Dans ce chapitre, nous allons suivre pas à pas le déploiement des six jours de création, en incluant les deux premiers versets qui constituent la partie introductive surnommée « Bereshit ».
Comme pour le chapitre précédent où il fut question de la structure générale du récit, les lecteurs pourront se référer à notre traduction mot-à-mot du Premier récit de la création.
BERESHIT (Gn 1, 1-2)
Le verset un: déclaration de principe
En principe CRÉE, Élohïm, les Cieux et la Terre.
Le premier verset de la partie introductive “Bereshit” est ce que l’on pourrait appeler une « déclaration de principe ».
Les majuscules à “Cieux” et “Terre” veulent ici signifier qu’il s’agit de deux réalités principielles et non pas ce à quoi nous pensons habituellement quand nous parlons des cieux et de la terre.
Il est aussi de toute première importance de mettre au pluriel « les Cieux » car le premier verset, en tant que « déclaration de principe », non seulement affirme qu’une chose (les cieux) et l’autre (la terre) sont créées, il introduit les concepts du multiple et de l’un, c’est-à-dire de la diversité et de l’unicité, qui seront à l’oeuvre de différentes manières tout au long du processus de la création.
Ces deux niveaux de réalité sont donc exprimés en même temps, ensemble, en principe, par le couple « LES cieux et LA terre », et ceci est en soi des plus significatifs.
Le verset deux: déclaration de potentiel
Et la terre est tohou et bohou et la ténèbre sur la face de l’abîme et le souffle (de) Élohïm plane sur la face des eaux.
Le second verset, tout comme le premier verset, ne fera pas l’objet d’une étude approfondie. Il s’agit d’une sorte de chiasme dont les deux points opposés et complémentaires, la terre, premier mot, et les eaux, dernier mot, incluent une série de couples et même un potentiel dynamique qui, en tant qu’ensemble, forme une description du potentiel de création.
Le couple tohou et bohou exprime un pré-espace qui lui-même est en rapport avec la ténèbre qui est “sur la face de l’abîme” pour exprimer ce potentiel d’existence. L’idée d’un potentiel, non seulement d’existence mais de VIE, est elle-même fondée sur la présence du SOUFFLE de Dieu-Élohïm qui plane “sur la face des eaux”.
Le verset deux, en tant que déclaration de potentiel, offre donc une série d’éléments, encore une fois groupés deux par deux:
- Le premier couple d’éléments est formé du premier et du dernier mot du verset: la terre (un) et les eaux (multiple), et il inclut:
- Le couple tohou et bohou -> comme pré-espace (potentiel de la terre)
- Le couple formé par ce pré-espace et la ténèbre -> comme potentiel de création
- Le couple formé par la ténèbre et le souffle (de) Élohïm -> comme potentiel d’existence et de VIE
- Le couple “sur la face de l’abîme” et “sur la face des eaux” -> comme lieu d’“attente”, car il n’y a pas encore de temps ni d’espace à proprement parler mais un potentiel.
La question des pluriels. Couples et associations
Il y a trois mots/concepts dans le Premier récit qui se caractérisent par leur pluriel: les cieux, les eaux et les mers : shamaïm, maïm et ïamïm.
Ces mots répondent au nom même de Dieu qui structure tout le récit et qui est lui aussi de forme plurielle: Élohïm.
Ces pluriels, en incluant possiblement le nom d’Élohïm lui-même, sont dans un rapport privilégié avec la terre (aretz), marquant la multiplicité en tant que complément à l’unique, l’un, particulièrement dans la partie déclarative de Bereshit. En effet, dans le premier verset, Élohïm CRÉE les Cieux (shamaïm/multiplicité) et la Terre (aretz/unicité).
Dans la déclaration de potentiel, la terre (aretz) et les eaux (maïm) se répondent. Cette fois, nous ne mettons pas de majuscule à « la terre » parce qu’elle ne signifie pas une réalité principielle. Elle diffère tout de même de la terre dont nous parlons de façon courante du fait qu’elle signifie la terre dans son état de potentiel. Une nouvelle acception de la terre (aretz) sera introduite plus loin durant le processus de création, au jour troisième, alors que la terre sera qualifiée en tant que « sec » (hayabasha) au sein d’un nouveau rapport, avec les mers (ïamïm) cette fois. La terre (aretz) se trouve donc à être mise en rapport avec les trois pluriels mentionnés plus haut :
- dans la déclaration de principe avec les Cieux, (shamaïm),
- dans la déclaration de potentiel avec les eaux (maïm),
- et dans le processus de création avec les mers (ïamïm).
Après les déclarations de principe puis de potentiel de Bereshit, dans laquelle temps et lieu sont comme “en attente”, le processus de création proprement dit commence avec le jour UN (« eHad »), seul parmi les sept jours à être qualifié par un nombre cardinal. Le mot hébreu « eHad » (UN), dont nous connaissons l’importance dans la pensée hébraïque, exprime avec force le concept d’unicité.
Au jour troisième, alors que l’association entre « le sec » (haïabasha) et la « terre » (aretz) s’opère, nous retrouvons à nouveau le mot “eHad” (UN), mais plutôt que de qualifier une réalité « temporelle », il s’agit maintenant de sa complémentaire spatiale:
Et dit, Élohïm, que se rassemblent des eaux sous les cieux vers un lieu UN (eHad) et (que) soit vu le sec (haïabasha) et il en est ainsi.
Comme au jour UN où la lumière permet de voir ce qui est bon, au jour troisième, ce lieu UN « eHad » où se concentrent les eaux (maïm) laisse voir le sec (haïabasha) que Élohïm nommera « terre! » (aretz)
Cette nouvelle itération de la terre, différente de la « Terre » entendue dans la déclaration de principe et de la “terre” dans la déclaration de potentiel, est le résultat d’une sorte de « concentration », le mot exprimant le mouvement de l’élément diffus/évanescent : les eaux, plurielles et « répandues », vers un « centre », unique, UN.
De plus, si l’on considère attentivement le verset qui débute le jour troisième, ce rapport antithétique entre le pluriel et le UN fait implicitement ressortir une nouvelle division entre le liquide et le solide, le mouillé et le « sec »: ces eaux (maïm) amassées que Élohïm nomme mers! (ïamïm) et « le sec » (haïabasha) qu’il nomme « terre! » (aretz)
La série shamaïm, maïm, ïamïm constitue donc la base de la réalité dans sa qualité diffuse/évanescente, et aretz sa qualité concentrée, solide, en trois temps.
Après avoir établi ce système antithétique, qui découle de la rubrique maîtresse “Cieux/Terre », le récit en passant à un second niveau approfondira les applications concrètes du système, faisant découler le monde végétal de la relation implicite du solide et du liquide. Ainsi, dans la deuxième partie du jour troisième:
Et dit, Élohïm, (que) germe la terre (le sec) germe d’herbe ensemençant semence, arbre à fruit faisant fruit selon son espèce qui (porte) sa semence en lui sur la terre et il en est ainsi.
En effet, le végétal ne peut apparaître qu’après l’apparition du « sec”, lequel résulte de la « concentration des eaux” en un lieu “UN”, ce qui implique que le sec continue d’être en rapport avec le mouillé, bien que celui-ci ne soit présent que de façon récessive.
Retenons pour le moment que la Terre dont il est question dans la déclaration de principe prend une connotation particulière qui se distingue de celle qui apparaît plus loin dans le récit. Sa connotation plus familière lui est attribuée au jour troisième par l’intermédiaire du concept du “sec” (haïabasha), qui établit dès lors la terre (aretz) dans le rapport complémentaire “germinatif” du sec et du mouillé, et plus élémentaire du solide et du liquide.
Par ailleurs, dans la déclaration de principe, les Cieux (shamaïm) sont mis en rapport avec la Terre (aretz), alors que dans la déclaration de potentiel, “la terre” (aretz) est mise en rapport avec “les eaux” (maïm). Ces “eaux” elles-mêmes ne sont pas encore sémantiquement reliées aux eaux dont il sera question dans le processus de création des six jours encore à venir. À l’instar de “la terre” dans le contexte du deuxième verset, “les eaux” sont évoquées dans leur état potentiel.
Enfin, la distinction principielle des Cieux et de la Terre dans le premier verset de Bereshit peut s’expliquer en regard de la présence du nom Élohïm. Par la forme plurielle, Élohïm, au principe de toutes choses, s’associe à la réalité des Cieux qui doit ainsi être comprise à un niveau principiel.
Dans cette perspective, la prière enseignée par Jésus apparaît comme plongeant ces racines dans le commencement. Apprenant à ses disciples comment prier, Jésus leur dit d’invoquer : “Notre Père qui es aux Cieux (shamaïm)… que ta volonté soit faite sur la Terre (aretz) comme aux Cieux (shamaïm)” ». Il les ramène au principe même de la création, exprimé par le couple les Cieux et la Terre. Le “Notre Père” est au principe de toute prière.[1]
Mais ne précédons pas les temps. Ces quelques éléments posés, voyons comment se déploie le récit des “six jours” de création (hexameron) sans perdre de vue que, selon la mise en place faite dans Bereshit comme création “des Cieux et de la Terre”, ce déploiement devrait s’opérer par la voie de couples et d’associations diverses.
HEXAMERON (les six jours de création) (Gn 1, 3-31)
Jour UN: La lumière et la ténèbre
Et dit, Élohïm, (que) soit lumière et est lumière et voit, Élohïm, la lumière que (c’est) bon! Et distingue, Élohïm, entre la lumière et entre la ténèbre. Et nomme, Élohïm, la lumière jour! et la ténèbre il nomme nuit! Et est soir et est matin jour UN.
– La lumière du jour UN
Un des éléments mentionnés dans la déclaration de potentiel, la ténèbre, fait ici place au premier désir de Dieu. Élohïm veut voir ce qu’il fait. Il a besoin de la lumière. Il commence donc: « (que) soit lumière »! Et, immédiatement, il VOIT que la lumière, c’est bon!
L’apparition de la lumière est capitale; elle est au fondement de toute la création. C’est pourquoi elle se produit au jour UN. L’emploi d’un nombre cardinal en marque le caractère exceptionnel et englobant. Dans cette lumière, elle-même cardinale, le regard d’Élohïm pourra envelopper tout le processus de création des six jours comme UN! Ainsi en sera-t-il au jour le sixième: “Et voit, Élohïm, TOUT ce que il fait ; et voici (c’est) bon extrêmement!”
