vague immense. Son amour pour Mariam s’amplifie, s’élargit, devient indicible lorsqu’il y joint celui, naissant, qu’il ressent pour l’enfant.
– « Viens vite, réponds-moi, Iaoué! Fais que je sache la route à suivre. »
Le soleil s’est couché, le ciel rougeoyant encore. Les ténèbres envahissent les rues de Nazareth qu’on ne discerne plus qu’à peine. Alors Iôçeph s’assoit sous un olivier. Toujours aux aguets d’un signe, d’une réponse. Réfléchissant.
Mariam est enceinte avant qu’ils aient habité ensemble, soit. Selon la loi, il doit la répudier puisqu’il ne l’a pas connue. Mais s’il la répudie, l’enfant qu’elle porte sera certainement invoqué contre elle comme preuve incontestable d’adultère. À Nazareth, comme partout en Israël, on sait si bien manipuler la Loi sous le couvert d’un procès. On ira probablement jusqu’à le prendre à témoin, lui, « le juste », pour mieux l’accabler, elle, « la coupable » !
Un feu brûle en lui à cette pensée, un zèle jaloux. Quand il évoque sa fiancée, il ne lui vient que les mots du Chant des chants :
Comme le lis entre les chardons,
telle ma bien-aimée entre les femmes.
Tu es toute belle, ma bien-aimé, et sans tache aucune. [6]
Qui serait en droit de lui lancer ne serait-ce qu’une seule pierre ? Comment oser même la soupçonner!
Que sa fiancée soit enceinte, cela le dépasse, mais pourquoi douterait-il, tout en elle n’est que fraîcheur. Et puis, Iaoué a déjà fait tant de merveilles ! Sara, l’épouse d’Avraâm (Abraham), Rivqa, l’épouse d’Itshaq, et Rahel, l’épouse de Iaqov, ont toutes enfanté dans des circonstances extraordinaires [7]. Elles ne sont pas les seules. Même Élisheva, l’épouse de Zekaria, cette cousine que Mariam veut aller visiter au plus tôt, ne l’appelait-on pas « la stérile »?
– « C’est toi, Élôïm, qui, au commencement, a fécondé la terre. C’est toi encore qui es à l’origine de la postérité de la maison de Daouid. Il n’est pas en mon pouvoir de pénétrer tes desseins, mais n’est-ce pas à moi de veiller sur Mariam, la fille de Daouid, et sur l’enfant que tu lui as donné ? »
Puis Iôçeph se souvient avec crainte de Sara, fille de Reouèl (Ragouël), accusée d’être la cause de la mort de ses prétendants alors que c’était Iaoué qui la préservait pour le jour où Thobia (Tobie) deviendrait son époux. [8]
– « Suis-je, moi, Iôçeph, l’Elem que tu as choisi pour Mariam, comme Thobia l’était pour Sara? »
La nuit se fait plus profonde et froide, mais Iôçeph ne tremble pas. Il se tient là, calme et silencieux, abandonné comme l’argile entre les mains du potier. Les créatures nocturnes elles-mêmes semblent se taire, comme en attente.
Enfin, le cœur à nu, Iôçeph achève sa prière à haute voix :
– « Me voici devant toi, Iaoué-Élôïm. Éveille en moi l’esprit saint. »
Une heure passe. Iôçeph veille toujours. Muet, il espère… [9]
Puis, comme sous l’effet d’une brise légère, la solution lui parvient, simple et limpide.
Le secret… Délier sa fiancée mais en secret.
S’il prend Mariam avec lui sans tarder, il n’y aura plus aucune raison de supputer, de médire ou de déblatérer sur le fait qu’elle va enfanter.
La délier en secret, c’est en même temps se lier à elle, librement, épouser sa destinée, sans recourir à quelque mensonge ou subterfuge. Il continuera de lui être fidèle, sans jamais la connaître, comme ils en avaient partagé l’intention, elle et lui, dès le temps des promesses [10]. Élôïm déterminera son dessein à son Heure et, l’heure venue, quel que soit ce dessein, il obéira.
Une grande paix l’envahit. Oui, il est juste de délier Mariam en secret. Et Iôçeph s’endort, rasséréné.
