Les trous noirs de la pensée

Prologue : Remettre en perspective

Les idées sont en rapport les unes avec les autres. Elles ne font pas que s’enchaîner au hasard, elles s’appellent, se répondent et s’interpellent tour à tour. Elles dialoguent, parfois plus, parfois moins ou encore pas du tout. Elles le font à propos d’un aspect de la réalité ou de la réalité dans sa globalité, chacune définissant un point de vue particulier, un angle d’approche.

C’est dans cette optique que j’ai situé l’interaction entre l’archaïque, le moderne et le postmoderne, dans Changement de perspective. J’explique en quel sens mon approche du rapport homme et femme en termes de complémentarité participe des trois types à la fois et, qui plus est, qu’archaïque, moderne et postmoderne sont eux-mêmes des concepts complémentaires.

Dans un premier temps, il me semblait impératif de dégager les différentes approches du rapport homme/femme d’une temporalisation trop exclusivement linéaire, moderniste de l’histoire, pour atteindre, par-delà les catégories préjudiciables, l’enjeu de ce rapport fondamental qui définit l’humanité.

Toutefois, la dimension temporelle est une dimension dont il faut également tenir compte. Car si l’on peut rapprocher, par exemple, les Présocratiques de Nietzsche sur un axe transhistorique, il n’en reste pas moins que les Présocratiques sont représentatifs d’une période historique que l’adjectif « archaïque » désigne aussi. De même, l’idée de révolution, que ce soit dans les idées ou les sociétés, caractérise la période historique que nous appelons aujourd’hui la modernité. Enfin, la dimension critique rattachée à l’apparition de sciences du langage comme la sémiotique, la sémiologie, la méthode historico-critique (avec leurs concepts de déconstruction, dissémination, atomisation, etc.), incarnent plus proprement l’esprit postmoderne.

1. Lever l’injonction moderniste

L’attention à l’axe historique est d’autant plus importante qu’elle nous oblige à rendre compte de « trous noirs ». Que s’est-il « pensé » dans la période en amont de l’Antiquité grecque et, en aval, dans la période située entre cette même Antiquité et notre Actualité? Le dialogue avec ces périodes est en quelque sorte rompu parce qu’elles apparaissent, aux yeux de l’histoire moderniste, comme des périodes de grande noirceur, point de vue que l’on dirait hérité de la Renaissance et de la philosophie des Lumières, sans doute.

Les deux périodes en question sont, bien sûr, l’ère mythologique et l’ère chrétienne ou théologique. Si le dialogue est rompu explicitement, il subsiste une injonction implicite les concernant. Ainsi, un savant comme Niels Bohr se sent dans l’obligation de répéter que le principe de complémentarité qu’il élabore en physique quantique n’a rien à voir avec un retour de mysticisme incompatible avec le véritable esprit scientifique[1]. La véritable science, au sens moderniste, exige donc la rupture du rapport avec ce qu’on appelle le mystique au sens large et avec « Dieu » en particulier.

Or, comme on peut rapprocher la pensée archaïque de la dynamique modernité-postmodernité quant à la quête de fondements, ce que l’on attribue aux mythologies — et plus particulièrement les récits des origines — s’apparente au discours chrétien. De quoi s’agit-il ? Dans les deux cas, il est justement question d’un rapport au(x) Dieu(x). De même, alors que le travail des Présocratiques comportait un effort plus ou moins grand de démythologisation de l’Univers, celui des modernes et des postmodernes manifeste une volonté de sécularisation, qui peut aller jusqu’à une volonté de déchristianisation.

C’est ainsi qu’on se retrouve avec ces espèces de trous noirs de l’histoire, que l’on identifie au mythologique et au théologique, qu’éclipse la fulgurance de ces avènements émancipateurs que constituent la pensée grecque et les révolutions scientifiques ou sociopolitiques dites modernes.

Cependant, métaphoriquement, les figures du Trou Noir et du Quasar s’appellent l’une l’autre ; la science nous apprend en effet que l’intensité lumineuse du Quasar est directement relative à l’obscurité profonde du Trou noir. Sur le plan idéologique, c’est facile à comprendre : noircir son vis-à-vis a toujours été une manière de se mettre soi-même davantage en lumière …

Il convient donc à mon sens de reprendre le dialogue avec ces ères du passé, non pour recycler les stéréotypes qu’elles ont engendrés en leurs temps, mais parce qu’il existe effectivement une interaction entre conception de Dieu(x) et conception du rapport homme/femme, comme il existe d’ailleurs une interaction entre conception de la laïcité et conception de ce même rapport. Le mouvement actuel de redéfinition du mariage et  les nouvelles philosophies du genre qui le supportent en témoignent, ils ne sont pas fortuits.

2. Les inconnues de la raison

Mon approche philosophique d’un principe de complémentarité semble d’emblée vouloir opérer une réconciliation de tous les termes opposés (archaïque, moderne, postmoderne, mythologique, théologique), offrant du coup la possibilité d’une récapitulation de tous les systèmes qui, au lieu de s’exclure les uns les autres, se donnent rendez-vous afin de manifester les différents points de vue de la réalité. Un système fondé sur le principe de complémentarité apparaît alors comme le système des systèmes.

Cette perspective globalisante agace par sa simplicité: tout est complémentaire et puis après?

Les philosophes […] ont parfois rêvé d’une grammaire des idées qui fixerait d’une pensée à l’autre les mêmes liens qu’établit entre les mots la grammaire tout court. Eh bien! il semble qu’une telle grammaire commencerait par faire place entre les opinions extrêmes, à je ne sais quel vide et quelle absence, quel état d’extrême milieu, bien plus proche d’un secret que d’un aveu, d’une ignorance que d’une doctrine. Et dont il est plus facile de former le pressentiment que l’idée claire: somme toute non moins mystérieux qu’un homme; et nous devant elle, en effet, tout maladroits. [2]

Une « grammaire » de la complémentarité nous situerait-elle dans cet état d’extrême milieu entre les positions extrêmes dont parle Jean Paulhan?

