Domination et fécondité

Ah… la Genèse, ce fameux récit à la fois si célèbre et si peu connu. Parler de la «Genèse» équivaut pour beaucoup à parler d’Adam et Ève, personnages mythologiques à la base d’une conception du rapport homme et femme dans laquelle la femme est condamnée à enfanter dans la douleur et à subir la domination de l’homme pour satisfaire son désir sexuel. Du côté de l’homme, subir le joug du travail n’est pas très rose non plus, mais en revanche il «domine». Qu’est-ce que c’est que cet Éden aussitôt «converti» en enfer des rapports humains ?

Certains d’entre vous se souviendront peut-être de cette discussion dans l’évangile où la question du divorce est abordée: est-il permis à un homme de renvoyer sa femme ? Moïse avait permis le divorce dans le cadre de certaines conditions. Jésus répond en substance: «Au commencement, il n’en était pas ainsi…» C’est à la Genèse qu’il reporte son interlocuteur pour «régler» la question, c’est-à-dire lui donner une «règle».

On pense souvent que la manière de considérer la nécessité du rapport homme et femme est essentiellement liée aux questions touchant la sexualité et la fécondité. Mais si je vous disais qu’il faut commencer par le commencement en «réglant» la question du gouvernement, et si je vous disais qu’avant même de considérer le rapport entre l’homme et la femme et l’exercice de la fécondité, il faut prendre en compte le fait que l’être humain est de nature appelé au gouvernement et plus spécifiquement à la domination ? Vous seriez en droit de me demander d’où je tiens cette invention.

Et bien, j’ai trouvé cette originalité politique dans la Genèse biblique. Avant même de créer une complémentarité féconde, Elohim (que l’on traduit ordinairement par «Dieu» en français) dit : «Faisons l’Adam à notre image et selon notre ressemblance et qu’ils DOMINENT…» (Genèse 1, 26). Ce n’est pas Adam en tant qu’archétype du mâle qui est appelé à dominer, mais l’Adam que certains traduisent par «l’Homme», c’est-à-dire l’être humain créé à l’image et à la ressemblance d’Elohim.

Puis, Elohim continue de déployer son propos dans le même sens: «Elohim créa zakar waw neqevah (que l’on traduit par «homme et femme») et il LEUR dit — pas juste à l’un, pas juste à l’autre—, il LEUR dit: Croissez et multipliez-vous,… et DOMINEZ …» (Genèse 1, 28).

Renversant. La domination ne serait donc pas la résultante d’un mal, d’un péché ou d’une chute, elle ferait partie du bagage originel — je dirais génétique — de l’humanité et du rapport homme et femme. Reste à savoir en quoi elle consiste.

Par ailleurs, le «croissez et multipliez-vous» qui s’adresse à zakar waw neqevah est-il l’amorce d’un pullulement anarchique de l’espèce humaine, c’est-à-dire un pullulement sans lignage, sans rapport entre les générations ?

Je note qu’avant de dire la fécondité du rapport homme et femme, Elohim a dit: «Faisons l’Adam à notre image et selon notre ressemblance ». Les traits d’Elohim-Dieu seraient-ils inscrits dans l’ADN de notre être adamique ? Elohim-Dieu serait-il au commencement du lignage humain et le «régulateur» de sa fécondité, comme de sa domination d’ailleurs ?

Au commencement était la souveraineté d’Elohim

Francine D. Pelletier

NOTE : Les mots que j’ai mis en italique dans ce texte sont des mots hébreux translittérés en français pour que nous puissions les lire. Leur signification est très riche; en tenir compte nous permet d’apprécier des nuances significatives que certaines traductions éludent.