Alors seulement, comme si Iaoué-Élôïm avait attendu pour lui répondre qu’il ait pris sa résolution et révélé son coeur, l’Ange vient :
« Iôçeph, fils de Daouid, ne crains pas de prendre avec toi Mariam, ton épouse: car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Iéshoua : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » [11]
L’Ange dit à Iôçeph: « Sois avec Mariam, sois une seule chair avec elle », confirmant les noces virginales, uniques et indissolubles, attendues depuis le commencement du monde.
Illuminé par la visitation angélique, Iôçeph sait désormais que Mariam peut dire, comme Haoua la mère des vivants: « J’ai eu un fils avec Iaoué », et que lui-même le peut aussi [12]. Car Iaoué, par la voix de l’Ange, vient de sceller les épousailles de Iôçeph, le fils de Daouid, avec Mariam, la nubile enceinte prophétisée par Ishaia (Isaïe), et de leur donner part à son unique Paternité [13].
Telle fut l’Annonce faite à Iôçeph dans le secret d’un songe…
Iôçeph ouvre les yeux. Il se redresse aussitôt dans la position où il s’est assoupi, adossé au tronc d’un olivier. Puis il se lève, il se hâte! Quittant père et mère, il va rejoindre son épouse pour s’attacher à elle et être le père de Iéshoua, sauveur de son peuple.
Le voici qui frappe à la porte, au petit matin, le coeur réjoui, l’âme jubilante.
Ouvre-moi, ma soeur, mon amie,
ma colombe, ma parfaite!
Car ma tête est couverte de rosée,
mes boucles, des gouttes de la nuit. [14]
Mariam ouvre. Un sourire fleurit sur ses lèvres quand elle l’aperçoit.
– « Entre, Iôçeph », dit-elle simplement.
Au moment de franchir le seuil, Iôçeph se souvient de la parole adressée à son ancêtre Daouid : « Iaoué te bâtira lui-même une maison ». Jusqu’ici, jusqu’à cette heure, il avait vécu comme en exil et sous la tente, tourné vers l’accomplissement de cette promesse. Ici et à cette Heure, il comprend. La maison de Daouid, la maison que Iaoué lui a préparée, c’est la maison de Mariam. [15]
– « Shalom ! Paix à cette maison ! »
Puis Iôçeph suit Mariam portant le Fils à naître, à l’intérieur.
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Séquences de vie cachée
Avant-propos
Avertissement des auteurs
Mariam à l’aube
Iôçeph au réveil
Marche vers Beit Lehèm
Quarantaine
Le Secret du Roi
Au pas des exilés
Premiers mots. (Devarïm)
Index des noms hébreux
[1] Pendant la période de délai des fiançailles précédant les noces officielles, il était convenu que les fiancés demeuraient dans leur maison respective.
[2] La fiancée infidèle était considérée adultère au même titre que la femme mariée. Le châtiment était aussi la lapidation.
[3] I-E-Y-E (I-A-OU-É) sont les quatre lettres hébraïques (יהוה) formant le nom de Dieu qui fut révélé à Moshe (Moïse) :
Moïse dit à Dieu: « Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis: Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. Mais s’ils me disent: Quel est son nom?, que leur dirai-je? » Dieu dit à Moïse : « Je suis celui qui est. » Et il dit: « Voici ce que tu diras aux Israélites: ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous. » Dieu dit encore à Moïse : « Tu parleras ainsi aux Israélites: Yahvé [Iaoué], le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’a envoyé vers vous. C’est mon nom pour toujours, c’est ainsi que l’on m’invoquera de génération en génération. (Exode 3, 13-15)
Beaucoup de Juifs ne prononcent jamais ce Nom en dehors du Temple ; ils utilisent d’autres qualificatifs, et, plus généralement Adonaï, qui signifie « le Seigneur ». On évoque le précepte de ne pas prononcer « en vain » le nom de Iaoué (Exode 20, 7). Cependant, il n’y a rien qui permette de conclure que le saint Nom n’était pas invoqué et même prononcé par ailleurs avec piété – à l’époque de Iôçeph et Mariam, par exemple -, puisque c’est le Nom même que Dieu a donné à Moshe pour son peuple et que ce Nom doit être invoqué sur toute la surface de la terre, comme l’annonce le prophète : « Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures, pour qu’ils puissent tous invoquer le nom de Yahvé et le servir sous un même joug. » (Sophonie 3, 9)
« Que ton Nom soit sanctifié », proclame Iéshoua dans la prière qu’il montre à ses disciples. (Matthieu 6, 9)
[4] « À Babylone vivait un homme du nom de Ioakim (ou Iéoiaqïm). Il avait épousé une femme du nom de Suzanne (Shoshana), fille d’Helcias; elle était d’une grande beauté et craignait Dieu, car ses parents étaient des justes et avaient élevé leur fille dans la loi de Moïse. Ioakim était fort riche, un jardin était proche de sa maison, et les Juifs se rendaient chez lui en grand nombre, car on l’estimait plus que tout autre » (Daniel 13, 1-4).
