Pénurie de silence

J’occupais un emploi d’étudiant dans un entrepôt de livres depuis quelque temps. J’aimais bien mes collègues et mon milieu de travail, à l’exception de l’agacement que me causait la radio qui déversait sans discontinuer son flot de musiques et de conversations creuses.

Un après-midi où les circonstances m’amenèrent à travailler seul – c’est-à-dire seul en compagnie de la radio, reine et maîtresse de l’entrepôt – je ne pus résister à la tentation d’atteindre à sa liberté d’expression : je fermai le bouton. Ouf ! Quel bien-être, un peu de silence reposant ! J’ai dû me hâter de savourer ces moments, parce qu’une heure après un collègue revenait. À peine arrivé il s’écria: « Qu’est-ce qui se passe ? Il manque de bruit ici !».

Cette parole m’a vivement frappé. Elle me renseignait sur notre incapacité croissante à apprécier le silence. J’ai par la suite travaillé comme boucher en épicerie : même réalité, un bruit de radio incessant. Il suffit de sortir un peu pour se rendre compte de l’omniprésence d’un bruit de fond artificiel – qui ne provient pas du travail effectué – dans beaucoup de milieux de travail. Qu’y a-t-il de si lourd dans le silence ? Pourquoi nous fait-il peur ?

Sur la ferme où j’ai grandi, j’ai été habitué à travailler en silence en compagnie de mes parents qui ne placotaient pas en travaillant. Ils disaient souvent : « Il y a un temps pour chaque chose » et faisaient taire les enfants s’ils bavardaient trop en travaillant. J’aime le silence au travail, ou ailleurs, parce qu’il me permet de prier. Pas avec des mots écrits d’avance, mais avec une simple attention de l’esprit, une sorte de disponibilité intérieure, un échange sans paroles.

Bien qu’il vécût ses journées avec le public, André Bessette aimait le silence. Il ne se répandait pas en paroles inutiles et passait même souvent une partie de ses nuits à prier en silence. Il faisait le plein. Nous ne pouvons pas seulement nous donner, il faut aussi nous remplir, sans quoi nous risquons de n’avoir bientôt plus rien à donner.

Nous voyons souvent Joseph décrit comme un homme de silence. Cela ne veut pas dire qu’il demeurait muet, mais qu’au travers de ses journées, tout en échangeant au besoin avec son prochain des paroles constructives, il conservait une attitude silencieuse pour laisser un espace d’action à Dieu. Les évangélistes rapportent en maints endroits que Jésus, après avoir passé la journée à guérir des malades et à enseigner, se retirait dans un endroit désert pour prier, « et il passa la nuit à prier Dieu ».

Cela ne l’a cependant pas empêché de festoyer au cours d’une noce à Cana, en Galilée. Il y a un temps pour chaque chose…

Patrick Trottier

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8 Responses to Pénurie de silence

  1. Claude dit :

    En lisant votre texte, je constate chez moi une certaine dualité. Je suis très sensible aux bruits de fond… et je me demande souvent ce qui me donne mal à la tête: pas besoin de chercher trop loin parfois!
    Mes collègues de travail sont aussi accros à la radio et même si je finis par m’y habituer, je peux dire que cela ajoute un « stress » à mes journées car j’ai une oreille tendue vers ce brouhaha constant qui parfois est doux et parfois irritant, les yeux rivés sur son ordinateur, la voix qui parfois chantonne une des chansons qui passent, l’autre oreille qui tente de percevoir les paroles qui me sont adressées ou entendre le téléphone qui m’apporte souvent une nouvelle question, une nouvelle tâche à accomplir et mon cerveau qui tant bien que mal arrive à diviser tout cela pour me concentrer sur son travail… ouf! Toute une gymnastique! Quand tout s’éteint… cela fait du bien…
    Par contre, dès que je sors du bureau, je me branche sur mon lecteur MP3… pour me couper des bruits ambiants… et me permettre de me concentrer sur un livre, une revue ou tout simplement pour permettre à mon esprit de se reposer… quel paradoxe! Même lorsque je n’ai pas de musique dans les oreilles, je prends souvent mon cerveau à chanter dans ma tête pour combler l’espace du silence. Comment faites-vous pour réfléchir en silence tout en travaillant? On dirait que la réflection autre qu’une ritournelle me demande trop de concentration pour être capable de faire les deux en même temps. Avez-vous un truc? Car j’aimerais bien parfois que cesse en ma tête tout ce verbiage. Merci à l’avance!

  2. Jules Tétrault dit :

    J’ai vécu une expérience semblable lorsque je travaillais dans un entrepôt. Un jour, exaspéré par le bruit continuel de la musique, j’ai éteint le coupable. Lorsque l’un des employés est revenu à l’entrepôt, j’ai été sidéré par sa réaction. Il était littéralement furieux! Furieux que l’on ait osé priver les lieux de musique en son absence… Je me suis dit alors, quel vide! Quel vide veut-on à ce point remplir pour fuir à tout prix le silence. D’autres collègues contaient aussi que chez eux, la musique fonctionnait dès le réveil, jusqu’au soir. Ce doit être le vide d’une vie sans sens que l’on fuit ainsi, ou la vérité sur soi-même, peut-être aussi la présence de Dieu qui frappe à notre porte?

