Sur la liste noire des travaux dont je me passerais volontiers figurent les applications de pesticides. Même bien protégé, je suis convaincu de m’empoisonner un peu plus à chaque manipulation de ces produits innocents. Un maraîcher qui avait développé une intolérance à un produit chimique qu’il avait longtemps utilisé me racontait qu’il était allé une fois au domicile d’un ami. À peine entré, il sentit son corps réagir. Il demanda: «Tu n’aurais pas quelque part ici tel produit chimique?» L’autre confirma; le produit était rangé dans son emballage FERMÉ, dans une armoire FERMÉE, au sous-sol de la maison.
Mon père était pomiculteur, et à chaque saison il effectuait une bonne trentaine d’arrosages de pesticides, dont des insecticides très toxiques, pas seulement pour les «bibittes». En son temps, les fermiers étaient peu sensibilisés aux effets nocifs des produits qu’ils utilisaient. Je le voyais revenir de ces arrosages, complètement recouvert d’un film de poudre blanche, le visage et les mains nus. Je me suis toujours demandé quelle responsabilité pouvait être attribuée à ces expositions répétées aux produits toxiques dans les problèmes de santé qui ont mené à sa mort à un âge peu avancé.
Je vous parle ici des pesticides utilisés en agriculture, mais il faut ajouter la multitude des additifs chimiques utilisés dans la préparation industrielle des aliments. Plusieurs se rangent derrière l’étiquette inoffensive d’agents de conservation, qui ont notamment pour fonction d’inhiber l’activité bactérienne, ce qui a un double effet: allonger la durée de vie de l’aliment et raccourcir la nôtre.
Dans son blogue paru dans le magazine Point de vue le 25 octobre 2010, Adélaïde de Clermont-Tonnerre rapporte que «chaque Français absorbe en moyenne 1,5 kg de pesticides par an» (www.pointdevue.fr/blog, cet article n’existe plus). Si un peuple aussi soucieux de son alimentation que les Français avale tant de poison, combien en ingérons-nous en Amérique du Nord?
Cette absorption de matières toxiques ne se fait pas qu’à notre insu. Il faut considérer les mauvaises habitudes alimentaires, par lesquelles nous consommons par plaisir ou attrait des aliments que nous savons être mauvais pour nous.
Mon inquiétude se double cependant d’émerveillement. Il est effectivement merveilleux que nos corps se défendent aussi efficacement, nous sommes vraiment faits forts. Pourtant ces mêmes corps envoient de plus en plus de signaux d’avertissement: allergies, cancers et autres dérèglements foisonnent.
Ici me revient une parole de la Bible, d’Isaïe si je ne m’abuse: «Mangez de bonnes choses, régalez-vous de viandes savoureuses.» Si une bonne alimentation est censée soutenir le bonheur de l’espèce humaine, j’ai le sentiment que la dégradation de cette alimentation, depuis le champ jusqu’à la table, nuit à notre apprentissage du bonheur.
Patrick Trottier