On ne sait « quel vide et quelle absence… bien plus proche d’un secret, d’une ignorance »… Pour Paulhan, la teneur de la quête philosophique, et de la connaissance en général, semble plus proche du Trou noir que du Quasar, l’idée claire n’étant qu’un réduit, abstraction faite de tout ce qui échappe encore à l’entendement mais que tous pressentent, maladroitement.

Et il s’agit là d’une quête non moins mystérieuse que celle de notre humanité… Prenons, par exemple, la citation que je mentionne dans mon introduction L’Un « et » le Multiple: « Pour qu’existe un individu, il faut donc qu’il y ait non seulement complémentarité, mais aussi différence entre les géniteurs.» Ce qui est à la fois troublant et interpelant, c’est le constat qui suit cette affirmation : « La raison de cette exigence n’est pas connue. »[3]

C’est un constat maintes fois répété sur le plan scientifique : on ne connaît pas toutes les raisons, même les principales. Cette ignorance entraîne un sentiment de malaise en regard de tout système et un certain ressentiment envers ce qui fait encore obstacle à notre compréhension. En même temps, nous pressentons que les épineuses questions du sens de l’univers et de notre propre sens ne font qu’une.

Ce pressentiment n’est pas nouveau, il est archaïque. C’est pourquoi je propose une remontée dans l’histoire des idées jusqu’à l’Antiquité. On pourrait en ressortir moins prétentieux à l’égard de nos propres avancées qui, bien qu’existantes, ont des limites de fond insurpassées.

3. Le cycle du devenir

Les penseurs grecs de l’Antiquité (VIIe-Ve siècle avant J.-C.) ont cherché à résoudre philosophiquement l’énigme de l’existence humaine sans avoir recours aux mythes. Néanmoins, ils partagent tous, avec leurs nuances spécifiques, une vision circulaire du cours des choses héritée du cycle mythologique. Que ce soit :

Anaximandre avec son concept d’Apeiron (l’Indéterminé) : « Ce d’où tous les étants tirent leur existence est aussi ce à quoi ils retournent à leur destruction selon la nécessité (fragment 12 B 1) »[4];

ou Pythagore avec son concept de métempsycose : « Après la mort, l’âme se sépare du corps et va se purifier dans l’Hadès avant de revenir sur la terre habiter un nouveau corps »[5];

ou bien Héraclite et le cycle harmonique : « Il y a donc un cycle du devenir, et ce cycle est lui-même une harmonie dans la mesure où il réalise la coïncidence des contraires, en effet < sur la circonférence, le commencement et la fin coïncident > »(fragment 103)[6];

ou encore Empédocle qui pense la perfection de l’être comme une sphère, le Sphaïros:

Fixé dans l’épaisse enveloppe de l’Harmonie
Le Sphaïros est joyeux dans sa révolution solitaire.
Il n’y a ni discordes ni luttes indécentes dans ses membres.
Mais lui est égal en tous sens, semblable à lui-même et absolument sans limites,
Circulaire Sphaïros, joyeux dans sa révolution solitaire. (fragments 27-28) [7]

Même les Atomistes, qui se démarquent des autres Présocratiques en attribuant un caractère fortuit (concursus fortuitus) à l’« Ordre » du monde, privilégient l’image d’un tourbillon cosmique qui relève de la même logique circulaire. De ce tourbillon découle l’organisation aléatoire de l’univers :

Ce n’est pas en vertu d’un plan arrêté, d’un esprit clairvoyant que les atomes sont venus se ranger chacun à leur place; assurément, ils n’ont pas combiné entre eux leurs mouvements respectifs; mais après avoir subi mille changements de mille sortes à travers le tout immense, heurtés, déplacés de toute éternité par des chocs sans fin, à force d’essayer des mouvements et des combinaisons de tout genre ils en arrivent enfin à des arrangements tels que ceux qui ont créé et constituent notre univers. (Lucrèce, De la Nature, I, v. 1021)[8]

Aux Présocratiques, on peut également joindre le témoignage des tragiques[9]: l’être humain erre entre ses origines et sa fin ; il « circule ». Livré aux contradictions, douleurs et malheurs de l’existence, il vit et meurt à la recherche d’une issue à ce cycle indéfini, sans trouver d’autre sens à son tourment que la Nécessité.

C’est dans ce contexte archaïque que s’est constituée la problématique non seulement de l’existence mais de la connaissance qui se trouvent à la base de toute réflexion philosophique quelle qu’elle soit.

4. La mesure de vérité

Les Présocratiques se sont exprimés sur des questions fondamentales de la connaissance, telles que : sur quoi repose nos raisons ? à quelle mesure de vérité avons-nous accès ? Quelle est la part de certitude dans ce que nous croyons connaître : Réalité ou apparence ? Vérité ou opinion ? Les formules qu’ils emploient sont diverses mais elles vont toutes dans le même sens :

Héraclite : « la demeure des hommes n’abrite pas la connaissance, mais celle du dieu la possède » (fragment 78)[10];

Xénophane de Colophon : « Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais d’homme qui ait une connaissance certaine des dieux et de tout ce dont je parle. Si même par hasard il lui arrivait de dire la parfaite vérité, il ne le saurait pas lui-même. Tous s’appuient sur l’apparence » (fragment 34)[11];

Empédocle d’Agrigente : « Étroites sont les ressources que leur offre le corps, et là-dessus, tant de souffrances viennent troubler la pensée soucieuse; ils ne voient qu’une courte part d’une vie qui n’en est pas une, et une prompte mort les dissipe comme une fumée. Chacun ne croit qu’à ce qu’il a rencontré; entraînés de tous côtés, ils s’imaginent vainement avoir présent devant eux l’ensemble universel; mais ce sont là choses inaccessibles aux yeux, aux oreilles des hommes, et même à leur intelligence. Toi donc, qui es venu ici, tu ne sauras pas plus que ce que peut embrasser la pensée d’un mortel » (De la Nature, fragment 2)[12];

Pour Anaxagore, « les sens sont insuffisants pour connaître la vérité »[13];

Des Sophistes comme Protagoras : « l’homme est la mesure de toutes choses » (fragment 19)[14] et Gorgias : « D’abord, qu’il n’existe rien; en second lieu, que s’il existe quelque chose, ce quelque chose est inaccessible à l’homme; enfin et en troisième lieu, que ce quelque chose nous fût-il accessible, on ne peut ni l’exprimer ni le faire comprendre à autrui »[15];

Même pour les Atomistes qui excluent l’hypothèse de l’Agent divin, « l’homme reste donc loin de la réalité, l’opinion de chacun de nous reposant sur l’afflux des simulacres, nous ne savons finalement rien de rien (68 B 6, 7, 8) et la vérité est dans un abîme » (68 B 117)[16].

