Depuis quelques heures, le frère André Bessette vient d’être canonisé. Ces derniers mois, nous en avons beaucoup parlé, vu de face, de dos, de profil et… de travers ! Je me pose maintenant cette question : qu’est-ce qui m’édifie le plus chez lui ? Première réponse à surgir : la fidélité à son engagement.
Je suis particulièrement sensible à cette question. À mon avis, la persévérance jusqu’au terme confirme le cheminement entier d’un individu, confère toute son envergure à un engagement.
J’ai eu la chance inouïe d’aller en pèlerinage à St-Jacques-de-Compostelle. Pèlerin à temps plein pendant un mois, tendu vers un seul objectif, le tombeau de saint Jacques le Majeur. Cet objectif conditionnait tous les aspects de mon quotidien, mes choix journaliers se mettaient au service de ce projet. Je guettais constamment les indications m’annonçant l’approche du but. Ce n’était pas tous les jours facile. Renoncer ? C’eut été gaspiller le capital accumulé jusque-là, un peu comme pour une assurance : omettez un seul petit paiement, et vous perdez toute couverture.
Quoi que nous fassions, nous recherchons l’aboutissement. Nous le recherchons ou tentons de l’éviter, mais assez souvent il se présente par nécessité, sous un augure heureux ou malheureux relatif en partie au degré de prise en charge. Qu’une chose demeure inachevée, nous en concevons facilement de l’insatisfaction, voire de la culpabilité. Nous aimons constater les fruits d’une œuvre accomplie, nous reconnaissons naturellement le mérite d’un engagement tenu jusqu’au bout. Un abandon se fait vite oublier; la persévérance accomplie engendre l’édification. Ces exemples de persévérance nous tirent en avant et nous interpellent sur notre propre cheminement.
Lorsqu’on me demande ce que je retiens le plus de mes parents, je réponds souvent : leur fidélité conjugale jusqu’à la mort. Leur exemple de vie a eu sur moi un impact immense, il m’a procuré des repères solides pour ma gouverne. Au milieu de tant d’instabilité, je puis encore me dire : « Oui, c’est possible. »
André Bessette n’a pas toujours été parfait, nul ne l’est, chacun a son propre parcours. Je pense qu’il ne faut jamais désespérer, quoi qu’il arrive. J’ai fait une gaffe ? J’ai pris une mauvaise décision ? D’accord, ce n’est pas bien, mais pourquoi perdre un temps précieux à me culpabiliser ? Il est plus avantageux de me relever et de me remettre à marcher. Cela me prouve aussi une chose : j’ai besoin du pardon de Dieu, et celui-ci m’est offert à tout moment. Parlez-en à saint André Bessette.
Patrick Trottier
Aie! Aie! Aie! Patrick! Tes parents ont vécu « la fidélité conjugale jusqu’à la mort » probablement dans un temps où il ne pouvait pas en être autrement. Toute la société non seulement le favorisait mais l’obligeait. J’ai une tante qui s’est séparée de son digne époux alcoolique et elle a été traité comme une « moins que rien » par le reste de la famille. J’ai un ami que sa douce moitié a quitté un an après le mariage, il avait 21 ans. Il aurait donc fallu qu’il se fasse moine? Où est la vertu? Ce n’est pas à la fidélité que tu appelles, Patrick, c’est à l’héroïsme. Pour que ce soit encore possible comme tu le penses, il faudrait que bien des choses changent. D’autre part, à quoi cela sert-il d’être héroïque?
@ Eustache
Aie! Aie! Aie! Eustache! Méchante bonne question!
Votre commentaire me fait penser au malaise qu’éprouvent bien des prédicateurs quand ils doivent commenter un extrait d’Évangile qui s’inscrit fortement à contre-courant des moeurs du jour. Je ne suis pas certain de les envier… Vous posez de bonnes questions. Je ne me sens pas le droit, d’où je suis, de commenter les cas particuliers que vous citez.
Je vous répondrai en présumant que vous admettez que les Évangiles conservent toute leur valeur pour le temps où nous vivons.
