Le domaine et sa garde (1)

Le chaos tel qu’on l’entend ordinairement se définit par l’absence de règles. Il n’y a pas d’ordre dans le chaos alors que le cosmos, son vis-à-vis, se définit justement par son ordre. Or, en hébreu, le verbe « dire » signifie aussi « ordonner »; lorsque dans les récits bibliques de création Dieu « dit », il « ordonne ». L’acte de créer est essentiellement l’établissement d’un ordre, d’une harmonie, d’un gouvernement universels.

À nos oreilles démocratiques, le verbe « ordonner » sonne comme « dominer » et c’est loin d’être positif. Pourtant si, au cours d’une discussion sur un sujet qui vous est complètement étranger, c’est-à-dire dont vous ne connaissez pas les règles, vous vous dites tout à coup : « Ah ça, c’est un peu mon domaine! », la sensation éprouvée n’est-elle pas réconfortante ? Ayant une certaine maîtrise de cet aspect, vous aurez quelques points de repère qui vous permettront éventuellement de bénéficier de la conversation dans son ensemble.

Sur un autre plan, j’ai moi-même fait une expérience de la domination fort agréable.

Il y a quelque temps, j’ai découvert une nouvelle piste cyclable. Le parcours est remarquablement organisé et bien entretenu. On peut contempler à loisir et en toute sécurité la beauté de la nature, humer les parfums des sous-bois, tout en offrant au corps l’exercice dont il a tant besoin, soumis qu’il est aux aléas de notre vie en société. Bien qu’il s’agisse d’un endroit public, on a l’impression de circuler à l’intérieur d’un magnifique domaine, vous savez ce genre d’endroit très privé que l’on croit réservé à la classe « dominante ».

Je voulais intituler ce blogue « Le jardin et sa garde », mais en repensant à cette expérience, j’ai opté pour « Le domaine et sa garde ». Pourquoi ?

Je me suis demandé : la domination dont il est question au début de la Genèse aurait-elle quelque chose à voir, toute proportion gardée, avec l’établissement d’un domaine du genre « belle piste cyclable » ? Le jardin en Eden serait-il l’archétype du domaine et pourquoi pas du dominion universel de Dieu ? Eden pouvant signifier en hébreu « délices », Dieu étendrait sa domination sur toutes les choses créées selon un ordre agréable, une harmonie qualifiée de « délicieuse ». Le joug de sa domination, loin d’être pesant, serait léger et souverainement bénéfique.

Si je m’attarde au concept de domination, c’est parce qu’il est fondamental du point de vue politique. Les idéologies actuelles y réfèrent souvent de façon négative. En cela, elles sont fortement influencées par le marxisme et ses avatars, mais aussi par le libéralisme. Pour Karl Marx, même la domination d’un dieu est de l’ordre de l’aliénation et de l’oppression; et l’on sait à quel point le rejet politique de la suprématie de Dieu demeure le cheval de bataille de la laïcité dans nos sociétés sociolibérales.

Si l’ordonnance conçue par Dieu dans sa souveraineté inclut l’établissement d’un lignage, si cette ordonnance est toujours active et implique le peuple qu’il a choisi, on comprend sous un autre angle la profondeur des enjeux politiques qui concernent Israël…

Surtout si l’on considère d’un mauvais œil ce type de prérogative et si l’on a le projet d’établir une autre ordonnance, afin d’avoir l’opportunité d’imposer son propre joug.

Francine D. Pelletier

Prochain blogue : Le domaine et sa garde (2)

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