Jamais contents!

J’entends parfois des gens de la ville (ça fait moins snob que «citadins») reprocher aux agriculteurs de n’être jamais contents, et je les approuve entièrement. La réputation n’est pas nouvelle; depuis mes premiers pas en ce monde, je côtoie le milieu agricole, et j’ai toujours entendu des échos dans ce sens.

L’agriculteur des dernières décennies – pour parler de ce que je connais – est toujours insatisfait: insatisfait du temps, insatisfait de la dernière décision du gouvernement, insatisfait des cours du marché, insatisfait, insatisfait, insatisfait! Et de l’insatisfaction au mécontentement, puis du mécontentement au «chialage», il n’y a que deux pas aisément franchis.

Il est indéniable que les agriculteurs auront toujours à composer avec une bonne part d’imprévisible, mais, ironiquement, ce groupe d’entrepreneurs n’a jamais eu dans l’Histoire autant de recours pour faire face aux multiples difficultés qu’il peut rencontrer: tant de connaissances, d’équipements performants, de conseillers spécialisés, d’assistance financière, de ressources médicales (les animaux de ferme sont plus vites soignés que les humains, je ne blague pas), de produits de toutes sortes.

Il me semble que la manière d’accueillir les difficultés compte pour beaucoup dans leur résolution. Je dis «accueillir», qui est bien différent de «subir». En agriculture comme partout ailleurs, il n’y a pas que des problèmes, il y a plein de bonnes nouvelles et de progrès qu’il est important de reconnaître et d’apprécier, ne serait-ce que dans un esprit de justice. Cette attitude d’accueil de l’adversité favorise notre survie parce qu’elle incite à nous adapter, à trouver des solutions qui nous feront vaincre.

Ici je repense à cet homme qui était venu dégager ma cour un hiver avec son tracteur et sa souffleuse. Il s’était arrêté en cours de travail, sa souffleuse était bloquée et il s’affairait à la réparer. Je m’approche et lui dit: «Un problème, M. Untel? Ça n’a pas l’air commode.» «-Ouais, c’est bien coincé, mais on va finir par y arriver.» Et de poursuivre: «Avant je me choquais dans ces situations-là. Un moment donné je me suis dit ‘Kess ça donne de me choquer? J’avancerai pas plus vite.’ Au bout du compte, la vie est ben plus intéressante de même.»

Je parlais des multiples recours des agriculteurs, mais qui que nous soyons, nous avons nous-mêmes plein de recours, d’assurances, de droits, ce qui ne nous empêche pas d’être insatisfaits de notre situation, du cours des événements, du gouvernement… Serions-nous devenus des enfants trop gâtés, inconscients de l’étendue de leurs biens, ramollis par leur confort, trop soutenus? Des gens qui n’arrivent plus à se contenter de peu ni même d’un peu moins, et qui s’émeuvent de la moindre vicissitude? Comment réagirons-nous en cas de crise vraiment grave?

Patrick Trottier

 

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