Je suis allée récemment faire la visite du Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal. L’histoire de ces Hospitalières a suscité mon attention sur divers aspects. Entre autres, elles ont été sollicitées par Jeanne Mance pour venir ici au Canada travailler au soin des malades. Suite à ma visite et à mes recherches, je me suis engagée dans les réflexions suivantes.
Les premières Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal qui arrivèrent en Canada étaient venues ici pour aider les malades et donner généreusement de leur temps à la colonie naissante. Elles se retrouvèrent vite à l’intérieur d’un tout autre débat qui les dépassait largement. En effet elles étaient différentes des Hospitalières de Dieppe en France et de celles de l’Hôtel-Dieu de Québec. Les Hospitalières de Montréal, à l’exemple de Jeanne Mance étaient considérées comme des laïques. Elles n’étaient pas tenues de porter un costume, de réciter les offices, de prononcer des voeux solennels et de prendre la clôture. Fondées par Jérôme Le Royer de la Dauversière, en France en 1636 à La Flèche, les Hospitalières de Saint-Joseph n’étaient pas des «religieuses» comme les autres et n’étaient pas soumises aux réformes du Concile de Trente qui «enjoignit à toutes les religieuses de prendre une stricte clôture». Bien qu’elles étaient reconnues par l’évêque d’Angers, elles n’avaient toujours pas d’approbation royale et leur statut était précaire.
Un chrétien laïc engagé semblait poser problème. C’était du moins l’avis de Mgr de Laval qui invita les Hospitalières de Montréal à suivre les traces des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Québec incluant leur mode de vie, la clôture, l’habit, les vœux, la règle… Les communautés traditionnelles avaient «pignon sur rue» en France mais un engagement laïc n’était pas très populaire dans les milieux cléricaux. Il y avait toutefois, un noyau très fort de laïcs prêts à donner vie et fortune au service de la bonne cause. Le fondateur des Hospitalières de Saint-Joseph envisageait la chose de cette manière et les femmes qui faisaient partie du projet de fondation étaient attirées par ce modèle. Fort heureusement, nous pouvons dire que l’argent vint au secours de ces infirmières car les associés de la Société de Notre-Dame-de-Montréal, qui pourvoyaient à leurs besoins financiers, insistèrent pour avoir des Filles de La Dauversière et non des «religieuses» comme celles de l’Hôtel-Dieu de Québec. Ils manifestèrent leurs intentions à Mgr de Laval en menaçant celui-ci de retirer leur contribution financière si la consigne n’était point observée. À défaut de se retrouver sans argent pour faire vivre ces bénévoles, il dut se contraindre à accepter une offre qu’il pouvait difficilement refuser.
Au fil du temps depuis leur arrivée en 1659 et après le décès de Jeanne Mance en 1673, elles durent graduellement entrer dans les rangs des grandes institutions religieuses.
La tourmente vécue par Jeanne Mance et celles qui l’ont suivie n’est pas le seul exemple connu dans l’histoire pour ceux qui veulent se distancer d’un engagement traditionnel. Pensons à Jeanne de Chantal qui voulut fonder une communauté de «religieuses» non cloîtrées en France mais qui fut obligée de se retirer en recluse avec ses sœurs Les Visitandines sous la pression des milieux cléricaux. La Dauversière, un père de famille, a-t-il réussi à promouvoir l’engagement des laïcs dans l’Église et à le faire accepter au même titre que celui d’un religieux ou d’une religieuse?
À tout le moins, lui et Jeanne Mance ont ouvert une brèche qui semble s’être refermée.
Colombe LeRoy
Votre propos me fait penser aux Filles de la Charité fondées par saint Vincent de Paul. Lui aussi voulait des femmes sans costume ni couvent, données tout entières aux œuvres de la charité. Pourtant elles aussi ont été contraintes de prendre les deux, costume et couvent. Mais son grand désir de charité s’est réalisé au delà de tout ce qu’il avait certainement imaginé lorsque Catherine Labouré, elle-même Fille de la Charité, a commencé ses entretiens avec la Vierge et que la médaille miraculeuse a fait son entrée dans notre histoire pour répandre à profusion les secours de la miséricorde de Dieu . Rien ne peut empêcher l’œuvre de Dieu de se réaliser. Elle est irrépressible mais ne se réalise pas comme on le pense. Faisons donc de notre mieux ce qui nous est donné d’accomplir, dans la foi et l’espérance et aussi sans amertume sinon le fruit risquerait d’être amer…
Je suis un peu surprise que les hospitalières étaient considérées comme des laïques; je pensais qu’elles étaient des religieuses non cloîtrées avec des voeux simples (ce qui était déjà avant-gardiste à l’époque).