Avant de poursuivre, il faut toutefois dégager la ténèbre de toute connotation néfaste. Si la lumière est bonne, cela n’implique aucunement que la ténèbre soit mauvaise. Comme la nuit n’est pas “vide” de lumière, la ténèbre dont il est question dans le Bereshit du Premier récit de la création ne se définit pas comme « absence de lumière »; elle est en elle-même « entitaire » et fondamentale, pré-existente à la lumière même en tant que potentiel. Ainsi, au deuxième verset, il est dit que la ténèbre est « sur » (au-dessus de) la face de l’abîme, en parfaite symétrie avec le souffle (Esprit) de Élohïm planant « sur » (au-dessus de) la face des eaux. La ténèbre génésique n’est ni vide ni néfaste, elle est pleine de sens et de vie en potentiel.
– Premier couple: la lumière et la ténèbre
Après avoir “fait être” la lumière, Élohim effectue sa toute première distinction:
Et distingue, Élohïm, entre la lumière et entre la ténèbre
Cette double réalité “lumière et ténèbre” est confirmée par la première « nomination » opérée par Dieu: la lumière se nommera jour! et la ténèbre nuit! La définition de la ténèbre passe par le fait même du sens de potentiel (au verset 2) à celui concret de “la nuit” (au jour UN). Cette distinction concrète entre la lumière et la ténèbre continuera de se déployer cosmologiquement plus tard, au jour quatrième, avec l’invention des « lumières”: le soleil et la lune, ainsi que les étoiles, le soleil gouvernant le jour et la lune gouvernant la nuit.
Notons tout de suite qu’à l’instar de la ténèbre, les eaux (maïm) dont il est aussi question dans la déclaration de potentiel, feront l’objet d’un déploiement dans l’actualisation créationnelle. Au jour deuxième, Élohïm va opérer au moyen d’un « firmament » (un outil de séparation) une distinction entre les eaux (d’en-haut et d’en-bas), et, au jour troisième, il nommera l’amas des eaux (maïm) d’un nom distinctif : « mers! » (ïamïm)
Il en est aussi de même pour les Cieux (shamaïm) que l’on trouve dans la déclaration de principe; ils apparaîtront sous un angle proprement cosmologique au jour deuxième, avec pour connotation le « firmament » :
Et nomme, Élohïm, le firmament (raqia) cieux! (shamaïm)
*Note : Comme il en a été fait mention plus haut, c’est aussi le cas pour la Terre qui apparaît sous son angle cosmologique concret au jour troisième : « Et nomme, Élohïm, le sec (haïabasha) terre (aretz)! »
Revenant au jour UN, on remarquera que s’il y a distinction entre la lumière et la ténèbre, il n’y a cependant pas encore ni espace ni temps définis: le jour et la nuit sont nommés comme les “représentants” de la lumière et de la ténèbre. Le temps et l’espace sont encore en potentiel.
La formulation qui identifiera à proprement parler chacun des jours en question vient ensuite: “ET EST SOIR ET EST MATIN jour UN”. Les cinq jours suivants seront identifiés de la même manière. On pourrait concevoir le “soir” comme rappelant la ténèbre inhérente au potentiel et le “matin” comme réitérant le jaillissement de la lumière inhérente à toute oeuvre de création. Contrairement à ce que l’on pourrait penser cette expression ne réfère pas de façon absolue au temps comme il adviendra au jour quatrième où jour et nuit seront constitués en alternance. “ET EST SOIR ET EST MATIN” pourrait aussi bien être traduit “ET EST OCCIDENT ET EST ORIENT”. Il y a alternance, mais elle est à la fois temporelle et spatiale.
Le jour le septième échappe à la règle commune des autres jours. La formule “et est soir et est matin” n’est pas utilisée pour le désigner.
Jour deuxième: Les eaux “sous” le firmament et les eaux “sur” le firmament
Et dit, Élohïm, (que) soit un firmament au milieu des eaux et (que) soit distingué entre les eaux des eaux. Et fait, Élohïm, le firmament et distingue entre les eaux qui (sont) sous le firmament et entre des eaux qui (sont) sur le firmament et il en est ainsi. Et nomme, Élohïm, le firmament cieux! Et est soir et est matin jour deuxième.
– Distinction des eaux. Conscientisation de l’espace
Les eaux sont le second élément primordial de la création après la lumière.
Avec le jour deuxième, Élohïm procède à une deuxième distinction: entre les eaux qui sont « sous » le firmament et les eaux qui sont « sur » le firmament.
Le « bas » et le « haut » manifestent la naissance de l’espace et constituent une première réponse à la situation de non-espace évoquée par le couple tohou et bohou dans la déclaration de potentiel (Gn 1, 2): “La terre (aretz) est tohou et bohou”.
*Note: Pour illustrer cet état de potentiel, on pourrait penser à l’expression “sans poids ni équilibre”.
L’outil qu’Élohïm utilise pour séparer les eaux des eaux est « l’étendue ». Cette « étendue »: le firmament (raqia), non seulement sépare les eaux, mais retient les eaux d’en haut de tomber en bas.
Ce nouveau couple formé des notions d’« en haut » et d’« en bas » est donc relatif à un troisième terme, le firmament, qui permet de les distinguer mais aussi de les unir pour manifester l’un des aspects du “système” que le processus de création élabore. Notamment, il manifeste une conscientisation de la gravité, cette force qui s’exerce du haut vers le bas.
Jour troisième: Les mers et la terre, l’herbe et l’arbre
Et dit, Élohïm, (que) se rassemblent des eaux sous les cieux vers un lieu UN et (que) soit vu le sec et il en est ainsi. Et nomme, Élohïm, le sec terre! et l’amas des eaux il nomme mers! Et voit, Élohïm, que (c’est) bon! Et dit, Élohïm, (que) germe la terre (le sec) germe d’herbe ensemençant semence, arbre à fruit faisant fruit selon son espèce qui (porte) sa semence en lui sur la terre et il en est ainsi. Et fait jaillir la terre verdure, herbe ensemençant semence selon son espèce et arbre faisant fruit qui (porte) sa semence en lui selon son espèce. Et voit, Élohïm, que (c’est) bon! Et est soir et est matin jour troisième.
– Les mers et la terre
Les eaux d’en bas (sous les cieux) font l’objet d’un processus de concentration. En les rassemblant en un lieu UN apparaît le sec.
Il est intéressant de noter que le mot hébreu « ïabasha » (numéro strong 03004) signifiant le « sec » n’est employé dans la Bible que 14 fois : deux fois dans le Premier récit de la création de la Genèse (Gn 1, 9 et Gn 1, 10) et 6 fois en relation directe avec l’épisode de la traversée de la mer Rouge, lorsque Moïse sépara les eaux :
- Exode 14, 16 : Toi, lève ton bâton, étends ta main sur la mer et fends-la, que les Israélites puissent pénétrer à pied « sec » (ïabasha) au milieu de la mer.
- Exode 14, 22 : Les Israélites pénétrèrent à pied « sec » (ïabasha) au milieu de la mer, et les eaux leur formaient une muraille à droite et à gauche.
- Exode 14, 29 Les Israélites, eux, marchèrent à pied sec (ïabasha) au milieu de la mer, et les eaux leur formèrent une muraille à droite et à gauche.
* Autres références : Exode 15, 19 ; Néhémie 9, 11 ; Psaumes 66, 6.
À l’instar de l’étendue du « firmament » (raqia) qui distingue les eaux d’en bas et les eaux d’en haut, c’est le bâton de Moïse, comme prolongement de sa main étendue sur la mer, qui fend celle-ci en deux, ses eaux formant une muraille « à droite » et à « gauche » ouvrant un passage qui permet aux Israélites de marcher à pied « sec » (ïabasha) en son milieu.
Il y a également un autre épisode, celui de la traversée à pied « sec » (ïabasha) du Jourdain sous la gouverne de Josué, successeur de Moïse. C’est maintenant l’Arche d’Alliance qui « coupe » les eaux « d’amont en aval » :
Voici: l’arche de l’alliance du Seigneur de toute la terre va passer devant vous dans le Jourdain. […] Aussitôt que les prêtres portant l’arche de Yahvé, Seigneur de toute la terre, auront posé la plante de leurs pieds dans les eaux du Jourdain, les eaux du Jourdain seront coupées, celles qui descendent d’amont, et elles s’arrêteront comme en une seule masse. (Josué 3, 11-13)
Et encore :
Vous expliquerez alors à vos fils: C’est à pied sec (ïabasha) qu’Israël a traversé le Jourdain que voilà, parce que Yahvé votre Dieu assécha (ïabash) devant vous les eaux du Jourdain jusqu’à ce que vous eussiez traversé, comme Yahvé votre Dieu l’avait fait pour la mer des Roseaux qu’il assécha (ïabash) devant nous jusqu’à ce que nous l’eussions traversée, afin que tous les peuples de la terre sachent comme est puissante la main de Yahvé, et afin qu’ils craignent Yahvé votre Dieu, toujours. (Josué 4, 22-24)
Que ce soit par l’étendue du firmament (raqia), le bâton de Moïse ou l’Arche d’Alliance, c’est toujours la « main puissante » de Dieu (Iaoué) [IEYE] qui distingue entre les eaux des eaux en les « concentrant » pour qu’apparaisse le « sec » (ïabasha).
Au jour troisième, nous avons donc cet amassement des eaux et le sec (ïabasha). Le sec passe ensuite de son statut de qualificatif: “ce qui est sec” (ïabasha), à un état physique puisqu’il est appelé « terre » (aretz), tandis que les eaux sont appelées « mers » (ïamïm).
Ainsi sommes-nous témoins de la naissance de notre monde, composé des mers (concentration des eaux/liquide) et de la terre “ferme” (émergence du sec/solide).
Implicitement, nous avons aussi les éléments d’une nouvelle distinction: entre le mouillé et le sec, qui préside au processus de “germination” du végétal, dont il va être question tout de suite après.
– L’herbe et l’arbre
La terre définie en tant que ce qui est sec est pour ainsi dire appelée à « germer ». Ce couple « mouillé/sec », qui est implicite dans le Premier récit de création, est explicite dans le Second récit dit de l’Eden:
il n’y avait encore aucun arbuste des champs sur la terre et aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car Iaoué-Élohïm n’avait pas fait PLEUVOIR SUR la terre. (Gn 2, 5)
En effet, sans l’apport des eaux, il ne peut y avoir de germination, et donc de végétal: ni arbuste ni herbe.
Dans le processus de création du Premier récit, il est aussi question de ces deux catégories du végétal: d’abord l’herbe, puis l’arbre.
Nous avons décidé de traduire l’expression «tadeshe ha-artez deshe» par « (que) germe la terre, germe de… ». Cette expression qui introduit le règne végétal reflète bien la puissance germinatrice qui le caractérise. Ce « germe », terme générique décrivant le règne végétal, est effectivement scindé en deux éléments: l’herbe et l’arbre, « eseb » et « etz ».
