André Bessette et le mépris des clercs

Dans son article «Comment on fabrique un saint», Micheline Lachance nous apprend qu’elle est devenue biographe du frère André parce qu’elle voulait «comprendre comment un obscur portier, illettré, méprisé par une partie du clergé et tenu pour un charlatan par les médecins, était devenu un bâtisseur de cathédrale vénéré partout sur la planète» http://www.lactualite.com/frere-andre-la-fabrication-dun-saint.

Que des médecins se soient méfié des guérisons opérées sur le Mont-Royal au point de faire mauvaise presse au «frère graisseux», au «vieux frotteux», n’a rien de surprenant. La médecine dite conventionnelle est jalouse de ses prérogatives; on n’a qu’à voir la réticence avec laquelle elle traite les médecines alternatives. Alors, les guérisons miraculeuses… Cela dit, le charlatanisme existe, on peut donc comprendre.

Je me suis plutôt demandée ce qui, chez André Bessette, pouvait avoir suscité le mépris d’une partie des clercs. il y a une division assez nette dans l’Église catholique entre les clercs et les laïcs. L’origine étymologique du mot «clerc» lui donne le sens de «personne instruite», d’où les synonymes «lettré» et «savant». Or, André Bessette, comme madame Lachance se plaît à le rappeler, était un «illettré». Nous avons donc les clercs et les laïcs, les lettrés et les illettrés. Il faut noter que la catégorie des laïcs inclut tous ceux qui, dans l’Église, ne sont pas prêtres, y compris les religieux, «frères» et «soeurs».

Depuis l’instauration des Ministères de l’éducation, les illettrés sont rares, mais la division entre clercs et laics demeure parce que les clercs sont dépositaires du ministère d’enseignement dans L’Église. Cette chasse gardée pourrait expliquer la réticence avec laquelle les clercs considèrent les oeuvres laïques de même que les dévotions «alternatives». En effet, si l’on reconnaît à chacun le droit d’avoir des pratiques de dévotion qui lui conviennent, il y a toutefois deux dévotions qui suscitent des controverses cléricales : la dévotion à Marie et la dévotion à Joseph.

Enjeu de pouvoir. La spiritualité du clerc ou du prêtre est essentiellement centrée sur le Christ. Le «frère» André se faisant apôtre de Joseph entre en compétition avec le clerc apôtre du Christ. Qui est le plus grand ? Le Christ, bien sûr. Marie et Joseph n’ont qu’à rentrer dans le rang !

Or, la notoriété de «l’obscur portier» fait ombrage à cette conception du sacerdoce qui situe le prêtre au centre et au sommet de l’Église. Par conséquent, le mépris de certains clercs à l’égard d’André Bessette serait double : il se porterait sur le fait que le «frère» André se mêle d’enseigner les pèlerins et sur le fait qu’il les attire vers Joseph, un personnage secondaire à leurs yeux.

«Une dévotion de laïc, pour des illettrés». Je n’ai aucune difficulté à imaginer ces clercs hochant la tête avec sévérité ou condescendance.

Francine D. Pelletier

Demain : « André Bessette et le mépris des laïcs »

Les commentaires ont été repris dans le blogue du 27 septembre : Blogueurs et collaborateurs.

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12 Responses to André Bessette et le mépris des clercs

  1. Jurgen Faine-Caram dit :

    Il ne faut pas oublier madame que le terme « Laïc » signifie « qui appartient au peuple ». Conserver la distinction clerc/laïc dans l’église contredit un des éléments essentiels du concile Vatican Il qui a établi que TOUS les membres de l’église sont du « peuple ». L’église n’est donc pas conséquente avec ses propres institutions…

  2. Francine D. Pelletier dit :

    L’élément que vous apportez me donne à réfléchir. Dans mes blogues, j’aborde à l’occasion la question de la laïcité. Bien entendu, quand on parle de laïcité, on ne réfère pas à la réalité des laïcs dans l’Église. Mais la laïcité s’opposerait-elle au cléricalisme? Dans l’histoire, les partisans de la laïcité étaient souvent des anticléricaux féroces. Avaient-ils souffert dans leur jeunesse de quelque abus d’autorité de la part du clergé? C’est possible. En tout cas, à la suite de votre commentaire, je me prends à penser que la laïcité constitue une sorte de revanche pour la partie du peuple de Dieu qui vit sous la coupe du clergé dans l’Église. Ne pouvant prendre sa revanche du dedans, elle la prend du dehors, par le biais de l’État. La séparation de l’Église et de l’État correspondrait en quelque sorte à la division clercs/laïcs dans l’Église. J’aimerais bien avoir votre opinion là-dessus…

  3. Vanessa dit :

    Madame Pellletier,

    J’aime le fait que vous parlez de laïcité et non de laïc, cela met plus en évidence ce que vous voulez exprimer. En ce qui me concerne, je comprends très bien ce que vous voulez dire.

