Méchants chasseurs!

Un ami qui venait d’abattre un chevreuil sur la propriété où j’habite me demanda de l’éviscérer. Il comptait sur mes compétences en boucherie et en abattage tandis que moi, connaissant, sans être du dédain, son peu d’intérêt pour ce travail, j’étais heureux de lui rendre gracieusement ce service.

Or, au moment de l’enregistrement de l’animal, un chasseur se scandalisa d’une coupe que j’avais pratiquée de part en part de la gorge pour le saigner, selon une technique coutumière d’abattage. Il servit une verte engueulade à mon ami en disant notamment: «Il faut respecter la dignité de l’animal!»

Malgré sa réaction excessive et injuste, ce chasseur avait vociféré une parole juste. Il faut effectivement respecter la dignité de l’animal et, en tant que boucher, je m’y applique consciencieusement, car j’y vois une manière particulière d’être en communion avec Dieu (eh, oui!) et son immense projet de création. J’ai déjà entendu quelqu’un dire au sujet d’un fermier: «Il prend soin de ses vaches, et elles le lui rendent bien.» L’Homme et l’Animal se rendent mutuellement service, agissent en réciprocité. Si le chasseur prend soin de l’habitat qu’il exploite, le gibier ne lui manquera pas; si le fermier prend soin de ses vaches, elles donneront du lait en abondance; si le boucher travaille consciencieusement, il tirera un meilleur parti des carcasses qu’il débitera.

La plupart des chasseurs que je connais, quoiqu’une certaine idéologie veuille faire croire, sont des gens respectueux, qui se délectent davantage des heures passées en forêt que de la chair du gibier qu’ils ont réussi à abattre. Ils se mettent, le temps d’une chasse tout au moins, au diapason de l’habitat qu’ils fréquentent car, s’ils souhaitent exploiter cet habitat en y prélevant une proie, ils ne veulent en rien lui nuire. Il s’agit d’une des plus anciennes formes de relation de l’Homme à la nature.

Nous pouvons observer les fruits d’une telle relation chez des chasseurs qui ramènent du gibier, et même quand ils n’en ramènent pas. Ils expriment de la joie, bien sûr, mais plus que de la joie; ils semblent goûter une espèce d’harmonie qui les détend et les rend heureux. Comme boucher, quand j’ai bien fait vieillir la viande et que mes proches se régalent de pièces de viande bien sélectionnées et coupées, j’ai le sentiment du devoir accompli et je me dis: «Cet animal n’est pas mort pour rien.»

Il est malheureux que certaines gens parlent sans nuance des «méchants chasseurs». L’enjeu ne repose pas tant sur le fait de tuer ou pas. Qu’il soit happé par un prédateur, fauché par un véhicule, blessé mortellement par l’épaisseur de neige glacée ou épinglé par la flèche d’un chasseur, le résultat net reste le même pour un chevreuil. Digne ou indigne? L’enjeu pour un chasseur ne réside-t-il pas dans le respect ou le non-respect de l’ordre naturel des choses?

Patrick Trottier

 

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3 Responses to Méchants chasseurs!

  1. Louise dit :

    Je trouve cela beau de voir que certaines personnes ont à cœur la dignité de l’animal. Même qu’un nouveau projet de loi a été déposé au Québec pour s’assurer de la dignité et du respect des animaux de compagnies. Tous ceux qui possèderont plus de 5 chiens et/ou chats, devront avoir un registre ou qqch du genre. Wow, c’est rendu que le gouvernement s’en mêle. Effectivement, il a des aberrations et des abominations qui sont parfois faites à ces belles créatures du bon Dieu et ce n’est pas justice. Mais parfois je me demande : « Est-ce qu’on a autant le souci de la dignité de notre propre corps? ». Que fait-on de notre « carcasse ».? Est-ce justement, seulement une « carcasse » et que c’est l’esprit qui est important?
    Entoucas, avec tous les soins actuels pour le corps, il faut croire qu’il a aussi son importance… peut-être à outrance, voire à en oublier l’esprit?
    J’ai entendu la nouvelle chanson d’Ariane Moffat, qui sortira sur son nouvel Opus en début d’année. Le titre m’a intriguée alors je suis allée voir. Ça s’appelle : « Mon corps ».
    Je me suis dit : « wow, qu’est-ce qu’elle a à dire là-dessus et comment va-t-elle le faire? » (Voici le lien si ça vous tente de l’écouter (aux notes assez électro). http://www.arianemoffatt.com/)

    À la première écoute, je me suis dit : « Pas fort! » Mais après deux fois, j’ai compris qu’elle tentait d’exprimer justement cette difficulté que nous avons, en tant qu’humain (matière et esprit indissolubles) d’accepter ce que nous sommes, qui nous sommes. Elle passe tous les courants actuels de pensées quant à l’utilisation, la surenchère, la détérioration, l’inutilité, le trouble et le refus de notre corps.

    Et moi, est-ce que je rends grâce à Dieu dans l’esprit franciscain en m’exclamant : « Seigneur, je te rends grâce pour la merveille que je suis » sinon, ce serait lui dire qu’il n’a pas bien fait sa ‘job’… comme on le pense malheureusement trop souvent…

    • Patrick Trottier dit :

      À propos du lien entre le corps et l’esprit, avez-vous lu « Dialogue sur les anges (1) » de Jean-Marc Rufiange et Francine Dupras sous l’onglet « Essais » sur le présent site? On traite de ce lien sous un autre angle, mais qui pourrait éventuellement vous intéresser.

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