Nous avons alors un nouveau couple. L’herbe et l’arbre doivent donc se distinguer.
Tout d’abord, le végétal dans son ensemble est appelé à « semer les semences ». Ainsi, l’herbe et l’arbre sont capables de reproduction (implicitement dans le texte): l’herbe grâce à ses « semences » (graines) et l’arbre grâce à ses « fruits » portant semence.
Les semences de chacun diffèrent. Les graines de l’herbe sont petites et se trouvent en grande quantité. Le fruit est plus gros et en moindre quantité. Les graines peuvent servir à la fabrication du pain, un solide, et le fruit à la fabrication du jus et même du vin, des liquides.
Ces distinctions sont implicites mais se justifient par la présence ultérieure et explicite de ce genre de distinctions dans la suite du récit.
L’herbe et l’arbre se distinguent implicitement aussi par leur mode de “déploiement” dans l’espace. L’herbe, le gazon, se déploie horizontalement, près du sol. L’arbre se déploie vers le haut, il est vertical.
Les implications de ce nouveau couple complémentaire sont plus profondes qu’il n’y paraît d’abord. Si nous gardons à l’esprit la conscience de l’espace déjà manifestée au jour deuxième avec les notions de bas et de haut et la conscience de la gravité, l’herbe et l’arbre se présentent alors comme des compléments à plus d’un niveau: graines et fruits, petites et gros, grande et moindre quantité, déploiements horizontal et vertical.
Jour quatrième: Le soleil et la lune (et les étoiles)
Et dit, Élohïm, (que) soient des lumières dans le firmament des cieux distinguant entre le jour et entre la nuit et qu’ils soient des signes et pour les saisons et pour les jours et les années. Et qu’ils soient illuminant dans le firmament des cieux pour illuminer sur la terre et il en est ainsi. Et fait, Élohïm, les DEUX lumières ; les grandes, la lumière la grande pour gouverner le jour et la lumière la petite pour gouverner la nuit. Et les étoiles. Et place eux, Élohïm, dans le firmament des cieux pour illuminer sur la terre et gouverner le jour et la nuit et distinguer entre la lumière et entre la ténèbre. Et voit Élohïm que (c’est) bon! Et est soir et est matin jour quatrième.
– Les lumières. Temps, nombre et taille.
Au jour quatrième, l’installation des « lumières », les astres, représente le peuplement du firmament des cieux.
Nous nous en tenons au mot « lumières » (meorot) car le mot hébreu pluriel utilisé est formé du mot « OR » (me-OR-ot) signifiant la lumière.
Après avoir fait être la lumière, point de départ de l’acte de création, Élohïm utilise un sous-produit de celle-ci, appelé les « lumières » pour illuminer la terre (le monde). Mais, en premier lieu, elles servent à distinguer les « saisons », les « jours » et les « années », manifestant une conscientisation du temps.
Le potentiel du temps a déjà été introduit au jour UN par le couple initial et fondamental de la lumière et de la ténèbre, nommées jour! et nuit!. Au jour quatrième, les lumières, pluriel de la lumière, introduisent l’alternance et actualisent le temps.
Ces « lumières », qui découlent de la lumière initiale du jour UN, se répartissent elles aussi, et de façon marquée, en couples.
Nous avons le premier couple qualifié explicitement comme “dual”: “Et fait, Élohïm, les DEUX lumières”. C’est la seule fois dans tout le récit où le nombre cardinal « deux » (shenei) est employé. Les lumières sont DEUX!
« L’étendue » que constitue le firmament en tant qu’outil relatif à l’ordre spatial avait été l’instrument de séparation des eaux au jour deuxième. Au jour quatrième, il sert de toile de fond pour les lumières, outil relatif à l’ordre temporel.
Mais ces lumières placées dans « l’étendue des cieux » (firmament) sont encore mises en rapport avec l’espace. Il y a donc DEUX lumières qui, non seulement servent à distinguer les temps dont elles marquent l’alternance, mais introduisent explicitement un nouveau mode de qualification spatiale, la taille: “la lumière la grande pour gouverner le jour et la lumière la petite pour gouverner la nuit…”
Ces DEUX lumières sont elles-mêmes « les « grandes » (hagedolïm) en comparaison des petites (implicitement) que sont les étoiles (hakokavïm). En outre, les étoiles sont nombreuses – c’est une notion connue dans la Bible – alors que les grandes lumières, bien que « deux », sont UNiques: l’une gouvernant le jour, l’autre gouvernant la nuit. Le soleil et la lune, bien entendu.
Le quatrième jour manifeste ainsi un complexe notionnel des plus riches et significatifs en regard des notions de dualité/unité et multiplicité.
Jour cinquième: Les créatures aquatiques et aériennes
Et dit, Élohïm, (que) foisonnent des eaux un foisonnement d’âme (de) vie et le volatile qu’il vole sur la terre sur la face du firmament des cieux. Et CRÉE, Élohïm, les poissons les grands et toute âme de vie l’ondulant qui foisonnent (dans) les eaux selon leur espèce et chaque volatile volant selon son espèce. Et voit, Élohïm, que (c’est) bon! Et bénit eux, Élohïm, en disant fructifiez et multipliez et remplissez les des eaux dans les mers et que le volatile se multiplie sur terre. Et est soir et est matin jour cinquième.
– Toute âme de vie (animaux)
Le jour cinquième voit la création des premiers « animaux », à proprement parler les “âme de vie” (nephesh Haia). C’est la première fois que le verbe « créer » (bara) [BRA] est employé depuis le premier verset. C’est aussi la première fois que Élohïm prononce une bénédiction sur ses créatures.
Avec la venue des « âmes de vie », c’est le règne animal qui est créé. Cette création se fera en deux étapes. La première, la création des « animaux » aquatiques et aériens, se produit au jour cinquième et se présente comme le peuplement de la réalité inventée au jour deuxième: les eaux d’en-bas (maïm) dans lesquelles foisonnent « les poissons les grands et toute âme de vie l’ondulant », et le firmament nommé cieux! (shamaïm) dans lequel vole le volatile. Ces “âmes de vie”, aquatiques et aériennes (« célestes », aurions-nous pu traduire s’il n’était du risque de confusion…) sont distinctes des “âmes de vie” terrestres qui apparaîtront dans une deuxième étape, au jour le sixième.
– Milieux sans gravité
Les premières « âmes de vie » se répartissent donc selon deux ordres: les créatures aquatiques et les créatures aériennes.
Elles se situent chacune dans des dimensions équivalentes: les eaux et les airs (les cieux).
Bien que nous ne retrouvions pas l’expression les « airs » directement, celle-ci rend bien la situation « du volatile » qui vole « sur la terre » et « sur la face » du « firmament des cieux » (qu’on pourrait aussi traduire par « voûte céleste »). Le volatile se situe définitivement entre la terre et les cieux, dans ce “milieu” qu’on appelle “les airs” et s’y déplace à son gré.
Or, les créatures aquatiques sont elles aussi « entourées » de l’élément dans lequel elles évoluent: les eaux. Elles sont au centre de leur univers et peuvent aller dans toutes les directions. Le haut et le bas n’ont pas d’impact sur elles. Elles sont dans un espace sphérique, dans un volume.
Les créatures aquatiques et aériennes ont donc en commun de pouvoir évoluer dans un « milieu » (que ce nom est évocateur!) qui leur permet d’évoluer dans un espace où la gravité n’a pas d’effet, au contraire des « âmes de vie » du sixième jour, les créatures terrestres qui, elles, seront en rapport avec la terre (aretz) et donc sujettes à la gravité.
– Les poissons « les grands » et toute âme de vie l’ondulant ‘petit’ (glissant), et le volatile.
Au jour cinquième, si la créature aérienne est présentée sur le mode unique: “le volatile”, les créatures aquatiques sont manifestées par un couple.
Les créatures aquatiques font l’objet d’une distinction où réapparaît la notion de taille: on y parle des « taninim hagedolim », c’est-à-dire les poissons (taninim) « les grands » (hagedolim), expression qui fait écho aux « hameorot hagedolim », les lumières « les grandes », du jour quatrième.
Le complément de “poissons les grands” (taninïm hagedolïm) est le mot hébreu « remes », un mot au singulier, souvent traduit “le rampant”. Ici, cependant, on ne qualifie pas explicitement le « remes » de petit, comme ce fut le cas de la lumière « la petite » au jour quatrième. Mais on pourrait dire que « remes » est implicitement petit. Cela serait confirmé par le fait qu’au jour le sixième, le mot « remes » est à nouveau employé, cette fois en face de « behema » qui signifie “bête” dans le contexte des animaux terrestres, où la dimension de la taille est explicite, comme nous le verrons.
« Remes » est donc un mot qui revient dans deux contextes qui, bien que différents, sont associés. La plupart des traducteurs le traduisent soit par un même mot français (reptile ou rampant) soit par deux mots différents. Par exemple, pour tenir compte du contexte, la Bible de Jérusalem choisit, au jour cinquième, de traduire « qui glissent et qui grouillent” au lieu de “qui rampent”. Il est vrai que le mot “reptile” ou “rampant” ne devrait s’appliquer qu’au second contexte, puisqu’on ne rampe pas dans les eaux mais sur la terre. En effet, c’est en tant qu’animal terrestre que le « remes » est proprement qualifié par son moyen de locomotion: il rampe, avance, au ras du sol.
Les deux « remes » ont pourtant quelque chose en commun qui concerne leur moyen de locomotion. Tous les deux se déplacent grâce à un mouvement ondulatoire qui fonctionne aussi bien dans les eaux que sur la terre.
Nous ne croyons donc pas que le « remes » aquatique, au jour quatrième, fasse autre chose que nager comme les « taninïm hagedolïm » mais il le fait sans doute de façon apparentée au « remes » terrestre. Par contre, nous pensons qu’il est permis de les distinguer par la taille.
C’est ainsi que nous arrivons à deux sortes d’animaux aquatiques, les poissons qui sont explicitement LES GRANDS (hagedolïm) et l’ondulant (remes) qui est implicitement PETIT.
Comme on retrouve une structure semblable relative à la taille au jour le sixième, nous avons donc choisi de traduire « remes » par le même mot « ondulant », car traduire le même mot hébreu différemment selon les contextes a le désavantage de nous faire perdre de vue ce lien sémantique entre le « remes », animal aquatique du jour cinquième, et le “remes”, animal terrestre du jour le sixième, lien sémantique que l’auteur du récit a voulu établir.
Jour le sixième (Première partie): Les “âmes de vie” (animaux) terrestres
Et dit, Élohïm, que fasse jaillir la terre l’âme (de) vie selon son espèce la bête et l’ondulant et tout vivant de la terre selon son espèce et il en est ainsi. Et fait, Élohïm, le vivant de la terre selon son espèce et la bête selon son espèce et tout ondulant de la Adamah selon son espèce. Et voit, Élohïm, que (c’est) bon!