Deux vieillards qui convoitaient Shoshana l’avaient menacée de porter contre elle un faux témoignage si elle ne leur cédait pas. Shoshana ayant résisté devant le piège qu’ils lui tendaient, le procès eut lieu et elle fut condamnée. Mais Dieu entendit sa plainte :
« […] comme on l’emmenait à la mort, il suscita l’esprit saint d’un jeune enfant, Daniel, qui se mit à crier ‘je suis pur du sang de cette femme!’ Tout le monde se retourna vers lui et on lui demanda : ‘Que signifient les paroles que tu as dites?’ Debout au milieu de l’assemblée, il répondit : ‘Vous êtes donc assez fous, enfants d’Israël, pour condamner sans enquête et sans évidence une fille d’Israël?’ » (Daniel 13, 45-48).
[5] Zacharie 12, 10.
[6] Ct 2, 2 et 4, 7.
[7] « Or, Abraham (Avraâm) et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont femmes » (Gn 18, 11); « Isaac (Itshaq) implora Yahvé pour sa femme, car elle était stérile; Yahvé l’exauça et sa femme Rébecca (Rivqa) devint enceinte » (Gn 25, 21); « Alors Dieu se souvint de Rachel (Rahel) [épouse de Jacob (Iaqov)], il l’exauça et la rendit féconde. Elle conçut et elle enfanta un fils; elle dit : ‘Dieu a enlevé ma honte’; et elle l’appela Joseph (Iôçeph), disant : ‘Que Yahvé m’ajoute un autre fils !’ » (Gn 30, 22-24).
[8] Prière de Sara, fille de Reouèl (Ragouël): « Tu le sais, toi, Seigneur, je suis restée pure, aucun homme ne m’a touchée, je n’ai pas déshonoré mon nom, ni celui de mon père, sur ma terre d’exil. Je suis la fille unique de mon père, il n’a pas d’autre enfant pour héritier, il n’a pas de frère auprès de lui, il ne lui reste aucun parent, à qui je doive me réserver » (Tobie 3, 14-15).
Sa prière fut agréée par Dieu; l’ange Raphaël fut envoyé pour « donner Sarra, fille de Ragouël, en épouse à Tobie, fils de Tobit, et la dégager d’Asmodée, le pire des démons. Car c’est à Tobie qu’elle revenait de droit, avant tous les autres prétendants » (Tobie 3, 17).
[9] Lamentations 3, 26.
[10] Deux étapes précédaient le mariage proprement dit : la période de la promesse, où les « promis » apprenaient à se connaître avant de décider de s’engager ou non, et celle des fiançailles, qui était déjà une prise d’engagement au sens fort du terme.
[11] Matthieu 1, 20-21.
[12] Genèse 4, 1: « L’homme connut Ève (Haoua), sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit : ‘J’ai acquis un homme de par Yahvé.’ »
[13] Matthieu 1, 22-23.
[14] Ps 16 (15) 9 et Ct 5, 2.
[15] Psaume 27 (26), 4-5 : « Une chose qu’à Yahvé je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la maison de Yahvé tous les jours de ma vie, de savourer la douceur de Yahvé, de rechercher son palais. Car il me réserve en sa hutte un abri au jour de malheur; il me cache au secret de sa tente, il m’élève sur le roc. »
Quand on lit l’Évangile de Mathieu, n’est-il pas dit que c’est l’Ange du Seigneur qui annonça à Joseph que Marie avait conçu de l’Esprit-Saint et non Marie elle-même?
De même, Joseph n’avait-il pas résolu de répudier Marie en secret mais il prit chez lui son épouse, après que l’Ange le lui ait demandé?