On doit bien l’admettre, le sentiment des limites de notre connaissance n’a pas vraiment changé avec les millénaires. C’est ce qui frappe d’ailleurs au contact des penseurs dits archaïques. Toute personne qui réfléchit éprouve ce sentiment de buter sur des questions irréductibles et c’est effectivement éprouvant. Malgré les révolutions scientifiques qui se sont succédées[17], l’instrumentalité de notre réflexion demeure à toute fin pratique la même, comme notre corps d’ailleurs demeure ce qu’il est, bien que l’on soit peut-être aujourd’hui en meilleure position pour en comprendre les besoins et les fonctions. Notre condition humaine, le mot le dit, est une condition de base à laquelle nous ne pouvons pas échapper, bien qu’elle évolue.

Malgré les avancées multiples en différents domaines, il reste donc une incertitude foncière sur le sens de notre existence et sur la validité de nos raisons. Une zone d’ignorance. Une zone d’ombre. Mais l’ombre n’est-elle pas en soi le signe d’une présence dont elle est un attribut? L’ombre de qui ? L’ombre de quoi ?

5. Cet autre qui nous manque

Le caractère irrésolu de l’énigme de notre condition humaine engendre toujours, au bout du compte, soit existentiellement, philosophiquement, scientifiquement, ou historiquement, une autocritique récurrente de ce que nous appelons connaissance. C’est que nous sommes tous, plus ou moins implicitement, à la recherche d’une « archè-finalité[18] » extérieure à nous-mêmes qui nous confirmerait dans la voie empruntée. Car personne d’entre nous ne peut être le propre artisan de son existence. Notre mode de connaissance lui-même n’est pas auto-logique, auto-suffisant, auto-compréhensif.

D’abord, nous appartenons au vivant de façon organique, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas dissocier notre mode de connaissance de nos organes et des rapports physiologiques dont il participe sous des aspects multiples et divers, et que les sciences biologiques entrevoient notamment en termes de complémentarité : complémentarité des deux hémisphères cérébraux, de la gauche et de la droite, des cinq sens, et d’autres encore. Et ce sans compter tous les rapports qui nous unissent à notre environnement.

En même temps que nous éprouvons notre propre existence, nous avons conscience d’un support à cette existence, d’une ordonnance. Le cosmos n’est pas un chaos. Nous existons tout contre quelqu’un ou quelque chose, nous sommes en rapport les uns avec les autres, nous nous connaissons comme étant en relation dans un univers à la fois cohérent et infiniment complexe.

Surtout, nous éprouvons une autre présence, principale, par le biais ne serait-ce que d’une sensation d’absence, d’insatisfaction ou de désir qui nous pousse à la connaître, ou à connaître tout simplement, comme si, cette « raison » principale manquant, tout le reste était vain, c’est-à-dire confiné au royaume solitaire et solidaire des ombres, de l’opinion, des apparences, des hypothèses.

Cette nécessaire, essentielle et mystérieuse altérité nous aiguillonne. C’est que nous sommes en présence d’un « hiatus ». Le terme est idéal dans son ambiguïté pour traduire l’incertitude foncière du sujet connaissant devant la dynamique du vivant. Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que ma vie ? Cet espace béant, cette fente, ce chaînon manquant, cet abîme entre nous et cet autre que l’on pressent, comme ce vide au centre de nous-même, ne cesse d’appeler une révélation ou une explication de ce qu’est notre vie dans la vie, de nous porter vers la connaissance, tout en nous frustrant de l’ultime clé de cette connaissance qui se dérobe sans cesse.

Cette frustration nous insécurise, nous mortifie, et son fruit est la mise en examen de nos certitudes ou la démission qui se cache souvent sous le couvert de l’indifférence. Ainsi nous nous balançons entre la méthode et la gnose, la science et l’intuition, les hypothèses et les mythes, les lois et les symboles, la raison et la foi, la lumière et les ombres, mais toujours prisonniers d’un dualisme qui se renouvelle constamment et qui emprisonne notre « je pense » dans son herméneutique, son pari d’interprétation.

La pensée n’a pas attendu Descartes pour être égocentrée. Elle est forcément égocentrée car orpheline, privée qu’elle est de cette part d’elle-même qui l’a conçue, mise au monde et qu’elle recherche, dans certains cas éperdument, parce qu’elle lui manque absolument. En quête de son identité, de son sens, de cette réalité qui lui échappe finalement, la pensée tourne tragiquement en elle-même, en quête de ses origines comme de sa fin, son archè-finalité en somme.

6. Le handicap de la pensée

Revenons aux penseurs archaïques. L’être humain est aux prises avec les contradictions de son existence (désirs inassouvis, souffrances, malheurs, conflits, morts) qu’il tente de résoudre ou du moins d’expliquer, mais il demeure insatisfait, mal à l’aise. À l’origine de ces contradictions, le penseur archaïque reconnaît sa part de responsabilité, sa «faute».

Ainsi, selon les récits orphiques (mélange d’ascèse et de mystique), l’âme a été bannie sur la terre en punition d’une faute, pour suivre, enchaînée au corps, une longue route de purification. Ce n’est qu’au terme de cette route qu’elle obtiendra son rachat, sa délivrance du monde sensible et échappera au cycle douloureux des naissances.

