Patron et Constitution


ou Le Canada et l’Église «québécoise»

Si le statut particulier du Québec dans le Canada est l’enjeu d’un débat constitutionnel fondamental, il en est de même, je dirais, du statut particulier de Joseph dans l’Église. On perçoit certains signes de résistance à son égard, malgré les titres qu’on lui accorde volontiers par ailleurs, comme celui de Patron de l’Église universelle. Je mentionnerai deux exemples:

1) En 1870, Pie IX a nommé Joseph «Patron de l’Église universelle» en invoquant la puissance de son intercession et il a fixé la célébration de ce vocable en la solennité du 19 mars. Or, on ne célèbre plus ce vocable le 19 mars, par souci, dit-on, de ne pas faire «d’inflation» du sanctoral. Autrement dit, il faut éviter de «trop en mettre» quand il s’agit de fêter les saints. «Trop en mettre» n’est jamais souhaitable, mais Pie IX a-t-il vraiment dépassé la mesure à propos de Joseph?

2) Plus près de nous dans le temps, en 1962, Jean XXIII introduit le nom de Joseph dans le «canon», cette partie de la messe qui va de la Préface au Notre Père. Il exprimait ainsi l’enseignement de l’Église qui voit en Joseph «le plus grand saint» après la Mère de Dieu. Ce statut lui donne, entre autres, préséance sur les apôtres; en conséquence, le pape a introduit le nom de Joseph à son rang dans le «canon», c’est-à-dire après Marie et avant les apôtres, les papes, les martyrs, et les autres saints et saintes. Or, les autres canons de la messe qui ont été approuvés depuis celui de Jean XXIII ne nomment pas Joseph. Généralement, comme le choix du canon est laissé à la discrétion du célébrant et que le canon de Jean XXIII, plus ancien, est moins prisé, il est finalement très rare que Joseph soit évoqué, et évoqué à son rang, au cours de la messe. Pourquoi? Les raisons théologiques de Jean XXIII sont-elles moins valables pour notre temps?

Lors du Concile Vatican II, il y a eu toute une discussion pour savoir si, oui ou non, on devait inclure le chapitre sur Marie dans le document sur la Constitution de l’Église. Finalement, le «oui» l’a emporté; on a placé le chapitre sur Marie avant la conclusion. Si l’Église peine à intégrer la Mère de Dieu et de l’Église dans sa Constitution, imaginez Joseph, le non-clerc, le simple fidèle! Même son titre de Patron de l’Église, et même sa place au canon de la messe, tous deux appuyés sur l’enseignement de l’Église et entérinés par des papes, peinent à être reconnus sur le terrain. Il n’y a donc pas que le Canada qui ait des problèmes constitutionnels, l’Église aussi: la reconnaissance des statuts particuliers de Marie et de Joseph dans la pratique ne va pas de soi pour tous les membres de l’Église.

Récemment, j’ai rencontré le célébrant d’une messe dominicale sur le parvis d’une église québécoise et je me suis aperçue, lors de notre court entretien, que les problèmes de Constitution de l’Église pouvaient même rejoindre ceux de la Constitution du Canada quand il s’agit de Joseph.

Premier extrait de notre dialogue:
– Durant le canon de la messe, après la mention de «la Vierge Marie, la bienheureuse Mère de Dieu», vous avez ajouté le vocable «Mère de l’Église».
– Oui, je fais toujours cela.
– Mais vous n’avez pas mentionné Joseph, qui est lui-même «Patron de l’Église».
– C’est vrai… Peut-être que je pourrais le dire après le nom du saint de la paroisse, ce serait facile.

Il y a des pasteurs catholiques qui reconnaissent le statut particulier de Marie et qui en témoignent comme ce célébrant qui a coutume d’ajouter le vocable «Mère de l’Église » à la mention de Marie lorsqu’il dit la messe. Mais le statut particulier de Joseph ne jouit pas de la même reconnaissance. Il n’est pas venu à l’idée de ce prêtre de placer Joseph à son rang; il ajouterait tout simplement son nom après celui du saint de la paroisse, parce que, dit-il, ce serait «facile». Toute proportion gardée, il me semble que c’est un peu comme si, à une rencontre des Premiers ministres provinciaux, on avait oublié de mettre un fauteuil pour le Premier ministre du Québec, et qu’on décidait tout simplement de le faire asseoir parmi des députés également conviés, parce que c’est plus facile que d’ajouter un fauteuil à la table des Premiers ministres.

Deuxième extrait de notre dialogue:
– Joseph est aussi le Patron du Canada.
– Mais non!
– Comment ça?! Le Canada a bien été consacré à Joseph en 1624…
– Oui, mais le Canada, à l’époque, ce n’était que le Québec.