– Les animaux terrestres
Tout comme ce fut le cas pour le jour quatrième et le jour cinquième, nous voyons l’apparition de créatures venant peupler la réalité du jour le sixième.
Il s’agit d’abord de la deuxième étape de l’établissement du règne animal: l’apparition des créatures terrestres. Les animaux terrestres sont décrits, comme en sous-genre, comme « vivant de la terre »: « Haït haaretz ».
L’expression générique que constitue “le vivant de la terre” s’applique aussi à un couple: « behema » et « remes », c’est-à-dire la bête et l’ondulant.
– Locomotion et gravité
Les animaux terrestres, contrairement aux animaux aquatiques et aériens, connaissent les limitations du haut et du bas. Ils sont profondément conditionnés par la gravité. Ils sont « près » de la terre et, par conséquent, se déplacent sur celle-ci en avant et en arrière et de gauche à droite dans un espace linéaire, dans une aire.
Il faut donc chercher à déduire comment le vivant terrestre est affecté par la gravité et quel effet celle-ci peut avoir sur sa façon de se mouvoir.
Une première indication nous vient du couple des végétaux que nous avions distingués par leur mode de déploiement dans l’espace au jour troisième. Nous avions affirmé que l’herbe s’étend sur la terre (plan horizontal), alors que l’arbre se déploie vers les cieux (plan vertical).
Considérant l’ondulant (remes) qui est par le fait même aussi le « rampant » terrestre, l’herbe peut donc elle aussi être considérée comme rampante, s’étendant près du sol, par comparaison à l’arbre qui s’élance vers le haut.
Pour ce qui est de « la bête (behema) », essentiellement à quatre pattes, elle se déplace en marchant au-dessus du sol, le corps décollé de celui-ci vers le haut.
Il faut noter ici que le mot hébreu que l’on traduit par “serpent” dans Genèse 3 n’est pas “remes” mais « NaHash ». Le serpent est un « remes », un « ondulant » mais il devient un « rampant » comme le confirme sa « condamnation » qui est un changement de statut: « Tu MARCHERAS sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie.” À un certain point de vue il est condamné à « ramper » au sens péjoratif du mot. L’accent passe de « ondulant » à « rampant ».
Le NaHash, qui est décrit comme le « vivant » (Haito) le plus sophistiqué, sera la première victime de la “chute” qui, comme le nom l’indique, consiste dans le fait de tomber sous l’emprise exclusive de la gravité. Le Serpent génésique est ainsi « écrasé » par celle-ci au point de se retrouver encore plus bas qu’au ras le sol ou il se trouve naturellement, à en manger la poussière. De plus, la position respective des deux protagonistes de l’inimitié annoncée en Gn 3, 15, la Isha et le NaHash, confirme ce fait en plaçant celui-ci au plus bas et la Isha bien debout, celle-ci l’atteignant à la tête (lui écrasant la tête comme on traduit souvent) et lui l’atteignant au talon.
Relire l’épisode du serpent d’airain dans le Livre des Nombres (21, 4-9) dans cette perspective est très révélateur. Le serpent d’airain était placé sur un étendard, c’est-à-dire élevé de terre, dans une station verticale: “si un homme était mordu par quelque serpent, il regardait le serpent d’airain et restait en vie.” (Nombres 21, 9). Le “remède” impliquait donc le fait de relever la tête, de regarder vers l’en-haut, et de se relever, de se rétablir.
Prenant sur lui, tout le “poids”, toute la “gravité” du péché, Jésus dira dans une allusion directe au serpent d’airain exposé par Moïse: “Lorsque le Fils de l’homme aura été élevé de terre… il attirera tout à lui” (Jean 3, 14-15 et Jean 12, 31-33). Symbole ultime du Relèvement contre la force de gravité inhérente à la Chute. Équilibre retrouvé entre les choses d’en haut et les choses d’en bas. Pour marcher sur la terre, être disciple de Jésus, il ne faut pas perdre de vue les choses d’en haut.
Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. (Colossiens 3, 1-2)
Les choses d’en haut et les choses d’en bas vont ensemble, car les cieux et la terre ont été créées ainsi, au commencement, en principe.
– Behema/Remes/Haito
Dans le contexte du jour le sixième, il est certainement approprié de traduire “remes” par « reptile », qui rejoint le sens de « onduler », des mots qui caractérisent un mode de locomotion sur la terre. Mais le mot “remes” n’a-t-il pas, comme nous l’avons évoqué au jour cinquième, une autre portée: dimensionnelle?
Le verset 24 qui introduit la formation des « âmes de vie » terrestres présente la même difficulté que celui qui opposait les «poissons grands » et le « remes (petit) » au jour cinquième.
La Bible de Jérusalem traduit la suite des trois mots hébreux “behema, remes et Haito” par « bestiaux, bestioles et bêtes », composant une triade qui accorde au dernier terme “bêtes” (Haito) une acception générique et oppose les deux premiers, « bestiaux » (behema) et « bestioles » (remes), sur la base de leur dimension, “bestioles” étant un diminutif de bêtes alors que “bestiaux” projettent l’effet d’une bête de plus forte taille.
*Note : On notera que, contrairement aux mots hébreux utilisés qui sont au singulier, tous les termes de la traduction de la Bible de Jérusalem sont au pluriel.
Ce choix est valable pour deux raisons: d’abord « Haito » [HITY] a effectivement une acception générique, mais celle-ci devrait être soulignée plus fortement car le terme « Haito » est un mot singulier qui signifie à proprement parler le « vivant ».
Il est, pour nous, impératif de rendre dans la traduction cette référence à la « vie » qui est un thème fondamental pour les récits génésiques, comme en fait foi l’arbre de la « vie » (Haiïm) [HIIM] et, plus tard, le nom donné à la Isha: « Ève » (Haoua) [HYE] , c’est-à-dire la « vivante », dans le second récit de création.
L’autre raison qui tend à justifier la traduction de la Bible de Jérusalem est que le choix des termes « bestiaux » et « bestioles » reflète un accent mis sur la dimensionnalité.
Cela pourrait expliquer en partie la qualification de « remes » en tant que « rampant ». Le « ondulant », qu’on pourrait appeler le « reptile », à condition de ne pas associer ce terme à la définition courante du terme, n’a pas de pattes qui lui permettent de s’élever et de se déplacer « au-dessus » de la terre. Il doit ramper et ce, en ondulant. Le « remes » est le rampant/ondulant non seulement à cause de son mode de locomotion, il est aussi « près » de la terre parce qu’il est implicitement petit (“bas”). L’effet combiné de la gravité et de sa petitesse (sa “bassesse”, sans connotation péjorative) nous le présente comme « collé » à la terre.
C’est ce qui va nous aider à définir la « behema », que, faute de meilleur terme, nous traduisons par « bête ».
La bête, contrairement au reptile (sans pattes), a des pattes qui lui permettent de se décoller de la terre et de marcher. La “bête” (behema) peut être dite plus ou moins “haute” sur pattes.
Il y a, en outre et peut-être surtout, une indication de la possibilité d’un sens ancien de « behema » qui réfère à la taille: l’utilisation ultérieure de sa forme plurielle “behemot” en tant que “pluralis excellentiae” a été employée pour signaler une « bête géante » (Job, 40, 15-24). Étant donné cette trace d’une référence à la « grosseur/grandeur » dans le passage de « behema » à « behemot », et la notion récurrente de la dimensionnalité exprimée dans le rapport aux « lumières les grandes » et surtout aux “poissons les grands”, nous pouvons en déduire qu’une polarité « grand-gros/petit » est bel et bien présente dans le couple « behema/remes » au jour le sixième, tout comme elle l’est implicitement dans le couple « taninim/remes » au jour cinquième.
La bête est donc ‘grande/grosse’ et elle marche décollée de la terre, alors que le reptile est petit et rampe collé à la terre.
Le terme « remes » nous oriente ainsi sur un complexe de signification à deux épaisseurs: le moyen de locomotion et la taille. Comme nous l’avons déjà mentionné, le « remes » aquatique n’a cependant pas les mêmes caractéristiques que le terrestre; il n’y a pas clairement de distinction entre la façon dont les taniniïm » et le « remes » se déplacent dans l’eau, la raison étant qu’ils évoluent dans un milieu où la gravité n’a pas d’effet, à l’instar de l’oiseau.
Toutes ces considérations étant posées, nous choisissons de traduire le terme hébreu générique « Haito » par « vivant » et « behema » par « bête » avec la connotation ‘grande/grosse’ ». Quant à « remes », faute de trouver un mot français qui rende à la fois le moyen de locomotion et la taille, nous choisissons de le traduire de la façon suivante: « l’ondulant» avec la connotation ‘petit’ ». Cette manière de traduire a le mérite de ne pas transformer les trois termes Behema/Remes/Haito en une triade qui nous ferait perdre de vue le couple « bête (grande)/ondulant (petit) » et la spécificité “générique” du troisième terme qui les qualifie tous deux: le “vivant”. La bête (grande) et l’ondulant (petit) symbolisent tout animal “vivant” sur la terre.
Au delà de la structure linéaire
Il est maintenant temps de souligner un nouvel élément de structure qui nous permet de saisir la subtilité et la sophistication de la structure du premier récit de la création. En effet, au-delà de la structure linéaire du texte sous l’axe des jours, nous retrouvons un mouvement évolutif qui superpose des moments, distinguant non seulement les six jours les uns des autres mais associant certains d’entre eux à d’autres.
Essentiellement, il s’agit du fait que les trois premiers jours établissent les bases de la création et que les trois derniers présentent les différents « habitants » des trois niveaux apparaissant dans les trois premiers jours auxquels ils se trouvent ainsi associés. Il y a superposition entre le jour UN et le jour quatrième, le jour deuxième et le jour cinquième et enfin entre le jour troisième et le jour le sixième. Ce système se présente selon le schéma suivant:
- Au jour UN, « qu’il y ait LA lumière » correspond, au jour quatrième, « qu’il y ait des lumières », le soleil, la lune et les étoiles.
- Au jour deuxième, “qu’il y ait un firmament au milieu des eaux” établissant la distinction entre les eaux d’en bas et les eaux d’en haut, correspond, au jour cinquième, la création des habitants des eaux d’en bas: les « poissons » et dans le firmament des cieux: l’oiseau.
