Écologie et trisomie 21

Jeune adulte, j’ai lu un roman de Morris L. West intitulé: «Les bouffons de Dieu». C’est l’histoire d’un pape qui a la révélation de la fin du monde et qui doit l’annoncer à l’humanité dans une encyclique. Ce qui me revient à la mémoire dans le contexte de mon sujet, l’écologie sociopolitique, c’est un aspect particulier traité dans le roman: le sort réservé aux enfants «déficients». Dans une société obnubilée par le profit et la performance, avatars économiques d’une conception effrénée du progrès, ces enfants sont considérés comme un passif, un poids mort pour le système. Dans la perspective d’un écologisme froidement mercantile, l’extinction de cette espèce d’êtres humains devient alors une mesure souhaitable, et même rentable. Dans le roman, c’est ce qui est projeté en secret par des décideurs sans scrupule.

D’un point de vue sociopolitique, il existe effectivement une idéologie du progrès qui prône la survie des plus aptes, et donc l’élimination des moins aptes, afin d’améliorer la qualité de la vie humaine dans son ensemble. Certains appellent cette idéologie le darwinisme social. Si Charles Darwin lui-même n’a jamais fait d’application de sa théorie de l’évolution à la société humaine, d’autres semblent s’en être chargés. Ainsi, Adolf Hitler a-t-il fait éliminer des enfants trisomiques, entre autres…

Ce qui m’amène à ce qui me préoccupe chez nous, dans notre société démocratique québécoise. Récemment, des gynécologues ont dénoncé le fait que l’accès à un test plus fiable de la trisomie 21 (syndrome de Down) était trop limité. Dans les hôpitaux déjà surchargés, on ne fournit plus à la demande des femmes qui désirent une échographie pour connaître leur probabilité d’avoir un enfant trisomique. Suivant les résultats de l’échographie, elles peuvent décider de subir une amniocentèse (un test plus avancé), qui comporte des risques de fausse-couche, ou encore de se faire avorter. En France, 96% des enfants trisomiques «détectés» avant la naissance sont avortés.

Ni au Québec, ni en France, on ne préconise l’élimination des enfants trisomiques, mais il peut y avoir une manière de présenter ce handicap comme une tare tellement grande qu’il justifierait qu’on «épargne» à cet enfant l’éventualité (les tests ne sont pas sûrs à 100%) de vivre dans cette condition. Le ferait-on si on savait d’avance qu’un enfant «risque» de naître aveugle, affligé d’une maladie congénitale ou dégénérative, ou d’une autre forme de déficience? Le poids que représentent les soins que l’on devra lui prodiguer, la peine de le voir ainsi diminué par rapport aux autres enfants, sont-ils des motifs suffisants pour lui nier l’opportunité de vivre et de se développer dans la mesure qui sera la sienne? Ces enfants «pas comme les autres» sont-ils irrémédiablement condamnés à une existence pénible, ainsi que leurs proches, à cause de leur handicap?

Francine D. Pelletier

 

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6 Responses to Écologie et trisomie 21

  1. Hélèna dit :

    Je travaille moi-même dans le milieu de santé et, bien que la maladie ne soit jamais facile à vivre, je suis contre toute forme d’élimination des plus faibles ou de plus malades. Chaque partie de moi-même s’insurge contre cette réalité et je ne peux croire que nous sommes rendus si bas, si égocentré.

    D’ailleurs, une personne proche de moi me disait qu’une bonne amie d’enfance avait elle-même eu le diagnostic de trisomie 21 avant sa naissance. Ses parents avaient décidés de la garder, et à la naissance, ils ont eu la joie de découvrir qu’elle n’avait aucune déficience. Félicitations à ces parents qui avaient décidés d’aimer cette enfant pour le meilleur et pour le pire, de la prendre telle qu’elle était.

    J’ajoute que dans les hôpitaux, aucun professionnel, ou du moins ils sont rares, n’aime ce genre de pratique. Chacun s’entend pour dire « that de dark part of the medecine ».

    Bravo pour ce blogue et cette réflexion essentielle.

    • Francine D. Pelletier dit :

      Hélèna,

      Merci de votre encouragement.

      L’information suivante risque de vous intéresser. Une enquête menée sous la direction du Dr Brian Skotko du Centre hospitalier pour enfants de Boston – parue dans l’American Journal of Medical Genetics – dresse un bilan fort positif de la vie des personnes trisomiques et de leur famille. Ce qui a fait dire au bioéthicien Art Caplan de l’Université de Pennsylvanie qu’en brossant un portrait essentiellement négatif de la vie des enfants trisomiques et de leur entourage, on pesait indûment sur la décision des futurs parents. (Pour prendre connaissance des résultats de cette enquête:
      http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/ajmg.a.34293)

      Notre société démocratique aime se définir comme une société qui permet le libre choix sur beaucoup de questions fondamentales: la vie humaine, de la conception à la mort, en est une à plusieurs volets. À cet égard, nos choix personnels sont-ils vraiment libres? Comme on peut le voir dans le cas de la trisomie 21, il y a des manières de présenter les choses qui peuvent peser sur nos décisions.

      Il y a aussi des «choix de société» qui agissent comme des injonctions dans notre milieu de travail, comme vous le mentionnez à propos des professionnels de la santé. Ils se retrouvent face à des pratiques qu’ils n’approuvent pas mais auxquelles ils se résignent comme faisant partie du «côté obscur» de la médecine. Or, ces supposés «choix» de société se font sous l’influence de considérations idéologiques, politico-économiques, à propos desquelles vous et moi ne sommes pas consultés et qui s’imposent à nous, on ne sait trop d’où ni par qui.

      Doit-on s’y résigner ou s’en indigner? Étant donné les implications, je pense qu’on ne peut pas en rester là.

