Joseph et le Sang… de David (1)

Je reviens à Machiavel dont il a été question dans mon blogue « Joseph et le Prince ». Ce penseur politique, on ne peut plus pragmatique, écrit avec une crudité qui a le mérite d’être sans faux-fuyants. Il soutient entre autres que, lors de la prise de pouvoir d’une principauté, il ne faut pas seulement s’en prendre à la tête du gouvernant (on croirait entendre le révolutionnaire Saint-Just demandant que Louis XVI soit passé au fil de la guillotine), mais noyer tous ses héritiers en bas âge.

À voir la réaction d’Hérode lorsqu’il apprend la naissance du Roi-Messie, on aurait pu croire qu’il avait lu Machiavel; il a fait exterminer tous les enfants âgés de moins de deux ans de la ville de Bethléem, la ville de David, pour être sûr d’éliminer le roi légitime : le descendant de David annoncé dans les Écritures. Par pure cruauté ? Je dirais plutôt par pragmatisme.

Machiavel lui aussi est d’avis qu’il faut se débarrasser des héritiers, afin de mettre un terme à la branche dynastique du territoire et couper ainsi toute possibilité de retour au pouvoir de cette lignée. Il s’agit alors d’un mal nécessaire. J’ai déjà entendu un homme d’Église dire, avec une certaine candeur, que la Révolution française avait été un mal nécessaire pour en arriver à la Charte des Droits de l’homme. Le machiavélisme aurait-il plus d’adeptes qu’on ne le croit ?

J’ai parlé hier « Fils de David et désincarnation » d’une sorte de rupture entre Israël et l’Église qui avait pour effet de spiritualiser ou de désincarner l’appellation de Fils de David. Y aurait-il une manière de concevoir le politique qui s’attaquerait de façon plus « terrestre » à la descendance de David afin d’éliminer la forme de gouvernement légitime qu’elle signifie ?

Et ce, depuis bien plus longtemps que le Prince de Machiavel…

Francine D. Pelletier

Demain : « Joseph et le Sang… de David (2) »

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2 Responses to Joseph et le Sang… de David (1)