Pour les Pythagoriciens, qui se situent dans cette tradition, l’âme est un être démonique[19] également prisonnier du corps. Elle qui vivait près des dieux ne perçoit désormais plus les choses qu’à travers sa geôle : la roue des existences. « Au cours des transmigrations les âmes expient les fautes qu’elles ont pu commettre dans leur vie antérieure. »[20]

Chez Anaximandre, la description de son concept primordial d’Apeiron inclut une dynamique de réparation des fautes, de l’injustice :

Ce d’où tous les étants tirent leur existence et aussi ce à quoi ils retournent à leur destruction selon la nécessité. Et ces étants se rendent justice et réparation les uns aux autres de leur injustice selon l’ordre du temps.[21]

Le concept primordial d’Empédocle, le Sphaïros, comprend lui-même cette idée explicite de façon particulière. C’est de ce Sphaïros que les hommes furent expulsés pour être jetés dans la lutte des contraires. C’est leur paradis perdu dont la sexualité est exclue («pas d’organes génitaux»), où régnait l’innocence (pas de faute) et vers lequel retourneront tous les hommes pieux :

Circulaire Sphaïros, joyeux dans sa révolution solitaire.
Car on ne voit pas deux branches s’élancer à partir de son dos,
Il n’a pas de pieds, pas de genoux agiles, pas d’organes génitaux,
Mais il est sphérique, en tout sens égal à lui-même.[22]

C’est ainsi que nous voyons encore la faute aujourd’hui, essentiellement morale. Mais si les conséquences de la « faute » n’étaient que morales, la voie serait toute tracée. Il n’y aurait qu’à corriger nos comportements pour y porter remède. Mais il y a plus. Pour les Présocratiques, il appert que cette faute a provoqué une rupture dans notre rapport avec la réalité. C’est dire que l’intelligence elle-même est atteinte, elle a des trous, ce que j’appelle les trous noirs de la pensée. Ce handicap modèle et altère notre manière d’expérimenter le monde et même notre manière de le concevoir.

L’être humain se sent plus ou moins confusément aux prises avec la finitude de sa condition, cette vision essentiellement circulaire, cyclique de l’espace et du temps, sa prison en quelque sorte, où il naît, vit, souffre et meurt, sans raison sinon celle d’une chute dans l’existence. Cette finitude constitue l’obstacle irréductible qui l’empêche d’atteindre le véritable sens des choses, « le monde des dieux » disent les Présocratiques, et le confine au monde des apparences, de l’éphémère.

Comme en conséquence de cette faute, la condition humaine de la connaissance va dès lors se manifester sous les traits d’un dualisme opposant réalité et apparence, âme et corps, dieux et hommes, vérité et conjecture, transcendance et immanence, toutes déclinaisons d’oppositions au sein desquelles les premiers et seconds termes viennent se ranger sous la rubrique maîtresse du bien et du mal.

Pour les Présocratiques, il en ressort que l’âme libérée du corps est le bien souhaité et que le corps en tant que prison est à proprement parler l’incarnation du mal. De plus, le fait qu’en ce monde les hommes en soient réduits aux conjectures apparaît comme le mal opposé au bien de la connaissance qui est l’apanage du monde divin.

De la conscience d’un hiatus existentiel, qui est non seulement métaphysique, ontologique, logique, épistémologique, mais naturel, biologique, organique, psychologique, à la conscience d’une « faute originelle » et à la conscience du « mal », il n’y a finalement aucun saut sémantique. La conscience d’une faute est tout simplement l’épiphanie du même dualisme au niveau moral, expression d’un état de rupture avec le parent générateur de cet ordre du monde dont l’humanité fait partie.

Surgissent alors différents mécanismes d’explication et de justification de cette absence parentale, de cette méconnaissance ou ignorance des origines comme de la destinée humaines. La rationalisation de l’absence – l’injonction moderniste qui relègue Dieu au dehors ou au privé en est une modalité – révèle elle aussi cette Présence primordiale et ultime que l’on pressent sans la comprendre, qui a pour nom « Dieu » ou quelque nom équivalent : Alpha et Omega, Orient de notre existence comme de l’Univers.

7. Rencontrer l’inespéré

Chez les Présocratiques, au sentiment d’être prisonnier de la roue des existences s’ajoute donc l’obscurcissement de l’intelligence, les deux contribuant à alimenter le sentiment de finitude de la condition humaine. Ce handicap de la connaissance entraîne une sorte de désespoir, de désinvestissement de la raison dans sa quête du sens véritable. Lorsque j’étais étudiante, une réplique ironique revenait souvent qui exprime bien ce malaise : « La philosophie mène à tout… pourvu qu’on en sorte ! »

C’est un malaise jamais résolu, jamais totalement conclu, car l’humain est aux prises avec des contradictions sans cesse renaissantes et une connaissance pour laquelle le sens demeure à bien des égards énigmatique. Pourtant Héraclite, du fond de l’Antiquité, exhorte:

Si tu n’espères pas, tu ne rencontreras pas l’inespéré qui est scellé et impénétrable. (fragment 18)[23]

Est-ce de l’espérance? On perçoit très clairement chez les Présocratiques un effort pour surmonter la condition humaine, les contradictions de l’expérience comme cette circularité dont la connaissance semble prisonnière. Mais il y a là une contradiction : comment surmonter l’obstacle de sa condition?

Si le handicap dont il est question fait partie de la condition humaine, il ne peut être surmonté. Si l’on peut y parvenir, alors ce que nous considérions comme inhérent à cette condition n’était qu’apparent ou transitoire et une autre alternative peut être envisagée: la condition humaine peut-elle changer? Si nous répondons affirmativement, le malaise pourrait être inhérent à cette condition dans la condition, au sens d’un « pas-encore » dans un « déjà-là », manifestant une dynamique de transformation ou d’harmonisation inscrite dans notre condition.