- Au jour troisième, qui voit d’abord l’apparition de la « terre » (du « sec ») et ensuite de la végétation, correspond, au jour le sixième, l’apparition des « êtres vivants » de la terre et la création de ADaM/Zakar ou-Neqeva d’abord, pour ensuite se conclure avec l’offre de la végétation comme nourriture: l’herbe et l’arbre pour l’Humain, l’herbe pour les « âmes de vie » (animaux terrestres, incluant l’oiseau).
Les structures des jours troisième et le sixième se distinguent de leurs jours compagnons par leur envergure et leur plus grande complexité. Entre autres caractéristiques, le jour troisième comporte autant de mots que les deux premiers jours réunis. Le jour le sixième qui lui correspond est le plus long de tous avec ses 150 mots; la raison est qu’en ce jour est créé ADaM/Zakar ou-Neqeva, comme point d’arrivée de tout le processus, comme nous le verrons plus loin.
Les deux premiers versets du jour le sixième (les versets 24 et 25) décrivent les actions typique de Élohïm, il « dit » et il « fait », qui correspondent partiellement à la structure commune des autres jours et, encore plus spécifiquement, à celle du jour troisième, et montrent la création des « vivants », les animaux terrestres. Cette première partie du jour le sixième se clôt avec la formule « Et voit, Élohïm, que (c’est) bon! » (ki tov) [KI TOB].
Mais la raison pour laquelle ce groupe d’actions diffère, en étant binaire au lieu de ternaire (deux actions au lieu de trois) comme dans le cas des cinq premiers jours, repose sur l’introduction d’une nouvelle donnée, fondamentale, la « adama » [ADME], la terre une nouvelle fois redéfinie. En effet, là où on aurait attendu l’expression « le rampant de la terre (aretz)», on a « le rampant de la adama (un autre niveau de la « terre »)». Ainsi, fidèle à sa technique, l’auteur brise la logique linéaire pour marquer une emphase qui introduit le coeur de son message, la création de « ADaM » [ADM] tiré de la « adama » [ADME].
Le verset 26 revient avec un « Et dit » (ou-ïômer) [YIAMR], mais il va se déployer comme un verset unique, se présentant comme un véritable coup de cymbale avec double redondance, d’abord du mot Élohïm deux fois, et du mot « crée » (bara) [BRA], trois fois.
C’est le moment où Élohïm décide de créer ADaM [ADM]. Coup de théâtre. Point d’arrivée. Sommet.
Jour le sixième (Deuxième partie): Création de ADaM/Zakar ou-Neqeva
Et dit, Élohïm, faisons ADaM dans notre image selon notre ressemblance et qu’ils dominent sur le poisson de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur le bétail et sur toute la terre et sur tout le rampant rampant sur la terre. Et CRÉE, Élohïm, le Adam dans son image dans l’image de Élohïm CRÉE lui Homme! et Femme! CRÉE eux. Et bénit eux, Élohïm, et dit à eux, Élohïm, fructifiez et multipliez et remplissez la terre et (la) conquérez et dominez sur les poissons de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur toute vie qui rampe sur la terre.
Nous n’avons pas abordé la création de l’Humain (ADaM) dans un premier traitement du jour le sixième pour lui réserver un statut à part dans le déploiement de la création. Il y a plusieurs éléments qui justifient ce traitement spécial puisque les versets qui portent sur la création de l’Humain sont d’une complexité sémantique originale par rapport à l’ensemble du texte et éminemment significative.
Nous avons noté tout au cours du processus de création la présence de nombreux couples représentatifs de différentes réalités cosmologiques. La création de l’Humain n’échappe pas à cette règle puisqu’il est lui aussi présenté comme un couple : « Homme ! et Femme ! » (Zakar ou-Neqeva) [ZKR YNQBE].
Comme nous y a habitués l’auteur, ce couple est mis en rapport avec un troisième terme, générique, qui est justement ADaM. Or, ADaM est le seul, dans toute la création, à avoir été créé “dans l’image selon la ressemblance de Élohïm”. Les implications de cette caractéristique ontologique sont nombreuses. Nous allons en considérer quelques-unes à la lumière de la structuration des versets 26-28.
– Structuration des versets Gn 1, 26-27-28
Tout d’abord, nous avons affaire à trois versets. Le verset 27, qui est celui de la création proprement dite de l’Humain (ADaM), Homme ! et Femme ! (Zakar ou-Neqeva), se trouve inclus entre deux versets qui se terminent de la même manière, notifiant que l’humanité dans sa dimension plurielle est appelée à dominer :
- Verset 26: “et qu’ils DOMINENT sur le poisson de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur le bétail et sur toute la terre et sur tout ondulant ondulant sur la terre.”
- Verset 28: “et DOMINEZ sur les poissons de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur toute vie qui rampe sur la terre.”
Il faut noter que le premier emploi du pluriel appliqué à l’humanité (et qu’ILS DOMINENT) apparaît au verset 26, avant la mention de la distinction Homme ! et Femme ! (Zakar ou-Neqeva) au verset 27.
Un autre élément remarquable est le fait qu’en Gn 1, 26, cette dimension plurielle apparaît dans le contexte où, pour la première et seule fois du récit, l’action de Élohïm est elle-même exprimée au pluriel: “FAISONS”, ce que confirme dans la suite l’emploi d’un adjectif possessif de nombre pluriel: “dans NOTRE image selon NOTRE ressemblance”.
Cette structuration singulier/pluriel suggère une coïncidence de l’Un et du Multiple en Élohïm et en ADaM. Nous aurons ainsi pour la première fois une application grammaticale du fait que le nom de Élohïm est pluriel :
- Verset 26: “Et dit (singulier), Élohïm (pluriel), faisons (pluriel !) ADaM (singulier) dans notre (pluriel) image notre (pluriel) selon notre ressemblance et qu’ils dominent (pluriel)…
- Verset 27: Et crée, Élohïm, le Adam (singulier) dans son (singulier) image dans l’image (singulier) de Élohïm (il) crée lui (singulier) “Zakar ou-Neqeva” (COUPLE) (il) crée eux (pluriel).
- Verset 28: Et bénit eux (pluriel), Élohïm, et dit à eux (pluriel), Élohïm, fructifiez et multipliez et remplissez la terre et conquérez-la et dominez (tous des pluriels)…
*Note: On retiendra pour la suite que le verset 27 ne reprend pas le terme de « ressemblance » utilisé au verset 26, mais revient avec « image » seulement.
Le verset 27 est à lui seul un compendium de profondeur et de sens. Sa composition elle-même, lorsque l’on y porte attention, est remarquable. Aucune traduction ne peut la bien rendre.
Pour mieux montrer la richesse de l’écriture et donner une idée de la portée de cette courte sentence, nous allons partir d’une transcription de l’original hébreu.
- vayivra Élohïm et haadam betsalmo
- Et créa Dieu(x) le Adam dans son image
- betselem elohim {bara oto [Zakar ou-Neqeva] bara otam}
- dans l’image de Dieu(x), {crée lui [Homme! et Femme!] il crée eux.}
« Vayivra » est en fait écrit « YIBRA ». Les juifs le prononce aujourd’hui « vayi(vra) »‘vra’, mais c’est en fait le premier ‘bara’ du verset. Ce même mot ‘bara’ (le verbe « crée » – si rare et si important) n’est utilisé que cinq fois dans tout le chapitre, trois fois dans ce seul verset. C’est la première des redondances qui marquent le verset. Cette redondance est une insistance.
Deuxième redondance: « betsalmo betselem » (dans son image dans l’image). Nouvelle insistance.
Pour la mentalité biblique, « tselem », que l’on traduit par “image”, est un terme beaucoup plus fort que la notion d’image que nous avons. On pourrait traduire “dans son ombre, dans l’ombre.” C’est en effet le sens exact du mot « tselem ». Dans la mentalité biblique “l’ombre” est le reflet exact de l’objet projeté. Dans ce contexte, il exprime une modulation particulière de l’acte de création de Élohïm, spécifique à l’Humain, reflet, ombre de Élohïm.
Pour avoir une idée de l’importance qu’il y a à en tenir compte, on n’a qu’à penser à la déclaration faite par l’Ange au seuil du Nouveau Testament et aux vastes horizons de compréhension qui s’ouvrent ainsi à nous.
Le potentiel d’existence et de VIE exprimé dans le second verset du récit de la Genèse se retrouve lors de l’Annonciation faite à Marie. Celle-ci demande: “Comment cela se fera-t-il?” En d’autres mots, comment cet engendrement inédit, encore en potentiel, adviendra-t-il?
Il lui fut répondu que l’Esprit Saint – à l’instar de la ténèbre « sur la face de l’abîme » et du souffle (de) Élohïm planant « sur la face des eaux” du commencement – viendrait “sur elle” et que la Puissance du Très-Haut la prendrait “sous son OMBRE” (Luc 1, 35).
L’Enfant sera ainsi engendré – non pas créé – dans l’image (betselem) du Très-Haut. Et l’Ange ajoute: “C’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu.” (Luc 1, 35)
L’image en tant que “tselem” réfère donc à la présence de l’Esprit Saint dans l’oeuvre de la création, de même qu’à la manifestation d’une Filiation humaine et divine sur laquelle nous reviendrons plus loin.
La dernière partie du verset 27 est une véritable construction qui définit ce qui est “dans l’image de Élohïm”. Nous avons tenté de le marquer par l’utilisation des accolades et, à l’intérieur de ces accolades, les crochets.
{ bara oto [Zakar ou-Neqeva] bara otam }
{crée lui [Homme! et Femme!] il crée eux.}
Les deux mots [Zakar ou-Neqeva] sont situés entre « bara oto » (crée lui) et « bara otam » (crée eux), formant ce qu’on appelle une “inclusion”.
Les trois versets Gn 1, 26-28 sont donc structurés au moyen d’une double inclusion. Comme nous l’avons mentionné plus haut, le verset 27 est situé dans l’inclusion formée par les verset 26 et 28 qui se terminent en symétrie sur l’expression de la “domination” de l’Humain, et, à l’intérieur de cette première inclusion, il y a l’inclusion formée par le verset 27 lui-même dont [Zakar ou-Neqeva] constitue le centre.
En écriture biblique, une telle inclusion marque la priorité donnée aux termes inclus. Structurellement, on peut donc dire que le processus de création connaît son point d’arrivée, son sommet, sa réalisation finale en [Zakar ou-Neqeva].
La formule « Homme! et Femme! » que nous utilisons pour marquer la profondeur de la signification symbolique du couple Zakar ou-Neqeva inclut cette dimension ontologique du couple fondamental: « lui » (oto), c’est-à-dire le ADaM, est « Eux » (otam), c’est-à-dire Zakar ou-Neqeva.
Insérée dans un tel contexte, nous pouvons déjà apercevoir la grande puissance de l’expression “Zakar ou-Neqeva” et combien il est inadéquat de la traduire par « mâle et femelle ».
