La subversion et les deux lignages

La problématique des rapports entre Dieu et l’humanité aurait-elle de tout temps des racines politiques liées à l’exercice de la domination? En tout cas, selon la Genèse, la première rupture des relations se serait produite sous l’influence d’un agent subversif: «Non, vous ne mourrez pas», affirme le serpent persifleur. «Mais Yahweh Elohim sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal» (Genèse 3, 5).

Un agent «subversif», c’est quelqu’un qui cherche à renverser l’ordre établi. En l’occurrence, le serpent cherche à renverser l’ordre établi par Yahweh Elohim. Il y tend, mais il en est incapable puisque Dieu est souverain. Il ne peut donc que faire miroiter un nouvel ordre «trompeur»: «Le serpent m’a trompée», dira la Ischah (que l’on traduit par «la femme»).

Quel est l’essentiel de cette tromperie? Renverser les rôles: C’est Yahweh Elohim le mystificateur. La mise en garde qu’il adresse à l’Adam aurait pour véritable but de se réserver abusivement la connaissance du bien et du mal, ce privilège des dieux. En «réalité», insinue le serpent, l’être humain serait en droit de s’accaparer cette prérogative. Tel Prométhée s’emparant du feu du ciel dans la mythologie grecque.

À partir de cette usurpation s’enclenche une quête liée à la convoitise des privilèges qui pervertit le sens de la domination: pourquoi ce pouvoir appartiendrait-il aux uns plutôt qu’aux autres? Qui doit dominer? Les sémites ou les aryens? Les empereurs chrétiens ou ottomans? Les Américains ou les Chinois? L’Est ou l’Ouest? Le Nord ou le Sud? L’esprit ou le corps? La tête ou le cœur? Les jeunes ou les vieux? L’homme ou la femme?… La subversion se traduit en un nombre indéfini d’oppositions, qui dégénèrent souvent au point de se muer en tendances meurtrières entre les vis-à-vis. Car il s’agit d’abord et avant tout de dominer SUR l’autre.

Par la subversion, l’exercice de la domination se désaxe du principe de la souveraineté de Dieu pour s’axer sur les droits prétendus de l’Adam. Exercer la domination devient dès lors l’imposition d’un joug pesant, avilissant, exploiteur et même destructeur pour ceux qui ont à le porter. Ainsi va l’histoire, les élites d’un temps se réfugiant derrière les murs bien gardés de leur caste pour jouir des bénéfices du pouvoir, en attendant la prise de pouvoir par une caste subséquente. C’est l’ordre de la corruption politique et ultimement de la mort sous toutes ses formes.

Mais Yahweh Elohim, aussitôt la rupture consommée et la sanction nécessitée, met les pendules à l’heure. Il n’y a pas d’opposition entre Lui et l’humanité, ni un ordre prétendu des choses qui déclinerait les oppositions entre les uns et les autres, jusqu’à vouloir opposer… le chien CARNIVORE au cheval HERBIVORE!

Il n’y a qu’une seule inimitié irréductible: l’inimitié entre deux lignages.

Yahweh Elohim dit au serpent: «Je mettrai une inimitié entre toi et la Ischah, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon» (Genèse 3, 15).

C’est donc par la voie du lignage de la Ischah que viendra le rétablissement de la justice et le relèvement de toute l’humanité. Par le lignage de… la Femme ??? Surprenant, quand on a l’habitude de parcourir l’histoire juive comme suivant une lignée patriarcale! Même la lignée de David, fils de Jessé, en serait issue.

Mais c’est aussi en suivant cette lignée que l’on parvient à… Marie.

Francine D. Pelletier

Prochain blogue : Le lignage de la Ischah et la lignée de David.

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12 Responses to La subversion et les deux lignages

  1. Hélèna dit :

    Ces considérations me rappèlent la révolution islamiste de 1979 en Iran. C’est à la lecture de l’autobiographie de la reine Farah que j’ai découvert l’horreur incroyable de cette révolution. Je n’ai pas étudié en détail le parcours politique du dernier roi d’Iran… a-t-il fait des choix discutables ? J’imagine que oui, tous les choix se discutent… mais j’en sais assez pour dire que dans les années 70, le roi n’a pas eu la vie facile, et qu’il a fait de son mieux pour son pays. Pourtant, le seul symbole de son autorité était devenu insupportable à certains, lesquels ont cru de leur droit de forcer le roi à s’exiler, et ont tué à bout portant les membres restants de son gouvernement. Ils ont pris particulièrement soin de violer les femmes qui étaient alors en autorité « afin qu’elles ne puissent pas aller au ciel ». Je trouve que c’est hors de proportion, pourquoi tant de haine envers ces personnes et particulièrement envers ces femmes ? Votre blogue m’apporte des pistes de réflexions à ces questions, mais surtout il ouvre vers une possibilité de dénouement.