Jésus lui-même nous brasse pas mal et nous convie EFFECTIVEMENT à l’héroïsme. Quand il annonçait en son temps la bonne nouvelle du salut, il se heurtait à beaucoup de problèmes que nous connaissons aujourd’hui en matière de fidélité à un engagement. Il a jeté des douches d’eau froide sur des foules entières en leur disant des paroles telles (je cite de mémoire): « celui qui ne renonce pas à tout pour me suivre ne peut pas être mon disciple »; (au jeune riche) « une seule chose te manque: va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel; puis viens et suis-moi (…) et lui s’en alla tout triste »; « celui qui répudie sa femme pour en épouser une autre est coupable d’adultère envers elle », etc.
Aie! Aie! Aie! Aouch! Devons-nous répondre à un tel appel? Il reste qu’il y a des considérations très concrètes à retenir des évangiles. Je pense que l’un des malheurs de notre temps est de ne pas considérer avec assez de sérieux la valeur de l’engagement, ce qui conduit à des décisions impulsives, prises à la légère, sans un mûrissement suffisant. D’après ce que je peux observer, nous percevons l’engagement comme un acte qui, justement, ne nous engage pas vraiment, qu’on peut révoquer à notre gré, sans qu’il y ait de conséquences. La réalité évangélique est autre. Jésus nous appelle à des choix radicaux – pas fanatiques, radicaux – c’est-à-dire sans compromis, avec la pleine mesure de la volonté. « Que votre oui soit oui, que votre non soit non. » Il n’aime pas qu’on « branle dans le manche », comme on dit.
Les politiciens parlent souvent d’avoir le courage de ses convictions. Il faut l’avoir en politique, et il ne le faudrait pas pour ceux qui se marient, se consacrent à Dieu ou prêchent dans les églises, pour nous tous? Vous conviendrez que cela n’a pas de sens.
Vous demandez à quoi cela sert d’être héroïque. Bien, justement pour que les choses changent, et j’ajouterais: pour soutenir ceux dont le courage défaille. Et je crois qu’il n’y a pas tant à changer pour que la fidélié soit possible; après tout, l’Évangile est fait pour les petits, pour ceux qui ressemblent aux enfants… L’héroïsme commence toujours dans les petits gestes. C’est pour cela que vous et moi pouvons l’envisager…
N’est-ce pas encourageant?
@ Eustache
Je viens d’atterrir sur ce blogue et je comprends votre questionnement. Comme M. Trottier, je ne me permets pas de juger (nul n’est juge de son frère sinon Dieu seul) mais je vais vous citer mon propre exemple pour vous encourager dans votre quête, je l’espère.
Je suis dans la moyenne des gens de ma génération qui ont vécu le divorce de leurs parents. J’étais très jeune et oui, cela marque profondément. Mais ce qui me reste et qui me fait tenir aussi dans ma propre vie est entre autres la fidélité qu’a gardé ma mère (non, elle ne s’est jamais remariée alors que mon père oui… et non…). Cela n’a vraiment pas été facile, j’en suis certaine, mais elle a eu du soutien incroyable et elle avait aussi la conviction que la fidélité et la persévérance servent à quelque chose. Le résultat… mon père est revenu, après plus de 20 ans de séparation et ils vivent à nouveau ensemble et je pense qu’ils sont heureux et que cela a pansé de nombreuses blessures. Au début, je trouvais cela très étrange, n’ayant jamais vu mes parents ensemble… et je peux dire que j’étais très sceptique à l’idée que cela tiendrait… Cela fait maintenant plus de 5 ans et je crois vraiment qu’ils s’aiment. Rien n’est parfait (qui pourrait prétendre) mais je crois que le témoignage qu’à porté ma mère (qui n’a jamais médit de mon père durant toutes ses années – j’en suis témoin) a porté fruit et maintenant, ils se soutiennent mutuellement. Je suis peut-être un cas unique… mais que j’en suis heureuse!
Qui sait quel témoignage notre fidélité peut porter. Rien n’est en vain!
Bon courage!
@Patrick
Vous nous présentez la fidélité conjugale comme une fin en soi. Je connais des couples comme ceux mentionnés par Eustache qui sont dans l’obligation de quitter leur partenaire. Prenez par exemple une femme battue par un mari alcoolique. Tout en conservant la valeur du commentaire de Louise, qu’advient-il cependant pour un foyer reconstitué avec des enfants du premier et du second partenaire ? De quelle façon peuvent-ils concrètement tenir bon à partir du moment où l’on se parle. N’est-ce pas décourageant pour eux ? Bien sûr cela n’est pas votre cas et je suis bien contente pour la chance que vous avez eue, mais tous les enfants ne sont pas dans votre situation idéale. Y a-t-il une solution pour ceux qui n’ont pas pu « tenir bon » ou que leurs parents n’ont pas « tenu bon » ? J’aimerais que vous développiez davantage votre propos de « tenir bon ». Merci.
