Les événements survenus à Ossernenon et racontés ci-après, précèdent de quelques années seulement la naissance de Kateri en 1656. Ce qui s’est passé là-bas mérite d’être conservé et rappelé à notre mémoire collective. Ces faits jouent un rôle capital préparant en quelque sorte un terrain propice à l’éclosion de la vocation particulière de Kateri. Celle-ci comme je vous le mentionnais antérieurement, est héritière d’une Église franco-amérindienne née dans des conditions difficiles.
Tout d’abord, situons Ossernenon qui se nomme aujourd’hui Auriesville. On retrouve ce petit hameau dans le district de Glen dans le comté de Montgomery (État de New York). On y a érigé un sanctuaire (Our Lady of Martyrs) dédié aux martyrs canadiens de la Nouvelle-France.
Mais que s’est-il passé exactement à Ossernenon?
Le dictionnaire biographique du Canada rapporte que la tribu de Kateri comptait une forte proportion de captifs hurons et algonquins chrétiens, «iroquoisés» selon la coutume d’adoption en remplacement du fils mort à la guerre. Ces prisonniers de guerre venaient en partie de la Huronie. La Huronie connut une éclosion du christianisme de 1642 à 1649. La ferveur des missionnaires jésuites et des Amérindiens vivant en Huronie provoqua la colère des Agniers qui voulaient dominer la nation huronne. Ils entrèrent en guerre avec eux et le témoignage de foi des missionnaires et de certains Hurons alla même jusqu’au martyr. Ces événements demeuraient sans doute une réalité bien vive dans les esprits, particulièrement en 1649, année de «l’anéantissement final» de la Huronie chrétienne dans la Baie Georgienne. Tenant compte de la forte tradition orale amérindienne et de l’importance accordée aux ancêtres dans les tribus, tout porte à croire que Kateri n’ignorait pas cette tranche importante du passé. Elle en avait sans doute entendu parler puisque sa propre tribu se composait de personnes associées de près ou de loin à ces événements.
Voici quelques-unes de ces figures chrétiennes qui ont certainement contribué favorablement par leur témoignage à orienter la destinée de ce lieu. Découvrons Ossernenon…
À Ossernenon, le chef huron Eustache Ahatsistari, habitant de la mission St-Joseph (Huronie) fut fait prisonnier lorsqu’il accompagnait les missionnaires (Isaac Jogues et René Goupil) et autres Hurons rentrant au pays. Baptisé le Samedi Saint 1642, ce nouveau croyant meurt en août de la même année sous les tortures iroquoises. Au milieu des flammes, Eustache demande que sa mort ne cause pas préjudice aux nombreux efforts en vue d’établir la paix avec le peuple iroquois. Renoncer à la vengeance s’oppose à toutes les coutumes guerrières en vigueur à cette époque, et constitue un véritable signe d’authenticité chez les Amérindiens convertis.
À Ossernenon, René Goupil, jeune chirurgien venu collaborer aux missions jésuites, fut fait prisonnier et gardé comme esclave. René recevra un coup de hache mortel alors qu’il traçait le signe de la croix sur un enfant, le 29 septembre 1642. Il venait tout juste de s’engager dans la Compagnie de Jésus.
À Ossernenon, le jésuite Isaac Jogues surnommé «Ondessonk» par les Hurons à cause de son zèle, sera capturé à 2 reprises. Grâce à son intervention, un traité de paix fut signé avec les Agniers avant sa 2e capture. Mais on l’accusa par la suite d’être la cause de mauvaises récoltes, ce qui lui valut d’être martyrisé le 18 octobre 1646.
À Ossernenon, lors de la même expédition qu’Isaac Joques, René Goupil et Eustache Ahatsistari, une jeune Huronne chrétienne nommée Thérèse Oionhaton est mise en captivité pour le reste de ses jours. Elle est de la famille de Joseph Chiwatenhwa, (son père, selon l’historien Du Creux) qui est le premier pilier de l’Église huronne évangélisée par Jean de Brébeuf (voir Joseph Chiwatenhwa). Répondant au désir de Chiwatenhwa, elle passa deux années chez les Ursulines de Québec avec Marie de l’Incarnation. Déjà à Québec, elle a conduit à la foi plusieurs Hurons de sa tribu. Son témoignage est relaté et conservé dans les documents originaux de la Nouvelle-France. À cause de son jeune âge, Thérèse a été intégrée à la tribu. Tous les efforts du gouverneur et des Ursulines pour obtenir sa libération furent vains. Les missionnaires la retrouveront plus tard (1655) en visitant les tribus. Chrétienne persévérante, elle demeure fidèle aux prières qu’on lui avait enseignées. Les Agniers l’ont donnée en mariage à un Iroquois. Elle vit un peu en retrait élevant ses enfants dans la paix. Était-elle l’épouse du célèbre Garakonthié (1653 jeune adulte – 1678) …comme le prétend un ouvrage sur la Nouvelle-France? Cela expliquerait une partie de la détermination de ce chef qui demandera à recevoir le baptême. Il sera baptisé officiellement à la cathédrale Notre Dame de Québec par Mgr de Laval. Son adresse et ses efforts ont contribué largement à établir la paix et à protéger les Français. Quelle est l’influence de cette jeune Amérindienne chrétienne au sein de sa tribu? Kateri l’a-t-elle connue durant son enfance? Possible, surtout dans les rencontres de la Confédération iroquoise.
À Ossernenon, le collaborateur d’Isaac Jogues, Jean de La Lande donna lui même sa vie le 19 octobre 1646 aux côtés du missionnaire. Il n’ignorait pas ce qui pouvait arriver en s’engageant dans la mission, choisissant malgré tout d’y participer.
Je m’arrête ici mais je pourrais vous en décrire encore…
À la lumière des événements racontés, il est facile d’observer que les missionnaires que l’on retrouve à Ossernenon sont bien connus et honorés. Nous sommes familiers avec les noms de Brébeuf, René Goupil, Isaac Jogues ou même Jean de La Lande. En comparaison, les témoignages vibrants de certains Amérindiens et Amérindiennes comme celui d’Eustache Ahatsistari, de Thérèse Oionhaton, de Joseph Chiwatenhwa et de Garakonthié sont méconnus. Cette méconnaissance est-elle liée à des perceptions d’époque? Claude de la Chauchetière, contemporain de Kateri, nous parle même de ses hésitations à écrire la vie de Kateri, telle qu’il la concevait. Il dira lui-même à ce propos: «les raisons pressantes de se taire étaient le peu de dispositions que je voyais dans l’esprit des Français à croire de si grandes merveilles».
La canonisation de Kateri nous fournit une très belle occasion de faire une sorte de mise à jour dans l’histoire du christianisme amérindien… Avec Kateri, la sainteté montre «un nouveau visage» et à son époque, son rayonnement a surpassé toute attente. Peu de temps après sa mort et de partout, on a sollicité son histoire. La canonisation prochaine de Kateri attirera à nouveau notre regard vers elle et les siens. Elle rappellera les liens que nous avons tissés et poursuivons toujours avec beaucoup d’entre eux en partageant une même foi…
Pour souligner l’implication et la ferveur de ces autochtones, pourquoi n’y aurait-il pas une fête, une sorte de «toussaint» pour rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui, avec les missionnaires, ont sacrifié leur vie pour œuvrer à l’évangélisation de ce pays?
Catherine Jean