  2. Francine D. Pelletier dit :

    @Hélèna

    Je suis ravie que vous apportiez l’exemple de la révolution iranienne. Cet événement avait alors retenu mon attention et je m’aperçois qu’il révèle des enjeux politiques inattendus relatifs aux deux lignages.

    Dans le Coran, on fait l’éloge de Fatima, la fille préférée de Mahomet, mais l’on dit de Myriam qu’elle est la plus grande car elle fut préservée du péché. Myriam, c’est évidemment Marie, la mère de Jésus que les musulmans considèrent comme un prophète-messager, non comme le Roi-Messie annoncé dans la Bible. On pourrait donc dire que les musulmans se trouvent ainsi à ignorer la lignée de David et la promesse d’une « dynastie établie pour toujours » dont cette lignée est porteuse. Sont-ils pour autant de l’autre lignage, ce qui expliquerait l’inimitié séculaire entre juifs et musulmans, et même entre chrétiens et musulmans? Il est périlleux de catégoriser ainsi, comme il serait périlleux d’interpréter le lignage de la Ischah comme annonçant l’avènement d’un matriarcat, lequel se substituerait au patriarcat plusieurs fois millénaire et toujours implicite de nos mœurs politiques. Certains pourraient légitimement fustiger les pays musulmans de stricte observance pour le sort qu’ils réservent aux femmes, mais, que les peuples qui n’ont rien à se reprocher à cet égard leur lancent la première pierre ! La France très chrétienne, fille aînée de l’Église, imposait la loi salique qui excluait les femmes de l’exercice de la royauté. Et la Révolution française peut certainement compétitionner avec l’iranienne en fait d’horreurs.

    J’ai été impressionnée en lisant que le shah d’Iran, un musulman, avait accordé officiellement le titre d’«impératrice» à son épouse. En couronnant Farah, ce chef d’État créait un précédent de taille. Du jamais vu! Pour la première fois, une femme pouvait accéder à la régence de l’Iran en cas de vacance du trône. À mon avis, ce fait que d’aucuns considèrent anecdotique marque non seulement l’histoire de l’Iran mais l’état du monde actuel.

    Je pense que LE COURONNEMENT DE FARAH PAR SON ÉPOUX avait tout ce qu’il faut pour enflammer la haine de la caste des «clerics» intégristes tout autant que celle des marxistes hostiles au principe d’autorité émanant de la souveraineté de Dieu. Car il faut se rappeler que la révolution iranienne que l’on dit islamiste fut en fait le résultat d’une alliance stratégique entre les factions extrémistes, religieuses et communistes. Quant à la violence effarante que vous relevez dans votre commentaire, sa «disproportion» atteste en lettres de sang l’existence de l’autre lignage, essentiellement homicide, qui marque lui aussi l’histoire.

    L’autre épisode très significatif que je tire de l’autobiographie de Farah, c’est le fait qu’exilé de son pays, et déjà très malade, le shah n’ait trouvé qu’un seul véritable «ami» parmi les chefs d’État musulmans: Anouar El-Sadate, président de la République égyptienne qui était alors considérée comme le pays musulman le plus puissant. C’est le même homme qui venait de signer, en 1978, un accord de paix hautement symbolique avec le Premier ministre d’Israël Menahem Begin, à Camp David aux États-Unis.

    Anouar El-Sadate fut assassiné en 1981 par des fondamentalistes de l’Islam. Parmi les inculpés, on retrouve un certain Ayman AI-Zawahiri, le second de Ousama Ben Laden, tête du réseau terroriste AI-Qaïda…

    Si nous vivons tous, trente ans plus tard, sous la menace du terrorisme islamiste, on peut se dire qu’il y a aussi, ici et là, des avancées irrépressibles relativement au lignage de la Ischah dont l’extrémisme sous différentes formes pourrait bien être une confirmation, tel un mouvement réactionnaire s’opposant à un progrès ou, plus profondément, à une promesse qui est en train de s’accomplir, elle-même de façon irrépressible.

