Le symbole et le réel – p. 7

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1.6 Le symbolique comme dimension langagière du mythe

Les arguments qui précédent s’en voudraient de paraître artificiels et de se résumer par un contresens: «signification» versus «absence de signification». Il faut donc revenir à l’étymologie et étudier, cette fois, le sens du mot mythe.

Le grec muthos se traduit couramment par: récit, récit fabuleux. On l’oppose souvent à logos de la façon suivante:

MUTHOS signifie discours, mais libre, incertain, contestable, et donc interprétable de par son immanence potentielle dans tout le champ de l’imaginaire, tandis que LOGOS veut dire discours aussi, mais orienté, incontestable, factuel de par sa permanence existentielle comme interprète des voix de la raison[20].

Et comme le fait remarquer le même auteur, muthos est de même racine que le latin mutus: «muet». Le mutus est un «discours[21]» muet, disons un «récit» muet ou, mieux encore, un domaine de la pensée qui n’est justement pas discursif; l’emploi du mot «discours», dans la citation faite, ci-haut, à propos du mythe, apparaît non conséquent avec la définition elle-même. Le mythique s’approprie les images du réel de façon instinctive, acausale, encore une fois non discursive. C’est lui qui «ressent» les structures profondes de la réalité, et qui, en ce sens, «connaît» (naître avec: synchronicité) ses agencements. Et qui agit même sur elles, comme on le verra.

On pourra donc proposer l’idée que le lien entre le mythique et le symbolique est un lien fonctionnel. En effet, bien que le mythique constitue un dispositif cognitif (selon Dan Sperber), il ne nous est connu que par le symbolique; celui-ci, bien que considéré comme langage, possède des ramifications dans le mythique, en raison même de la souplesse de sa forme, ce qui n’est pas le cas du signe. Le mythique ne constitue donc pas une partie du langage mais l’infra langage, c’est-à-dire un domaine de traitement des images de la réalité préalable au langage. C’est le symbolique qui constitue la codification directe du mythique: le mythique est exprimé dans le symbolique. Voilà en quoi reposerait leur distinction et leur lien fonctionnel.

Mais ce lien n’est pas diachronique; la frontière entre le mythique et le symbolique est impossible à déterminer de façon définitive. Le mythique, à proprement parler, ne «précède» pas le symbolique, il lui est simultané. Toutefois, il est premier: le mythique est le principe du symbolique. Cependant, on est encore justifié d’appeler «mythe» un ensemble symbolique cohérent et autosuffisant qui représente un substrat mythique précis. On l’appelle mythe et non plus symbole, car le groupement codé transcende lui-même les symboles qui le constituent et il redevient la vivante image du mythique.

Si l’interaction mythique-symbolique s’offre comme une voie qui permette, à partir du symbolique et par la médiation du mythique, d’atteindre la réalité, on peut dire que le symbolique existentiel, le langage vécu dans le rituel, par exemple, en nous faisant poser des gestes, saisir des images globales, fait naître en nous l’interprétation de la réalité que le mythe constitue. On peut donc dire qu’en ce sens, le symbolique permet un accès au réel, comme l’exprime le schéma suivant:

Cependant, ce schéma montre bien qu’une condition essentielle garantissant un véritable «accès» au réel est justement que ce réel, réciproquement, accède au mythique. Il faut pouvoir dire que le mythique découle lui aussi du réel comme le symbolique découle du mythique. On constatera qu’il manque, dans ce schéma, une «flèche» indiquant l’accession du réel au mythe. Il s’agit maintenant de montrer comment peut se faire cette accession du réel au mythique.

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[20]. Yvon Allard, Paralittératures, p. 10.
[21]. Si le muthos est en effet libre, incertain, c’est parce qu’il relève de l’imaginaire. Quand on examine l’ensemble de la famille grecque en muth, on ressent l’idée que ce récit est considéré comme «fable», justement parce qu’il découle de l’imaginaire. Mais le verbe mutheomaï peut se traduire: parler en soi-même, réfléchir, délibérer avec et en soi-même, aussi bien que «converser». Le versant «fictif» du mythe ne le serait-il alors qu’en rapport avec le logos, pourtant considéré comme seul garant de vérité? L’idée représentée par le mythe ne doit pas être a priori considérée comme fictive mais comme relevant d’un domaine non discursif, acausal et synchronique. On traduit mutholatris par «adorateur du Verbe», non pas le Verbe, Logos du prologue de l’évangile de Jean, ordonnateur de toutes choses, mais son immanence dans le monde, sa latence dans tous les êtres, dans tous les enfants de Dieu. Ainsi en est-il de la latence de l’image dans le langage, le préconcept.

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