« 18 Or la naissance de Jésus-Christ arriva ainsi. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu’ils eussent habité ensemble, qu’elle avait conçu par la vertu du Saint-Esprit. 19 Joseph, son mari, qui était juste et ne voulait pas la diffamer, se proposa de la répudier secrètement. 20 Comme il était dans cette pensée, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe, et lui dit: » Joseph, fils de David, ne craint point de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qui est conçu en elle est du Saint-Esprit. 21 Et elle enfantera un fils, et tu lui donneras pour nom Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. » 22 Or tout cela arriva afin que fût accompli ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète:
23 Voici que la Vierge sera enceinte et enfantera un fils; et on lui donnera pour nom Emmanuel, ce qui se traduit: Dieu avec nous. 24 Réveillé de son sommeil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait commandé: il prit chez lui son épouse. »
(Mathieu 1, 18-24)
Expliquez-moi!
Emma T
Je suis très contente de votre question.
Il demeure toujours une part de spéculation lorsqu’il s’agit de la dimension « cachée » des évènements des évangiles. Cependant, il est possible de faire des progrès dans la compréhension de ces évènements, entre autres en comblant certaines lacunes qui proviennent du fait que ce que nous en savons nous parvient à travers des traductions.
Le Nouveau Testament que nous lisons en français est une traduction d’un texte original écrit en grec. L’interprétation de l’Annonciation faite à Joseph qui est donnée dans « Iôçeph au réveil » s’appuie sur un approfondissement assez récent de ce passage du point de vue exégétique.
Je reprends donc le passage tel que vous le citez: « Joseph, fils de David, ne craint point de prendre chez toi Marie ton épouse, CAR ce qui est conçu en elle est du Saint-Esprit. Et elle enfantera un fils, et tu lui donneras pour nom Jésus, CAR il sauvera son peuple de ses péchés. »
La conjonction CAR revient à deux reprises. Or, des exégètes ont fait remarquer qu’il ne s’agit pas du même « car ». Je cite ici Xavier Léon-Dufour, l’auteur du Vocabulaire de théologie biblique: « Si les traducteurs n’ont pas senti qu’il y avait une opposition entre les deux membres du message, c’est qu’ils n’ont pas été attentifs à un phénomène de la langue de l’époque, qu’on retrouve assez souvent en d’autres passages du Nouveau Testament. »
Cet exégète a proposé une traduction que des experts de la langue grecque ont approuvée. Sans entrer dans tous les détails, disons qu’il faudrait plutôt lire: « CAR, CERTES, ce qui est conçu en elle est du Saint-Esprit, MAIS TOUTEFOIS tu lui donneras pour nom Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés ».
Dans l’évangile de l’Annonciation à Mariam, la question que Mariam se pose concerne la conception virginale: « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme? » L’ange lui répond: « L’Esprit Saint viendra sur toi »… « c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé fils de Dieu ». Dans l’évangile de l’Annonciation à Iôçeph, l’ange répond également à une interrogation de Iôçeph, nécessairement différente de celle de Mariam, une interrogation qui nous révèle en quoi consiste sa crainte: selon notre interprétation, sachant ce que Mariam lui a elle-même annoncé, à savoir que la conception de l’enfant est l’oeuvre de l’Esprit Saint et que l’enfant sera appelé Fils de Dieu, Iôceph peut-il encore la prendre avec lui, l’épouser? La mission de l’ange est alors non pas de lui apprendre le rôle de l’Esprit Saint mais de confirmer ses épousailles avec Mariam: « Ne crains pas de prendre avec toi Mariam ton épouse, CAR, CERTES, l’enfant qu’elle a conçu est de l’Esprit Saint, MAIS TOUTEFOIS tu lui donneras le nom de Ieschoua car c’est lui qui sauvera le peuple de ses péchés.
L’ange vient donc confirmer Iôçeph dans son lien à Mariam: « Ne crains pas de prendre avec toi Mariam TON ÉPOUSE », et dans son lien à l’enfant qui va naître: « TU lui donneras le nom de Ieschoua ».
Pour répondre à votre seconde question: « Joseph n’avait-il pas résolu de répudier Marie en secret mais il prit chez lui son épouse, APRÈS que l’Ange le lui ait demandé? », c’est le mot « secret » qui est la clé de l’explication. En effet, l’idée même d’une répudiation nous permet de comprendre toute la portée du secret dans la résolution prise par Iôçeph.