  3. Jurgen Faine-Caram dit :

    @ Francine Pelletier

    Bonne fin d’année, Madame. Je me permets d’intervenir brièvement sur cette thématique du lignage et de l’Islam. Vous dites: «On pourrait donc dire que les musulmans se trouvent ainsi à ignorer la lignée de David et la promesse d’une ‘dynastie établie pour toujours’ dont cette lignée est porteuse.» Je n’en suis pas certain. Je crois au contraire que l’Islam accorde une grande importance à la question du lignage, prophétique, ou même messianique. Dans la troisième sourate on trouve une référence de lignage très intrigante : «Allah a choisi Adam, Noé, la famille d’Abraham et la famille de Imrân (équivalent coranique de Joachim, père de Marie), sur tout le monde en tant que descendants les uns des autres. Allah est audient et omniscient. (3,30)»

    Je qualifie ce verset d’intrigant car selon moi il ouvre la porte à la qualification messianique de Jésus malgré toutes les réticences de l’Islam à reconnaître la primauté de Jésus. Je considère qu’il y là une sorte de porte ouverte par laquelle l’Islam pourra un jour s’harmoniser avec la révélation chrétienne.

  4. Francine Pelletier dit :

    @Jurgen Faine-Caram

    Merci pour vos voeux et bonne année 2011, M. Faine-Caram.

    Dans mon commentaire précédent, je mentionne la lignée de David comme porteuse de la promesse d’une dynastie établie pour toujours, le Fils attendu étant Jésus. Dans le Coran, il est en effet beaucoup question de lignage mais, bien qu’on réfère à David et à Jésus né de la « vierge » Marie, on ne mentionne pas cette promesse dynastique. De plus, selon un point de vue musulman, il semble qu’à propos de Jésus, il faille choisir entre la lignée davidique et la vocation de Grand Messie; si Jésus est de la lignée de David, il ne peut être le Grand Messie et, réciproquement, s’il est le Grand Messie, il ne peut être de la lignée de David.

    Les musulmans accepteraient-ils le lignage de la Ischah sans encore reconnaître la lignée de David ? L’importance accordée à Marie dans le Coran de même que l’annonce d’un Grand Messie qui vaincra le Faux Messie séducteur me semblent aller en ce sens. La Genèse biblique annonce elle-même la victoire définitive du lignage de la Ischah sur le lignage de son Adversaire, le serpent.

    Comme vous le faites remarquer, on sent toutefois les réticences de l’Islam à tirer des conclusions opportunes quant à la nature primordiale de la mission de Jésus, des réticences que certains passages du Coran ne justifient pas. J’ajouterais que les juifs sont dans une position semblable dans la mesure où ils n’ont pas reconnu Jésus comme le Roi-Messie promis à la lignée de David. Et les chrétiens ? Quelle importance accordons-nous à la lignée de David ? La résistance que l’on perçoit dans l’Église à propos de Joseph, Fils de David, me semble indiquer à tout le moins que cette lignée n’est pas considérée à sa juste valeur.

    Ainsi, les trois grandes religions n’auraient pas seulement le « monothéisme » à leur crédit mais la reconnaissance explicite ou implicite du lignage de la Ischah.

    Cependant, elles seraient toutes trois en déficit à l’égard des implications de la lignée davidique réalisées en Jésus. Je pense aussi que l’harmonisation tant souhaitée entre tous les fils et filles de bonne volonté suppose la reconnaissance de cette lignée, de cette voie empruntée par Dieu pour rétablir la justice et établir son Royaume. C’est le filon de conjectures que j’examine présentement à propos des deux généalogies de Jésus dans les évangiles, avec lesquelles m’apparaît converger, de manière effectivement étonnante, la troisième sourate du Coran que vous citez.

  5. Jurgen Faine-Caram dit :

    @ Francine Pelletier

    Je vous souhaite aussi une bonne et belle année de même qu’à tous vos lecteurs.

    Vous me corrigez fort aimablement et vous avez raison. Je n’ai pas suffisamment tenu compte de la dimension dynastique du lignage de David. J’étais un peu pris par la logique même de l’Islam et son focus sur la dimension « prophétique ». Je m’aperçois en effet que le deuxième concept fondateur de l’Islam, après celui du Dieu unique, est le Prophète.

    Si on admet que l’être humain tel que révélé dans la bible est, à la suite de Jésus, à la fois prêtre, prophète et roi, il faudrait pouvoir retrouver ces trois dimensions ou missions à l’oeuvre dans la « religion », car ce sont elles qui constituent « la nature primordiale de la mission de Jésus ».

    Or il me semble que la dimension royale est foncièrement absente de la plupart des religions. En effet, ne peut-on pas penser que l’Islam privilégie le prophète et le christianisme, catholicisme en tête, le prêtre ? Pourtant, comme vous le soulignez, le Messie, l’oint, doit, selon la tradition juive, découler de la lignée royale de David, le roi selon le coeur de Dieu.

