Midland, 2 août 1640 – Le premier des saints canadiens serait-il huron? En tout cas, la date de sa mort indique qu’il aurait pu précéder les huit martyrs jésuites (ses évangélisateurs) et remporter la palme. Pas question ici de compétition; s’il fut si fervent, ce fut aussi grâce à eux…
Les Jésuites sont arrivés en Huronie vers 1620. En 1636, un Huron nommé Chiwatenhwa écoute Jean de Brébeuf; il est complètement remué par son enseignement. Sous l’effet d’une libération intérieure, il se met spontanément à louer le Créateur de toutes choses et adhère aussitôt à la foi chrétienne.
Extrait d’une prière composée par Chiwatenhwa:
Seigneur Dieu, enfin donc je te connais, toi qui as fait cette terre que voilà et ce ciel que voilà; tu nous as faits.
Comme nous sommes maîtres du canot que nous avons fait canot, et de la cabane que nous avons faite cabane; de même tu es maître, toi qui nous as créés; peu de temps seulement nous sommes maîtres du canot que nous avons fait canot, et de la cabane que nous avons faite cabane; peu de temps seulement en sommes-nous les maîtres.
Toi, pour toujours, tu seras le maître de nous,
Toi seul tout as fait, tu es maître parfaitement; il n’y en a pas aucun autre avec toi.
Je rends grâce de ce que tu as voulu que je te connaisse.
Le changement chez Chiwatenhwa est si manifeste que les Hurons de sa tribu le surnomment «le chrétien». Extrêmement malade lors d’une épidémie, il renonce au rituel chamanique de guérison (il sera guéri à la suite des prières adressées à Joseph par les missionnaires) et insiste pour être baptisé. Les Jésuites veulent toutefois qu’il démontre sa stabilité. Jean de Brébeuf le baptisera l’année suivante (1637), lui donnant le nom de Joseph. Son épouse, Aonnette, baptisée le 19 mars 1638, recevra le nom de Marie. Le jour même, on bénit leur mariage, premier mariage catholique en Huronie.
En 1639, Joseph Chiwatenhwa devient le premier administrateur laïc de l’Église catholique au Canada. Ardent apôtre auprès de sa tribu, il traduit chants et prières en langue huronne. Sa collaboration est très précieuse pour les Jésuites: «Nous nourrissions de grands espoirs quant à la possibilité de le voir enseigner la foi chrétienne parmi les siens», écrivait Jérôme Lallemant, alors supérieur des Jésuites missionnaires au Canada.
Mais Joseph Chiwatenhwa avait vu en songe qu’il perdrait la vie de manière violente.
Autre extrait de la prière qu’il avait composée:
Voilà mon sentiment, Seigneur Dieu; enfin donc je ne crains plus la mort, je me réjouirai quand je serai sur le point de mourir. Je ne veux pas m’en affliger, m’attristant pour la mort de quelqu’un de mes proches. Je penserai seulement: il en dispose, Dieu; il aura dessein qu’ils partent, qu’en paradis ils aillent.
Le 2 août 1640, Joseph fut attaqué et tué par des Iroquois, ennemis des Hurons. Il était âgé de 38 ans. Voici ce dont témoignait Jérôme Lallemant dans une lettre datée du lendemain, 3 août 1640:
Il a vécu cette dernière année en apôtre au sein de sa tribu. Mais puisque les saints ont plus de pouvoir lorsqu’ils sont parvenus au Ciel qu’ici-bas, nous devons considérer sa mort comme un cadeau, et non une perte.
Le martyre chrétien n’est pas toujours le martyre du sang versé au nom de la foi. «Martyre» signifie «témoignage» et les saints sont tous des martyrs par le témoignage de leur vie. Jean de Brébeuf éprouva certainement une grande émotion en apprenant la fidélité héroïque de son premier baptisé. Il a lui-même souligné les mérites de ce chrétien exemplaire et les fruits de son témoignage. Comme on a coutume de le dire à propos des premiers martyrs de l’Église, la mort de Joseph Chiwatenhwa fut une semence de chrétiens en Huronie.
Le premier «martyr» canadien à être unanimement reconnu au sein de cette Église naissante, serait donc un Huron, baptisé du nom de Joseph en l’honneur du patron protecteur du Canada.
Découvrir la force, le courage, l’adhésion radicale des premiers chrétiens amérindiens au Canada a quelque chose de saisissant, qui bouleverse la manière habituelle de considérer les rapports qui existaient entre Amérindiens et Français missionnaires.
Catherine Jean
Je suis surprise et heureuse de constater l’amitié qui existait entre certains Amérindiens et missionnaires français dès le début de la colonie. Des histoires racontées par d’autres auteurs nous font croire que ces missionnaires «évangélisateurs» ont été très méchants envers eux, les contraignant à quitter leurs mythes et leurs croyances. Votre récit apporte des nuances importantes à ce sujet. Ce Joseph a même été guéri par les prières des Jésuites. Je vous remercie aussi d’avoir pris en considération ma demande du 13 juillet dernier. Mais au juste, pourquoi ont-ils été refoulés vers le Nord? En tout cas, tout porte à croire selon vos dires que ce ne sont pas les bons missionnaires qui les ont délogés de leur territoire…