En effet, comment en arriver à ce choix, qui se base sur l’éventuelle « animalité » de l’Humain, en regard de l’immense profondeur de cette finale spectaculaire de la création qui est déclarée précisément non pas à l’image de l’animal mais de Élohïm même?
Le récit, si concentré, si équilibré, si conscient des structures, ne mentionne JAMAIS que les dits animaux sont « mâle et femelle ». Nous pouvons croire que l’auteur en avait conscience et qu’il a plutôt choisi de parler de toute “âme de vie” (règne animal) de façon diversifiée en termes d’espèces (“selon son espèce”), tout comme le règne végétal d’ailleurs.
ADaM/« Homme! et Femme! » se présente plutôt comme le « résumé de l’univers des choses » dont l’Église parle dans sa Constitution pastorale Gaudium et Spes (GS 14, 1)
Corps et âme, mais vraiment un, l’homme est, dans sa condition corporelle même, un résumé de l’univers des choses qui trouvent ainsi, en lui, leur sommet, et peuvent librement louer leur Créateur.
C’est réduire considérablement l’être de “l’homme” dont il est question dans ce passage que de l’assimiler à la réalité exprimée par le couple “mâle et femelle”.
– Être DEUX
Le couple Homme! et Femme! (Zakar ou-Neqeva) se situe donc au coeur d’un contexte sémantique particulièrement bien structuré et s’inscrit comme étant créé “dans l’image de Élohïm”.
Mais qu’en est-il du fait que, lors de la création à proprement parler de l’Humain au verset 27, on ne parle que de l’image et non plus de la ressemblance, comme au verset 26?
Dans les deux versets, il est question de la création de ADaM, et, dans les deux versets, il est dit que ADaM est créé dans l’image de Élohïm. C’est ce qu’ils ont en commun. Voyons maintenant ce qui les distingue.
Comme nous le disions, au verset 26, Élohïm dit: “FAISONS (naase) dans notre image…”, c’est la première et seule fois de tout le récit que ce Nom commande un verbe au pluriel. Cette unique “dérogation” confère une nouvelle dimension au pluriel qu’est en fait Élohïm.
La formule: “faisons dans NOTRE image” qui manifeste la dimension plurielle de Élohïm comme “nous-Dieux” au verset 26 est réitéré au verset 27 mais, cette fois, dans sa dimension singulière: “Et crée, Élohïm, dans SON image.” L’image de Élohïm se comprend alors en rapport avec la création de l’ADaM [Zakar ou-Neqeva], c’est-à-dire en tant que DEUX.
Or DEUX implique l’idée de relation. Le ADaM est une créature relationnelle. Et si cette créature relationnelle est dans l’image de Élohïm, c’est dire qu’Élohïm est lui-même de nature relationnelle.
Jésus nous a révélé cette base relationnelle, à la fois Une et Multiple, de Dieu(x), d’abord dans le rapport d’amour entre le Père et le Fils. La révélation de Jésus nous montre aussi qu’en Dieu(x) cette relation entre le Père et le Fils se produit dans l’Esprit, le Souffle. C’est ce souffle qui était au-dessus des eaux primordiales « ruaH Élohïm ».
Donc, Dieu(x), TROIS, Père et Fils et Esprit, dit: FAISONS ADaM, et il le crée DEUX [Zakar ou-Neqeva]. L’Humain, DEUX, n’est donc pas TROIS, il n’est pas de nature « trinitaire ».
Mais il est tellement DEUX que Iaoué-Elohïm dira au second récit de la création: « Il n’est pas bon que l’Humain soit ‘seul’ (levado) », ce qui pourrait se traduire par : « Il n’est pas bon que l’Humain soit ‘séparé, à part’ en lui-même.
Jésus confirme la bonté de ce DEUX, car le Fils lui-même n’est pas ‘seul’:
Jésus leur dit donc: Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que le Père m’a enseigné, et celui qui m’a envoyé est avec moi; il ne m’a pas laissé SEUL, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. (Jean 8, 28-29)
C’est ainsi qu’il envoie ses disciples “deux par deux”, et non pas “seuls”, sur les routes de l’évangélisation.
De même, au moment où il s’apprête à remonter vers le Père, il les rassurera à cet égard:
Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous. (Jean 14, 18)
C’est une attention qui reflète la préoccupation constante de Iaoué pour l’étranger, la veuve et l’orphelin, toutes des figures de “l’esseulé”.
Ce Deux “ontologique”, à l’instar de la réalité de Élohïm, ce nom pluriel sujet – à une exception près – de verbes au singulier, implique aussi le UN, communion au Jour UN, au Lieu UN, et correspond au UN divin du rapport Père/Fils:
que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous (Jean 17, 21)
Enfin, ce UN s’accomplit sous l’ombre de ce troisième terme-Personne asymétrique qu’est l’Esprit.
Car si les personnes/dons/ministères/opérations sont divers, c’est toujours le même Esprit, depuis les origines, qui plane encore sur les eaux primordiales devenues baptismales.
Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. (1 Corinthiens 12, 4-6)
L’Esprit Saint est celui qui préside à toutes relations, planant sur tout potentiel, et menant vers l’accomplissement de toutes choses: “Viens, Esprit Créateur”.
– Fils d’Adam, Fils de Dieu
En ce qui concerne l’anthropologie théologique, l’interprétation du verset Gn 1, 27: “Et CRÉE, Élohïm, le ADaM dans son image, dans l’image de Élohïm, CRÉE lui, Zakar ou-Neqeva CRÉE eux”, est certainement l’une des plus délicates en vertu, notamment, de ses implications concrètes sur la manière de considérer le rapport entre les hommes et les femmes.
C’est pourquoi avant de nous pencher notamment sur les significations du couple Zakar ou-Neqeva (une prochaine partie éponyme lui sera entièrement consacrée), il nous a semblé opportun de prolonger quelque peu l’approfondissement de cette formule: “dans notre image selon notre ressemblance”, qui s’avère déterminante pour l’exégèse dans son ensemble.
Dans Genèse 5, 3 il est dit:
Quand Adam eut 130 ans, il engendra un fils dans sa ressemblance, comme son image, et il lui donna le nom de Seth.
L’auteur reprend les termes employés dans Gn 1, 26, en les appliquant à l’engendrement, ce qui va nous permettre d’apercevoir les deux termes associés « image et ressemblance » comme marquant une “filiation” de l’Humain par rapport à Dieu.
C’est ce qui ressort explicitement de la généalogie de Jésus dans l’évangile de Luc. Cette généalogie remonte la lignée de ses ancêtres au delà même d’Abraham, jusqu’à:
fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu. (Luc 3, 38)
Qui est cet “Adam, fils de Dieu”, sinon le ADaM créé dans l’image de Élohïm, Homme ! et Femme ! (Zakar ou-Neqeva) du verset 27 de Genèse 1.
Il faut donc être capable de lire les deux récits de création en conséquence. Car une étude approfondie de leur version hébraïque nous montre que, dans ces récits, le mot hébreu « ADaM » n’est JAMAIS employé comment étant le nom propre du premier « mâle », mais toujours au sens « générique »: l’Humain (ADaM).
C’est ce que confirme sans équivoque l’auteur de la Genèse au tout début du chapitre 5:
Voici le livret de la descendance d’Adam: Le jour où Dieu créa Adam, il le fit dans la ressemblance de Dieu. Homme et femme il les créa, il les bénit et LEUR DONNA LE NOM D’ADAM”, le jour où ils furent créés. (Genèse 5, 1-2)
ADaM est le NOM unique donné par Élohïm à eux deux: Homme! et Femme! (Zakar ou-Neqeva).
La prise en compte de cette spécificité du texte hébreu est pour nous préalable à une incorporation adéquate du couple Zakar ou-Neqeva dans l’image de Élohïm. Car ce qui est dans l’image de Élohïm, nous dit la Genèse biblique, ce n’est ni “l’esprit”, ni la “raison” ni même l’”âme”, mais ADaM/Zakar ou-Neqeva.
– DANS notre image SELON notre ressemblance
Dans le contexte du verset 26, les deux mots hébreux que l’on traduit par “image” et “ressemblance” ne sont pas de simples synonymes, il ne s’agit donc pas d’une redondance voulant manifester une insistance comme dans le cas de « betsalmo betselem » (dans son image dans l’image) au verset 27. Placés côte à côte, ils ne sont pas non plus employés de la même façon, la préposition diffère:
- betsalmenu: “dans” notre image
- kidmutenu: “selon” notre ressemblance
En Gn 1, 26, “notre image” se présente comme un “lieu”: “DANS notre image selon notre ressemblance”, plutôt qu’une espèce de reproduction de ce qui serait le modèle, comme dans l’expression « être fait à l’image de ». On pourrait pratiquement dire que ce “dans” se matérialise au second récit de création dans la figure du jardin planté en Éden, lieu de fréquentation familière entre Iaoué-Élohïm et ADaM.
D’ailleurs, de quoi Jésus parle-t-il dans son enseignement sinon d’image et de ressemblance, et ce, bien souvent, en termes de “lieu” ?
Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en [DANS] mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en [DANS] mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en [DANS] son amour. (Jean 15, 9-10)
Jésus invite ses disciples à lui ressembler, à être “comme” lui qui est “comme” le Père, afin de demeurer dans le lieu de l’image du Père, avec lui comme lui.
L’image et la ressemblance sont dans un rapport privilégié. Il ne peut y avoir “image” sans “ressemblance”. Mais si image et ressemblance vont de concert en Gn 1, 26, l’expérience de la “Chute” (Genèse 3) nous montre qu’il peut y avoir rupture.
Cette réalité émane de l’enseignement de Jésus. Personne ne peut affirmer qu’il est le fils du Père, s’il ne lui ressemble pas. Tel est en effet l’essentiel de l’argumentation de Jésus lorsqu’il discute avec les juifs réfractaires à sa parole, qui prétendent avoir Abraham et même Dieu pour père (Jean 8, 38-44a) :
– « Je dis ce que j’ai vu chez mon Père; et vous, vous faites ce que vous avez entendu auprès de votre père. »
– Ils lui répondirent: « Notre père, c’est Abraham. »
– Jésus leur dit: « Si vous êtes enfants d’Abraham, faites les oeuvres d’Abraham. Or maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité, que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait! Vous faites les oeuvres de votre père. »
– Ils lui dirent: « Nous ne sommes pas nés de la prostitution; nous n’avons qu’un seul Père: Dieu. »
– Jésus leur dit: « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne viens pas de moi-même; mais lui m’a envoyé. Pourquoi ne reconnaissez-vous pas mon langage? C’est que vous ne pouvez pas entendre ma parole. Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement… »
Autrement dit : Puisque je fais les oeuvres du Père et que vous ne me reconnaissez pas, c’est que nous n’avons pas le même père.