  2. Gaby dit :

    Voici deux situations qui se présentent à mon esprit :

    Une coiffeuse, que j’ai connue, a donné naissance à une enfant trisomique. En l’apprenant, son conjoint l’a laissée, incapable de faire face à la difficulté. Elle se retrouve donc seule avec sa petite fille qui, âgée d’une dizaine d’années, fait sa joie et sa raison de vivre. Elle m’expliquait qu’il y a plusieurs types trisomie et les handicaps sont plus ou moins sévères selon le type. Ne lui dites pas qu’elle aurait été mieux de se faire avorter.

    Il y a quelques années j’ai visionné un documentaire tourné justement en France. Nous y suivions deux familles depuis l’annonce faite par le médecin que leur enfant à naître serait trisomique. La première dame se fait avorter alors que l’autre couple décide de laisser vivre l’enfant. Et devinez qui étaient les plus heureux quelques années plus tard? Vous l’aviez deviné : visages moroses, propos déprimants et stérérilté par crainte d’avoir un autre enfant trisomique chez le premier couple; alors que vitalité, jeux, cris de joie, fous rire, complicité dans la famille qui entoure l’enfant trisomique, car d’autres naissances ont suivi, sans présence de handicap.

    Nous parlons ici d’une souffrance très particulière, mais aussi d’attitudes face aux évènements de la vie; car pour tous, dans la vie, il y a le « meilleur » et le « pire »; personne n’y échappe. Alors comment réagirons nous? Lâchement? Héroïquement? Banalement? Généreusement? La liste peut s’allonger selon les personnes

    Ce que l’on n’accepte pas toujours, c’est que si on refuse le « pire », on se prive du « meilleur ».

    Ps : le deuxième couple croyait en Dieu.

  3. Louise dit :

    Mme Pelletier,
    Votre blogue nous invite à prendre conscience des contraintes qui nous sont imposées par la société actuelle. Effectivement, pourquoi serait-ce nécessairement un malheur? Les chances sont 50/50 alors pourquoi doit-on s’obliger à trancher au cas où. Comme Gaby l’exprime dans ses propres termes, c’est qu’on a peur du pire! Et puis quoi après! Pourtant, nous vivons dans un pays en paix, dans une situation économique respectable si on se compare à d’autres, avec des technologies assez avancées pour traiter toutes sortes d’infirmité alors on craindrait plus d’élever un enfant trisomique qu’un enfant sidatif (pour ne citer que celui-là!).

    Il y a une chanson rap qui m’a fait réfléchir et je vous ai cité un passage du chanteur DMC – je crois qu’il parle de lui-même – et c’est particulièrement la dernière phrase qui m’a frappée:

    « 1964, uhh! Here we go, aiyyo
    The child was born it was a beautiful day
    It was 1964, the 31st of May
    The girl gave birth to a baby boy
    He’s not a burden, he’s a bundle of joy
    She was just a young girl in her youth
    And her parents tried real hard to hide the truth
    Is there a chance for the baby to live?
    That is a chance that you gotta give »

    Elle est où notre confiance? On cherche tellement à tout planifier, au quart de tour – est-ce qu’on est plus heureux avec notre vie « parfaite »? Où est l’espace pour laisser Dieu agir? Et malgré nous, il agit toujours! Oufff… une chance!

  4. Colette dit :

    Madame Pelletier,
    Voici une histoire que je viens tout juste de lire à propos du sujet que vous traitez. Cette histoire raconte que le révérend Thomas Vander Woude, pasteur à l’église catholique Sainte Trinité à Gainesville, en Virginie, fut informé qu’un jeune couple avait planifié un avortement de leur enfant qui avait été diagnostiqué trisomique. Remué par cette nouvelle et désireux d’empêcher l’avortement, il offrit aux futurs parents la possibilité de trouver lui-même une famille d’adoption si toutefois, ils décidaient de mener l’enfant à terme. La jeune femme était déjà à un peu moins de six mois de grossesse, la situation était urgente.

    Le couple accepta. Un appel fut placé immédiatement sur Facebook demandant aux intéressés d’appeler après 9h30 au secrétariat de l’église ou d’envoyer un courriel au père Vander Wood. Les appels téléphoniques commencèrent non-stop à partir de 9h30. Et «le père Vander Woude a obtenu plus de 900 courriels au sujet de l’enfant».

    Le père Woode raconte encore que dans sa propre famille, il est l’aîné de 8 garçons et le dernier qui s’appelle Joseph est trisomique. Un jour, son père qui s’appelle aussi Thomas, se porta au secours de son fils Joseph qui était tombé dans la fosse septique. Il sauta dans la fosse pour aller le chercher et le monta au-dessus de sa tête dans l’espoir de lui sauver la vie. Joseph obtint du secours mais le père y laissa sa vie.

    Ces deux faits vécus nous montrent que la trisomie est largement accueillie dans notre société actuelle. En réponse à l’annonce publiée sur Facebook, plusieurs courriels provenaient notamment de partout dans le monde, incluant les États-Unis, l’Angleterre, Puerto Rico et les Pays-Bas. Vouloir une société qui se débarrasse des handicapés est plutôt signe de désespérance. Elle évacue aussi par le fait même le dévouement de nombreuses familles. Certaines de ces familles témoignent que ces enfants sont une source de joie et pour les parents et pour les autres enfants.

  5. Hélèna dit :

    Vraiment merci d’avoir transmis cette histoire; j’avoue que vous avez réussi à me faire pleurer. La trempe des Thomas Vander Wood, père et fils, est d’une rare beauté.

    Leur fougue, leur dévouement… redonne accès à la quintessence de la vie.

    Et 900 réponses pour s’occuper de cet enfant, c’est vraiment impressionnant.
     » Donnez, et l’on vous donnera; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante! »

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