  3. Patrick T. dit :

    @ Claude
    « Voici une suggestion toute personnelle, j’espère qu’elle vous aidera. Je pense qu’il faut puiser la matière première qui occupera nos pensées dans le feu de l’action au cours de temps de réflexion silencieuse en dehors du travail et des déplacements, quand nous avons un contrôle sur notre environnement. La réflexion (ou méditation si vous préférez) bien amorcée à l’écart du brouhaha se poursuit sur un autre mode, comme à notre insu, et il nous vient pendant le travail des développements, des « flashs » qui meublent utilement nos minutes précieuses. Bonne chance.

  4. Claude dit :

    Merci Patrick pour votre suggestion, je l’attendais avec impatience. J’aime bien l’idée de « flash ». Je pense dans le fond que je me fais un peu d’ulcère à essayer de tout éviter! Mon prochain défi sera peut-être justement de trouver ces quelques moments de silence aux travers les occupations personnelles et familiales, mais ça, c’est d’abord à moi de prendre en main! Il m’est venu aussi une autre idée et peut-être pourrez vous également me suggérer quelque chose à ce sujet. Si c’est difficile pour moi de couper de ma tête les chansons et les rengaines d’auto-analyse (je me promets d’abord d’essayer votre technique mais au cas où…), peut-être pourrais-je au moins les remplacer par quelque chose d’agréable. Si c’est difficile de faire le vide, pourquoi ne pas remplacer par qqch de plus beau et plus agréable que le brouhaha dans lequel trempe quotidiennement le monde urbain. J’aimerais bien choisir ce que je veux qui entre dans ma tête et non pas être à l’hameçon de la mode de d’autres. Vous parlez de Joseph dans vos blogues, j’imagine qu’il ne devait pas y avoir que du silence dans sa vie mais aussi de belles musiques, de belles paroles, de belles images qui égayaient son quotidien au travail. Avez-vous quelques suggestions pour moi? Merci à l’avance
    vendredi 1 octobre 2010 – 13:11

  5. Patrick T. dit :

    @ Jules Tétrault
    Sur la radio qui fonctionne à coeur de jour au foyer, une amie me racontait qu’elle aidait ses enfants à s’endormir en leur faisant écouter CITE Rock détente. Sans ce moyen, ils n’arrivaient pas à trouver le calme. Je m’interroge sur les effets d’une habitude acquise à un si jeune âge.

  6. Patrick T. dit :

    @ Claude
    Remplacer par du plus beau? Ça dépend de ce que vous recherchez. Si vous désirez éliminer l’agacement d’un brouhaha cacophonique en lui substituant une formule de remplissage plus agréable, alors vous aurez atteint votre but, vous contrôlerez ce qui entre dans votre tête. Cependant, si vous voulez que Dieu entre dans votre tête, ne faudrait-il pas lui ménager une plage, même courte? Sa plage de prédilection est le silence. Ne serait-ce que dix ou quinze minutes par jour, vous verriez la différence dans votre carrousel cérébral.

    Cela dit, le contexte dicte souvent le choix approprié. Par exemple, une belle musique d’ambiance peut être tout à fait indiquée pour soutenir la convivialité d’un repas. Ou le samedi matin, quand on veut faire deux heures de ménage « ennuyeux » avec les enfants, une musique entraînante peut les encourager à collaborer. C’est pour beaucoup une question de jugement. Mais je crois que, d’une façon générale, une option mitigée donne un résultat mitigé. Tenez-moi au courant de vos expériences!

  7. Claude dit :

    On est loin du temps ou de mon souvenir d’enfant, ma mère nous endormait avec le chapelet à la radio ou même du Beethoven! Il ne faut pas désespérer!
    Sans le savoir, j’ai fait une belle expérience hier qui, je crois, entre dans la ligne de votre commentaire que je n’ai lu que beaucoup plus tard: celle m’arrêter quelques instants pour regarder la nature et les merveilles qui y sont mises. Les couleurs de l’automne étaient tellement belles hier que cela a fait surgir une joie profonde en moi, une paix. C’est une belle image qui restera imprégnée quelques jours sûrement.

  8. Susanne Marchio dit :

    Claude, votre témoignange est beau. Dieu a justement mis la beauté dans la nature pour le repos de l’âme. Nos vivons dans un monde assez laid. En fait c’est plutôt que l’on MONTRE la laideur et peu la beauté. Dieu est beau. Ce qui est de Dieu est beau et quand on se donne la peine de faire ce que vous avez fait, regarder et même plus, comtempler, la beauté simple de la nature on éprouve un repos une joie, une paix. On peut contempler tout ce qui est beau; moi j’ai contemplé votre témoignage. Merci Claude.

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