@ Louise
Wow. J’ai les yeux mouillés. Votre témoignage est beau. Merci de nous l’avoir partagé.
@Marlène
Je comprends très bien votre questionnement car je me pose aussi ces questions et ce n’est pas évident. Le témoignage de Louise n’est peut-être pas unique mais c’est sûrement rare…
Je vois tout autour de moi et dans ma famille, de ces cas dont vous parlez, malheureusement. Je vois malgré tout le déchirement de ces familles et de ces couples désunis, reconstitués, dont les enfants sont trimbalés d’une fin de semaine à l’autre ou qui voient maintenant passer quelques « beaux-pères » ou « belles-mères » dans l’attente d’avoir enfin la bonne. J’ai aussi des gens dont les parents sont restés ensemble malgré l’alcoolisme et bien d’autres et cela a aussi apporté son lot de blessures, malgré la fidélité. Il est difficile de savoir lequel des deux « mal » est le moins pire. Je ne prétend pas trancher la questions. Je ne pense pas qu’une femme qui se fasse battre doit « rester » avec son mari… loin de là car sa survie et probablement celle de ses enfants en dépend. Je ne pense pas que c’est cas qu’on dit « extrême » sont ceux dont parle Patrick dans son texte. Il y a le gros bon sens.
Je vous apporte moi aussi mon vécu (de plus loin que Louise). J’ai une de mes tantes qui m’a apporté un témoignage impressionnant. Elle est la deuxième épouse d’un de mes oncles et c’est seulement elle que j’ai connue. Ils ont vécu de belles années ensemble, au moins 20 ans je crois, avant que oncle ne sombre vraiment dans l’alcoolisme sévère, au point d’avoir frôlé la mort à quelques reprises. Elle aurait pu le larguer et refaire sa vie car cela lui a ruiné la santé mais elle a opté autrement. Il a finalement été « placé » dans un endroit où il peut être « surveillé » et suivi médicalement et elle continu de le visiter, de s’occuper de lui, tout en gardant sa vie et sa profession. Elle n’a pas la foi, je crois, alors pourquoi fait-elle tout cela? Je crois d’abord qu’elle aime toujours l’homme qu’elle a marié, qui était bon, et avec qui elle a vécu de belles années. Elle est assez lucide pour savoir qu’il ne reviendra pas comme il était, c’est trop profond. Mais elle doit sûrement se dire que si elle lâche, il va sombrer et ne se réveillera plus. Elle lui consacre ce qu’il lui reste d’énergie pour lui, pour le soutenir. Est-ce de l’héroïsme? Oui, je le crois, car elle pourrait vivre sa vie, refaire sa santé, revenir à la joie (car c’était une personne très joyeuse). Chapeau! Ce qu’elle ne sait pas par contre c’est la force de l’impact que sa persévérance a eu sur moi et sur probablement bien d’autres car je sais que plusieurs lui ont sûrement dit de lâcher… c’est notre monde actuel! Mais je crois aussi que même si elle n’a pas la foi, Dieu lui remettra au centuple car « ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait »
Puisque la porte est encore ouverte, je me permets de m’insérer dans ce blogue. Mon propos s’adresse à Eustache.
Voici un évènement qui illustre pour moi ce qu’est la fidélité. Il s’agit de l’aventure des moines de Thibérine. En 1996 sept moines cistersiens du monastère de Thibérine, village au sud d’Alger, sont enlevés, présumément par des terroristes musulmans. Ces moines connaissaient la menace. Ils aurait pu retourner en France, ils auraient été justifiés de le faire pour sauver leur vie. Pourtant ils ont décidé de rester à leur monastère afin d’être fidèles à leur choix de vie : être présence chrétienne en pays musulman, quoi qu’il en coûte. D’avance ils ont accepté les implications de ce choix. D’avance ils ont pardonné à leur bourreau en distinguant bien l’Islam du Terrorisme. Ils ont été 56 jours en captivité avant leur exécution.