Il y a quand même des changements qui se sont produits au niveau des laics depuis ce temps. Plusieurs associations de laics existent maintenant mais il reste encore bien du chemin à faire pour que “Joseph” un “laic” ait la place qui lui revient dans l’Eglise…
Prenons en main notre vie de baptisé à l’exemple de Jeanne-Mance, Maisonneuve, LaDauversièere et qui sait ce que Dieu nous demandera…
Pourtant bien des laïques ne reconnaissent pas le travail d’autres laïques… ce ne sont pas les curés qui lançaient des pierres au Filles de la Charité. Je trouve que le commentaire de Anonyme sur les vertus des hommes et des femmes sur ton blogue ¨Jeanne Mance, un être humain¨ s’appliquent ici de la même façon : que l’on soit clerc ou laïque, ce qui compte c’est la ferveur avec laquelle on vit. Être l’un ou l’autre n’est pas un gage de vertu.
@ Gaby
Ce qui me repose dans votre commentaire c’est ceci: «Rien ne peut empêcher l’œuvre de Dieu de se réaliser.» Je ne peux que référer à l’inspiration de La Dauversière du 2 février 1630. Cela a pris quatre années d’attentes et de tergiversations avant qu’il soit autorisé à fonder son Institut et combien d’épreuves par le suite. C’est très stimulant au niveau de la confiance et de l’espérance comme vous dites. En laissant librement Dieu agir dans nos vies, il peut faire de grandes choses.
Je ne connais cependant pas l’histoire des Filles de la Charité, sauf le texte suivant qui vient de m’être transféré d’un ami et que j’ai pensé vous communiquer dans le contexte: Elles se consacrèrent à Dieu, tout en n’étant pas religieuses. Car, au XVIIème siècle, qui disait «religieuse», disait «cloîtrée». Ainsi, Monsieur Vincent leur donna pour règle: «Les Filles de la Charité ont pour monastère: la maison des malades, pour cellule: une chambre de louange, pour chapelle: l’église paroissiale, pour cloître: les rues de la ville, pour clôture: l’obéissance, pour grille: la crainte de Dieu, pour voile: la sainte modestie» (24-08-1659). (Texte publié sur internet par l’Église catholique de Talence).
@ Lucie
Votre commentaire m’a forcée à pousser ma réflexion un peu plus loin. J’ai été moi-même étonnée de lire ces lignes de Dom Guy-Marie Oury, (extrait de son livre Jeanne Mance et le rêve de M. de la Dauversière, écrit en 1983): «Les Filles de Saint-Joseph n’étaient pas «religieuses» au sens que le droit canon donnait alors à ce mot; elles ne prononçaient pas de vœux de religions, ne récitaient pas l’Office, n’observaient pas la grande clôture nécessaire pour bénéficier des vœux solennels. C’étaient en fait, des servantes d’hôpital avec quelques éléments de vie religieuses, très différentes des chanoinesses régulières Hospitalières de Dieppe et de Québec.» Nous pouvons lire par ailleurs d’un autre auteur Françoise Deroy-Pineau : «[…] rien dans leurs habits et coiffures [ne] les distinguât de séculières». Mais, quel était l’inspiration de La Dauversière le 2 février 1630? Nous savons qu’à cette occasion il reçut l’élaboration du premier chapitre des Constitutions qu’il écrivit sur le champ. Je suis à la recherche de ce document important qui nous en dira davantage sur la mention «laïc» utilisée dans mon texte. J’ai contacté les Archives du Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal pour avoir plus de précisions sur le sujet et pour vérifier mes dires. Je me propose de revenir là-dessus avec plus de détails.
@ Eustache
Vos propos font du sens pour moi. En effet, rien de plus facile que de transférer sur le dos des clercs toute la responsabilité de l’Église. Voilà un bon moyen de se déresponsabiliser. Mais il serait intéressant que vous nous partagiez votre opinion sur le fait que ce sont des «laïcs» qui «lançaient des pierres aux Filles de la Charité». Vous avez éveillé ma curiosité… Ce qui demeure certain pour les Hospitalières, c’est que beaucoup s’opposaient à la venue de ces «religieuses» en Canada, non pas nécessairement à cause de leurs constitutions mais pour d’autres motifs apparemment raisonnables. Il y avait même un groupe de manifestants qui ont voulu les empêcher de partir de La Flèche: «On alla jusqu’à faire circuler la rumeur qu’il [La Dauversière] envoyait de force ces saintes filles au Canada. Aussi bien, dans la nuit du trente et un mai, s’organisa une émeute populaire; le premier juin, les rues du Port-Luneau et des Récollets, voisines de l’Hôtel-Dieu, se trouvèrent remplies d’une foule hostile.» L‘histoire raconte qu’elles quittèrent la France malgré la cohue. L’implication «laïque» comme vous dîtes revêt une importance qu’il ne faut pas négliger…