Mon grand-père était bleu, ma mère était bleue, et moi? À entendre l’histoire racontée par ma sœur tout récemment, je serais devenue bleue, bleue, bleue…
Mon grand-père, duplessiste jusqu’à la moelle, était très connu des alentours. Cultivateur de métier, il était aussi ce qu’on appelle l’organisateur du village lors des campagnes électorales. Une fois ses élections gagnées, il se rendait régulièrement à Québec au bureau de son député plaider la cause des uns et des autres. Ce spécialiste de l’humour avait acquis au fil des ans la confiance de son entourage, car cet aspect de sa personnalité se combinait à merveille à d’autres qualités gagnantes: la droiture, le dévouement, l’entregent, la défense de l’opprimé et une grandeur d’âme.
Bien qu’il ait été de couleur bleue, il n’avait pas de parti pris politique lorsqu’il s’agissait de venir en aide aux gens. Beaucoup ont rendu hommage à mon grand-père à l’occasion de son décès. À témoin, cet homme dans la cinquantaine, marchant péniblement vers la maison où il était exposé, enjambant le banc de neige aidé de sa canne. Surpris par cette visite inattendue, on l’interrogea sur les motifs d’un tel déplacement. Il affirma que rien ne l’aurait empêché de venir rendre hommage à celui qui l’avait sorti d’une impasse dans sa jeunesse. Et il raconta l’histoire que voici.
Lorsqu’il était jeune adolescent, cet homme fut victime d’un accident qui lui handicapa la jambe, le rendant incapable d’exercer le métier de cultivateur. Le père de ce monsieur, qui était rouge libéral, alla donc quérir l’aide de mon grand-père, qui était bleu conservateur. Mon grand-père prit tout de suite et sans hésiter le jeune homme sous son aile. Grâce à ses contacts, il réussit à poursuivre ses études et à se placer à Ottawa au bureau du gouvernement. Cela fait réfléchir. Peut-on être bleu tout en aidant les rouges?
Enfin, me direz-vous, l’histoire racontée ci-haut ne semble pas avoir de lien direct avec la Constitution. Au contraire. À l’époque de mon grand-père, la question du rapatriement de la Constitution était passablement discutée suite à la ratification du Statut de Westminster (1931) et durant le deuxième mandat de Maurice Duplessis de 1944 à 1959. Celui-ci fut un acteur important. Il protégea et défendit farouchement les droits acquis du Québec en refusant l’ingérence fédérale dans plusieurs domaines. Voici une de ses dernières déclarations (environ trois mois avant sa mort):
La province de Québec n’est pas à vendre, elle ne se vendra pas, elle ne demande pas de faveur. Nous exigeons le respect de nos droits, nous voulons que le système éducationnel soit respecté, que nos droits exclusifs soient sauvegardés, et peu importe le gouvernement au pouvoir, nous allons continuer la lutte, sûrs que nous sommes d’être dans le bon chemin et demandant en même temps la coopération de tous ceux qui aiment la province, qui veulent la vie et la survie d’un grand peuple et en même temps le respect de nos saines traditions religieuses et nationales». (Déclaration de Maurice Duplessis, Hauterive, 31 mai 1959, tirée de Claude Morin, Le combat québécois, Les Éditions du Boréal express, 1973, p.68 (citation).
Nous pouvons critiquer les mœurs politiques de cette période («la grande noirceur», dit-on), comme nous pouvons critiquer ceux de notre époque. Le Québec n’a pas de constitution comme tel, mais il s’est doté d’une Charte des droits et libertés. Nos droits acquis sont-ils davantage respectés pour autant?
J’aimerais en discuter dans mon prochain blogue.
Colombe LeRoy