Il faut se lever de bonne heure pour décourager tante Irène. Femme à l’esprit pratique, c’est une vraie boîte à solutions: emmenez-en des problèmes! J’ai bénéficié très tôt de ses conseils; je devais avoir sept ou huit ans quand j’eus un jour le malheur de casser mon crayon à mine (non, pas en écrivant un blogue…). Je me présentai tout dépité avec mon crayon fracturé à la cuisine où s’affairaient ma mère et ma tante et je gémis: «Maman, je n’ai plus de crayon!» Tante Irène s’avança en souriant: «Mais non, maintenant tu en as deux!»
Elle aurait assurément échoué un cours de marketing avec ce genre d’avis. Nous n’étions pas pauvres; l’économie domestique n’était pas dictée par un impératif de subsistance, mais il répugnait au sens commun de jeter ce qui était encore serviable.
Dans mon précédent blogue (Méchants chasseurs!), je parlais du respect de l’ordre naturel des choses. Comment définir ce respect en regard de notre utilisation des biens matériels? En effet, l’habitude de la consommation, développée depuis des décennies par les soins – devenus une science – du capitalisme a évincé de notre esprit la juste considération de la valeur des biens matériels que nous tirons de la nature. Comme nous savons que les biens sont conçus pour durer peu, nous ne nous soucions guère d’en prendre soin. À quoi bon? Il ne vaut pas même la peine de les réparer, il revient souvent moins cher d’en acheter de nouveaux.
Je n’aime pas me promener dans ces magasins à grande surface qui vendent «à bon marché». J’ai le sentiment d’être envahi de biens de consommation, et cette abondance me laisse sceptique: elle sent le faux, l’artificiel, le gonflé; une montagne de peu de valeur, du vent bien emballé. Tant de ressources transformées en camelote.
Pourquoi ce décalage entre la matière première qui est bonne et le produit fini qui déçoit souvent? Le père d’une dame que je connais disait: «Je n’ai pas les moyens d’acheter de la mauvaise qualité»… Avons-nous par ailleurs vraiment besoin de tout cela? Il faut assez peu pour vivre, et pas beaucoup plus pour bien vivre.
Qu’est devenue la valeur intrinsèque des choses?
Patrick Trottier
Quand un artiste produit une oeuvre, il y met beaucoup de temps et d’amour, et ça nous les fait apprécier. Le fait que les objets soient fabriqués en série, nous fait parfois minimiser leur valeur, mais on peut aussi apprécier l’ingéniosité de ceux qui ont conçus ces usines de fabrication. Enfin chaque chose a sa valeur dans la mesure où on l’utilise à bon escient.
La considération que nous avons pour les biens que l’on utilise, peut nous amener à considérer les gens de la même manière, chacun porte en lui une richesse au delà de ses qualités, ses talents…
Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par ce bout de phrase: … l’habitude de la consommation, développée depuis des décennies par les soins – devenus une science – du capitalisme… Pourriez-vous développer? Merci.
@Charlotte
L’idéologie du capitalisme, et le système économique qui en découle, ont progressivement éduqué les esprits à adopter les comportements qui permettraient à leur machine de fonctionner, c’est-à-dire de générer des profits. En théorie, nous jouissons d’une grande liberté dans notre rapport aux biens, mais celle-ci subit l’influence, considérable à mon avis, du savoir-présenter et du savoir-vendre développé par ce qui est devenu une industrie de la publicité et de la mise en marché. Il est connu que les techniques de cette industrie travaillent souvent aux seconds plans de la conscience; il est alors difficile de cerner les frontières de notre propre arbitre. Nous nous retrouvons au milieu d’un paradoxe: nous sommes les complices plus ou moins forcés du système en même temps que ses victimes. Cette situation montre bien l’importance de nous en désolidariser en renouant un rapport plus juste aux biens.
@ Charlotte
Je me permets une tentative de réponse à votre question adressée à M. Trottier.
Je crois que le capitalisme dont il est question est l’espèce de dépendance que nous avons développée de posséder, parfois jusqu’à outrance, des choses matérielles de toutes sortes, bonnes et moins bonnes, du fait que nous gagnons de l’argent, plus d’argent, encore et toujours plus d’argent (OK, ça c’est pour ceux qui réussisse à avoir une augmentation de salaire au même rythme que l’augmentation du coût de la vie!).
Ce n’est pas que l’argent ou la possession de bien ne sont pas bons, loin de là. Ce que je trouve condamnable est l’espèce de pression qu’on nous met de plus en plus, par toutes les publicités possibles et inimaginables – que ce qu’on a acheté la veille est déjà dépassé alors… il faut avoir le dernier cri… et là, on cri… »i Pod..argent (j’ai pas d’argent!)… en effet, le porte-feuille ne suit pas toujours et on ne veut pas toujours non plus. À quoi ça sert! Et on se fait toujours avoir car la mode, c’est presque toujours le retour (amélioré?) des vieilles affaires… on pense aux grosses lunettes d’aviateur qui sont le super chic actuellement ou les bottes de pluie en caoutchouc.
Les jeunes d’aujourd’hui sont vraiment dans ce bain là… la preuve: je connais une jeune fille qui a perdu son iPhone alors étant donné le prix… ses parents ont refusé de lui en racheter un et lui ont donné un ancienne cellulaire tout a fait fonctionnel et qui a aussi les textos… eh bien vous savez quoi? Elle refuse de le sortir et se cache pour appeler car elle est gênée… elle n’est plus « IN »… faut le faire non! Je suis tombée en bas de ma chaise! Et moi qui utilise encore un minuscule piano (2 portées) que mes parents m’ont acheté à ma fête avec toutes leurs économies lorsque j’étais enfant… je pense qu’on va me traiter de rétro! Mais vous savez quoi, avec les nouvelles piles au lithium, mon piano va fonctionner encore longtemps! Vive l’avancée de la technologie (les piles vont probablement me coûter trois fois le prix du mon piano… mais bon!)
Patrick,
J’aime bien la citation faite par le père d’une de vos amies: « Je n’ai pas les moyens d’acheter de la mauvaise qualité. » Que je suis d’accord avec cela!
Moi qui ai beaucoup de difficulté à ma chausser, à cause de ma grandeur, j’achète habituellement une bonne paires de type classique et j’investis car je sais que le 200$ que j’aurai payé sera bon pour au moins 10 ans… et je n’exagère même pas! Par contre, je me suis laissé tenter un été par une amie avec qui je magasinais et qui m’a suggéré d’essayer des souliers pas chers (aubaines à 10-20$). Wow, j’en ai pris trois paires, à ce prix là, pourquoi pas en prendre plus! Je dois vous dire que 2 paires ont pris le bord de la poubelle en moins d’un an car j’étais incapable de les chausser finalement, cela me faisait tellement mal aux pieds. L’autre, je l’endure encore au travail car je me dis que cela n’a pas de bon sang d’avoir gaspillé mon argent ainsi. La leçon m’a bien servie! Mon pied est capricieux (et moi aussi!) alors je préfère prendre le temps qu’il faut pour trouver de la qualité et que cela dure… mais je dois vous avouer que parfois, ma patience s’étiole car on n’en trouve plus beaucoup!
Cela dit sur ma petite vie, je veux dire merci à Lucie pour sa réflexion sur la façon dont on considère les gens. On juge vite d’après le contenant mais que sait-on vraiment du contenu précieux (et nous n’avons pas à tout savoir non plus!). J’y réfléchirai.
@Toi et Patrick
Merci à vous deux pour le beau développement en réponse à ma question. Maintenant, je comprends très bien cette phrase. Vous avez bien amené le sujet…