Voici un extrait d’un modèle de lettre de répudiation conservée dans les Talmuds: « agissant en pleine liberté et sans subir aucune pression, j’ai RÉPUDIÉ, RENVOYÉ et EXPULSÉ toi (suivent les noms de la femme)… » Une « répudiation » en tant que telle ne peut être secrète dans la mesure où elle consiste en une séparation des deux personnes initialement engagées l’une envers l’autre; elle est nécessairement visible et publique. Nous pensons que Iôçeph, en tant qu’il était justement un homme « juste », tenait à faire tout ce qui était en son pouvoir pour éviter l’opprobre à Mariam et pour empêcher tout ce qui pourrait survenir de mal à l’enfant. C’est pourquoi répudier Mariam en secret impliquait pour lui qu’il ne la renverrait pas, qu’il ne l’expulserait pas, mais la prendrait avec lui; Mariam et lui seraient les seuls à savoir que le lien des fiançailles était rompu. Ce que l’ange dit à Iôçeph, c’est que, non seulement il n’a plus à craindre de prendre avec lui Mariam et l’enfant qu’elle porte, mais il n’a pas besoin de recourir à une répudiation secrète: Iôçeph lui-même fait partie du projet de IHVH-Adonaï, annoncé par cette conception virginale, et ce à part entière.
En terminant, j’aimerais vous partager le principe de base qui oriente nos choix de traduction lorsqu’il existe une part irrémédiable de spéculation. Dans les méditations « Mariam à l’aube! » et « Marche vers Beit Lehèm » de Jean-Marc Rufiange, comme dans celle de « Iôçeph au réveil » et les autres méditations que nous publierons dans cette foulée, nous voudrions que nos lecteurs retiennent qu’à nos yeux, la qualité du rapport que l’on peut supposer avoir existé entre Iôçeph et Mariam joue un rôle primordial dans les choix de traduction que nous faisons. C’est ainsi qu’il implique que Mariam, d’une manière ou d’une autre, ait vraisemblablement fait elle-même l’annonce à son fiancé Iôçeph, à la première occasion. Il n’aurait pas été juste de le laisser dans l’obscurité en regard d’un évènement qui l’impliquait au premier chef en tant que fiancé, sachant d’autant plus le caractère solennel accordé à l’engagement de fiançailles à cette époque parmi le petit reste des juifs imbus des Écritures et des principes de sagesse de la Torah, dont Mariam et Iôçeph faisaient partie.
Tout d’abord: Bonne, Heureuse et Sainte Année 2014!
Merci pour votre texte méditatif qui me permet de changer de perspective quant à ce passage de l’évangile qui m’a toujours un peu intriguée. Je trouve que votre texte apporte une belle grandeur d’âme à Joseph et me le fait voir comme un homme prévenant plutôt que passif.
J’ai une question pour vous. Dans votre texte vous mentionnez « peut-on laisser diffamer en son temps la fille de David, la très chaste Mariam ? ».
Je cherche depuis quelque temps à trouver les références qui font que non seulement Joseph est de la maison de David mais aussi Marie (car cela me semblerait logique) mais je n’y suis pas arrivée. Je sais que les Pères de l’Église ont associé les prophéties d’Isaïe, particulièrement celle concernant la racine de Jessé », à Marie, démontrant ainsi qu’elle était de la lignée de David, mais cela demeure une tradition, une interprétation. Comme vous mentionnez dans votre texte que Marie est fille de David, je voulais savoir si vous aviez des références à me suggérer pour m’aider dans ma recherche. Merci!
Louise,
Il y a deux thèses majeures concernant la généalogie de Mariam: pour les uns, elle est effectivement fille de David, pour les autres, fille de Lévi. Ceux et celles qui ont écrit sur la question puisent leurs raisons à différentes sources mais une source leur est toutefois commune: les Écritures.
La thèse qui avance que Mariam est fille de Lévi s’appuie essentiellement sur le fait que l’ange lui ait dit: « Élishéba, TA PARENTE, vient elle aussi de concevoir un fils » (Luc 1, 36), et que Luc précise dans son évangile qu’Élishéba était « descendante d’Aaron » (Luc 1, 5), donc de la tribu de Lévi.
