Le principe de la boussole électorale

Savoir où l’on se situe et où l’on s’en va, c’est important dans la vie. Par exemple, si vous êtes en plein bois et que vous ne savez plus très bien où vous êtes, vous allez ressentir un malaise qui pourrait se transformer en panique. Vous ne voulez surtout pas vous égarer! Pour atteindre leur objectif sans risque de se perdre, les randonneurs avisés utilisent une boussole.

Le principe de la boussole est relativement simple: elle contient une aiguille aimantée qui indique toujours le Nord. Le bout de l’aiguille pointant vers le Nord est habituellement de couleur rouge. Si vous regardez bien la boussole ci-contre, vous verrez que la partie rouge indiquant le Nord n’est pas alignée sur la lettre N (Nord); dans ce cas, elle pointe légèrement à gauche de la lettre E (Est).

Il s’agit de faire tourner la roulette extérieure noire vers la droite de manière à placer le « N » vis-à-vis la pointe rouge de l’aiguille (voir ci-contre). La boussole étant bien orientée sur la position Nord (N), on peut alors, à partir de ce point de repère universel, évaluer sa propre position et déterminer la direction à prendre pour arriver à destination.

Ce qui m’a frappée tout de suite en consultant la boussole électorale sur le site de Radio-Canada, c’est que cette boussole fonctionne suivant d’autres paramètres.

Il y a encore quatre points cardinaux, mais dont les noms évoquent des réalités plus complexes. Il s’agit du libéralisme social qui s’oppose au conservatisme social (comme le Nord est opposé au Sud sur une boussole), et de la gauche économique qui s’oppose à la droite économique (comme l’Ouest est opposé à l’Est).

Quand on examine la page des résultats qui ressemble au diagramme ci-dessus, on s’aperçoit que quatre des cinq partis politiques en lice (les quatre points rouges) se situent dans le même quadrant, défini par le libéralisme social et la gauche économique, et qu’ils occupent de surcroît des positions très rapprochées les unes des autres. Le seul parti qui fait exception, on l’aura deviné, est le parti conservateur (le point bleu) qui se situe dans le quadrant opposé, défini par le conservatisme social et la droite économique. Les deux autres quadrants sont vides : pas de compromis entre le libéralisme et la droite, ni entre le conservatisme et la gauche, sous quelque forme que ce soit.

Lorsque l’électeur potentiel a répondu aux questions prédéterminées par les politologues qui ont conçu la boussole électorale, on lui dévoile quelle est la ligne de parti dont il se rapproche le plus, sous-entendant qu’il devrait voter pour celui-ci. L’orientation de la boussole est donc relative aux opinions des individus et aux prises de positions des partis sur quelques sujets ciblés. Pas de point de repère universel, pas de Nord politique, pourrait-on dire. Drôle de boussole, finalement!

Perdre le nord, perdre la boussole ou être déboussolé sont toutes des expressions équivalentes qui relèvent du fait qu’il est indispensable d’avoir un point de repère stable pour s’orienter, fonction exercée par le Nord dans le principe de la boussole.

Mais existe-t-il un Nord en politique, c’est-à-dire un point de référence stable et universel à partir duquel on puisse orienter ses choix politiques?

Le débat est lancé!

Francine D. Pelletier

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5 Responses to Le principe de la boussole électorale

  1. Marylin dit :

    J’ai joué à la boussole électorale sur le site de Radio Canada et il semblerait que je devrais voter Liberal. J’aurais été très surprise si Radio Canada m’avait conseillé de voter Conservateur. Il semble que le Nord politique est tout sauf les conservateurs… surtout au Québec, où nous allons vivre un deuil national si les conservateurs rentrent majoritaires au pouvoir!

  2. Francine D. Pelletier dit :

    En posant l’existence du Nord en politique, je pose aussi la question suivante : La gauche et la droite n’auraient-elles pas toutes deux tendance à se prendre pour le Nord, suivant les époques et les régimes? Chez nous, la gauche (libérale, socialiste, sociale-démocrate) semble avoir la cote depuis la vague des années 60, si l’on se fie au nombre de partis qui promeuvent cette orientation. Dans la présente campagne électorale fédérale, quatre des cinq partis en liste sont alignés à gauche. Se prenant pour le Nord, la gauche a tendance à accuser l’orientation opposée, conservatrice en l’occurrence, de tous les maux. Mais l’inverse est tout aussi vrai. Alors les insultes fusent de part et d’autre, de gauche à droite et de droite à gauche, des insultes dont la mauvaise foi est souvent évidente.

  3. MLRD dit :

    Madame Pelletier,
    Voici mon cri du coeur: comme il est difficile de s’orienter en politique avec toutes les critiques faites depuis le début de la campagne, pouvez-vous nous aiguiller avant le 2 mai prochain? Je pense que vous avez déjà une réponse à votre propre question, je l’attends avec impatience. Où est le Nord dans le contexte national et mondial actuel afin de choisir le mieux pour notre grand pays?