Prochain blogue : Le domaine et sa garde

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3 Responses to Domination et fécondité

  1. Felipe Marquis dit :

    Bonjour Mme Pelletier

    Dieu a dit : « Croissez et multipliez-vous,.., et DOMINEZ » avant la faute. La suite des événements et notre expérience nous démontrent que la domination de l’Homme est souvent néfaste. L’Homme peut-il dominer sans mal ? L’Homme a t-il encore cette capacité à dominer, à gouverner correctement ? N’aurait-il pas perdu ce droit à la domination suite à la brisure du son rapport avec Dieu ? Ce faisant, il a gagné en orgueil et par conséquent perdu les prérogatives d’une saine domination. Ne croyez pas que je m’élève contre le principe d’autorité, je me questionne seulement.

  2. Francine Pelletier dit :

    Bonjour, M. Marquis,

    S’il y a un avant la faute, il y a, bien entendu, un après, et cet après n’est pas uniquement l’histoire des conséquences néfastes d’une chute originelle mais aussi celle d’un relèvement. La promesse d’un relèvement est l’un des thèmes majeurs du prophétisme dans l’Ancien Testament. Et ce relèvement passe par la voie d’un lignage auquel réfère déjà Yahweh Elohim lorsqu’il s’adresse au serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien » (Genèse 3, 15).

    Cependant votre questionnement concerne plus spécifiquement l’exercice de la domination en tant que tel. Celui-ci est-il possible après la faute ?

    Je dirais que, d’une certaine façon, le ministère de domination instaurée à l’origine se désaxe au moment de la faute. À proprement parler, il sort de son axe : la souveraineté de Dieu. D’ailleurs, si on s’y arrête, toute faute est une forme de désaxement. Par exemple, prendre ou convoiter ce qui appartient à l’autre, utiliser une capacité à mauvais escient, c’est sortir de son axe et plus profondément sortir de l’axe divin. On peut être désaxé de différentes manières non seulement en ce qui a trait à la sexualité; une approche du politique peut être désaxée, entre autres.

    Cela veut aussi dire qu’en se recentrant sur la souveraineté de Dieu, en essayant de demeurer dans son axe, l’exercice de la domination se recentre également, il s’ajuste. Même avant le Christ qui vient parfaire ce recentrement, la Bible reconnaît des « justes », leurs actions, leurs décisions, leur vie comme ajustées à la souveraineté de Dieu.

    Quel est le principe de cet ajustement ? Qu’a fait Jésus sinon révéler le Père. Le Christ n’est pas autocentré. Le Christ est le plus farouche adversaire du christocentrisme. La prière qu’il a enseignée à ses disciples contient des éléments politiques fondamentaux. Elle s’adresse à Dieu « notre » Père. Elle met le cap sur sa personne, son royaume, sa volonté. Elle établit sa souveraineté. Même l’Esprit crie : « Abba », c’est-à-dire Père, dans le cœur des disciples !

    À bien considérer ce gouvernement trinitaire, on s’aperçoit qu’il implique un axe qui lui-même exprime un lignage : l’axe Père et Fils. Je pense qu’il existe un rapport étroit entre l’axe et le lignage en vue de l’avènement du Royaume. Cet axe qui a une dimension historique ne va pas que dans un sens : du Père au Fils, dont l’avènement du Fils de David est le centre, mais aussi du Fils au Père. Le retour du Fils de l’homme implique également le retour à « notre » Père.

  3. Louise dit :

    @M. Marquis et @Mme Pelletier,

    L’autorité… quel sujet ! Dans le quotidien de nos vies, on remet tellement en question l’autorité… on n’a qu’à yeuter le journal quotidien pour constater la hargne que les gens ont contre l’autorité… jusqu’à s’indigner contre César qui « maltraite » et abuse de son « autorité » avec ses chiens…

    Bref, je veux simplement remercier Mme Pelletier de nous faire relever la tête (la réenligner…) car c’est vrai, on s’arrête souvent à la faute et on oublie qu’on a une espérance profonde et qu’on peut expérimenter aussi à chaque jour, car on n’est pas seulement désaxé à coeur de jour! Quand on veut faire du progrès que ce soit dans l’exercice réel de l’autorité ou ailleurs, Dieu est là pour nous assister et nous remettre dans la bonne ligne et cela marche… one step at the time ! Merci encore !

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