De même, ce sont principalement des références bibliques qui sont à la base de notre position, bien que nous tenons aussi compte de certains éléments de la tradition. Je vais essayer de vous présenter ces arguments sans trop entrer dans les détails.
Posons dès le départ que, selon notre manière de comprendre l’exégèse, nous ne pouvons faire fi d’une référence biblique au profit d’une autre; nous ne pouvons privilégier l’ascendance davidique de Mariam sans aussi rendre compte du fait que Luc spécifie que sa parente Élishéba est de la tribu de Lévi. Il faudra conserver les deux tout en accordant la priorité à la descendance davidique, conformément aux usages reflétés dans les Écritures.
Il y a d’abord un détail, souvent oublié, que mentionne Luc :
« Iôçeph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Beit Lehèm, – parce qu’il était de la maison et de la lignée de David afin de se faire recenser AVEC MARIAM… » (Luc 2, 4-5)
Certains auteurs ont soutenu que la présence de Mariam au recensement n’était pas nécessaire, que seul Iôçeph y était contraint. Il est vrai que l’époux pouvait lui-même inscrire son épouse ainsi que les enfants, mais cette règle ne s’appliquait pas dans le cas d’une héritière. Or, selon plusieurs exégètes – et ici nous suivons certains éléments de la tradition qui voient Mariam comme fille unique -, la mention de Luc voulant que Iôçeph se soit fait recenser AVEC MARIAM pourrait indiquer que Mariam était une héritière. N’ayant ni frère ni sœur, elle aurait hérité du nom de son père, ainsi que du patrimoine, et était tenue pour cela de se faire recenser elle aussi dans sa ville: Beit Lehèm, la ville de David, comme Iôçeph.
On peut aussi et peut-être principalement inférer la descendance davidique de Mariam de la logique sous-jacente à son mariage avec Iôçeph. La pierre angulaire de notre argumentation est le fait que, dans l’évangile de Matthieu, l’ange se soit adressé à Iôçeph, le fiancé de Mariam, en l’appelant « fils de David » (Matthieu 1, 20) et qu’il est désigné de même dans l’évangile de Luc: « un homme de la maison de David » (Luc 1, 27) et « fils de la maison et de la lignée de David » (Luc 2, 4). Il ne faut jamais oublier qu’il y a un mariage à la base de l’Incarnation du Fils de Dieu et que ce mariage devait répondre à un nombre important d’exigences légales mais aussi de fondements symboliques.
Lorsque j’ai reçu votre commentaire, je venais de lire attentivement le Livre de Tobie, car il me semblait que Iôçeph, connaissant les Écritures, devait avoir un intérêt particulier pour l’histoire de Tobiah et Sara, ce que j’évoque dans «Iôçeph au réveil». Je vais me servir de ce texte comme base d’explication, parce qu’il y est question d’une règle particulière qui régissait le choix des époux.
Tobit dit à son fils Tobiah: « Choisis une femme du sang de tes pères. Ne prends pas une femme étrangère à la tribu de ton père, parce que nous sommes les fils des prophètes. Souviens-toi de Noé, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, nos pères dès le commencement. Ils ont tous pris une femme dans leur parenté, et ils ont été bénis dans leurs enfants, et leur race aura la terre en héritage. » (Tobie 4, 12) Pour faire le choix de son épouse, Tobiah devait suivre l’exemple hautement significatif de Noé, Abraham, Issac et Jacob, parce qu’il comptait parmi « les fils des prophètes ». Iôçeph était lui-même fils de la maison et de la lignée de David, dans laquelle devait naître le Roi-Mashiah (Messie). Il avait donc de puissants motifs pour choisir une femme « du sang » de David.