  1. Jurgen Faine-Caram dit :

    @Francine
    J’étais sur le point de réagir au blogue du samedi 9 octobre 2010 intitulé «Fils de David et désincarnation» quand je suis tombé sur celui-ci.
    La problématique des peuples m’intéresse depuis longtemps. Je me suis en particulier intéressé à la polarité sémitique/indo-européen en linguistique, mais aussi aux implications géopolitiques de celle-ci. Vous dites dans un récent blogue: «De plus, chaque fois que, dans l’histoire, un peuple s’est considéré comme étant « LE peuple », il y a eu débordements, abus et oppressions, voire holocaustes sur les plans social et politique. »
    Vous référez clairement, je pense, et entre autres, au génocide des juifs par les nazis qui peut certainement servir de symbole du phénomène en général.
    La polarité qui est à la base de cette aberration oppose aryanisme et sémitisme et fait vraisemblablement suite à un engouement remarquable pour la philologie, qui a littéralement traversé le dix­ neuvième siècle. On connaît par exemple l’essor qu’a connu l’égyptologie au début de ce siècle. Je ne voudrais pas trop m’étendre ici sur tous les liens qui existent entre cette redécouverte de l’Égypte, l’aryanisme et l’antisémitisme, mais rappeler qu’ils remontent fort loin dans le temps, à l’Antiquité même.
    Les enjeux sont sérieux et profonds, et ils touchent à la racine même des questionnements religieux. Ainsi, Champollion était-il simplement un linguiste? Tout en léguant au monde une oeuvre remarquable d’efforts dont les résultats se font sentir encore aujourd’hui, il n’en est pas resté au simple déchiffrement des hiéroglyphes égyptiens. Peu à peu, c’est d’une foi qu’il s’agit. Champollion invoque désormais les divinités égyptiennes qui ont remplacé chez-lui ses racines chrétiennes. Il n’est pas le seul. Parmi tous ces savants et penseurs du dix-neuvième siècle, la préoccupation religieuse prend une place primordiale et, dans tous les cas, il s’agit de faire oeuvre moderne, voulant « modestement » redécouvrir le monde avec des yeux nouveaux et ouverts à un universel qui se projette désormais dans le particulier en chassant l’immobilisme. Cet effort prométhéen, c’est l’aryen qui prend le pas sur le sémite.
    A leurs yeux, Jésus lui-même doit la puissance de sa médiation à ces racines non seulement sémitiques mais aryennes. Pour les amateurs de cinéma, il suffit de se rappeler les références qui y sont faites dans la série des Indiana Jones et le film « Le Cinquième Élément » de Luc Besson, par exemple.
    Sur le plan politique, Saddam Hussein avait comme rêve de restaurer le vieil empire babylonien.
    Cet empire comprenait les nations modernes d’Irak, d’Arabie Saoudite, de Syrie, du Liban, de Jordanie, d’Israël, et du Koweit. En septembre 1987, on célèbre le premier Festival International de Babylone, dont le thème officiel était: «De Nabuchodonosor a Saddam Hussein, Babylone subit une renaissance.» On avait placardé dans toute la ville des images représentant Nabuchodonosor côte à côte avec un Saddam stylisé pour accentuer la ressemblance. Saddam Hussein se voyait comme l’incarnation de Nabuchodonosor. L’invasion du Koweit en 1990 était une étape pour la reconstruction géopolitique de l’empire de Babylone.
    D’autre part, si Saddam Hussein pouvait s’assimiler à Nabuchodonosor, il est à se demander si Mahmoud Ahmadinejad ne pourrait pas, au moins symboliquement, s’assimiler à Cyrus ou, encore mieux, à Darius, considéré par plusieurs comme le premier roi zoroastrien. Cela pourrait permettre de mieux comprendre les sorties régulières du controversé président iranien qui font frémir même les moins bons amis d’Israël…
    En avril 2006, un mois avant que Mahmoud Ahmadinejad écrive à la chancelière Angela Merkel sa fameuse lettre niant l’holocauste des juifs durant la dernière guerre mondiale, il déclarait en conférence de presse à Téhéran que les Iraniens et les Allemands étaient membres d’une même race aryenne. Or, le sens du mot «Iran» est littéralement «terre des aryens». Ce sens est attesté dans la plupart des dialectes issus du persan.
    Conclusion
    Ce qui ressort dans les deux cas, celui de Saddam et celui de Mahmoud, est l’hostilité non seulement politique mais religieuse de ces rois modernes envers Israël. On peut d’ailleurs déduire de ce qui précède que le fondement de cette hostilité n’est pas d’abord l’Islam, mais qu’elle a des racines antiques et presque mythiques.
    On a beaucoup dénigré l’invasion de l’Irak et la coalition «montée» par Bush, mais elles font peut-être beaucoup plus de sens que l’on voudrait l’admettre en regard des considérations de ce blogue. Car si Joseph en tant que descendant de David est un prince non plus seulement d’Israël mais du peuple du salut, on peut entrevoir la perception géomystique à la base des actions du président Bush et de ses alliés.
    Je note ici un fait lié à la date choisie pour intervenir en Irak en 2003. L’opération était prévue pour le 20 mars. A cause d’un renseignement de dernière minute, l’attaque pour libérer l’Irak de Saddam fut déclenchée le 19 mars, heure de Washington, à Bagdad. Comme tous les lecteurs de ce blogue le savent, le 19 mars est la fête de Joseph. Mais savent-ils que la cathédrale de Bagdad est dédiée à Saint Joseph…?
    L’action du trio Bush/Blair/Aznar pourrait-elle être qualifiée de fondamentalement catholique, j’entends un «vrai catholicisme» presqu’au delà de la religion? José Maria Aznar était le seul catholique du groupe mais, depuis ce temps, Tony Blair qui est l’époux d’une catholique a officiellement adopté la confession de celle-ci. Quant à George W. Bush, je voudrais mentionner que son frère Jeb s’est lui aussi converti au catholicisme de son épouse et que George W. lui-même a été étonnamment surnommé par certains journalistes «le plus catholique des présidents» …

  2. Francine D. Pelletier dit :

    @Jurgen Faine-Caram

    Je regrette de ne pas avoir pu vous répondre plus tôt. Tout en vous lisant, plusieurs réflexions me venaient à l’esprit, mais je n’arrivais pas à les formuler. J’ai donc laissé le temps agir, revenant souvent à votre commentaire, comme je le fais aussi pour les autres commentaires auxquels je n’ai pas encore donné suite et auxquels je me promets de répondre.

    Les éléments que vous introduisez à propos de la polarisation aryanisme­ sémitisme montrent qu’il y a, dans les soubresauts politiques que nous connaissons, des tendances lourdes. J’entends par tendances lourdes ce qu’en politique, on essaie d’identifier comme étant les «moteurs» ou les «motifs» qui agissent en profondeur sur les gens, par-delà la versatilité de leurs opinions qui, elles, s’expriment selon un mouvement de balancier plus ou moins accentué entre la gauche et la droite. Par exemple, ce qui fait élire un candidat n’aurait pas tant à voir avec le parti politique auquel il appartient, mais tout à voir avec sa capacité consciente ou inconsciente d’incarner une tendance lourde: le désir d’une société meilleure, d’un gouvernement honnête, d’un chef sur lequel on puisse compter, la quête de prospérité et de paix, etc.