Comme tu vois ce ne sont pas des « modèles du passé », j’ai cru comprendre que tu n’en es pas friand. Leur témoignage se situe plutôt dans la problématique bien actuelle de la place envahissante qu’a pris le terrorisme dans le troisième millénaire.
Ils n’ont pas voulu être exemplaires ou héroïques; ils ont simplement voulu être fidèles à leur choix fondamental : donner leur vie à Dieu quelque soit la forme que prendrait ce don. La fidélité c’est donc aussi respecter ce qui, du plus profond de nous-même, s’est exprimé dans nos choix de vie. Se respecter soi-même finalement.
Je crois que la fidélité présente toujours une part de difficulté à surmonter, de souffrances à assumer avant de goûter à la joie que procure justement la fidélité. On ne peut pas toujours rester dans l’enthousiasme des premiers moments; sinon ce serait la « lune de miel » perpétuelle. Il y a autre chose à vivre.
@Claude
Il y a déjà quelques semaines que vous avez pris la peine de répondre à quelques-unes de mes interrogations. Je vous remercie pour votre implication et votre honnêteté. Comme vous dites, c’est une question difficile à traiter. Je vois parfois toutes ces situations familiales inextricables et j’ai l’impression parfois que l’on essaie de réparer des pots cassés qui ne peuvent être réparés. Peut-être y allons-nous trop humainement dans nos efforts et nous perdons la joie d’un engagement. Ce qui me pose question dans vos propos, c’est la phrase de votre texte : « Oui, je le crois, car elle pourrait vivre sa vie, refaire sa santé, revenir à la joie (car c’était une personne très joyeuse). Chapeau! ». Il est vrai que le Christ lui-même n’était pas très joyeux le jour de sa passion. J’espère toutefois que votre tante ne sombrera pas elle-même dans un état dépressif suite au don qu’elle fait en faveur de son mari. Ce qui me frustre, je vais vous le dire, c’est l’histoire de la samaritaine et celui du bon larron. Imaginez, elle a eu 7 maris, donc elle n’a pas « tenu bon » avec aucun… et elle se trouve confortée par le Christ qui lui pardonne et qui lui fait changer sa trajectoire de façon radicale, lui faisant goûter à l’eau vive qui ne tarit pas. Vraiment choquant pour celui qui fait de nombreux efforts de fidélité. Que dire maintenant du bon larron. Fin d’une vie où apparemment il n’a pas « tenu bon » et le voici pardonné et rendu au Royaume seulement en admettant ses torts. Un instant! «Tenir bon» une minute, et tout avoir d’un coup, faut le faire quand même. Convenez avec moi que cela est très frustrant !
@Marlène
J’ai bien souri en lisant votre réflexion… quelle injustice! Si ma mémoire est bonne, on pourrait aussi ajouter celui qui arrive en dernier pour travailler et qui reçoit le même salaire! Pas la peine de s’être forcé toute une vie pour un larron qui reçoit la même chose que moi en une fraction de seconde… Comme le bon Dieu juge-t-il? Il nous prend pour des cons ou quoi! À qui on a donné beaucoup, on demandera beaucoup… peut-être est-ce une voie de réponse? Ou est-ce qu’Il veut nous dire qu’Il sait mieux que nous que nous sommes faibles et que malgré nos écarts (exemple en fidélité conjugale), il faut s’ouvrir à Lui, revenir, reprendre courage et tenir bon jusqu’à la fin… que ce soit à une minute de la fin ou à 50 ans de là? Le pardon est toujours là mais il faut faire notre bout de chemin. La samaritaine a peut-être tenu bon avec son 5e mari jusqu’à la fin… espérons!