    Je comprends cependant le propos de Jurgen, parce que vous dites cette phrase : «Il faut noter que la catégorie des laïcs (dans le dictionnaire, le mot laïc signifie, qui ne fait pas partie du clergé) inclut tous ceux qui, dans l’Église, ne sont pas prêtres, y compris les religieux, « frères » et « soeurs »». Cela n’est-il pas pris dans Vatican Il? Si cela est pris dans Vatican Il, alors là comme il dit, c’est contradictoire avec la phrase suivante: «TOUS les membres de l’église sont du ‘peuple’ »; bien évidemment si le mot laïc signifie «qui appartient au peuple». Si cela n’est pas pris dans Vatican Il, cela est du moins une définition acceptée par le Petit Robert.

    En conclusion, c’est vrai que son commentaire porte à réfléchir.

  4. Jurgen Faine-Caram dit :

    @ Francine

    Vous dites: «quand on parle de laïcité, on ne réfère pas à la réalité des laïcs dans l’Église». C’est vrai et c’est faux. La polarité clerc/laïc inhérente à la condition de l’église actuelle et ancienne a directement causé la polarité à la base de la notion de séparation de l’église et de l’état, c’est exact, mais ces polarités, ou dichotomies, dépassent le cadre de la réalité de l’église catholique et embrassent toute la réalité de la religion et de la politique. Ces notions sont universellement reconnues et appliqués dans le monde (sauf de rares exeptions comme les états religieux musulmans). Il ne faut pas perdre de vue non plus que les notions de «clerc» et de «laïc» remontent au moins à l’antiquité grecque et qu’elles étaient déjà impliquées dans le système complexe des institutions qui structurait la société grecque.

    @Vanessa

    Vous m’avez en effet bien compris. Il y avait au Concile en présence des «factions» qui s’opposaient plus ou moins publiquement sur un fond de redéfinition de l’église dont un des enjeux était précisément la révision de l’idée de peuple ecclésial. L’Ecclesia (l’église) était à revoir dans son universalité (catholicité). En ce sens, appeller encore les membres «ordonnés» les «ecclésiastiques» ne fait pas plus de sens que de distinguer les clercs, prêtres ou évêques de l’ensemble du peuple. En tant que membre de l’ecclaesia nous sommes tous des «ecclésiastiques».

    La polarité clerc/laïc existe donc en dehors de la définition que l’église fait d’elle même. Et l’en-jeu en est un de pouvoir. Le fait qu’André Bessette corresponde assez bien à la définition de «frère lai» en opposition aux clerc «doctes» tout en faisant la promotion d’un Joseph que d’aucuns considèrent sans doute aussi comme «père lai» en opposition à son docte fils laisse entrevoir la puissante signification symbolique de sa canonisation dans le contexte actuel de l’église dite catholique.

  5. Francine D. Pelletier dit :

    @ Jurgen Faine-Caram

    Je suis très intéressée aux racines grecques des notions «clerc» et «laïc» que vous évoquez dans votre commentaire. L’Église n’est pas que romaine… Dès le départ, BIogues@rebours avait pour objectif non pas d’émettre du contenu simplement mais de susciter des collaborations. C’est même l’une des raisons qui me motivent le plus, encore après une soixantaine de jours de blogues. Je reviens sur la question de la division clerc/laïc dans mes nouveaux blogues. Votre apport serait d’un grand intérêt.

