Ô Kébèk: à l’endroit et à l’envers

La Société Saint-Jean-Baptiste a commandé un hymne national pour le «pays» du Québec en vue de la Fête nationale de cette année 2011. C’est le poète Raôul Duguay qui a répondu à l’appel. Quelle est l’idée du Québec qui en ressort?

Je me suis intéressée récemment au contenu de l’hymne national du Canada dans sa version anglaise originale, notamment à l’expression True North que l’auteur Stanley Weir a choisie pour définir le pays dans son poème. Ce qui attire mon attention dans le cas de l’hymne composé par Raôul Duguay, c’est la graphie Kébèk qu’il a privilégiée et la signification qu’il en donne:

Pour moi, la graphie du mot représentant le pays «Kébèk» signifie «victoire», avec ou sans Notre-Dame. Dès le début des années 1970, le poète Paul Chamberland et moi avons adopté cette graphie qui rend le nom du pays Kébèk lisible à l’endroit comme à l’envers tel un parfait palindrome. Il m’a toujours semblé qu’il serait logique et pertinent qu’une province devenant un pays souverain s’approprie l’essence de son identité: son nom. Vive le pays libre KÉBÈK.

La graphie kébèk peut venir de l’amérindien signifiant «là où les eaux rétrécissent» ou «détroit», mais si Duguay y applique la connotation de «victoire», c’est en raison de faits historiques. Il se donne même la peine de nous fournir ses bases dont je reproduis l’essentiel ci-dessous:

DEUS PROVIDEBAT KEBEKA LIBERATA

Sur une plaque de bronze, devant la porte du sanctuaire Notre-Dame-des-Victoires, Place Royale, dans la vieille Capitale, il est écrit: «Cette église érigée sous le vocable de l’Enfant-Jésus en 1688, sur l’emplacement du vieux magasin du Roy, prit le nom de Notre-Dame-de-la-Victoire en 1690 et de Notre-Dame-des-Victoires en 1711.»

En pénétrant dans l’église, on peut lire, au-dessus du maître-autel, une fresque portant l’inscription KEBEKA LIBERATA représentant la délivrance de Québec, le 22 octobre 1690, jour où l’amiral Phipps leva le siège de la ville suite à la fameuse réponse de Frontenac: «Je lui répondrai par la bouche de mes canons!». L’autre inscription: «Deus providebat» (traduction: Dieu veillait sur le salut de Kébèk), montre le naufrage d’une bonne partie de la flotte anglaise de l’amiral Walker à l’Île-aux-Œufs, en 1711.

En 1690, après la défaite de Phipps devant Québec et au moment de l’érection de l’église Notre-Dame-de-la-Victoire, Louis XIV fit frapper une monnaie ou une médaille sur laquelle étaient gravés ces deux mots: KEBEKA LIBERATA.

Raôul Duguay considère donc que l’essence de notre identité réside dans le nom Kébèk et que cette essence comporte, historiquement, un sens de «victoire». L’idée est exaltante. Mais il ajoute que ce pays appelé Kébèk signifie victoire «avec ou sans Notre-Dame». Est-ce l’effet du palindrome? Kébek, lu à l’endroit, signifierait victoire AVEC Notre-Dame, et, lu à l’envers, il signifierait aussi victoire mais SANS Notre-Dame.

Je ne suis certainement pas la seule à me rendre compte de ce type de relecture «palindromatique» de notre histoire, qui consiste à la réécrire en prenant les mêmes faits mais dépouillés de toute référence à la foi qui caractérisait le génie propre de nos ancêtres.

Je mentionne ici une autre victoire miraculeuse qui fait partie du tissu historique de la fête de la Saint-Jean-Baptiste. Du 24 juin 1848 jusqu’en 1982, on a porté avec fierté, durant le défilé de la fête de la Saint-Jean à Québec, un drapeau protégé dans un cylindre de métal. Ce drapeau avait été témoin de la brillante victoire des 3 500 soldats du général Montcalm contre une armée de 15 000 américains, le 8 juillet 1758, à Carillon (Ticonderoga, New York). Sur l’une des faces de la bannière: Notre-Dame.

J’ai trouvé l’image du drapeau de Carillon sur le site du Gouverneur général, au Registre public des armoiries, drapeaux et insignes du Canada. Dans ce cas, nous n’avons pas affaire à un palindrome mais à une bannière possédant, si l’on peut dire, un RECTO et un VERSO: Notre-Dame d’un côté, l’écu de France de l’autre. L’ancêtre fleurdelisé du drapeau québécois est-il avec ou sans Notre-Dame? Le 19 mars 2002, à la Chambre des Communes, alors qu’il est question de modifier le Code criminel en cas de profanation du drapeau canadien (projet de loi C-330), la députée Christiane Gagnon (Québec, Bloc Québécois) fait allusion au drapeau de Carillon, en ces termes:

En 1758, à la fin du régime français, une bannière flotte sur les retranchements du camp de Carillon. De couleur bleu ciel, elle porte au centre l’écu de France et ses coins sont ornés de quatre fleurs de lys d’argent. Cette bannière, dite de Carillon, est reconnue comme l’ancêtre direct du drapeau québécois.