@Marlène et Claude
Vos propos m’ont fait aussi sourire. À vrai dire, je ne crois pas que la samaritaine soit retournée avec son 5e mari : « Je n’ai pas de mari » dit-elle. Elle savait que ce n’était pas son mari. Est-elle retournée avec son mari ? Nous pouvons croire qu’elle en avait un puisque le Christ lui a dit que celui-là n’était pas son mari. Nous ne pouvons le savoir. Je crois que l’expérience de l’eau vive a sûrement fait la différence dans sa vie. Et comme vous dites, elle a dû faire elle aussi son bout de chemin vers Dieu en lui prouvant son amour comme Marie-Madeleine qui avait été délivrée de sept démons. De là à dire que Dieu est injuste, je dirais plutôt que Dieu est bon tout simplement. Non il ne nous prend pas pour des cons, il nous invite plutôt à la miséricorde, il veut que nous soyons comme Lui, alors loin de nous considérer comme des cons, il veut plutôt nous faire grandir dans l’amour. Parlant de la justice de Dieu, celui-ci est mort pour chacun de nous pour rétablir justement la justice. Si nous ne comprenons pas bien sa justice, nous ne comprenons pas bien non plus sa miséricorde. À celui qui aura fait miséricorde, la miséricorde sera faite aussi envers lui. Voici je crois la justice de Dieu.
La question des ouvriers de la dernière heure est l’une des plus frappantes qui soient. Jésus semble se plaire à nous provoquer: il renverse nos notions de justice en introduisant le facteur de miséricorde qui semble presque s’y opposer. Vanessa le dit bien: « Si nous ne comprenons pas bien sa justice, nous ne comprenons pas bien non plus sa miséricorde. »
Je trouve que nous recoupons un peu ici la thématique de l’humilité qui a été abordée sur le blogue de Christian Tessier, car le premier niveau de difficulté de la thématique des ouvriers de la dernière heure est le problème de la comparaison. Essentiellement, les ouvriers de la première heure se comparent aux autres. Comme le dit Josh Petersen dans un de ses commentaires: « Le problème commence lorsque nous commençons à nous comparer… » (j’ai traduit de l’anglais). Il me semble en effet que le processus par lequel nous établissons nos comparaisons avec les autres est généralement défectueux car il repose invariablement sur une perception limitée et restrictive.
Dans le cas présent, les ouvriers de la première heure opèrent leur jugement en considérant le nombre d’heures travaillées. La comparaison se réduit donc à une évaluation d’ordre quantitatif : plus d’heures = plus d’argent. Ils ne tiennent pas compte de la dimension qualitative de leur implication dans le projet, ni du point de vue du propriétaire. Le fait de payer les ouvriers de la dernière heure autant que les autres relève de l’ordre qualitatif; il s’agit d’une question de salut, représenté par le denier promis aux ouvriers qui travaillent à la vigne du Seigneur. C’est donc une parabole sur le salut offert à tous selon la justice et la miséricorde de Dieu et non pas une évaluation de la valeur de l’engagement et de la persévérance.
Pour mieux comprendre les implications de cette parabole, il faut aussi se référer à celle de l’enfant prodigue dans laquelle le fils aîné a une réaction comparable à celle de Marlène, qui trouve frustrant le fait que le bon larron soit sauvé in extremis: « «Tenir bon» une minute, et tout avoir d’un coup, faut le faire quand même. Convenez avec moi que cela est très frustrant ! » 🙂
Jésus sait très bien que c’est une réaction que nous avons tous mais il veut mettre l’accent sur l’essentiel, le salut du fils cadet: « Il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! » (Lc 15:32). Dans cette parabole, Jésus introduit aussi une considération fort importante lorsque le Père fait remarquer à son fils aîné que le fait d’être demeuré avec lui représente un trésor inestimable, beaucoup plus important que la valeur du veau gras: « Le père lui dit : ‘Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi’ » (Lc 15:31). La comparaison sur laquelle se basait le fils aîné était défectueuse.
Je me demande donc ce que l’on doit préférer: donner sa vie dans la persévérance, tenir bon, être avec le Père et recevoir au quotidien le don de sa grâce, ou être sauvé in extremis…
@ J-F
J’aime votre question de la fin… je vais y réfléchir.
Cela a d’ailleurs fait ressurgir une image en moi: celles des verres. Il y a un gros verre plein et un tout petit verre plein. Les 2 verres bénéficient au final de la plénitude mais au remplissage, il y en a tout de même un qui peut « goûter » plus longtemps aux délices qui sont versés en lui…
@Vanessa et Claude
J’aime penser que de l’autre côté, il y ait une justice en relation avec la miséricorde. C’est une réflexion importante. Claude, je n’aime pas trop la question des verres remplis à différents degrés, je trouve que cela pousse à la comparaison. J’aime mieux penser à une table bien garnie, un festin de noces. J’espère un jour bien comprendre la miséricorde sur laquelle je continue à réfléchir…
@ Claude
Claude, je suis à la fois surpris et troublé de votre dernier commentaire. L’image des verres come vous dites… Je croyais que le commentaire de J.-F. Germain Carneau cherchait à nous aider à discerner ce qui appartient à l’ordre de la quantité à celui de la qualité… Dans votre exemple, les verres ne représentent que la quantité. Et si le liquide dans le petit verre était plus précieux que l’autre? Faites-vous un jugement sur la VALEUR de celui qui est sauvé « in extremis »? Et si celui-ci, dans sa « dernière heure » était plus beau que celui qui a « tenu bon »?
