Le symbole et le réel – p. 12

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2.5 Matière et esprit: pôles synchroniques

La signification autonome dont parle Jung pourrait être rapprochée d’une correspondance structurelle «archétype-archégène» au coeur du couple matière-esprit. De même que l’on se retrouvait, avec Chauvet, face à une polarisation entre symbole et signe, comme extrêmes du langage, on rencontre, chez Jung, une nouvelle polarisation entre deux extrêmes du réel: la «nature» (matière) et la psyché (esprit).

Je ne pourrai rien objecter contre l’hypothèse qui verrait dans la psyché une qualité de la matière, ou dans la matière l’aspect concret de la psyché, si l’on accepte préalablement la définition de la «psyché» comme «inconscient collectif» […] En raison du caractère inaliénable des phénomènes psychiques, il ne peut pas y avoir d’accès unique au secret de l’être, mais il doit en exister au moins deux : à savoir l’événement matériel d’une part et le reflet psychique d’autre part, ce qui ne permettra sans doute jamais de décider où est le reflet et où est la chose reflétée[37].

Cette polarité matière-esprit est considérée par Jung comme «un seul et même élément vital[38]». Une manifestation intéressante de ce phénomène a provoqué son intérêt pour la physique et son amitié avec le physicien Wolfgang Pauli: la ressemblance des formes interprétatives de la science physique et de l’étude de l’inconscient.

Jung s’est concentré sur l’exploration empirique de ce dernier (inconscient) et découvrit, après coup, à sa grande surprise, qu’il avait développé, dans l’exploration de l’inconscient collectif, des modèles de pensée et des concepts qui révélaient une étonnante correspondance avec ceux de la microphysique, comme par exemple le concept de complémentarité […]; la nécessité d’introduire dans la description les hypothèses conscientes de «l’observateur» […] Ainsi s’est créé un certain parallélisme des modèles de pensée dans les deux domaines de recherche[39].

À première vue, ce parallélisme pourrait être compris comme simplement herméneutique, ce qui demeurerait, du reste, frappant. Mais Jung s’est interrogé plus à fond sur cette question en regard de certaines coïncidences quotidiennes, vécues par tout un chacun, qui montrent encore l’existence d’une interaction réelle des pôles matière-esprit:

Il (la synchronicité) consiste en ce qu’un symbole constellé dans l’univers intérieur psychique, par exemple une image de rêve, une vision à l’état de veille, une idée spontanée ou un phantasme né de l’inconscient coïncident d’une façon «merveilleuse», inexplicable d’une manière causale et rationnelle, avec un événement de même sens dans le monde extérieur[40].

La «coïncidence» observée ainsi n’est que le reflet de la réalité synchronique formant l’axe du réel: à un événement matériel précis correspond son événement psychique respectif, ou l’inverse. Cet étagement du réel a aussi frappé d’autres savants. Werner Nowacki s’exprime avec encore plus de clarté que Jung en comparant les éléments de symétrie des formes cristallines et les structures psychiques:

Les groupes de symétrie sont à la base de la matière cristallisée, comme des sortes d’images primordiales; ce sont les modèles ou patterns essentiels selon lesquels la matière se dispose dans le cristal[41].

Les patterns retrouvés à la base de la structure archétypale font s’emporter le savant:

L’analogie entre les éléments de symétrie et les archétypes est à l’évidence extraordinairement forte. C’est le pivot de la structure de la réalité[42].

La conclusion est rapide, bien sûr, l’analogie elle-même est débordée par quantité d’autres rapports possibles psyché-nature, qui pourraient aussi servir de «pivot» de la structure de la réalité. Cependant, on peut retenir des remarques de Jung, Pauli et Nowacki la possibilité d’une analogie ou communauté de structure de la matière et de l’esprit, à la base du phénomène synchronistique.

Finalement, le schéma déjà amorcé précédemment se verra modifié à nouveau pour dépasser l’assimilation matière-réel. On pourra désormais rendre compte du rapport entre la réalité et le symbolisme puisque celui-ci, en fait, est «réalité», et qu’il l’est tant qu’il se fonde sur la complémentarité matière-esprit.

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[37]. Von Franz, op.cit., p. 31, voir note 5 en bas de page.
[38]. Von Franz, op. cit., p. 28.
[39]. Ibid, p. 29.
[40]. Ibid., p. 29-30.
[41]. Von Franz, op. cit., p. 70.
[42]. Ibid, p. 70-71.

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