La fête de la Saint-Jean prendra cette année une teinte particulière, dans le contexte des événements que nous avons vécus à Montréal récemment. Sera-t-elle de joie, ou sera-t-elle amère? Pour ma part, je me demande ce que nous fêterons.
D’abord, Jean le Baptiste est loin d’être un petit blond doux représenté sur les chars allégoriques. C’est plutôt un fort, un solide en convictions, qui ose faire des reproches de fond et en paie le prix de sa vie. C’est le lot des précurseurs d’annoncer ce qui n’est pas populaire: son épisode avec Hérode le démontre bien.
Mais pourquoi est-il le patron des Canadiens français? Il est vrai que l’on fêtait saint Jean Baptiste en Nouvelle-France, mais la dévotion envers ce saint n’est pas des plus marquantes. Elle ne s’enracine pas dans les origines autant que saint Joseph, ou même sainte Anne. Ce patronage a pourtant son histoire, dont voici quelques éléments.
Nous sommes couramment portés à associer les Patriotes aux défenseurs de la nation canadienne-française. Pourtant on retrouve plusieurs noms anglais parmi les plus virulents d’entre eux.
- William Lyon Mackenzie, conduisit la rébellion du Haut Canada. Recherché, il s’échappe aux États-Unis et y déclare la République du Canada. Le drapeau de cette république comporte deux étoiles et le mot LIBERTY est écrit en gros.
- Thomas Storrow Brown travaillait au Vindicator and Canadian Advertiser, journal patriote de langue anglaise. C’est l’un des chefs des patriotes.
- Robert Nelson, médecin anglican, participa à une réunion lors de laquelle les patriotes présents votèrent pour le lancement d’une attaque contre le Bas-Canada à partir des États-Unis. Lors de cette réunion, tenue aux États-Unis, il fut élu président de la République du Bas-Canada.
- Edmund Bailey O’Callaghan, élu député du Parti patriote en 1834, fut rédacteur en chef du journal Vindicator.
Tous ces gens, avec bien sûr Papineau et d’autres moins connus, poursuivaient un objectif commun, celui d’instaurer une République canadienne, inspirée de celle de la France et des États-Unis. Ceci, avec le désavantage d’instaurer comme fondement politique le «peuple, source de toute autorité légitime» comme en témoigne le premier toast levé par Ludger Duvernay lors du banquet du 24 juin 1834.
Mais cette idée de république sert-elle réellement le Canada français?
«Et si le Canadien français a pu préserver sa langue et ses institutions, particulièrement dans la province de Québec, il devrait lui-même reconnaître que cela ne tient pas qu’à sa seule ténacité, mais aussi au modèle canadien de l’État. Il n’aurait pu y parvenir sous les auspices de la République américaine. En effet, ceux des siens qui, pressés par le besoin, ont pris le chemin d’un exil volontaire vers les États-Unis n’ont pas résisté à l’assimilation.» (dans Le Dominion et la République)
Le modèle canadien de l’État comporte une nation fondatrice, la Canadienne française et celle-ci porte dans ses profondeurs, l’idée de Dieu, source de toute autorité légitime. Cela fait partie de sa fondation même. Est-elle en cela précurseur, comme Jean le Baptiste?
C’est au cours du même banquet qu’on lança soudainement l’idée que Jean Baptiste soit le patron des Canadiens français. On était le 24 juin! Cette idée fit son chemin et plus tard, c’est sous la demande de la Société Saint-Jean-Baptiste, que l’évêque de Québec, présentera une requête à Pie X, à l’effet que saint Jean Baptiste soit nommé patron des Canadiens français.
Que l’idée du patronage de saint Jean Baptiste soit issue d’un contexte prônant la république pose question ou du moins fonde peut-être l’ambiguïté de cette fête aujourd’hui.
Fête nationale du Québec, fête des aspirations à la République du Québec? Ou fête des Canadiens français? Il faudrait continuer d’approfondir la question.
Quoi qu’il en soit, je garde l’idée qu’un patronage porte une réalité qui dépasse ce qu’on peut en faire et que cette réalité est agissante. On dit dans le chant O! Canada «Sous l’œil de Dieu, près du fleuve géant, le Canadien grandit en espérant…»
La naissance de Jean le Baptiste, que nous fêtons le 24 juin, est en elle-même un signe d’espérance. C’est sous ce signe que j’aimerais fêter cette année.