Dieu nous a placé sur la terre dans une vie où la souffrance et le péché sont douloureusement présent. Dieu connaissait à l’avance cette « possibilité » de notre existence à cause des limites inhérantes à notre condition et de notre liberté mais il tout de même choisi de faire la création « quand même » à cause de l’immense pouvoir restaurateur de la miséricorde qui rejoint le geste, l’élan fondateur d’amour que Dieu avait en nous créant. C’est la raison pour laquelle la miséricorde est encore plus insondable que la justice et c’est la raison pour laquelle, oui, je pense, le pécheur sauvé à sa « dernière heure » peut-être « plus beau que celui qui a « tenu bon »… Le Christ n’a-t-il pas dit: les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers?
@Jean-Jacques Ferland-Simard e.c.
Quelque chose me chicote dans votre phrase: « …la miséricorde est encore plus insondable que la justice. », ce qui revient à dire que la miséricorde est plus grande que la justice. À mon avis la miséricorde et la justice doivent s’équilibrer, sinon l’une porterait ombrage à l’autre. Nous avons tendance à les voir comme deux réalités qui s’opposent, mais au fond, la miséricorde de Dieu est infiniment juste, et sa justice, infiniment miséricordieuse. Qu’en pensez-vous?
Bonjour M. Trottier. Je pourrais facilement vous répondre que « quelque chose me chicote dans votre phrase »… car vous semblez souhaiter que la justice et la miséricorde « s’équilibre », ce faisant c’est vous qui les opposez! En effet équilibre se définit par « juste proportion entre des choses opposées… » (Robert). De plus, en affirmant que « la miséricorde de Dieu est infiniment juste, et sa justice, infiniment miséricordieuse », il me semble que les deux s’entremêlent sans merci et sans distinction. Je n’oppose pas jusctice et miséricorde, je les distingue comme appartenant à deux niveau de réalité différents. Je crois que la justice est « sondable » en ce sens qu’elle appartient à un niveau de réalité abordable à l’homme, naturel en quelque sorte. La justice fait partie des réalités de la création. Mon sentiment est que la miséricorde dépasse la justice ( je ne dis pas qu’elle est supérieure) dans la mesure où le Christ a davantage insisté sur celle-là plutôt que sur celle-ci. Ce qui nous surprend dans les évangiles, le fond de la bonne nouvelle, c’est la miséricorde. À votre tour de me dire ce que vous en pensez?
@ Suzanne et Marlène
Je n’ai pas tellement le don des mots alors peut-être avez-vous saisi seulement la question de la grosseur du verre (quantité), et c’est vrai que cela semblait porter jugement sur la VALEUR. Mais pour moi, lorsque c’est l’amour de Dieu qui rempli un verre ou l’autre, c’est l’amour de Dieu point, je ne vois pas de VALEUR autre que le prix précieux et infinie de celui-ci. Je voulais surtout mettre l’accent sur la finalité, soit la plénitude pour les deux.
C’est pas un saint ou une sainte X qui parle de cela au sens où justement, il ne faut pas comparer notre amour de Dieu car nous avons chacun une façon unique d’aimer et d’être aimé, dans la mesure où nous acceptons d’être rempli par Dieu.
Ce que je voulais dire est que la fin du commentaire de JF m’a apporté une dimension à laquelle je n’avais jamais prêté attention en entendant ce récit du fils prodigue: tout ce que le fils aîné a comme trésor. Il ne le voit pas parce qu’il compare. Bref, je poursuis ma réflexion et merci pour vos commentaires.