    Les tendances que vous évoquez (et d’autres) ont un caractère moins idyllique et elles sont tout aussi lourdes: le désir de puissance, de domination sur ses voisins, la convoitise des richesses de l’autre, la quête de la suprématie à travers la figure d’un chef conquérant voire tyrannique. On pourrait résumer ainsi: être le plus grand, avoir la première place, et dans le cas où ce serait l’apanage d’un autre, développer une jalousie à son égard qui peut aller jusqu’à l’homicide: animosités basées sur la langue, la religion, la race; conflits, guerres, génocides. Me rapportant à vos propos, ces tendances lourdes remontent effectivement «à l’Antiquité même». Et vous ajoutez: «les enjeux sont sérieux et profonds, et ils touchent à la racine même des questionnements religieux». J’en suis convaincue.

    Dans cette foulée, je pense que le questionnement religieux inclut le questionnement politique. Le questionnement religieux traite du rapport à Dieu et, comme je le mentionnais dans mon blogue du 27 août, «Dieu et politique (1)»: Dieu est la figure d’autorité la plus forte qui soit, que l’on soit croyant ou non. Il est par nature le souverain.

    Dans la bible, on peut voir comment s’opère le passage à une gouvernance qui veut s’affranchir de la souveraineté de Dieu. Au départ, lorsque Yahweh Dieu choisit son peuple, il le dirige lui-même en se choisissant des porte-parole: notamment les juges et les prophètes. Le peuple élu, regardant alentour, se met à désirer avoir un roi comme les autres peuples. Bien que Yahweh Dieu le mette en garde contre les tendances lourdes attachées à une royauté non soumise à sa souveraineté: «le roi prendra vos terres, vos femmes…», le peuple s’entête et n’écoute pas le prophète qui lui est envoyé pour le prévenir. Alors Yahweh Dieu dit au prophète: «Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi. Ils ne veulent pas que je règne sur eux». Israël a donc eu ses rois et le cortège de vicissitudes qui s’ensuit, jusqu’au jour où Yahweh Dieu choisit un «roi selon son cœur»: David. Ce dernier ne fut pas parfait; il prit notamment la femme d’un de ses officiers qu’il envoya à l’endroit le plus exposé de la bataille pour le faire périr. Il a commis des erreurs de gouvernement et son règne a connu des moments tragiques. Mais David reconnaissait fondamentalement et «de tout son cœur» la souveraineté de Dieu et c’est à lui que Dieu fit la promesse qu’il susciterait dans sa descendance un roi dont la dynastie serait établie pour toujours.

    Je conjecture donc que la tendance la plus lourde de l’histoire et de la politique concerne la souveraineté de Dieu, qui passe par l’intermédiaire du roi annoncé à la descendance de David. Et je conjecture que la souveraineté de Dieu passe aussi par l’intermédiaire d’un prince «selon son cœur»: Joseph, fils de David, un prince qui «n’a aucun complexe en lien avec la suprématie de Dieu», comme le faisait remarquer une commentatrice de mon blogue du 6 octobre: «Joseph et le nouveau millénaire» (voir Hélèna).

    Évidemment, il y a une conjonction potentiellement explosive qui s’établit entre Dieu et politique, et cette conjonction a été maintes fois exploitée à des fins de domination. Le pragmatisme du Prince de Machiavel n’a aucun scrupule à s’en servir puisque la fin justifie les moyens, et que la fin est le pouvoir. Vous nous apprenez d’ailleurs que des penseurs du dix-neuvième siècle attribuaient «la puissance de médiation» de Jésus «à ses racines non seulement sémitiques mais aryennes». Hitler s’en serait-il inspiré?

    Enfin, pour faire écho à votre point de vue peu courant sur la coalition Bush -Blair-Aznar, j’ai lu quelque chose qui m’a fait réfléchir sur l’animosité quasi universelle à l’égard de George W. Bush. Deux journalistes très estimés au niveau international ont été interrogés sur les raisons qui, selon eux, étaient à la base de l’antipathie «européenne» manifestée envers le président américain: son moralisme, son côté cowboy, la guerre en Irak ou sa foi en Dieu? Ils répondirent à l’unisson: sa foi en Dieu. Et ils élaborèrent en disant que l’Europe avait tout fait, pendant des siècles, pour exclure Dieu de la scène politique et que George W. Bush contribuait à l’y ramener.

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