8. Le muet et le révélé

Même si nous restons, encore aujourd’hui, aux prises avec notre contradiction existentielle, insatisfaits, mal à l’aise dans notre manière de concevoir les choses comme les Présocratiques, le fait que nous nous posons les mêmes questions fondamentales veut dire que nous aussi nous pressentons, espérons un projet, un sens des sens.

Mais comment peut-on « rencontrer » l’inespéré qui est scellé et impénétrable ? La réalité est en quelque sorte muette. Comment la connaître sans qu’elle ne se révèle de quelque manière ?

Deux Présocratiques se démarquent du constat plus ou moins radical d’impuissance qui confine la pensée au monde des apparences : Parménide et Empédocle. L’orientation de leurs pensées diffère mais ils introduisent leur effort de connaissance de la nature des choses de manière semblable. On remarquera que ces deux amants de la sagesse aspirent à une révélation divine et que cette révélation passe par un intermédiaire… féminin.

Parménide :

Les cavales qui m’emportent m’ont conduit aussi loin que mon cœur pouvait le désirer puisqu’elles m’ont amené et déposé sur la voie fameuse de la déesse qui seule dirige l’homme qui sait à travers toutes choses.[24]

Empédocle :

Mais vous, ô dieux, détournez de ma langue la folie de ces hommes,
Et faites couler de mes lèvres sanctifiées une source pure.
Et toi, Muse aux nombreux prétendants, vierge aux bras blancs, je t’invoque,
Et donne-moi le savoir que les divines lois permettent aux éphémères créatures d’entendre,
Conduisant un char docile venant du royaume de la Piété.
(De la Nature, fragment 3)[25]

La déesse révèle à Parménide que les cavales qui l’ont conduit jusqu’à la demeure des Dieux emprunte une voie éloignée des chemins frayés par les mortels. Elle lui explique quel est l’écueil principal de la voie de l’opinion (apparence) et elle lui indique du même coup la voie à suivre pour l’éviter[26] :

J’arrête ici le discours certain, ce qui se pense selon la vérité;
apprends maintenant les opinions humaines ;
écoute le décevant arrangement de mes vers.
– On a constitué pour la connaissance deux formes sous deux noms ;
c’est une de trop, et c’est en cela que consiste l’erreur.
On a séparé et opposé les corps, posé les limites qui les bornent réciproquement; d’une part, le feu éthérien, la flamme bienfaisante, subtile, légère,
partout identique à elle-même, mais différente de la seconde forme;
d’autre part, celle-ci, opposée à la première,
nuit obscure, corps dense et lourd.
(De la Nature, fragment VIII, 50-55)[27]

Donc, il n’y a qu’une seule voie, celle de la vérité, chemin de la Certitude: l’être est et le non-être n’est pas, il ne devrait même pas être nommé. C’est avec le raisonnement qu’il faut trancher.

Pour sa part, Empédocle demande à la vierge aux bras blancs de lui envoyer avec l’aide de la Piété un char facile à conduire pour avancer sur le chemin de la science. Elle lui donne la confiance en ses sens :

Aie courage, et gravis les sommets de la science; considère de toutes tes forces le côté manifeste de chaque chose, mais ne crois pas à tes yeux plus qu’à tes oreilles, à tes oreilles résonnantes plus qu’au truchement de ton palais ; et, pour autant qu’ils ouvrent des voies à la pensée, ne récuse aucun de tes sens; pense chaque chose en tant qu’elle se manifeste. (fragment 4, 52-56)[28]

Dans les deux cas, la Divinité révélante invite celui qui veut se laisser conduire à une mutation dans la manière de voir et de nommer les choses, à un renouvellement de la manière de penser. Le témoignage des sens qui ouvre à la multiplicité de l’expérience et les principes du raisonnement qui cherche à établir une cohérence : deux voies révélées, que beaucoup ont opposées par la suite.

Plusieurs se sont mis à l’école de Parménide et ont adopté son point de départ, à savoir que le raisonnement est la clé de la connaissance, pavant ainsi la voie au char de la logique et au type de langage qui lui correspond. Quant au char facile à conduire de la confiance dans les sens utilisé par Empédocle, il a suivi son propre chemin.

Dans ce contexte qui touche aux prolégomènes de toute pensée rationnelle conséquente, comment ne pas évoquer le mythe de la caverne de Platon, mythe « construit » philosophiquement, qui caractérise la condition humaine de la connaissance comme aux prises avec des ombres ?

Le système platonicien lui-même ne saurait être pensé sans le concept de faute ou de chute, très présent dans la mentalité grecque. La doctrine des Idées rejetant la connaissance sensible dans le monde des apparences n’est pas sans exiger de Platon des arguments pour justifier sa prétention à la connaissance.

Il existe donc dans la pensée de Platon une possibilité de relèvement qui passe justement par la philosophie. Il s’agit pour l’âme déchue, prisonnière du corps, de se libérer progressivement des chaînes de l’apparence en cherchant dans la direction de l’Idée, c’est-à-dire épurant à l’aide du procédé dialectique les simulacres qui encombrent la voie de la réminiscence de l’Idée. Il existe donc une voix d’accès au Monde intelligible, qui rachète même, en quelque sorte, la connaissance sensible.

Pour Platon, la méthode de conduite de la discussion qu’est la dialectique est elle aussi un cadeau des Dieux donné à l’intelligence humaine pour la guider dans sa quête idéale. Aussi peut-il dire dans le Timée (47b-c), en discourant sur la finalité du sens de la vision:

si un dieu a pour nous inventé le présent de la vue, c’est afin que, contemplant au ciel les révolutions de l’intelligence, nous en fassions l’application aux circuits que parcourent en nous les opérations de la pensée; ceux-ci sont de même nature que celles-là, mais elles sont imperturbables, eux toujours perturbés; grâce à cette étude, nous avons part aux computs naturels dans leur rectitude, et, à l’imitation des mouvements divins, absolument exempts d’erreurs, nous pouvons donner une assiette à l’aberration de ceux qui sont en nous.[29]

Le mode de connaissance humaine s’apparente ainsi aux mouvements divins ordonnateurs du cosmos, et celui-là participe de la certitude de ceux-ci en autant que nous reconnaissons les cadeaux que nous offrent les Dieux, reconnaissance qui est au fondement de la vertu archaïque de Piété. Chez le penseur archaïque, la Piété n’est donc pas confinée au cœur, elle s’applique à l’intellect.