Du côté de la femme, des normes devaient également s’appliquer. En poursuivant la lecture du Livre de Tobie, on s’aperçoit que le fait d’être une héritière avait aussi des incidences sur le choix de l’époux. Ainsi, les parents de Sara n’avaient pas vraiment le choix parmi les prétendants du fait que leur fille Sara était elle-même une héritière. C’est pourquoi Raphaël dit à Tobiah: « Ce soir nous devons loger chez Ragouël, c’est un parent à toi. Il a une fille du nom de Sara, mais, à part Sara, il n’a ni garçon ni fille. Or c’est toi SON PLUS PROCHE PARENT, elle te revient par priorité, et tu peux prétendre à l’héritage de son père… Je certifie que Ragouël n’a absolument pas le droit de te la refuser, ou de la fiancer à un autre. Ce serait encourir la mort, d’après les termes du livre de Moïse, du moment qu’il saurait que la parenté te donne avant tout autre le droit de prendre sa fille. » (Tobie 6, 11-13)
Dans le cas où Mariam serait une héritière, ce que permet de supposer le récit du recensement à Beit Lehèm, il est vraisemblable de penser que sa parenté, ou elle-même, aient envisagé le choix d’un époux selon ce critère. Et si, dans cette perspective, Mariam fut fiancée à Iôçeph, c’est donc qu’il était SON PLUS PROCHE PARENT, et donc que Mariam était elle-même de la tribu de Juda, de la maison de David. Ce qui ne l’empêchait pas d’être apparentée à Élishéba, de la maison de Lévi, du côté de sa mère, par exemple.
P.S.: Je vous souhaite également une bonne année 2014!
Merci beaucoup, j’aime la lecture que vous faite du texte de Tobie. On voit que le projet de Dieu est vraiment ancrée dans l’histoire et la tradition. C’est logique!
Il y a queque chose que je ne comprends pas dans votre texte Madame Dupras. Pour quoi dit’on « Sois avec Mariam, sois une seule chair avec Elle ». Il me semble que l’on a toujours dit ou entendue que Marie et Joseph était demeurés chaste, il y a queque chose qui m’échappe … Merci pour votre attention.
Bonsoir Marielle,
Je vous remercie de votre question et de votre patience à attendre la réponse.
Votre commentaire semble sous-entendre que vous comprenez l’expression «sois une seule chair avec Elle» dans un sens qui contredirait le caractère virginal du mariage de Mariam et Iôçeph. Or, dans « Iôçeph au réveil », le sens de la chair auquel réfère l’expression qui vous fait problème n’a aucune connotation sexuelle. En effet, la phrase complète dit bien : «L’Ange dit à Iôçeph: Sois avec Mariam, sois une seule chair avec elle, confirmant les noces virginales, uniques et indissolubles, attendues depuis le commencement du monde.»
Si j’ai tardé à vous répondre c’est que votre question a pour ainsi dire provoqué l’écriture d’un texte, en collaboration avec Jean-Marc Rufiange, qui traite de manière plus élaborée de l’enjeu que vous avez soulevé avec raison. Ce texte s’intitule : « Une seule chair. Essai sur le mariage de Iossef et Mariam ».
Que d’émotions…Joseph et Mariam émergent, leurs STATUES de plâtre se désagrègent… ils sont bien vivants.
Ils ont vécus dans leur temps ces moments intenses qui se répercutent avec force aujourd’hui.
Mme Dupras vous me faites participer à leur quotidien , c’est tellement réel
un langage simple , précis , attentif aux évènements , à leurs répercussions..
Mariam et Joseph sont visités par un Ange ! À chacun son message…
C’est spécial et cela engendre des réflexions profondes dans le cours de l’humanité.
Comment ne pas suivre leur exemple dans ma vie !
L’ACCUEIL d’ une grâce , l’effet que produit celle-ci dans ma vie spirituelle et sociale.
Je m’engage à suivre la voie inspirée par Dieu : l’aimer jusqu’au bout !
Des détachements s’imposent , comment les vivre et les assumer …
En parler… Cette grâce ne peut rester cachée.
Prier… c ‘est primordial de se centrer sur l’essentiel.
Lire les écritures … Elles révèlent la conduite suivie par nos prédécesseurs , la parole de Dieu est très vivante , s’y inspirer conforte aujourd’hui.
Chercher le bon conseil , pas ce que je veux entendre … ce que l’Esprit Saint veut me dire…
Ma décision engendre des interrogations , des scissions , des railleries , des doutes dans mon entourage.
Seule la correspondance au plan de Dieu apaise , fortifie et éclaire ,
l’engagement.
Merci d’avoir renouveler cet instant : celui de mon OUI , qui me permet aujourd’hui de raffermir avec conviction mon engagement de vivre sereinement et amoureusement ce choix devenu quotidien.
Lise Tancrède