Je marchais avec mon compagnon de pèlerinage sur le chemin de Compostelle. Devant nous, à distance, marchaient aussi deux pèlerines. Parmi tous les voyageurs que nous rencontrions, elles attirèrent mon attention. Leur âge et leur constitution physique ne leur permettaient pas de marcher d’un aussi bon pas que la plupart des pèlerins, mais ce pas marquait néanmoins leur détermination. Au moment de les doubler, je remarquai que leurs visages exprimaient une gravité sereine, qui semblait s’accorder avec le sérieux de leur projet. Nous nous saluâmes cordialement et, je ne sais plus par quel biais, j’appris qu’elles étaient françaises d’origine algérienne établies à Bordeaux. Je leur demandai comment elles en étaient venues à entamer ce périple, l’une d’elle me répondit : « J’ai décidé d’aller à St-Jacques de Compostelle, alors j’ai mis les pieds dehors, j’ai refermé la porte derrière moi, et je me suis dit : voilà, je suis pèlerine. »
À l’amorce de tout pèlerinage nous trouvons une décision, motivée par un désir. Dans le sillon de cette décision s’effectuent les préparatifs, qui s’avèrent élaborés dans le cas de Compostelle. Ce désir – que l’on pourrait nommer attente, intention, besoin ou autrement -, habite le pèlerin tout au long de sa démarche. Avant de partir, tous les jours pendant un bon mois, je me suis entraîné à raison de deux heures de marche par jour avec sac au dos et bâton à la main; j’ai rassemblé le matériel de voyage, étudié le parcours, anticipé les anicroches, mais en ayant toujours au cœur le motif premier de mon projet.
Comme pour ces dames de Bordeaux, le pèlerinage commence chez soi, en sa demeure au sens élargi. J’ai décidé de partir; je m’en vais quelque part rencontrer quelqu’un. Je n’habite pas Bordeaux mais c’est égal : je prends mon sac, je sors de chez moi, referme la porte et voilà, je suis pèlerin. Je dois me rendre à l’aéroport, prendre l’avion, atterrir à Paris, traverser la France en TGV, prendre un train de région jusqu’à St-Jean-Pied-de-Port, mais pendant tout ce temps, je suis pèlerin, porteur de ma quête. Je déambule en pays étranger, dans le brouhaha des carrefours, comme étranger à cette animation, parce qu’autre chose m’anime.
Mais chacun peut aussi se faire pèlerin sans avoir à s’expatrier. Vous êtes Montréalais ou Montréalaise, vous êtes à votre bureau du centre-ville; à 11 h 17 vous vous dites : « Je ne sais plus que faire avec tel problème »; à 12 h 15, en mangeant votre sushi : « et si Joseph pouvait m’aider… »; 14 h 42, distrait(e) pendant que vous parlez à un client, vous considérez que « je pourrais peut-être faire un détour par l’Oratoire St-Joseph »; 15 h 50, vous décidez de « partir une heure plus tôt (je ne peux pas faire attendre les enfants) »; à 16 h 01, vous fermez derrière vous la porte du bureau : voilà, vous êtes pèlerin.
C’est pour un tas de gens comme nous que saint André Bessette a construit ce lieu de pèlerinage, pour les inciter à s’adresser à Joseph. Il savait l’importance d’un lieu pour le faire, un lieu pour régler nos affaires compliquées par une démarche pas compliquée.
Patrick Trottier