Avez-vous de l’«initiative» à vendre?

Apparemment, il serait notoire que la politique britannique n’est pas très intellectuelle. Elle préfère le bon sens commun. Pour cela, certains la regardent de haut. Les mauvaises langues ont même été jusqu’à appeler l’un des partis britanniques les plus populaires «the stupid party» pour ses principes jugés trop pratico-pratiques. D’autres, par ailleurs, ont fait remarquer qu’à travers l’histoire de l’Europe moderne, le Royaume britannique est un des rares à ne pas être tombé sous une idéologie fasciste ou communiste. Un point non négligeable tout de même.

Le 5 mai dernier, la coalition conservatrice-libérale-démocrate de David Cameron a décidé de proposer des changements radicaux à la Constitution britannique. Dans la foulée, certains se sont empressés de relever l’ouverture récente des cercles politiques britanniques aux intellectuels et aux échanges d’idées de diverses tendances. Il serait tout de même intéressant de connaître le courant de pensée qui est à la source de ce désir d’apporter des changements «radicaux» à la Constitution… Du moins, nous savons que ces changements concernent principalement le système de vote et la répartition du pouvoir dans les différentes Chambres des représentants. En somme, le fonctionnement de la démocratie britannique.

J’ai réalisé récemment qu’il y a en effet de multiples façons de vivre la démocratie. Prenons l’exemple de la Californie. Depuis plus de 100 ans, la Californie a importé de la Suisse un modèle très particulier de démocratie: la démocratie directe. Sa particularité est de permettre (exceptionnellement) à un groupe de citoyens d’entreprendre «une initiative» pour renverser une loi existante et en instaurer une nouvelle en plaidant directement sa cause auprès du gouvernement. Si un nombre suffisant de citoyens votent pour cette «initiative» par voie de référendum, la nouvelle loi passe et le gouvernement n’a pas un mot à dire.

Concrètement, en 1978, un californien a décidé que les taxes sur les propriétés étaient trop onéreuses. Effectivement, elles l’étaient, mais elles étaient aussi la source de revenu principale des écoles et des services municipaux. Cet homme a su canaliser la hargne de tous les contribuables avec son initiative; il a gagné son référendum et fait diminuer les taxes de plus de la moitié. Le gouverneur de la Californie, dans ces conditions, a très bien compris que s’il voulait être réélu, il ne devait pas aller à l’encontre de ce mouvement populaire d’une ampleur sans précédent. Depuis ce temps, le gouvernement central paie de sa poche l’argent manquant, la dette s’accumule d’année en année, devenant ingérable, et les écoles californiennes sont devenues un exemple de médiocrité.

Qui plus est, cette «initiative» a pris l’allure d’une véritable mode en Californie. Tout le monde veut avoir «son» initiative pour être in. Certaines vedettes d’Hollywood en auraient quelques-unes à leur actif. Toutes de bonnes idées, aucune vue d’ensemble. Il y a même des compagnies qui se spécialisent dans l’aide aux personnes ayant des idées «d’initiative». Ainsi, ces compagnies parcourent toutes les files d’attente imaginables, aux stations d’autobus, aux musées, aux spectacles, afin de faire signer la liste d’appuis nécessaire pour faire admettre l’initiative à un vote populaire officiel.

De nos jours, lorsqu’on aborde la réforme d’une constitution, on aborde inévitablement la question de la démocratie, que ce soit en Grande-Bretagne, en Suisse, en Californie, ou bien au Canada. Cela pourrait ne pas être notre but premier, mais la porte est tout de même ouverte. De quelle pensée sera inspirée notre réforme? Considérant le modèle californien, j’avoue que je pencherais pour un modèle plus pratico-pratique, qui assure un fonctionnement législatif et exécutif efficace et, conjointement, une économie prospérant sur ses avoirs plutôt que sur ses idéologies. Pensée «stupide», diraient certains, mais qui a le mérite d’une vue d’ensemble.

Enfin, je pense qu’on oublie, dans nos quêtes de réforme démocratique, que la démocratie elle-même a des lacunes.

Ah! La démocratie… la solution à tous nos maux, la manne tant convoitée! Actuellement, plus que jamais, «le printemps arabe» nous la présente comme la lumière au bout du tunnel. Y a-t-il, dans les réformes démocratiques, une quête de solution à certains problèmes? Sûrement. Y a-t-il un effet magique au mot «démocratie», comme de jeter de la poudre aux yeux, est-ce un mot passe-partout, un paquet-cadeau qu’on nous offre et qu’on tient pour acquis, sans vraiment se poser des questions sur la nature de ses dérapages? Sûrement aussi.

Jennie Larochelle

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6 Responses to Avez-vous de l’«initiative» à vendre?