9. Sur fond de ressemblance

On connaît le fameux précepte inscrit sur le fronton du Temple de Delphes à Athènes : « Connais-toi toi-même », mais peut-être moins la proposition conjonctive : « et tu connaîtras l’Univers et les Dieux ». Socrate en a fait le fondement de sa démarche. Déjà, à plus de deux millénaires de distance de notre aujourd’hui, connaissance de soi et connaissance de ce qui est autre que soi, y compris l’Univers et les Dieux, sont liées, un lien que l’on pourrait établir sur fond de « ressemblance ».

Mais comment sommes-nous arrivés et que sommes-nous venus faire dans cet univers qui nous ressemble? Comme pour les Présocratiques, la réponse à cette double question nous apparaît inaccessible. Henri Laborit le fait remarquer :

Entre l’infiniment petit et l’infiniment grand semble pointer le plus en plus complexe. Et cette complexité pourrait provenir du fait qu’il y a sans doute un plus grand nombre de niveaux d’organisation, avec chacune sa structure propre, dans un seul homme, qu’il n’y en a dans l’univers entier. Mais que sommes-nous venus faire, avec les autres, dans cet univers? Essayons donc de comprendre en sachant au départ que, probablement, nous n’y comprendrons rien.[30]

Chercher à comprendre dans la perspective que « probablement, nous n’y comprendrons rien » n’a rien de très motivant en vérité et nous donne plus ou moins l’impression que nous progressons sans boussole, à l’aveugle, dans la forêt d’un univers aux implications plurielles, constamment exposés à tourner en rond.

Marx, le moderne, disait :

La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme sans illusions parvenu à l’âge de raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c’est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.[31]

On retourne ici à une vision circumambulatoire qui rappelle celle des Présocratiques. Mais alors que ceux-ci espéraient rencontrer l’inespéré, fut-il scellé et impénétrable, on cherche à redéfinir l’humain et sa destinée à partir de lui-même, régressant du coup vers une circularité égocentrée, aliénée de l’histoire. Chacun apparaît comme le démiurge de soi-même, façonnant sa propre réalité.

Notre modernité rationalise en projetant le sens de toutes choses, jusque-là considéré comme émanant d’une transcendance étrangère à nous-mêmes, dans une immanence étrangère à Dieu : les raisons sont à chercher dans le sujet et le projet de son existence est essentiellement l’auto-transformation de lui-même. Ce projet de transformation de l’image de soi s’avère de plus en plus comme une transmutation qui implique le rapport homme/femme. On parle constamment de sonder les opinions à cet effet. Mais si l’on posait la question : « Qu’est-ce que la vérité ? », nombreux seraient les soupirs : « Mais qu’est-ce que la vérité ? ».

À chacun sa vérité, son opinion, son genre, son orientation ! Cette démocratisation tous azimuts atomise la pensée et les personnes. Elle peut créer des solidarités d’intérêts temporaires, mais elle n’offre aucune garantie contre l’errance, la manipulation, les dérives, l’exploitation mutuelle.

Épilogue : L’oraison porteuse de raison

Trou noir et Quasar tout à la fois, Dieu n’est pas de l’ordre du préjugé ni de l’opinion. Ceux qui se gaussent en clamant la désuétude de son idée, au nom d’une quelconque modernité ou maturation de l’esprit, ne prouvent rien. Dieu n’est pas une idée, il est de l’ordre du point de départ de la pensée, ou encore une rencontre de l’inespéré qui est scellé et impénétrable, comme l’entrevoyait Héraclite. Le principe de complémentarité dont je parle, qui inclut la considération du rapport homme et femme, en fait sa pierre angulaire.

Dans ces conditions, il permet d’assumer, avec ses ombres et ses lumières, la dimension mystique de la connaissance, c’est-à-dire l’assumation de la découverte du sens de l’univers et de notre propre humanité en tant qu’homme et femme sur fond de ressemblance avec Dieu.

Dieu doit alors se révéler pour que nous le comprenions, lui, son univers et nous-mêmes. Il s’inscrit tel un postulat et, de ce fait, il est dans l’ordre des raisons. Il se définit même comme raison principale et fin dernière. Plus encore, il est notre vis-à-vis, nous sommes en dialogue avec lui. Est-il muet ? Beaucoup s’en faut.

C’est ainsi que la raison appelle l’oraison porteuse de nos questions irréductibles toujours en quête de réponses.

Et maintenant, Toi Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment Te chercher, où et comment Te trouver. Seigneur, si Tu n’es pas ici, où Te chercherai-je absent ? Et, si Tu es partout, pourquoi ne Te vois-je pas présent ? Mais certainement Tu habites la lumière inaccessible. Où est la lumière inaccessible ? Ou bien comment accéderai-je à la lumière inaccessible ? Ou qui me conduira et introduira en elle pour qu’en elle je Te voie ? Par quels signes enfin, par quelle face Te chercherai-je ? …
Que fera, très haut Seigneur, que fera cet exilé, tien et éloigné ? …
Enseigne-moi à Te chercher, montre-toi à qui Te cherche, car je ne puis Te chercher si Tu ne m’enseignes, ni Te trouver si Tu ne te montres.
(Anselme de Canterbury, Proslogion, 1)[32]

Qu’il y ait des trous noirs dans la pensée n’est donc pas en question. Mais ces trous noirs sont-ils habités, pleins d’une Présence, de Sens? Pour le savoir, il faut qu’il y ait Révélation, mais pas seulement, encore faut-il que l’intelligence l’accueille.