    Quant à savoir qui mettrait plus d’accent sur le roi, je n’en vois guère, bien que, par l’absurde, on puisse dire que l’une des grandes forces agissantes de nos temps, le communisme, s’attaque précisément et fondamentalement à celui-là.

  6. Lucie dit :

    Mme Pelletier,
    Suite aux derniers blogs parlant de Joseph, de la Sainte Famille et de la Genèse, j’ai relu plusieurs de vos blogs fort intéressants et il me vient une question par rapport aux 2 lignages.
    Pourrait-on dire que le lignage de la Ischah (et le lignage de David) nous annonce le Royaume des cieux, et que le lignage du « serpent » veut nous en détourner?
    Comment peut-on parler de postérité du « serpent »? («Je mettrai une inimitié entre toi et la Ischah, entre ta postérité et sa postérité …» (Genèse 3, 15).

    • Je me permets d’intervenir ici pour préciser que le mot (zera) traduit par « postérité » est le même que le mot « semence » dont j’ai fait mention dans mon texte intitulé « Le Fruit« . Il prend ici l’acception de postérité parce que l’insistance est mise sur le déploiement dans le temps et l’espace de L’ENSEMBLE du résultat de la génération, strictement, le lignage, opposé au fruit en tant qu’individu. Car il y aussi dans l’association semence et fruit du premier chapître de la genèse, superposition de sens: identité en tant que génération et distinction dans la portée de chaque terme, la semence s’appliquant au Multiple et le fruit s’appliquant à l’Un.

    • Lucie,

      Le lignage est un sujet fondamental à mes yeux. Il implique de mieux comprendre «de qui» nous sommes et quel est le sens de notre histoire, humaine, personnelle, politique même. J’avais commencé à écrire ce que je pensais sous la forme d’une réponse à vos questions, mais celles-ci ont suscité chez moi une réflexion plus élaborée que prévue, que j’aimerais vous partager et que je vous adresse en quelque sorte. On s’apprête à la publier dans la catégorie Essais, sous le titre: «Qui est mon père?».
      P.S. : «Francine D. Pelletier» est un nom de plume sous lequel j’ai animé un blogue : «Le mode conjonctif», durant les années 2010 et 2011. Je signe maintenant mes articles, réponses et commentaires sous mon propre nom: Francine Dupras.

  7. Florence dit :

    Vous avez vraiment piqué mon intérêt avec votre lignage! J’ai très hâte de lire votre essai :«Qui est mon père?».

  8. Simon dit :

    Bonjour Mme Dupras,

    Une image m’est venue en lisant cet article, lorsque vous dites, je cite : « Exercer la domination devient dès lors l’imposition d’un joug pesant, avilissant, exploiteur et même destructeur pour ceux qui ont à le porter », j’ai aussitôt fais le rapprochement avec l’émission de télé « The dog whisperer ». Ça peut paraitre léger en comparaison au comportement des hommes politiques ou des rapports judéo-islamiques, mais je trouve que l’analogie m’aide à comprendre pourquoi on se sent si bien lorsqu’on a fait ce qu’il fallait, plutôt que ce que l’on s’entête à vouloir faire.
    Dans cette émission, Cesar Milan démontre que presque tous les comportements problématiques des chiens sont dus au fait que ceux-ci ne perçoivent pas le chef de meute en leurs maîtres, se faisant, ils se sentent obligés d’assumer cette responsabilité. Cesar explique que le chien développe alors une ou plusieurs mauvaises tendances parce qu’il se pense chef de meute, alors qu’il est dans un monde d’humains. Ces tendances disparaissent presqu’aussitôt lorsque le chien reconnaît en son maître le chef de meute, et regagnant son équilibre, devient clairement plus heureux, et ne semble pas du tout « dominé » par son maître !
    Je trouve beau dans ce contexte de penser qu’étant attentifs à la volonté de Dieu tout en exerçant notre liberté, nous regagnons notre « équilibre » et vivons plus heureux !

  9. Régine dit :

    Madame Dupras,
    Vous arrivez juste à point avec votre essai «Qui est mon père?». Vous avez sûrement lu sur les manifestations qui ont lieu en France sur la légalisation des mariages gais. Dans la Presse d’aujourd’hui à la page A18, nous pouvons voir quelques jeunes manifestants avec des affiches comme celle-ci «Et il est où ton papa? Et elle est où ta maman?». C’est un débat de grande importance pour notre société actuelle. Moi aussi j’ai hâte de vous lire.

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