D’un point de vue politique, on pourrait dire qu’il y a deux critères pour être en mesure d’exercer la domination : il faut en avoir la capacité et le droit. En ses propres termes, la Genèse exprime la même chose: «Yahweh Elohim prit l’Adam et le plaça dans le jardin en Eden pour le cultiver et le garder» (Genèse 2, 15). En plaçant l’Adam en Eden, Elohim lui reconnaît la capacité et lui donne le droit de cultiver et de garder son domaine. «Cultiver et garder» sont comme les deux pôles de la domination confiée à l’Adam.
CULTIVER- Cultiver un jardin implique la maîtrise de diverses conditions terrestres. Certaines traductions de la Genèse proposent même l’expression «assujettir la terre» (Genèse 1, 28). Il n’y a rien d’oppressif dans cette soumission ou cet assujettissement de la terre qui vise essentiellement la fécondité, la fructification. L’exercice de la domination, au sens de «cultiver», a plutôt quelque chose à voir avec l’intelligence des lois qui régissent le domaine d’Elohim dont le jardin est un symbole. L’Adam est doté de la capacité de comprendre ces lois et de les appliquer à bonne fin. Il a donc ce qu’il faut pour cultiver le jardin, mais il en a aussi la garde.
GARDER- Un droit est toujours circonscrit, il a des limites. Il comporte donc une mise en garde, au moins implicite, même s’il est présenté sur un mode positif (le droit de…). Le dépositaire du pouvoir doit se garder de transgresser les limites de son droit. La transgression implique une rupture qui elle-même implique une sanction réparatrice: il faut rétablir le bon droit et la justice, c’est-à-dire réajuster, rendre juste à nouveau.
La «garde» du domaine d’Elohim comporte effectivement une mise en garde: «Yahweh Elohim donna cet ordre à l’Adam: ‘Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras’» (Genèse 2, 16-17).
Si l’Adam jouit d’une aptitude à maîtriser les lois du domaine d’Elohim, sa dominance est circonscrite selon le droit établi par ce dernier. La souveraineté d’Elohim elle-même n‘est pas de l’ordre d’un droit, elle est le principe de ce qu’est le «droit», lequel signifie étymologiquement «diriger en ligne droite». L’Adam n’étant pas souverain en lui-même, il doit «diriger en ligne droite», c’est-à-dire, encore une fois, selon les règles établies par Elohim. Ainsi en est-il d’une domination juste, c’est-à-dire ajustée aux lois divines.
La mise en garde concernant la consommation du fruit de la connaissance du bien et du mal devient ainsi le symbole des prérogatives liées à la souveraineté de Dieu, à sa suprématie. L’axe des identités, divine et humaine, est ainsi posé. La base harmonieuse de leurs relations et de toutes relations. Le principe même de la vie et de sa fécondité. Sa justice.
La mise en garde d’Elohim n’est pas centrée sur lui-même, sur la préservation de ses privilèges; comment pourrait-il se sentir menacé? Elle est essentiellement bienveillante à l’égard de l’Adam.
Il y a toutefois quelqu’un d’autre dans le jardin, qui a une vision différente des choses. Un adversaire très politique…
Francine D. Pelletier
Prochain blogue : La subversion et les deux lignages