 


[1] Niels Bohr, Physique atomique et connaissance humaine, Gallimard, Folio/Essais, 1991, p. 187: « fort éloigné de tout mysticisme totalement étranger à l’esprit de la science, le point de vue de la complémentarité doit être considéré comme une généralisation logique de l’idéal de causalité ». (Voir aussi « mysticisme » dans le glossaire à la fin du livre, p.511)

[2] Jean Paulhan est cité dans la Préface de Brice Parain, p. 13, de Ontologie du langage de Gustav Siewerth, Desclée de Brouwer, 1958.

[3] Revue Science et Vie, no 904, janvier 1993, p.30.

[4] Jean Brun, Les Présocratiques, P.U.F. Que sais-je?, numéro 1319, 1968, p.18.

[5] Ibid., p.41.

[6] Ibid., p.51.

[7] Ibid., p.89.

[8] Ibid., p.117.

[9] La tragédie grecque apparaît dans l’Athènes antique du Ve siècle av. J.-C. Elle a inspiré de nombreux auteurs dont Nietzsche qui lui a consacré l’une de ses euvres : « [les Grecs] ont déposé, pour qui les comprend, la profonde et secrète doctrine de leur vision esthétique non pas dans des concepts mais dans les figures précises de leurs dieux » (La Naissance de la tragédie, Denoël/Gonthier, Collections Médiations, 1964, p.17).

[10] Jean Brun, op. cit., p.47 et 53.

[11] Ibid., p.66-67.

[12] http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/empedocle/oeuvre.htm (site de Philippe Remacle, traduction sous la direction de Caroline Carrat), fragment 2.

[13] Jean Brun, op. cit., p.108.

[14] Jean Voilquin, Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos, Traduction, préface et notes de Jean Voilquin, Garnier/Flammarion, n°31, Paris, 1964 (voir Protagoras).

[15] http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/corruptionsextus.htm. (Analyse de la théorie de Gorgias par Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos-logicos, livre VII, page 285, édition de 1842)

[16] Jean Brun, op. cit., p.121-122.

[17] On peut penser ne serait-ce qu’aux répercussions des révolutions copernicienne, darwinienne, newtonienne, einsteinienne, quantique.

[18] J’ai composé ce néologisme de la façon suivante : Archè pour « fondement » et finalité pour « sens, destinée ».

[19] Pour les Pythagoriciens, le terme daimôn est dénué de caractère maléfique. Il est entendu au sens d’une puissance spirituelle.

[20] Jean Brun, op. cit., p.41.

[21] Ibid., p.18.

[22] Ibid., p.89.

[23] Ibid., p.47.

[24] Ibid., p.71.

[25] Ibid., p.85.

[26] Ibid., p.74. Jean Brun introduit le passage en disant: « tout y est montré sous la catégorie de la dualité ».

[27] Paul Tannery, Pour l’histoire de la science hellène. De Thalès à Empédocle, F. Alcan, 1887, p.245-246.

[28] http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/empedocle/oeuvre.htm (site de Philippe Remacle, traduction sous la direction de Caroline Carrat), fragment 4.

[29] Platon, Oeuvres complètes, Tome II, Timée, Bibliothèque NRF de la Pléiade, Gallimard, 1950, p.465.

[30] Henri Laborit, Dieu ne joue pas aux dés, Les Éditions de l’Homme,1987, Préface p.13, sur 235 pages.

[31] Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la religion, textes choisis, traduits et annotés par G. Badia, P. Bange et Émile Bottigelli, Les Éditions sociales, 1968, p.40.

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5 Responses to Les trous noirs de la pensée

  1. Anne dit :

    Merci, c’est très éclairant et porteur d’espérance…j’ai hâte à la suite

  2. Héléna dit :

    Cette revue historique des tendances philosophiques est du jamais vu pour moi. C’est tout de même incroyable d’avoir eu autant d’heures de cours de philosophie au Cégep et de n’avoir jamais entendu parler des Présocratiques ou des philosophes médiévaux, de n’avoir même jamais eu de serait-ce que l’évocation de la trame historique de la recherche de la connaissance…Prévoyez-vous remédier à la situation et vous proposer comme professeur? Oui, je trouve que ce serait une excellente idée! Je me propose comme étudiante libre.

    Cette trame historique, la complémentarité entre archaïque, moderne et post-moderne, ainsi que l’exposition des systèmes philosophiques se répondant de façon circulaire m’amènent à cette réflexion: il semble y avoir création d’une complétude lorsqu’on regarde les systèmes passés. Que peut-il surgir encore ? Notre époque peut-elle générer une autre approche de la recherche de connaissance? Connaissez-vous des auteurs contemporains précurseur d’une avenue inusitée? Je dis cela en considérant que nous ne sommes plus dans le postmodernisme, à tout le moins nous en avons fait le tour. So, what next?

    Vous semblez exposer le relation homme-femme comme un vecteur traversant les différentes sphères de la pensée. Notre époque en est certainement une où cette relation a subi des mutations sans précédents. Pourtant, bien qu’elle n’ait pas fini sa course, elle ne peut devenir en soi une sphère de la pensée.

    Qui plus est, la Révélation a été faite et s’est répandu, pour ce que j’en sais, jusqu’aux extrémités de la terre. Les cartes sont sur table.

    Voilà, par ces quelques idées lancées à la volée, je vous partage mon sentiment. Entre accompli et inaccompli, nous sommes dans l’attente. Que voyez-vous à l’horizon?