@ Vanessa
Simplement pour préciser mon commentaire du 5 décembre. Ma phrase qui parlait que Dieu est injuste et qu’Il nous prend pour des cons était une ironie… c’est justement l’inverse que je veux dire. C’est là que je vois que je traduis mal ma pensée en voulant mettre de l’humour.
Désolé de cette confusion.
@Claude
Je vois que ce n’est pas facile d’exprimer par écrit sa pensée. Mais cette fois-ci, vous y êtes arrivé. Je comprends maintenant très bien ce que vous avez voulu dire. Ce n’est pas facile non plus de bien lire entre les lignes. Je devrai de mon côté améliorer ma lecture et laisser à mon interlocuteur le bénéfice du doute. Merci Claude de préciser.
@ Jean-Jacques Ferland-Simard e.c. et Patrick Trottier
La justice de Dieu n’est pas celle des hommes. Ce que les hommes attendent avec la notion de salaire « juste » est de l’ordre de la justice commutative. À une action donnée correspond une évaluation et une valeur donnée. Le précepte « oeil pour oeil, dent pour dent » correspond à cette justice.
La justice de Dieu s’apparente davantage à ce que l’on appelle la justice distributive. Généralement on attribue à un gouvernant le pouvoir d’exercer cette justice qui a pour but de faire régner l’ordre dans le corps civique en attribuant à chacun ce qui lui est dû, selon son mérite. Selon St Thomas « Dieu accomplit la justice, quand il donne à chacun ce qui lui est dû selon ce que comporte sa nature et sa condition. » Dieu ayant tout créé donne à chaque créature selon la logique de ce qu’il a créé. Cette justice se rapproche de la vérité.
La miséricorde consiste à combler une déficience, une « misère ». En ce sens la miséricorde non seulement dépasse, mais fonde la justice car ce qui est « dû » à la créature ne l’est que grâce à la bonté surabondante de Dieu manifestée dans création.
St Thomas éclaire fort bien la discussion qui est en cours ici: « Dieu agit miséricordieusement, non certes en faisant quoi que ce soit de contraire à sa justice, mais en accomplissant quelque chose qui dépasse la justice. Il en est comme de celui qui, devant cent deniers, en donne deux cents en prenant sur ce qui lui appartient. Cet homme n’agit pas contre la justice, mais il agit, selon le cas, par libéralité ou par miséricorde. De même celui qui remet une offense commise envers lui; car celui qui remet quelque chose le donne en quelque manière; aussi l’Apôtre (Ep. 4,33) appelle-t-il la rémission un don, ou un pardon: « Pardonnez-vous les uns aux autres, comme le Christ vous a pardonné. » On voit par là que la miséricorde ne supprime pas la justice, mais est en quelque sorte une plénitude de justice. C’est ce qui fait dire à S. Jacques (2,13 Vg): « La miséricorde exalte le jugement au-dessus de lui-même. » » (Question 21)
@ Jean-Jacques Ferland-Simard e.c.
Au moment de vous répondre, je vois que Maurice Hanssen a écrit un commentaire auquel je vais réfléchir. Mais voici tout de même ce que je pense pour l’instant.
Je dois avoir plus d’affinités avec la Librairie Larousse! Sa définition d’ « équilibre », dans sa quatrième acception, exprime bien ma pensée : « Juste combinaison de forces, d’éléments; répartition harmonieuse ».
Mais je crois que les deux dictionnaires, en fait, se rejoignent. « Opposé » ne signifie pas exclusivement « antagoniste », il peut être entendu sous un rapport d’harmonie. Sur une voiture, le pare-choc avant est situé à l’opposé du pare-choc arrière; pourtant les deux concourent au même objectif : la sécurité des occupants. Ils font partie du même tout qu’est la voiture.
Je vois la justice et la miséricorde comme les deux bras d’une même personne, disons une mère de famille. Pendant que d’une main elle éduque ou oriente son enfant dans la vie, ce qui se rapporte à la justice, de l’autre elle encourage et console, ce qui relève de la miséricorde. Si elle éduque trop sévèrement, l’enfant s’écrase; si elle console trop, il se ramollit. Certes, cela ne dit pas tout de la justice et de la miséricorde, mais c’est ce qui me fait croire que les deux appartiennent à un niveau semblable de réalité.
