Le pied pèlerin

Si d’aventure vous croisez un pèlerin revenant de Compostelle et que vous souhaitez savoir comment s’est déroulé son pèlerinage, demandez à ses pieds. Du début à la fin, ils restent sur la ligne de front, ils connaissent les moindres méandres du sentier. Un de mes principaux souvenirs de Compostelle est un souvenir tactile; mes pieds ont touché ce pays à chaque pas, ils l’ont senti, épousé dans ses aspérités. Ils ont découvert les caprices de ses reliefs et chauffé sous le soleil ibérique.

Sur mes pieds reposait tout mon pèlerinage. Ils ont porté mon corps et mes biens, la prière de mon cœur et la volonté de mon esprit : ils ont tout conduit à destination, aussi convenait-il de bien les soigner. Des chaussures haut de gamme, des chaussettes choisies avec circonspection, des pansements préventifs contre les ampoules (pas les Band-Aid ordinaires…); en chemin : vigilance constante quant au laçage, tolérance zéro de l’humidité, pauses régulières. Quand les pieds vont, tout va.

Ce soin apporté à frères pieds me rappelle l’antique tradition du lavement des pieds dans les pays du Proche-Orient où les déplacements se faisaient surtout à pied sous un soleil torride et sur un sol poussiéreux. Les hôtes des voyageurs leur offraient souvent un lavement de pieds pour les soulager de la fatigue. Jésus a repris ce geste pour en faire un exemple du bon esprit de service. Il en avait fort probablement fait l’expérience dès son jeune âge en accompagnant Joseph et Marie au moins une fois l’an pendant le pèlerinage de Jérusalem.

À Compostelle, le lavement des pieds trouve un substitut dans l’accueil réservé au pèlerin dans les auberges. Les services sont dispensés en vue du bien-être du voyageur, souvent dans un esprit de réelle charité. Même les restaurateurs prévoient presque tous une nourriture consistante dans le cadre d’un menu conçu spécifiquement pour le pèlerin, à un prix très abordable.

Cette considération portée au pèlerin touche, interpelle même. J’arrive à la porte d’une ville; une dame se tient debout derrière une table installée en bordure de la route, devant ce qui me semble être sa demeure. Elle m’avise d’un large sourire et, avec des yeux bienveillants logés au milieu d’une multitude de rides vénérables, me présente des figues fraîchement cueillies en me disant: « Comer! Comer! », c’est-à-dire : « Manger! Manger! » Les figues étaient bonnes, mais la bonté de la dame fut succulente. Un autre jour, en traversant un vignoble, je passai tout près d’un ensemble de paniers remplis de raisins frais. J’écarquillai les yeux en les voyant. Un ouvrier espagnol qui le remarqua s’approcha prestement et me tendit une belle grappe, sans dire mot ou presque : je ne l’oublierai jamais.

Ces deux personnes, à leur façon, m’avaient lavé les pieds. De telles marques de charité transforment une personne, produisent sur elle un effet. Puisque je souhaitais que mon pèlerinage opère un changement dans ma vie, je compris qu’il m’était possible de laver les pieds de mes proches à mon tour. N’est-ce pas là une bonne façon de les aider à repartir du bon pied ?

Patrick Trottier

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