Paul Payan est l’auteur d’une thèse de doctorat sur Jean Le Charlier Gerson, ce chancelier d’université dont il a été question hier («La conjonction et la conjoncture parfaites»). Dans ses travaux, Payan mentionne que la démarche de Gerson en faveur de Joseph est «totalement liée aux conflits politiques du moment». Il fait notamment référence à l’avènement de Jeanne d’Arc dans l’histoire de France, dont Gerson est le contemporain. Or, Gerson examine le conflit franco-anglais pour la succession au trône de France sous un angle qui réfère lui-même à la lignée de David. Je cite Payan :
«Dans les Considérations sur saint Joseph, puis dans son discours du 8 septembre 1416, il [Gerson] se fait l’écho d’un débat théologique qui nous ramène au cœur du conflit franco-anglais : l’origine de la royauté terrestre du Christ».
L’argument anglais était que si Jésus tenait de la lignée de David par sa mère, une femme pouvait bien accéder au trône. Gerson ne prend pas parti dans ce débat dynastique, laissant «cette matière de disputacion aux clercs». Par contre, il rappelle que Joseph est lui aussi de la descendance royale de David. Certains ont voulu y voir une approbation indirecte du chancelier en faveur de la loi salique française, qui exclut les femmes de la succession au trône.
À mon avis, ce serait contrefaire la pensée d’un homme qui, en plus de déclarer que le mariage de Marie et Joseph est la plus parfaite union et conjonction, a été celui qui, dès le départ et de son propre chef, a défendu la vocation de Jeanne d’Arc avec le plus d’aplomb et de science. Dans l’un des deux opuscules qu’il consacre à sa défense, il rappelle notamment à ceux qui trouveraient «inconvenant» qu’une femme puisse commander à des hommes, que Dieu lui-même a élu Esther, Déborah et Judith pour diriger son peuple. Et il mentionne même que Catherine de Sienne surpassait les savants théologiens de son temps en ce qui concerne la science divine.
Et dire qu’au XXIe siècle, la part reconnue à la femme dans l’exercice du gouvernement, que ce soit dans le monde ou dans l’Église, est encore à tout le moins mitigée !
Gerson était pourtant un homme du XVe siècle. Ses considérations sur Joseph et, particulièrement, sur le mariage de Marie et Joseph, seraient-elles au fondement de son ouverture ?
Mes conjectures vont en ce sens.
Francine D. Pelletier
Depuis quand doit-on attendre qu’on nous concède une place, notre place n’est pas mitigée pour rien.
@hurlaine
En effet, «notre place n’est pas mitigée pour rien». Je me suis demandé à mon tour: depuis quand? D’un certain point de vue, je dirais depuis la Genèse, et surtout depuis que l’on s’est mis à traduire et à interpréter l’hébreu biblique à l’aide de catégories qui lui étaient étrangères. La femme étant à l’origine de la déchéance humaine, dit-on, comment lui confier le gouvernement? L’homme est le «chef» de la femme, etc. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet.
D’un autre point de vue, il ne s’agit pas de prendre sa place ou d’attendre de se la voir concéder. Il y a toujours eu des femmes dans l’histoire qui ont participé, officiellement ou officieusement, à l’exercice du gouvernement. Disons, entre autres, que c’est la reconnaissance de cet apport qui manque. Il y a même des documents historiques attestant l’apport de ces femmes qui ont «disparu» (certains travaux récemment publiés le mentionnent).
Il y a certainement une sorte de blocage.
Et ce blocage face au gouvernement de la femme n’est pas uniquement le fait d’un machisme plus ou moins dur. En écrivant la finale de ce blogue, je pensais entre autres à Hillary Clinton et à Sarah Palin, lors de la dernière campagne présidentielle aux États-Unis. En dehors des questions d’idéologie et de style touchant chacune, les hommes n’avaient certainement pas l’exclusivité des critiques virulentes émises à leur endroit.
Je m’arrête ici. Je ne voudrais pas multiplier de façon intempestive les pistes de réflexion que suscite chez moi votre commentaire. Elles sont nombreuses. Je souhaiterais plus encore connaître davantage votre point de vue.