  6. Marlène dit :

    @Jurgen

    Excusez-moi pardon ! Mais vous entrez dans un domaine qui me fatigue au plus haut point. Que certains appellent Jésus un «docte fils» et Joseph un «père laïc» me glace! C’est une distinction dangereuse et vous avez raison de vous y attarder. Il est difficile de nous déraciner d’une mentalité bien ancrée dans nos murs; il faut faire attention au langage utilisé qui porte en soi la polarité. Enfin voici votre phrase «que d’aucuns considèrent sans doute aussi comme « père laïc » en opposition à son docte fils». Pourquoi n’attribue-t-on pas à Joseph le titre de «père docte» et Jésus le titre de «fils laïc»? Une autre polarité le père et le fils? Après tout, le Fils n’avait aucune instruction à ce que je sache, il est allé au Temple à l’âge de 12 ans avec les Docteurs, j’en conviens mais ce n’est pas parce que quelqu’un manifeste ouvertement par la parole sa connaissance qu’il est catégorisé «docte». Le silence de Joseph nous en dit souvent plus long sur les choses de Dieu qu’une prédication je dirais même papale. A vous la parole et que l’Église se débarrasse définitivement de tous ces mots qui ne font plus de sens et qui nous enragent!

  7. Vanessa dit :

    @Jurgen de Vanessa

    J’aime beaucoup votre manière d’exprimer que nous sommes tous des ecclésiastiques, appartenant à l’église et aussi des laïcs appartenant au peuple de Dieu. Vous parlez de quelque chose de très important et fondamental. La polarité clerc/laïc (je présume que le mot clerc vient de ecclesia) serait-elle finalement présente en chacun de nous? En ce qui a trait à la question de pouvoir, j’aime penser à cette définition du baptême déjà entendue quelque par qui dit que le baptême nous fait «prêtres, prophètes et rois». Le pouvoir pourrait-il être quelque chose de positif s’il est bien utilisé au service de l’Église?
    Comme le pouvoir de Joseph par exemple.
    Je trouve aussi le commentaire de Marlène très intéressant, en ce qui concerne le «frère laïc» et «père laïc» ainsi que le «docte fils». Il est vrai que le Christ après tout n’était pas un prêtre. On pourrait fort bien le considérer comme un laïc selon la définition du mot laïc. Intéressantes toutes ces réflexions…

  8. Jurgen Faine-Caram dit :

    @Vanessa

    Non le terme « clerc » n’a pas de rapport avec le terme « ecclesia ». En dehors des considérations étymologiques concernant les termes courants utilisés aujourd’hui pour représenter les différents aspect de la structure « sociale » de l’église catholique il faut retenir la dynamique à l’oeuvre dans la construction de ces concepts dans l’histoire.

    Dans le cas des concepts de clerc et laic il y a eu un processus de polarisation qui a opéré une radicalistion et une opposition qui ne reflète en rien, non seulement le sens originel des termes, mais l’usage même dans les institutions. Le concept de « kleros » était englobant alors que « Iaos/laicos » désignait plutôt un groupe, d’office public. En gros on peut dire que les « laïcs » dans la société grecque était plus près de la notion actuelle de clerc et les clers de laïc. Il y a donc polarisation et renversement.

    Ce mécanisme n’est pas unique. Je crois bien qu’on le retrouve dans toutes les religions sauf qu’il semble exacerbé dans le catholicisme au point où nous assistons aujourd’hui à une véritable sclérose de l’institution qui se manifeste par la résistance massive de la hiérarchie au changement et à l’introduction de nouveaux concepts et/ou nouveaux ministères ou encore d’un système de fonction non cléricale qui aurait l’avantage d’offrir à tous les membres de l’église homme ou femme de servir selon ses capacités.

    Je suis loin ici de faire la promotion de l’ordination des femmes à laquelle je m’oppose fermement parce qu’elle aurait pour effet d’insérer celles-ci dans le processus de polarisation, au point, éventuellement, de le faire éclater, car il ne faut pas oublier que la polarisation clerc/laïc se superpose à la polarisation homme/femme. La solution n’est pas là.

    Je termine en faisant observer que ces polarisations sont intimement reliées dans le catholicisme au « couple » Jésus/Marie (j’ai mis le mot « couple » entre guillemet pour faire ressortir l’incongruité de cette image) qui semble être à la base de tout le système de dévotion. Or s’il y a un couple à la base de l’histoire du salut c’est celui de Joseph et Marie, parents de Jésus. C’est la raison pour laquelle j’interviens dans ce blogue. Je crois qu’il faut reformuler les structures et les concepts en fonction de ce simple fait que la « sainte famille » était composée de TROIS membres. On ne polarise pas facilement TROIS termes inter-reliés…

    Pour moi la promotion de Joseph par le frère André est tout simplement un signe des temps.

