La Fête nationale du Québec a pour thème cette année: «Entrez dans la légende». La légende Chasse-galerie qui a été choisie est d’origine française et a inspiré divers auteurs du Québec et d’ailleurs. Elle se révèle donc très propice à l’imagination et à l’interprétation. L’adaptation québécoise la plus connue est celle d’Honoré Beaugrand écrite en 1891. On peut voir sur le poster publicitaire le fameux canot volant, ou chasse-galerie, piloté par un diable invisible.
L’histoire de la Chasse-galerie
La veille du Jour de l’An, huit bûcherons de la région de Gatineau sont séduits, malgré leur réticence, par l’offre d’un certain Baptiste Durand, un possédé sans scrupule, qui leur propose de faire un trajet en canot à toute vitesse pour aller rejoindre leurs femmes à Lavaltrie et revenir au chantier avant six heures du matin. Pour les convaincre, il les assure qu’il n’y a aucun danger, ayant fait le voyage lui-même à plusieurs reprises sans incident. La condition d’admission? Ne pas prononcer une seule fois le nom de Dieu durant le périple ni toucher à la croix d’un clocher, sinon ils devront vendre leur âme au diable: pacte qu’ils doivent faire avant leur départ. Pour demeurer vigilants, ils ne doivent prendre aucune goutte d’alcool.
Le concours de la St-Jean dans les écoles
Selon la version d’Honoré Beaugrand, les huit voyageurs ont failli y laisser leurs âmes, mais, fort heureusement, après de bien mauvais quarts d’heure, ils s’en sont sortis avec quelques écorchures. Ce voyage fictif pourrait-il connaître un autre dénouement? Les organisateurs de la Fête nationale du Québec ont invité tous les élèves du Québec, de la 5e année du primaire à la 5e secondaire inclusivement, à imaginer une autre fin à la Chasse-galerie, concours qui se terminait le 31 mai 2011.
L’auteur de la Chasse-galerie: Honoré Beaugrand
Après avoir moi-même lu l’histoire, je me suis intéressée à son auteur: Honoré Beaugrand. Celui-ci est né au Québec. Après avoir terminé ses études au collège militaire de Joliette, il voyagea en France puis aux États-Unis jusque vers l’âge de 30 ans. Il fonda à Boston le journal La République dans lequel il se dit «franc-maçon très avancé, libéral, admirateur enthousiaste des principes de la Révolution française et partisan de la déclaration des droits de l’homme». Il affirme pratiquer «ce que bon lui semble, la constitution américaine ne reconnaissant pas de religion d’État». Il est écrivain, journaliste et politicien. À son retour à Montréal, il fonde quelques journaux dont: le Farceur et le quotidien La Patrie. Il écrivit de même de nombreux contes dont le plus célèbre est sans aucun doute La Chasse-galerie. Il devint maire de Montréal de 1885 à 1887 et, en 1897, il participa à la fondation de la loge maçonnique montréalaise L’Émancipation, de tendance radicale. Il ne serait pas étonnant que ses contes et légendes soient empreints de sa mentalité.
Pourquoi La Chasse-galerie
Voici un extrait que l’on peut retrouver sur le site de la Fête nationale: «Mais nul besoin de monter dans un canot d’écorce et de passer un pacte avec le diable comme dans la Chasse-galerie pour faire le voyage aujourd’hui! «Acabris! Acabras! Acabram! Fais-nous voyager par-dessus les montagnes!».
Que veut-on dire exactement? Qui nous fera voyager par-dessus les montagnes? Et de quel voyage parle-t-on?
En choisissant la Chasse-galerie comme légende dorée?!!! de la Fête nationale, les organisateurs proposent aux jeunes Québécois, mais aussi aux adultes, une aventure imaginaire où le diable est présenté comme un personnage avec lequel on peut faire affaire. Pour justifier leur approche du religieux, ils affirment que nous, les Québécois, nous avons appris à apprivoiser et à surmonter nos peurs d’autrefois. Citation: «Il s’agira aussi, sans contredit, d’une odyssée où la religion, la pratique du culte et la nature qu’il fallait apprivoiser occupent une place importante. En cela, les contes et légendes reflètent les époques qui les ont vu naître.»
Dieu et diable sont désormais de l’histoire ancienne, entrés dans la légende? Si c’est ça la nouvelle foi proposée, permettez-moi d’en douter!
Colombe LeRoy
Bravo pour ce dévoilement! Nous prenons rarement le temps d’aller au fond de toutes ces informations véhiculées ici et là. Bien que « la chasse-galerie » me semblait un peu ésotérique, je ne me serais jamais attendu à y découvrir un pacte avec le diable et un écrivain franc-maçon convaincu, et qui plus est maire de Montréal.
Comme vous j’ai certains doutes qui s’éveillent…Pourquoi ressortir « la chasse-galerie » actuellement? Pourquoi aller la mettre dans la tête de nos jeunes étudiants, qui, après avoir été libérés du joug de l’absolutisme par la fin des cours de religion dans les écoles, avaient désormais l’esprit clair et frais? Peut-être que justement, maintenant le terrain est prêt pour la semence…mais pour mettre fin aux doutes, allons donc faire un tour dans le nouveau cours « Éthique et religions », alors il n’y aura aucun doute: le vide existe. En général, le vide n’est pas très confortable, il tend à se remplir par ce qui lui passe sous la main. Acabris! Acabras! Acabram! Pouf! Voilà c’est rempli! C’est Magique. Même pas besoin d’Harry Potter. Non, nous au Québec, c’est le diable en direct…
Savez-vous si la loge franc-maçonnique l’Émancipation existe encore? C’est drôle comme il semble que la franc-maçonnerie soit un sujet tabou de nos jours…pourtant, il serait surprenant que ces loges soient tombées dans la désuétude, leur pensée étant si tendance…
Hélèna,
Contrainte par certains événements, j’accuse un retard à répondre à votre question: «Savez-vous si la loge franc-maçonnique L’Émancipation existe encore?» Apparemment, non. Je dis bien «apparemment». Les recherches sur la Franc-maçonnerie ne sont pas chose facile car il s’agit de sociétés secrètes par nature. En tous cas, les activités de la loge en question ont été dénoncées en 1910; ses membres ont alors été obligés de la dissoudre. Mais, aussitôt, une autre loge: Force et courage, aurait été créée en remplacement. Enfin, il semble que, par la suite, une nouvelle loge ait repris le nom L’Émancipation et qu’elle serait toujours active.
La première loge L’Émancipation souhaitait «améliorer l’instruction publique chez les Canadiens français […] entre autres la création d’un ministère de l’Éducation.» Cette loge prônait la laïcité. Vous mentionnez dans votre commentaire: «allons donc faire un tour dans le nouveau cours “Éthique et religions”, alors il n’y aura aucun doute: le vide existe.» Je ne serais pas surprise que les Franc-maçons eux-mêmes considèrent la déconfessionnalisation des écoles et le contenu actuel des programmes offerts par le ministère de l’Éducation en fait d’éthique et de religions, comme des fruits de leur influence sur le développement de la société québécoise.