Le fait de “re-(s)sembler” implique donc une réitération concrète de ce qui est “semblable”, un agir concrétisant l’image. C’est le Fils manifestant le Père par ses oeuvres: (Jean 10, 32-38)
– Jésus leur dit alors: « Je vous ai montré quantité de bonnes oeuvres, venant du Père; pour laquelle de ces oeuvres me lapidez-vous? »
– Les Juifs lui répondirent: « Ce n’est pas pour une bonne oeuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème et parce que toi, n’étant qu’un homme, tu te fais Dieu. »
– Jésus leur répondit: « N’est-il pas écrit dans votre Loi: J’ai dit: Vous êtes des dieux? Alors qu’elle a appelé dieux ceux à qui la parole de Dieu fut adressée – et l’Écriture ne peut être récusée — à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dites: Tu blasphèmes, parce que j’ai dit: Je suis Fils de Dieu! Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas; mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces oeuvres, afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père. »
« Afin de reconnaître une bonne fois que le Père est en (DANS) moi et moi DANS le Père », insiste Jésus. Pour être en mesure de “re-connaître”, il faut donc qu’il y ait “re-(s)-semblance”.
Quand la rupture de la chute s’est opérée dans la désobéissance de ADaM – la Isha et son Ish – au commandement de Iaoué-Élohïm disant de ne pas manger de l’arbre de la connaissance”, l’humanité est “sortie” de ce lieu de l’image, chassée de l’Éden.
Alors qu’il s’apprête à “entrer” dans le jardin de Gethsémani, Jésus, prenant sur lui les conséquences de notre chute au premier jardin, réitère dans sa prière notre appel originel au lieu de l’image de Élohïm, lieu de communion intime du Père et du Fils, uniques. “Je veux que LÀ OÙ JE SUIS, eux aussi soient avec moi”. Telle sera la prière ultime du Fils au Père pour nous.
Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient UN (eHad). Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient UN comme nous sommes UN: moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, et que le monde reconnaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant la fondation du monde. (Jean 17, 20-24)
Mais Jésus réitère aussi:
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté DEHORS … (Jean 15, 6)
Au lieu de l’Agonie, dans le jardin des Oliviers, déjà toute la Passion est assumée: “Que ta volonté soit faite et non la mienne”. L’arbre de vie de la Croix produira de “bons” fruits, selon son espèce, qui se multiplieront, tout comme le grain qui meurt ne reste jamais “seul”.
En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. (Jean 12, 24)
Dans le rapport entre image et ressemblance, il y a donc quelque chose du rapport entre le Père et le Fils. Le Père contemple son image dans le Fils et le Fils ressemble à son Père, le glorifiant par ses oeuvres:
Vous êtes la lumière du monde. […] Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matthieu 5, 14a et 16)
Ce passage est étonnant de ressemblance avec le premier récit de création dans lequel la lumière du Jour UN permet à Élohïm de voir la bonté de ses oeuvres de création. Le Fils est la lumière qui manifeste le Père, comme le dit Jean dans son Prologue et ce en référence directe au premier récit de création:
Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie. […] Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme; il venait dans le monde. Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. (Jean 1, 1-5 et 9-10)
Cependant, comme le dit ensuite l’évangéliste, bien qu’il soit venu chez lui et que les siens ne l’aient pas accueilli, « à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu… » (Jean 1, 11-12)
C’est en tant qu’ils sont “enfants de Dieu” que Jésus peut dire de ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde ! », à l’instar de ce qu’il dit de lui-même:
Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. (Jean 12, 46)
Paul rappelle lui aussi l’importance de la ressemblance au Créateur:
Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau [avec ses “bons” agissements], celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur. (Colossiens 3, 9b-10)
L’apôtre fait clairement allusion aux conséquences de la chute de l’Humain fondée sur le désir d’une « fausse connaissance ». Ce qui a été perdu, c’est le “lieu” de son rapport intime au Créateur qui faisait de l’Humain de la création, non seulement une créature mais un “fils de Dieu”, puisque ADaM fut créé dans l’image selon la ressemblance de Élohïm.
Pour opérer la rénovation de ce statut, le Fils unique de Dieu a pris chair dans notre monde. Fils de l’Homme, il est l’Homme nouveau. Revêtir cet Homme nouveau, c’est faire “comme lui”, agir selon la ressemblance de celui qui est « l’image du Dieu invisible » (Col 1, 15), en accomplissant, à sa suite, les oeuvres du Père. “Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père”, disait déjà le jeune Jésus. (Luc 2, 49)
Il faut cependant comprendre que cette « rénovation » – ce mot est riche – implique qu’il ne s’agit pas de quelque chose de fondamentalement différent et indépendant du projet initial de Dieu.
La parabole de l’enfant prodigue est significative à cet égard puisqu’elle met en présence deux fils: l’un qui a péché, dilapidant sa part d’héritage, et l’autre qui est toujours resté auprès de son père. Pourtant, lorsque le fils qui était perdu revient, le père lui ouvre les bras, comme s’il ne tenait plus compte du fait qu’il ait dépensé “sa part”. (Luc 15, 11-32)
La Rédemption renoue avec l’Héritage de la Création, le fait fructifier, pour qu’advienne le Règne du Père qui es aux Cieux et que sa volonté soit faite sur la Terre comme aux Cieux.
Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. (Éphésiens 1, 3-6)
Contemplation et portée de l’oeuvre des six jours de création (Gn 1, 31)
Et voit, Élohïm, tout ce que il fait. Et voici (c’est) bon extrêmement! Et est soir et est matin jour le sixième.
Le sommet de la création en est aussi le coeur, puisque Élohïm récapitule l’ensemble de ses oeuvres à partir de son point d’aboutissement et, les embrassant toutes de son regard, il en atteste l’extrême bonté.
Toute l’oeuvre de la création aboutissant à la création de l’Humain/ADaM [ADM], c’est ce qui nous permet d’appliquer l’ensemble de la logique du récit à ce couple Zakar ou-Neqeva qui constitue ADaM.
La création de l’humain étant le point d’arrivée de tout un « processus », il s’agira aussi de voir en quoi ce processus nous donne des indications sur la « nature » même de « l’être humain ».
Réduire le sens de la formule “Zakar ou-Neqeva” à la connotation “mâle et femelle”, conditionne encore étroitement notre manière de considérer le rapport homme/femme. Dans la partie qui sera intitulée: “Zakar ou-Neqeva” et qui portera essentiellement sur le sens de cette formule hébraïque, il sera entre autres question de certaines conséquences inhérentes à une considération du rapport homme/femme en termes de « mâle et femelle ».
Dans un premier temps, il nous fallait cependant dégager quelques implications structurelles, sémantiques et anthropologiques du Premier récit de création dans son ensemble. Nous avons aussi jugé indispensable de nous pencher sur le sens de la formule “dans l’image selon la ressemblance” afin de pouvoir lire le Premier récit de la création à la lumière de “l’Incarnation du Fils” – et vice-versa: l’Incarnation du Fils à la lumière de la Genèse -, cette lecture dont le Prologue de Jean constitue la clé.
Cette perspective nous permet de mieux saisir en quoi “Fils de DIEU (Élohïm)” et “Fils de l’HOMME (ADaM)” expriment des réalités concourantes, et ce dès la Genèse. Jésus, annoncé par l’ange comme « Fils de Dieu », privilégiait lui-même le nom de « Fils de l’Homme » dans sa prédication.
Jésus est Fils du Père des Cieux (le Très-Haut) et il est aussi Fils d’ADaM, Fils de Zakar ou-Neqeva, et il est Fils de Joseph et Marie, comme nous le rappellent les Évangiles. Les implications anthropologiques et théologiques qui se dégagent de cette séquence sont d’une grande portée et elles s’appuient sur l’exégèse de Gn 1, 27, ce qui en révèle le caractère déterminant.
Cette Filiation est également le fil de notre propre histoire humaine encore en quête de son plein accomplissement.
Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. Quiconque a cette espérance en lui se rend pur comme celui-là [le Fils] est pur. (1 Jean 3, 2-3)
C’est donc aussi en pensant à « ce que nous serons », cette part de réalité humaine annoncée par Jean et encore voilée en Zakar ou-Neqeva, que nous avons recours à cette formule marquée de points d’exclamation: “Homme! et Femme!”.
[1] N’est-il pas remarquable que nous retrouvions cette même dynamique dans le monde indo-européen, alors que l’on peut faire remonter l’origine de Jupiter et Zeus Pater à une base commune, soit Dyeus pater, Dyeus ayant le sens de « ciel », ce qui fait de Jupiter et Zeus, le « père du ciel »!
Votre texte me remplit d’espérance. Je sens que votre travail va permettre une compréhension plus juste et plus en profondeur de la relation homme/femme et aussi de la relation de l’homme (ADaM) avec son créateur.
Merci! Particulièrement d’avoir publié ces textes quelques jours avant le Triduum pascal! Peut-être était-ce voulu? Peut-être vous êtes-vous dépêché pour conclure le tout et nous offrir ce cadeau pour Pâques? Peut-être avez-vous pressenti justement combien l’approfondissement de ces textes bibliques prend une ampleur encore plus grande lors des liturgies de la veillée pascale?
Le célébrant de la veillée pascale à laquelle j’ai participé hier nous exhortait à ne pas accueillir les textes bibliques comme «des éléments du passé ou un simple rappel historique», mais plutôt comme une parole vivante, qui contient un potentiel de résurrection.
Cet appel est certainement inspirant et judicieux, mais ce n’est pas toujours facile d’écouter ces textes avec une ardeur nouvelle…votre «déchiffrage» m’a assurément aidé à répondre à cet appel.
Je suis certaine que cela portera de bons fruits!
J’ai eu l’occasion de lire votre dernier texte (et quel texte!) au même moment où je terminais la lecture d’un livre résumant la pensée et les écrits d’Édith Stein. Je dois dire qu’il s’agit d’un résumé très résumé, mais qui a le mérite de nous donner envie de découvrir en profondeur la pensée de cette philosophe.
Puisque je ne connaissais que peu de chose sur la pensée d’Édith Stein, hormis qu’elle naviguait dans le champ de la phénoménologie, j’ai été tout à fait enthousiasmée de découvrir son concept d’Einfühlung (de l’allemand et dont toute traduction est impossible selon l’auteur), lequel aborde le concept de complémentarité dans l’être et entre les personne. En ce sens, j’ai pris plaisir à faire certaines corrélations avec vos écrits. Il faut tout de même noter que ces corrélations ne sont pas étonnantes, car peut-on parler du réel sans en arriver à ses structures fondamentales? Mais bon, ces corrélations ont, disons, éveillé doublement mon intérêt.