  9. Marlène dit :

    @Jurgen

    Je tiens à vous remercier Jurgen de vous donner la peine d’aller chercher le fondement de tout ce vocabulaire fatigant à entendre et non pas seulement révolu mais mensonger. Je sens que nous commençons à remettre les choses à l’endroit… Pas étonnant actuellement que dans notre société, nous ayons des « troubles bipolaires » de plus en plus. Que saint Joseph nous vienne en aide !

  10. Francine D. Pelletier dit :

    @ Vanessa, Marlène et Jurgen Faine-Caram

    Dans mon blogue d’aujourd’hui : «Blogueurs et collaborateurs», je fais part à mes lecteurs de notre discussion actuelle sur «André Bessette et le mépris des clercs». Pour les en faire bénéficier et du même coup les inviter à se joindre à nos échanges, j’ai pensé insérer cette discussion à la suite de mon blogue du 27 septembre. Je mise beaucoup sur la poursuite de notre approfondissement de la question des rapports dans l’Église, clercs et laïcs, hommes et femmes, et, particulièrement, de l’importance du rapport à Joseph dans ce contexte. Ce sera essentiellement le sujet de mes prochains blogues.

    En espérant d’autres commentaires de votre cru.

  11. Claire dit :

    @Jurgen

    J’aime beaucoup lire vos propos. Très éclairants. J’aurais aimé vous entendre sur ce qui suit. Vous dites dans votre dernier commentaire: «On ne polarise pas, facilement TROIS termes inter-reliés…» Je note cependant qu’on peut aussi scléroser ces trois termes. Par exemple, le trio père-mère-enfant peut être fortement récupéré. Nous pouvons en faire une association qui se ferme sur elle-même. Combien de petites familles sont prises dans ce dilemme, même actuellement. Revenant à la Sainte-Famille, nous sommes un peu estomaqués par l’événement de Jésus au temple à l’âge de 12 ans. Ce n’est pas évident.

    Pourriez-vous commenter…

  12. Jurgen Faine-Caram dit :

    @Claire

    Je vous remercie Claire. Je vais essayer de répondre au mieux de mes possibilités. J’espère que vous me pardonnerez la facture un peu «spécialisée» de mes considérations.

    Le monde est un système. Toutes ses «parties» sont en rapport les unes avec les autres. Une famille est un système. Moins un système comprend de termes plus il est facile à bloquer sauf s’il maintient sa dynamique, son mouvement, son ouverture au reste du monde… La sclérose que vous évoquez est inévitable aussitôt que le système, le groupe, composée de personnes, cesse de se définir par son projet dans et pour le monde. «L’éthique» moderne oriente essentiellement les individus vers EUX-MÊMES, les détournant ainsi de l’attention au groupe, le projet social etc. Les «petites familles sont prises dans ce dilemme» comme vous dites et elles ne sont que des exemples de l’effet pervers de cette «éthique» de l’accomplissement personnel par l’ambition, la compétition, le «rêve»…
    La «sainte» famille est la quintessence de l’ouverture. Marie et Joseph connaissaient le projet (de Dieu pour le monde) et s’y consacraient entièrement. Le premier «moment» de ce projet est L’ENFANT, Jésus, qui lui-même, plus tard, se consacrera aussi pleinement au projet, à l’exemple de ses parents, dans la culmination de l’accord entre Dieu et l’homme.
    Cet accord est fécond car l’ouverture est féconde. La fécondité de l’ouverture de la sainte famille au projet de Dieu sur le monde se révèle justement dans cet épisode de Jésus au temple où l’enfant, à l’âge de son passage à la vie adulte, manifeste d’une sagesse exceptionnelle. Cette sagesse n’est pas fortuite et repose sur la richesse humaine de la dite sainte famille et de la grâce de Dieu car la grâce de Dieu s’incarne dans la richesse humaine. Jésus, le Fils de l’homme et le fils du Père, l’enfant de Joseph et de Marie est rempli de sagesse car il est entièrement, irrémédiablement OUVERT. C’est un grand mystère en effet… C’est une révélation.

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