Symbole et Eucharistie – Prologue

La recherche inscrite dans cette collection d’essais est née, comme beaucoup d’autres recherches, d’une préoccupation personnelle. Il s’agit de la tentative d’un chrétien d’approcher de nouvelles dimensions touchant l’Église, le rituel et, spécialement, l’Eucharistie.

Nous sommes à une époque charnière où les formes de pensées anciennes sont confrontées à une mentalité née à l’aube de l’ère des communications, dans un contexte de haute technologie. Il est bien évident que la philosophie traditionnelle, qui a servi de pivot à la pensée occidentale, a été très fortement confrontée au matérialisme scientifique, politique et didactique qui prévaut aujourd’hui. De plus, les contacts devenus étroits entre les différentes cultures et les différentes civilisations, au-delà de l’espace et même du temps, ouvrent des horizons inimaginables, il y a un siècle. Il est remarquable que la philosophie et surtout la théologie se sentent invitées à s’inscrire dans ce nouveau contexte idéologique. Mais cette insertion ne peut se faire sans transformation ni réaménagement.

L’esprit moderne profondément imprégné de notions scientifiques, qui prennent de plus en plus d’importance dans le corpus culturel, se sent mal à l’aise face à certains concepts, gestes ou traditions jadis considérés comme primordiaux. Et c’est le cas, pour le chrétien notamment, des structures de son Église et des sacrements. Les rituels, le partage des pouvoirs et les notions scolastiques encore en vigueur dans la théologie officielle de l’Eglise sont souvent l’objet d’un rejet plus ou moins complet. On ne veut plus d’une religion ni d’une pensée «folklore» ou «opium». Ce que l’on désire, c’est une religion d’engagements, où les arguments intellectuels viennent éventuellement donner sens à une praxis.

Il serait cependant plus profitable de tenter, avant le rejet, de décanter les formes traditionnelles de fond, qui expriment véritablement l’essence de ce qui a été préservé de l’intention fondatrice de Jésus de Nazareth. On peut croire que l’impulsion initiale de celui qu’on a appelé le «Christ» était suffisamment puissante, soutenue dans la suite par l’Esprit, pour parvenir jusqu’à nous, remplie encore de sa richesse profonde et de ses promesses les plus motivantes.

On s’interroge à bon droit sur la conception du pouvoir à l’origine de la structure actuelle de l’Église, en ce qui regarde principalement la hiérarchie. On peut aussi se demander si les concepts anthropologiques qui ne veulent pas accorder sa part de responsabilité au groupe féminin de l’humanité doivent être encore pris en considération dans l’Eglise. Différentes questions peuvent se poser, finalement, face à la forme que revêtent les rituels. Les anciennes coutumes qui sont à leurs sources ne trouvent plus guère de résonances pour la sensibilité contemporaine. À première vue, ces différents problèmes ne semblent pas avoir de rapports entre eux. Mais s’ils en avaient? Ne serait-on pas en droit, au fond, de chercher une cause commune à tous ces déséquilibres qui nous indisposent aujourd’hui? Peut-être pourrions-nous, par ce moyen, parvenir à une réalité profonde ou même à une nouvelle perception de l’idée fondatrice de Jésus?

Cette «idée fondatrice» à l’origine de l’Église est très marquée par le rite eucharistique. L’Église a toujours enseigné que ce rituel constituait la source et le sommet de la vie chrétienne. C’est d’ailleurs la raison qui m’a incité à l’étudier car, s’il en est la source et le sommet, on peut exiger de lui qu’il soit proportionnellement signifiant, afin qu’il demeure encore le centre de l’expérience chrétienne.

J’aborderai le sujet sous l’angle précis du symbolisme du couple «pain et vin». Le pain et le vin consommés au cours du rituel eucharistique ont toujours été considérés avec grand respect dans l’Église. Certaines dimensions de la valeur signifiante de ces éléments pourraient-elles avoir échappé à l’interprétation ecclésiale jusqu’à maintenant?

L’histoire est progression.

La sensibilité moderne est davantage stimulée par la dimension «couple» que forment ces deux éléments, au contraire du Concile de Trente, par exemple, pour qui cette dimension n’était pas absolument nécessaire. À mes yeux, la fonction binaire exprimée par le couple pain et vin a une grande répercussion sur sa signification concrète et l’on peut y lire une profonde richesse d’expression socio-ecclésiale.

L’histoire est progression.

À l’époque de la Réforme, l’Église, devant les attaques des «protestants», appuyait ses positions sur une théologie très intellectuelle et scolastique; le système théologique était surtout formé d’arguments métaphysiques. Devant l’apport des sciences physiques, de la psychologie et des théories du langage, beaucoup de thèses et de positions de cette théologie sont remises en question parce que trop éloignées des significations existentielles.

C’est pour cette raison que j’ai jugé bon de proposer trois essais dans lesquels j’élabore et expérimente une nouvelle approche du symbole, qui tient compte de certains apports émanant de différentes disciplines scientifiques. Le premier de ces essais élabore une façon de considérer le symbole dans son rapport avec le réel. Le second traite de la dynamique du binaire, structure très présente dans le symbolisme. C’est dans le cadre de réflexions ainsi établi que je pose ensuite, dans un dernier essai, l’hypothèse de la valence singulière du couple pain et vin, et que j’expose quelques rapports possibles du rituel eucharistique avec la vie sociale et ecclésiale. On peut dire que les deux premiers essais posent les «fondations» et que le troisième esquisse l’édifice.

Une esquisse, bien sûr, face à l’amplitude totale que l’ensemble du rituel eucharistique comporte. Mais une esquisse est une maquette, et une maquette permet de juger de l’effet global de ce qui sera édifié plus tard. Cette collection d’essais se veut, en fait, un «test de portée» de la problématique existentielle des rapports en général, et, notamment, du rapport homme et femme, qui affleure constamment au sein de tout système et, donc, de tout rituel. Les infinies facettes de la science, des théories du langage et même des aspirations mystiques les plus profondes, qui sont l’enjeu symbolisé par le couple pain et vin, pourraient alors se situer dans une étude plus approfondie et plus élaborée. J’espère simplement, pour l’instant, que cette «maquette» soit suffisamment bien ciselée pour pouvoir donner son sens.

Jean-Marc Rufiange
1er mai 2010

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