  4. Francine D. Pelletier dit :

    @MLRD

    Il me serait difficile d’aiguiller vers quoi que ce soit dans la mesure où, évidemment, je ne suis pas le Nord. Dans bien des cas, il est déjà difficile de distinguer sa gauche de sa droite, parfois même impossible. Disons que mon intention serait plutôt d’aiguillonner, c’est-à-dire de stimuler, d’attiser, d’encourager une discussion sur le politique en dehors des prises de position partisanes et souvent polarisées, cristallisées pour-contre, gauche-droite, libéralisme-conservatisme, etc.

    Les principes qui sont à l’œuvre dans une boussole m’ont fait réfléchir sur les principes qui régissent le politique. Mon blogue sur la boussole électorale en est un fruit. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que j’indique dans quelle case cocher sur un bulletin de vote. Ma réponse se situe au niveau du rôle joué par les principes dans nos choix politiques. Mon orientation de pensée consiste à prendre en considération l’importance de ce que j’appelle le Nord en politique et c’est ce dont j’aimerais discuter avec vous.

    Tout d’abord, le moment me semble venu de préciser qu’il y a non pas un mais deux «Nords»: le Nord géographique et le Nord magnétique. Le Nord géographique est stable même si la terre tourne, ce qui n’est pas le cas du Nord magnétique qui se déplace d’environ deux «minutes» (fraction de degré) vers l’Est par année. Or, l’aiguille de la boussole, aimantée, indique le Nord magnétique. Bien qu’il se déplace, le Nord magnétique reste néanmoins un point de repère sûr, à condition de tenir compte de son mouvement appelé déclinaison. Pour s’orienter, il s’agit donc de savoir non seulement que le Nord existe mais qu’il y a une dynamique impliquée qui est à la fois stable (le Nord géographique) et évolutive (le Nord magnétique).

    Traduit en termes politiques, voici ce que ça donne. Je me servirai de la Constitution canadienne de 1982, cette fameuse Constitution que la Province de Québec n’a jamais signée et qui, encore aujourd’hui, 30 ans plus tard, demeure une pomme de discorde.

    On pourrait dire que les tendances politiques changent, qu’elles évoluent pour le meilleur et pour le pire. Les Chartes des droits et libertés ont été saluées comme étant un avancement pour les peuples enfin libérés de l’oppression du MONARQUE. Les Chartes des droits du PEUPLE ont été placées au fondement des démocraties. La Constitution américaine, pour une, commence par ces mots : We, the people. Dans l’universel mouvement de démocratisation des sociétés occidentales, le Canada fait partie des exceptions; seule monarchie constitutionnelle d’Amérique, c’est même une anomalie.

    Or le Canada a doté sa Charte des droits et libertés d’un court préambule: «Étant donné que le Canada est fondé sur des principes reconnaissant la suprématie de Dieu et la primauté du droit[…]». La suprématie de Dieu serait l’équivalent du Nord géographique: c’est le point de repère le plus absolu qui soit. Quant à la primauté du droit, elle ferait office de Nord magnétique. Les deux Nords sont interreliés et permettent ainsi d’orienter l’interprétation de la Charte elle-même. Cette interrelation était beaucoup plus explicite dans le Préambule de la Charte canadienne des droits de 1960: «Le Parlement du Canada proclame que la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu, la dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le rôle de la famille dans une société d’hommes libres et d’institutions libres; il proclame en outre que les hommes et les institutions ne demeurent libres que dans la mesure où la liberté s’inspire du respect des valeurs morales et spirituelles et du règne du droit […]»

    L’existence de ces Préambules nous aide, je pense, à prendre conscience que si la démocratie a ses vertus, elle comporte aussi un vice fondamental. Bien sûr, elle se veut l’expression de la volonté du peuple. Mais le peuple n’est pas unanime. Les opinions, les tendances sont multiples et peuvent se contredire. Le principe démocratique veut que la volonté du plus grand nombre prévale, d’où la nécessité consécutive de devoir défendre les minorités contre tout abus de la majorité. Mais comment trancher entre les droits et libertés des uns et ceux des autres? Sur quelles bases? Selon quels critères?

    Le Nord des régimes démocratiques, c’est la volonté «générale». Cette volonté étant versatile, instable, elle est éventuellement manipulable; les sondeurs d’opinions et manipulateurs d’images twittent sans cesse à son propos afin d’en jauger et d’en canaliser l’humeur. Si la conquête d’une majorité agit tel un Nord magnétique sur les boussoles partisanes, ce principe électoraliste ne comporte aucun point de repère fiable. Après nous être finalement décidés à voter, tantôt à gauche, tantôt à droite, par conviction ou stratégie, peu importe, le sentiment d’avoir été plus ou moins floués, plus ou moins manipulés, ne peut que s’amplifier. Le cynisme en politique tout comme la partisanerie aveugle procèdent de la même désorientation nordique.

    Par conséquent, sans vouloir ou sans pouvoir dire pour qui voter, je suggère que notre décision soit basée sur les principes plutôt que sur les images et les effets démagogiques.

  5. MLRD dit :

    Madame Pelletier,
    J’ai relu quelques fois votre réponse depuis la semaine dernière et en cette journée d’élection, je voulais simplement vous remercier. D’ailleurs, c’est un double remerciement car j’ai eu le bonheur aussi de lire l’article que vous avez coécrit ailleurs sur ce même site et qui nous ouvre à une nouvelle perspective quant à l’avenir de notre pays dans son projet fondamental.

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