Selon ce prêtre québécois, le Canada qui a été consacré à Joseph ne correspond pas au Canada d’aujourd’hui. S’il est Patron, c’est du Québec seulement. D’abord abasourdie par cette interprétation du patronage de Joseph, j’ai soudain réalisé qu’effectivement, pour plusieurs membres de l’Église québécoise, et parmi les plus éminents d’entre eux, le vocable «Patron du Canada» semble poser problème dans la pratique; en tout cas, on use de ce vocable avec parcimonie au Québec. Craindrait-on que le fait de prier et d’inviter à prier Joseph, Patron du Canada, soit une façon de prendre parti pour les fédéralistes, contre les souverainistes?

Dans la même veine, j’ai remarqué la chose suivante. À ma dernière visite à l’Oratoire Saint-Joseph, je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune statue, aucun retable représentant Joseph en tant que Patron du Canada. Il y a déjà eu une prière adressée à Joseph sous ce vocable dans le recueil de prières de l’Oratoire, une prière aux accents contemporains surprenants (voir ci-dessous). Elle n’y est plus. On retrouve dans le nouveau recueil une prière à François d’Assise mais pas de prière à Joseph, Patron du Canada et de l’Église canadienne…

Je me réjouis que, sur le site de l’Oratoire, on mentionne Joseph comme Patron du Canada et qu’on en parle quelque peu. Mais sur le terrain?

Francine D. Pelletier

******************

Prière d’un auteur inconnu,
tirée d’un ancien recueil de prières
de l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal

Saint Joseph, Patron du Canada,

Accompagne notre peuple en marche vers ses destinées providentielles. Tu l’as protégé dès son berceau, tu l’as défendu aux heures difficiles de son histoire. Sois-lui favorable aujourd’hui comme tu l’as toujours été.

Rends-lui sa simplicité des origines, sa foi intrépide, ses moeurs admirables.

Sois notre guide et notre protecteur dans l’évolution importante que nous traversons maintenant; garde-nous dans la paix et la charité pour que nous travaillions ensemble au développement de notre grand pays et au progrès de la vie chrétienne sur notre continent.

Que parmi nous se lèvent de nombreux apôtres, afin que tous puissent partager avec nous les grâces de la foi chrétienne. Amen.

Ce contenu a été publié dans Blogues, Francine D. Pelletier, avec comme mot(s)-clé(s) , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 Responses to Patron et Constitution

  1. Jeanny dit :

    Je suis d’accord avec vous Mme D.Pelletier pour moi on devrait nommer St-Joseph
    lors des célébrations
    Félicitations je lis toujours vos écrits très intéressants

  2. Fidèle lectrice dit :

    Moi aussi je trouve vos blogues fort intéressants. Je me dis toujours à chaque fois, mais où a-t-elle trouvé toute cette mine d’information. Enfin, j’ai beaucoup réfléchi moi-même sur toute cette histoire de Patron de ci ou de ça. Je me suis dit, comment ça marche exactement? Voici une réflexion d’ordre géomystique qui m’est venue. Supposons que Joseph soit réellement le Patron du Québec (en passant je viens de lire sur un site que c’était Jean de Brébeuf qui était patron du Québec?!) ou plus précisément de la Nouvelle-France en 1624. Avant la conquête de 1760 par les Anglais, il y avait déjà des Français qui habitaient le sud de l’Ontario et aussi le long de la rivière Mississipi aux États-Unis. Et alors? Les Anglais et l’État américain n’ont pas hérité du Patron en même temps? Qu’adviendra-il alors si le Québec se divise en deux éventuellement? De quelle partie Joseph sera-il le patron? Pour ma part, je n’ai aucune objection à ce que l’Angleterre ou les Etats-Unis fassent l’acquisition de Joseph en même temps que le territoire conquis. De toutes façons, nous pouvons dire que le Québec qui est de plus en plus multiculturel, malgré sa majorité française, aurait Joseph comme patron. Alors que vous soyez anglais, français, italien ou juif, c’est Joseph qui est le patron! Au fait, quel est le grand patron de l’univers? Ici on se dispute le patronage, est-ce le dieu des Chrétiens ou un autre dieu? Cela est un enjeu de taille, non seulement mystique mais TRÈS politique…

  3. Brisebois Ginette dit :

    Bonjour, je trouve que St-Joseph est très important puisqu’il a été choisi (je dis bien choisi) par le Père pour être la papa adoptif de l’Enfant Jésus. Son rôle était de prendre soin de l’Enfant et de Marie sa Mère. A mon humble avis, Dieu le Père n’a pas pris quelqu’un à l’aveuglette pour son propre Fils; Il savait que Joseph était la personne idéale afin de pourvoir aux besoins de Jésus et de Marie. Joseph a rempli son rôle à la manière voulu par le Père; il a fait la volonté de Dieu en toute chose.
    Bon Saint Joseph priez pour nous, protégez-nous, veillez sur chacun de nous. Avec Maman Marie conduisez-nous à Jésus.
    (Gardons-le comme Patron du Canada et du Québec. Je pense que Saint Joseph après Jésus et Marie est le plus grand de tous les saints.)
    Merci de m’avoir lue.

    • Raymond Desjardins dit :

      J’aime bien voir la grandeur de votre foi, en plaçant Joseph à la place qui lui revient. Bon Joseph, continu de nous protéger!

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.