Dans l’Église, il y a eu des époques où l’on faisait grand cas de la justice de Dieu, mais d’une manière oppressante, ce qui ne reflétait pas, je pense, le vrai visage de Dieu. Aujourd’hui la miséricorde est davantage mise en valeur, probablement pour compenser l’excès précédent, mais le fait-on de la bonne façon? N’y a-t-il pas le risque de l’excès contraire ?
Vous me demanderez : mais quel est ce vrai visage de Dieu? Un indice nous est fourni dans la parabole des ouvriers de la dernière heure dont il a été fait mention ci-avant, notamment par J.F. Germain Carneau qui a dit : « C’est donc une parabole sur le salut offert à tous selon la justice et la miséricorde de Dieu » Le maître de la vigne avait dit: « Je vous donnerai ce qui est JUSTE ». Or chacun sait que les derniers reçurent autant que les premiers; il écorchait ainsi notre vision de la justice. Dans un seul geste, il a fait éclater simultanément sa bonté – qui est sœur de sa miséricorde – et sa justice.
Si les enfants de Dieu sont légitimement convaincus qu’Il exerce sa justice et sa miséricorde d’une manière parfaite, ils peuvent s’appuyer sur cette certitude pour tenir bon.
I was thinking about the concept of « Tenir bon », which can be, if I am not mistaken, translated into English by ‘holding on’. Most of the discussion in the first part of this blog is focused on the value of holding on to one’s commitment. Fidelity. But, as many pointed out, sometimes fidelity is nearly impossible or at least, not easily sustained in the normal course of a commitment thus the necessity of the legal « separation ».
Strangely enough, when I first looked at this title « Tenir bon » I was more enclined to think « living on » or “holding out” because I was even more preoccupied by my own life in itself than by considerations about any form of commitment. Is it worth to hold out through all the harshness and predicaments, especially in regards of the ever difficult experience of aging? In this context « separation » is not an option because separation of ourself would mean suicide and suicide should not be part of the equation, should it? I believe not. Well then we need to « hold out” to our lives. Is it easier than holding on to a commitment? Not so, not so. And without the « separation solution » how can we cope with aging, sickness and ultimately death?
Lets picture a flower. Flower. This word brings images of beauty, stimulates our senses, colours, scents, beauty. All this beauty is for fertility. All of nature is based on beauty and also on strength for fertility. Fertility. Youth.
But when is the seed ready? It is when the flower is brown, faded or even decayed. The senses are no longer stimulated. But the seed IS there. Ready to spawn new life. Life!
Je me réjouis de l’intervention de Josh Petersen. Bien que la discussion sur la fidélité soit valable, je pense qu’elle a mené à passer à côté de l’essentiel du message de M. Trottier, qui est de tenir bon dans le projet. L’exemple qu’il donne, le pèlerinage à Compostelle, est tout à fait saisissant car il devient le symbole de notre cheminement dans le monde. Patrick pose la question, en regard des difficultés qui surgissent dans un tel projet : «renoncer?». Il dit: «nous aimons constater les fruits d’une œuvre accomplie». L’espèce de poème de M. Petersen évoque justement l’image du fruit et le thème de «tenir bon» tient d’abord et avant tout à cette idée: la persévérance, car sans persévérance il n’y a pas de fruit. Patrick nous donne un exemple de persévérance dans la fidélité de ses parents mais ce n’est qu’un exemple pour montrer le sens profond de tenir bon : persévérer.
Youth. Jeunesse. À l’occasion de la messe de Noël le Pape a affirmé: «Ce petit enfant a allumé parmi les hommes la lumière de la bonté et leur a donné la force de résister à la tyrannie du pouvoir». N’accordons-nous pas parfois trop de poids à la jeunesse de l’Enfant sans suffisamment insister sur le fait que la naissance de Jésus est d’abord la réalisation de la promesse de Yahweh tel que nous le révèle Francine Pelletier dans ses récents blogues? Ce qui me frappe dans le commentaire de Josh Petersen, dans toute sa crudité, c’est la vérité d’un fait que le Christ lui-même a communiqué à ses apôtres: si le grain ne tombe en terre et ne meurt il ne porte pas de fruit. La réalité de Jésus ne se limite surtout pas au moment de sa naissance mais se résout, pour l’avenir du monde et de l’humanité, dans la réalisation de la promesse, qui s’accomplit par l’acte de son don d’homme adulte, parce qu’il a tenu bon justement. Maturité.
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