  3. Francine Dupras dit :

    Héléna,
    Je vois trois thèmes principaux dans votre commentaire :

    1- Revue historique des tendances philosophiques

    Peut-être y a-t-il des collèges qui ont mis ce genre de cours à leurs programmes, mais j’ai eu le même genre d’expérience que vous. Au CEGEP où je suis allée dans les années 70, on enseignait plutôt Jean-Paul Sartre (« La nausée »), Desmond Morris (« Le zoo humain »), Alvin Toffler (« Le choc du futur »). Les titres de leurs écrits ne sont pas particulièrement réjouissants, n’est-ce pas? Malgré tout, je me suis intéressée à la philosophie au point de décider de m’inscrire à l’université dans cette discipline. Là, j’ai eu des cours sur la philosophie grecque et le Moyen Âge.
    Cependant, « la trame historique de la recherche de la connaissance » que vous voyez dans Les trous noirs de la pensée est le fruit de mon parcours de réflexion. Quand j’ai suivi mes cours de philosophie grecque et ceux qui traitaient des philosophes médiévaux, j’avais l’impression d’être dans un musée, d’étudier quelque chose de passé, de dépassé. Ces cours n’étaient vraiment pas mes préférés… jusqu’au jour où, après l’obtention de ma maîtrise en Philosophie (1980), j’ai lu les Présocratiques à partir des fragments qui nous restent de leurs écrits, dans le cadre d’un cours en Sciences des Religions. J’ai alors découvert que, depuis le commencement, les philosophes ont toujours essayé de concilier l’unité et la diversité, l’un et le multiple, cette même conciliation que Jean-Marc Rufiange et moi voyons réalisée dans ce que nous appelons « principe de complémentarité ». Cette découverte a été fondamentale pour moi. J’ai écrit là-dessus quelques textes qui font suite aux Trous noirs de la pensée. Il me reste à les rédiger convenablement pour la publication. J’ai beaucoup de pain sur la planche…

    2- What’s next?

    Je pense que l’approfondissement d’un concept de complémentarité du point de vue de ses implications philosophiques est une avenue relativement peu explorée compte tenu de sa valeur. Je vous suggèrerais deux types de lecture : un bon livre sur les Présocratiques, dans lequel vous pouvez avoir accès aux Fragments (Jean Brun est un bon auteur) et le livre de Werner Heisenberg (« Physique et Philosophie »), un scientifique qui connaît bien le principe de complémentarité de Niels Bohr en physique quantique et qui prend la peine de référer à la philosophie, notamment aux Présocratiques. Les Présocratiques ont tracé la voie et Heisenberg nous donne une idée des développements actuels qu’il situe dans leur foulée. Ce qui démontre que notre époque peut effectivement « générer une autre approche de la recherche de connaissance ».

    3- Ce qu’il y a à l’horizon… concernant la relation homme-femme

    Jésus dit qu’il faut savoir « lire » et il ne s’agit pas à proprement parler de livres. Il faut savoir lire les signes des temps. Les mutations dans la relation homme-femme auxquelles vous faites allusion en font partie, mais elles ne sont pas les seules. Quatre signes me viennent à l’esprit.
    Premier signe : Je suis allée faire un pèlerinage en France, l’année dernière. J’ai noté que là-bas, dans les liturgies, on employait encore des formules telles que : « mes frères » et « salut des hommes », alors qu’ici, ce genre d’expressions n’est plus acceptable; on emploiera plutôt « sœurs et frères », « femmes et hommes », ou bien un terme générique : « humanité », « être humain », « personnes ». Et ce, non seulement dans l’Église mais dans tout discours public.
    Deuxième signe : En 2004, la Congrégation pour la doctrine de la foi a publié une lettre adressée aux évêques de l’Église catholique qui porte sur « la collaboration entre les hommes et les femmes dans l’Église et dans le monde ».
    Troisième signe : La Congrégation pour le culte divin et la doctrine des Sacrements a publié récemment – nous en avons déjà fait état sur le site Tendances et Enjeu – un Décret pour que le nom de Joseph soit mentionné aux côtés de celui de Marie dans toutes les prières eucharistiques.
    Quatrième signe : Sur le blason de François comme successeur de Pierre apparaissent, entre autres, deux symboles : l’un représentant Marie (étoile) et l’autre, Joseph (fleur de nard).
    Si, comme vous le dites, « les cartes sont sur la table », personnellement je lis ces quelques signes comme nous indiquant que la relation homme-femme continue de se développer et qu’elle implique l’importance de la reconnaissance de la relation entre Marie et Joseph comme élément fondamental de la Révélation.

  4. Hélèna dit :

    Merci pour cette généreuse réponse!
    J’ai déjà commencé à lire quelques extraits de Jean Brun…cela me réconcilie avec la philosophie française du 20e siècle!

    J’ai aussi relu votre texte et cette fois-ci, j’ai été, entre autres, marquée par la répétition des systèmes de pensée. À travers les fragments des Présocratiques, on peut sentir cette attente, ce désir de la Révélation. D’autre part, à l’époque de Platon, il y avait déjà cette volonté de rationalisation et les concepts de république et de démocratie…que notre modernité ressort comme étant la toute dernière nouveauté.

    Les idées modernes dites « progressistes » m’apparaissent comme un couvert de marmite antique, retrouvé parmis quelques ruines d’Athènes, avec lequel on essaie de contenir l’ébullition de la Révélation.

    Vous avez raison de rappeler l’importance de « lire les signes des temps ». Alors on s’aperçoit que ça bout fort…beaucoup trop fort pour le petit couvert de la marmite.

    « C’est dans l’intelligence, il est vrai, que se répand la lumière divine qui est l’objet de ce don; mais son effusion provient surtout de la volonté échauffée du feu de la charité, selon la parole d’Isaïe: « Croyez et vous aurez l’intelligence ». Adressons-nous à l’Esprit Saint, et nous servant des paroles de David, disons-lui: « Ouvrez nos yeux, et nous contemplerons les merveilles de vos préceptes; donnez-nous l’intelligence, et nous aurons la vie ». »

  5. Clara dit :

    Je n’ai pu m’empêcher de vous transmettre cet extrait, en cette belle journée de la Transfiguration:

    « Pour vous faire connaître la puissance et la venue de notre Seigneur Jésus Christ, nous n’avons pas eu recours aux inventions des récits mythologiques, mais nous l’avons contemplé lui-même dans sa grandeur.  »

    Ce que les récits mythologiques ont pressenti et désiré, Pierre, Jacques et Jean l’ont vu de leur yeux de chair. Ils ont vu la vérité face à face, tangible.

    « Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une manière partielle; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. »

    Pierre, Jacques et Jean, je vous prie, venez me dire en secret, dans le creux de l’oreille, ce que vous avez vu…

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