Aurait-on épuré notre drapeau de toute connotation religieuse pour ne garder que l’essentiel? Ayant appris, au hasard de mes lectures, que la victoire réputée miraculeuse de Carillon avait été attribuée à Notre-Dame, je me suis demandée ce qu’en pensait le général d’alors, le Marquis Louis-Joseph de Montcalm:

Après les victoires de Chouagen et Carillon, Montcalm lui-même reconnut l’aide du Ciel. Il fit porter les drapeaux anglais dans les églises de la colonie «comme un monument de reconnaissance envers le Seigneur qui bénit la justice de nos armes et protège visiblement cette colonie». Sur le champ de bataille de Carillon, le général français fit dresser une croix surmontée des armes de la France avec cette inscription:

Chrétien! ce ne fut point Montcalm et sa prudence,
Ces arbres renversés, ces héros, leurs exploits,
Qui, des Anglais confus, ont brisé l’espérance,
C’est le bras de ton Dieu, vainqueur sur cette croix.

Extrait des Pratiques de dévotion en Nouvelle-France: comportements populaires et encadrement ecclésial dans le gouvernement de Québec, Marie-Aimée Cliche, Les Presses de l’Université Laval, 1988, page 63.

Lors de la victoire précédente de Chouagen, Montcalm avait aussi planté une croix, avec la mention in hoc signo vincunt: «Par ce signe, ils vaincront». Cette phrase rappelle les mots in hoc signo vinces: «par ce signe, tu vaincras», que l’empereur Constantin affirme avoir entendus alors qu’il voyait apparaître une croix dans le ciel. En prenant la croix comme étendard, il remporta une victoire inespérée contre des forces ennemies incroyablement supérieures en nombre.

Chez nous, la croix blanche de notre fleurdelisé est une évocation de la foi au Christ, ancrée dans une promesse de victoire à laquelle Notre-Dame est historiquement associée.

Alors je me fais à mon tour poète:

Ô Kébèk,
sans Notre-Dame,
où serait ta victoire?

Francine D. Pelletier

 

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1 Responses to Ô Kébèk: à l’endroit et à l’envers

  1. ADMG dit :

    À Francine D. Pelletier

    Je me réjouis du fait que vous ayez décidé de commenter cette toute dernière tentative de composition d’un hymne national pour le Québec. Bien que je ne puisse être absolument certain de la proportion de la “victoire” attribuée à Notre-Dame, par monsieur Duguay et ses collaborateurs, la probabilité que ce soit “sans Notre-Dame” est plus élevée. On ne peut que constater avec quel souci Mr Duguay évite de faire référence au religieux, aux religions, et certainement à la foi catholique. Or ce faisant, je crois que l’Ô Kébek commet une omission grave en ignorant nos racines qui étaient bien campées dans la foi. Les fondations du Québec sont bien assises sur les mérites de tous ceux et celles qui ont donné leur vie pour conquérir ce pays au nom de Dieu. La foi que proclame l’Ô Kébek est plutôt celle en “…nos savoirs, nos légendes…nos droits et devoirs,…nos rêves (voir la version longue de l’hymne).” Rien de surprenant alors de trouver dans le montage audio-visuel réalisé par Maxime Brien, sur l’Ô Kébek, (http://www.hymnenationalokebek.com/2011/06/video-montage-realise-par-maxime-brien.html) une image évoquant clairement la Chasse Galerie! Le message est plus que subliminal.

    Tiens, tiens, un autre détail curieux. Éve Couture, dans un récent article, Un hymne national québécois signé Raoul Duguay, publié le 13 juin dans CyberPresse, dit ceci: “Il a fallu six mois au poète abitibien pour écrire ce qui pourrait devenir l’hymne national du Québec. «Je me suis senti fragile, fébrile et vulnérable», avoue l’auteur. Il a d’ailleurs fait beaucoup de recherche et a étudié d’autres hymnes nationaux avant de se lancer dans la composition du poème. En tout, 62 artistes ont été pressentis, et Duguay est le seul qui ait osé relever le défi.” Que faut-il en penser: que la communauté artistique est d’avis que le défi était de trop grande taille, que le risque était trop grand d’essayer de déloger les tentatives des collègues comme Vigneault, avec son Gens du Pays, ou Claude Gauthier, avec Le Plus beau voyage. Ève Couture ajoute que “la SSJB compte le suggérer à l’organisation du Canadien de Montréal afin qu’il soit chanté avant les matchs du Tricolore au Centre Bell.”

    Pas étonnant non plus de découvrir que la “commande” pour ce nouvel hymne national ait été passée par la Société Saint Jean Baptiste. C’est ce même organisme qui a fait sa propre petite pré-révolution tranquille, en s’assurant que Le Baptiste soit littéralement muselé, dès 1834. Pour que nos révolutionnaires “tranquilles” arrivent à sortir la religion des écoles, et les crucifix des endroits publics, ne fallait-til pas d’abord faire taire “Le Précurseur”?

    ADMG

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