  1. Eustache dit :

    Salut Jennie,
    Parlant Britanique, tu dois te réjouir de l’accueil chaleureux fait aux altesses William et Kate même au Québec! Les bruits des mécontents n’ont pas étouffé l’enthousiasme des contents. Et parlant démocratie, tu sais peut-être que des français pas « stupides » du tout déplorent les effets néfastes de la Révolution Française, déclancheur de la démocratie politique! À mon point de vue (qui n’est pas le mien mais que j’ai entendu quelque part) ce qui fait la différence ce n’est pas le systême politique mais la qualité et les valeurs de ceux qui gouvernent.

  2. Lucie dit :

    Je suis d’accord que la démocratie n’est pas la solution à tous nos maux.
    Aujourd’hui, c’est la fête des Etats-Unis et je viens de lire cet article qui dit que les
    pères fondateurs des États-Unis insistaient sur le fait que le nouveau pays est une république et non une démocratie qu’ils considéraient comme une menace (voir http://www.cyberpresse.ca/international/ailleurs-sur-le-web/201107/04/01-4414809-dix-aspects-meconnus-du-4-juillet.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B2_ailleurs-sur-le-web_33084_accueil_POS1).
    Je pense qu’une république peut aussi être dangereuse…
    Quelqu’un peut-il me dire la différence entre une démocratie et une république et lequel est le plus dangereux et pourquoi?

  3. Raymond dit :

    Bonjour,

    Quel débat intéressant. Je ne suis jamais déçu quand je visite ce site.

    D’amblée, je clarifie que je ne suis pas un expert en politique, en sociologie, ou tout autre -ogie ici. 

    Je note cependant que le mot « démocratie » est très vieux, et que comme beaucoup de mots très vieux, son sens populaire a sûrement évolué.

    Je commence par citer Monsieur Francis Dupuis-Deri, dans son article “L’esprit antidémocratique des fondateurs de la « démocratie » moderne.” publié dans la revue AGONE, no 22, septembre 1999, pp. 95-113 :

    (…) les fondateurs de nos démocraties représentatives étaient ouvertement antidémocrates, utilisant le mot « démocratie » pour désigner et dénigrer leurs adversaires trop radicaux. Ce paradoxe – des antidémocrates qui fondent les soi-disant « démocraties » modernes – apparaît très clairement lorsqu’on se plonge dans la lecture des discours, des pamphlets, des articles de journaux, des lettres personnelles ou des poèmes de l’époque révolutionnaire, tant américaine que française.

    En quoi ces démocrates étaient-ils des radicaux? Je crois qu’on peut sans doute dire que le premier usage du mot « démocratie » était au sens de la démocratie « directe » inspirée des Grecs anciens, un système politique qui implique plus souvent qu’autrement « une personne = une voix », avec un vote direct sur toute action de gouvernement. Paradoxalement, cette représentation directe est en fait très proche de… l’anarchie! Imaginons que pour toute question le peuple (demos) peut/doit voter directement, un peu comme si nous avions un référendum à tous les quelques jours. Quel pays difficile à gérer, et quelles relations houleuses avec nos voisins, avec les problèmes moins « populaires ». 

    Mais le mot évolue rapidement, pour en fait englober la démocratie « représentative » plus commune aujourd’hui. 

    Je reprend finalement une citation fréquente d’un célèbre « démocrate » contemporain, Abraham Lincoln, qui dit dans les années 1860-65 : « la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » ». De toute évidence, il ne s’agit plus ici d’une critique de radicaux…

    Voici ma tentative de réponse a la question de Lucie sur la « démocratie », j’espère que des gens plus érudits que moi en politique pourront compléter.

    Au revoir,

    Raymond

  4. Raymond dit :

    Eh bien, j’ai trouvé une explication encore plus directe sur Wikipédia :
    Démocratie. (2011, juillet 8). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 9 juillet 2011 à 02:38 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=D%C3%A9mocratie&oldid=67251535.

    . La démocratie et République sont aujourd’hui largement confondus.
    . Néanmoins la démocratie vise davantage le mode d’élection ainsi qu’un état social libéral tandis que la République insiste sur la constitution ou les principes fondateurs d’un État-Nation, le plus souvent par opposition à une Monarchie ou à un Empire.
    . Étymologiquement, la république ne renvoie pas à un mode de gouvernement par le peuple comme le fait la démocratie, elle renvoie à la res publica c’est-à-dire la chose publique, et en ce sens tous les états sont des républiques.
    . Une république peut être d’inspiration démocratique mais il ne s’agit pas d’une condition nécessaire. La République de Venise était par exemple une oligarchie très fermée dans laquelle seul un groupe de 1 000 à 2 000 patriciens de la capitale disposait de droits politiques sur un empire allant du nord de l’Italie aux îles grecques. De nombreuses Républiques sont ou ont été des dictatures personnelles, civiles ou militaires. À l’inverse, de nombreuses démocraties ont un régime monarchique parlementaire.

  5. Sherlock dit :

    Madame Larochelle,
    En lisant cet article, aujourd’hui, je me suis rappelé vos propos sur les « initiatives » californiennes. On dirait que certains aimeraient bien lancer cette mode au Québec:
    http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201108/25/01-4428836-drainville-met-de-la-pression-sur-marois.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B4_manchettes_231_accueil_POS1

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