L’Einfühlung est une notion complexe, mais je retiens qu’elle tente d’exprimer la texture relationnelle qui unit les êtres entre eux, et aussi avec Dieu. Et aussi que ce processus d’appréhension de ce qu’est l’autre et ce qu’est Dieu, est impossible sans une présence préalable dans l’être d’un «dépôt de connaissance». En effet, il n’est possible pour une personne humaine de reconnaître et de communier à la tristesse ou à la joie d’une autre personne que parce qu’elle a déjà vécu en son fort intérieur la même réalité. Pourtant, l’autre demeure toujours différent de nous dans son vécu subjectif. Ces «efforts» d’intersubjectivité nous permettent de découvrir ce qui nous fait «un» et en même temps, il demeure toujours une «différentiation» qui permet elle aussi notre connaissance de l’autre, y est essentiel.
Cela rejoint, il me semble, la beauté et l’importance de l’acte créateur de différenciation des éléments, en couple complémentaire. Seul le souffle de celui qui est unité dans la diversité nous permet de retrouver le chemin de l’Autre. Ce «dépôt de connaissance» préalable à toute relation m’a aussi semblé avoir des liens avec les notions de «ressemblance et d’héritage de notre Père des cieux» que vous abordez.
Il y a là un abysse de méditation, de réflexion et de louange envers notre Créateur!
Je viens d’exprimer un premier commentaire sur certains liens que j’ai pris plaisir à faire entre votre texte et la notion d’Einfühlung développée par Édith Stein.
Maintenant j’aimerais exposer en quoi je pense qu’il existe une différence entre vos écrits et ce fameux livre «l’amour de l’autre» qui relate la pensée d’Édith Stein (auteur : Elsa Godart). Ce livre, que j’ai beaucoup apprécié dans l’ensemble, reprend un thème largement exploité dans les écrits théologiques ou mystiques: devenir Épouse du Christ. J’ai toujours eu un malaise avec cette façon d’exprimer un désir de «profonde union avec Dieu». Il semble que votre texte et votre analyse nous permet (enfin!) de développer de façon plus juste cette notion.
Devenir «épouse du Christ» est une notion souvent utilisée lorsque l’on parle de la vocation «des vierges consacrées», autrement dit, une femme qui ressent l’appel de Dieu pour le célibat et la virginité. Puisque des hommes peuvent autant être appelés à cet état de célibat et de virginité, on peut facilement voir que l’expression ne rend pas compte de l’ensemble de la réalité. Devenir «époux du Christ»? Puisque Jésus s’est incarné en homme, cette expression crée un malaise, même si nous tentons de faire une gymnastique mentale pour se dire que Jésus est Dieu dans son essence…mais il est tout autant homme. Cette expression «épouse du Christ» est trop lourdement porteuse de notre conception de la réalité comme «mâle et femelle».
Votre analyse montre justement ces failles, et nous ouvre, à mon sens, vers une expression plus universelle de notre appel à une union intime avec la Trinité, telle que voulue par notre Créateur dès l’origine.
Votre analyse permet dans la même lancée une meilleure expression de la «fécondité», auquel l’humanité dans son ensemble est appelée. Encore une fois, cela permet de se détacher de ces parallèles (dont la logique est parfois trop forcée) entre maternité humaine (dans le sens avoir concrètement des enfants) et maternité spirituelle.
Il me semble qu’en cette année de la vie consacrée, une meilleure compréhension et expression de ces notions ouvrent des perspectives très riches.
J’aimerais vous partager une réflexion qui a surgi en moi lors du commentaire fait par Jennie.
Marc 2,18-20
Les disciples de Jean et les pharisiens jeûnaient. Ils vinrent dire à Jésus: Pourquoi les disciples de Jean et ceux des pharisiens jeûnent-ils, tandis que tes disciples ne jeûnent point? Jésus leur répondit: Les amis de l’époux peuvent-ils jeûner pendant que l’époux est avec eux? Aussi longtemps qu’ils ont avec eux l’époux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ce jour-là.
Si je me réfère à ce texte, Jésus lui même se compare à l’époux.
Pour moi l’idée qui m’aide à penser que je suis l’épouse du Christ c’est que L’Église elle même est représentée comme l’Épouse du Christ et que je fais partie de l’église, donc je suis l’épouse du Christ .
Par contre moi aussi j’ai ce malaise lorsque je m’arrête à penser que je suis l’épousée de Jésus. L’aspect de la faute originelle met en moi une idée biaisée de la relation époux/ épouse. Par l’entrée de la faute originelle dans le monde, la notion de rapport homme et femme a été perturbée au point qu’aujourd’hui lorsque l’on voit un homme et une femme ensemble on voit immédiatement rapport sexuel ! Et si l’on voit deux hommes ou deux femmes ensemble on ne peut penser qu’à l’homosexualité! Et même si l’on voit deux jeunes enfant de sexe différent jouer ensemble, on les marie immédiatement dans notre tête ! Cet aspect de la faute originelle est très visible, envahissante, on est éclaboussé par cette pensée à un point que l’on a de la difficulté à dire que l’on est chaste! Peut-on être chaste et marié ? Peut-on être chaste et avoir une belle relation avec l’autre ou faut-il se cacher, se couvrir de la tête au pied?
Pourtant il y a Joseph et Marie qui étaient bel et bien des époux .On a vu l’apôtre Jean la tête penchée sur Jésus. Jamais l’idée me viendrait de penser qu’il y avait homosexualité dans cette relation. Jésus a bel et bien regardé Marie-Madeleine. Peut-on vivre des relations saines en ce monde?
Aujourd’hui il y a mariage libre, on s’unit à l’un, on change pour l’autre, on peut tout faire, on est libre! Pourtant si on regarde les résultats, le monde souffre, il y a beaucoup de violence, le monde se meurt. Où sont les vraies relations!
Nous sommes tous assoiffés de la vraie relation, de cette recherche d’une union profonde avec l’autre.
Le texte « Homme! Et Femme! » me donne beaucoup d’espérance dans la réhabilitation des rapports entre les hommes et les femmes et en y pensant entre toutes personnes de sexe opposé ou de même sexe. Je dois dire que lorsque j’ai lu ce texte le point culminant fut pour moi tout le passage de la création Zakar ou-Nequeva. Nous sommes créés à l’image de Dieu. Je dois avouer que je ne comprends pas en profondeur tout ce qui est écrit dans ce texte mais ce que je ressentais en moi en lisant ce texte c’était cette attirance à la vérité et à la vrai liberté dans les relations.
Dans le Larousse Le verbe épouser veut dire :
Prendre quelqu’un pour conjoint, s’attacher vivement, se rallier à quelque chose, embrasser, partager.
Je crois que les saints qui se considéraient « épouse du Christ » avaient en tête cette notion. Ils vivaient la vraie relation avec le prochain et par le fait même avec Jésus.
Pour terminer j’ose ajouter un court passage que j’ai noté mais malheureusement le nom de l’auteur m’échappe :
« C’est Dieu qui nous attire, d’une manière ou d’une autre, c’est son Esprit qui est à l’œuvre en disposant nos cœurs afin de nous conduire vers Jésus. »
Après la lecture de vos textes, on dirait que j’ai eu le goût de composer une prière, plus ou moins prose, alexendrin, peu importe j’ai écris ce qui jaillissait.
Le présent à être, à faire
Dieu donne la grâce nécessaire
Dieu veut notre bonheur
Il nou prépare à l’Éternelle Honneur
Demeurant dans son Esprit
Immanquablement l’harmonie suit
Et quelque soit l’heure
La force nous est offerte
On comprend, on voit, on s’y prête
Et pour une bonne bataille sereine
L’armure mariale n’est pas vaine
Dieu voit à tous et à tout
L’abandon adopté la vie se simplifie
Et toute peur se dissout
L’union à Dieu nous est vitale
Nous sommes modelés précisément pour cet élan nuptiale
Le hic c’est vraiment d’être à l’écoute de l’Esprit
Et visiblement, on rayonnera l’Évangile dans le quotidien
L’Esprit agissant dans nos souterrains
« Jésus est Fils du Père des Cieux (le Très-Haut) et il est aussi Fils d’ADaM, Fils de Zakar ou-Neqeva, et il est Fils de Joseph et Marie, comme nous le rappellent les Évangiles. Les implications anthropologiques et théologiques qui se dégagent de cette séquence sont d’une grande portée et elles s’appuient sur l’exégèse de Gn 1, 27, ce qui en révèle le caractère déterminant. »
Dans l’extrait ci-haut, j’aime le fait que vous appelez Jésus le « Fils d’ADaM, Fils de Zakar ou-Neqeva, et il est Fils de Joseph et Marie ».
J’ai une question pour vous: on dit souvent que Jésus est le nouvel Adam et Marie, la nouvelle Eve – alors où est Joseph? Le « couple » est alors formé de la Mère et du Fils, ce qui n’était probablement pas la réalité exprimée à la Genèse. Si le Fils est le fils, on serait plus porté à penser qu’il est le « fruit » du ADaM, du couple Zakar ou-Neqeva – « Fils d’ADaM ». Ainsi, s’il est « Fils d’ADaM », je trouve que l’expression « nouvel Adam » peut porter à confusion, non? Dans l’ordre de la nouvelle création, peut-on dire que Adam et Eve seraient « Ish » et « Isha » et donc que Joseph et Marie, créé Zakar ou-Neqeva viennent participer au rétablissement de cet ordre en portant le fruit parfait: Dieu lui-même? Si je suis cette logique, pourrait-on alors dire que Joseph est le nouvel Adam et Marie la nouvelle Ève, et Jésus, le fruit parfait, le Fils de cet ADaM renouvelé? Et là… je vais pousser encore plus loin ma réflexion qui est en fait un questionnement. Si, pour porter le fruit parfait, Marie a été conçue immaculée (dogme qui est quand même relativement récent dans l’Église), est-ce qu’on pourrait supposer que Dieu, voulant renouveler sa création selon son plan d’origine, aurait fait la même chose pour Joseph, retrouvant ainsi toute la beauté, la complémentarité et l’harmonie de Zakar ou-Neqeva, et permettant d’engendrer LE Fruit?
J’aime bien Louise votre façon de réfléchir ainsi que votre questionnement . En ce moment ou l’on fait beaucoup de réflexions au sujet de la famille, il est bon de penser que la famille sainte, « la sainte famille » pourrait attirer des familles à se sanctifier.
Il faut de plus en plus dévoiler au grand jour le rôle de Joseph et son importance dans le cheminement des familles. Ne parler que de Marie et Jésus ferait en quelque sorte qu’une seule personne porte le fruit.