Pèlerins de l’espace

Il paraît qu’il existe un tombeau de Marie-Madeleine à Éphèse. Il paraît aussi que, par conséquent, il ne peut y avoir de tombeau de Marie-Madeleine en Provence.

C’est bien méconnaître les fonctions cachées de l’espace. Par la porte arrière des mystères passent des signes et se tissent des liens qui sont rien moins que réels.

Une chose est certaine, il y a en Provence des présences qui traversent le temps et que l’on rencontre encore aujourd’hui, que l’on prie et que l’on aime. Que porte la légende dorée sinon la référence symbolique d’une présence puissante et efficiente de trois personnes et de leurs compagnons qui ont façonné l’histoire de la Provence autant que le soleil, la douce chaleur, les massifs odorants, les oliviers et les vignes?

La « mer au milieu des terres », la Médi-térannée, se présente comme un lien unique entre la Palestine antique et la Provence moderne. Marie, Marthe et Lazare sont venus visiter la Provence. Il ont transformé leur exil en une visite. Ils y ont été rejoints par Marie et Joseph par la porte des cieux.

Visitation

Au centre du temps, il y a l’Annonciation. L’ange visite la Vierge, épouse du Juste, et lui annonce le Commencement. C’est ici et maintenant que se réalise le projet de Dieu sur l’humanité: « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.» Et le Fruit, donné par le Père, est Dieu lui-même.

Lors de l’Annonce, Marie dit : « Je suis la servante du Seigneur; qu’il m’advienne selon ta parole ! » Il s’agit de cette même Parole qui, au commencement, présida à la Création. Dieu parla, Dieu créa. Et l’ange est envoyé en visite à Marie pour porter cette Parole. Après que Marie eut acquiescé à cette Parole, l’ange la quitta et Marie aussi quitta son lieu intime, son centre, pour une visite: « En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda.  Elle entra chez Zacharie et salua Elisabeth » (Lc 1, 40-41). Ces deux moments s’enchaînent naturellement car l’Annonciation, qui se produit au centre, appelle la visite: l’aller vers l’autre. Marie part sur les chemins.

La visite est le franchissement d’une distance. Le rapprochement. C’est l’acte fondamental de celui qui va vers l’autre. Il le rend proche, s’en approche. Il en fait son prochain. La visite, c’est la géométrie de la charité ou de l’amour. On va vers l’autre pour lui rendre hommage.

Cette distance franchie permet de se voir. On dit à l’autre: « je vais aller te voir ». Se voir, c’est se connaître, se faire connaître. Pour entrer chez l’autre, on doit aussi se faire reconnaître. On frappe à la porte. La porte est importante, elle marque la limite entre l’espace intime du chez soi et l’espace ouvert du monde. Pour visiter l’autre, il faut passer la porte. Marie entra chez Zacharie… Le visiteur passe par la porte qui lui est ouverte. «Frappez et on vous ouvrira.»

La visite, c’est aussi la visite reçue, l’accueil. L’accueil se fait chez soi, lieu de son intimité. Son centre, mon centre. Quand l’autre frappe à la porte, on ouvre. Si l’on frappe chez vous, ouvrez. On reçoit la visite de l’autre et on le sert à la table. On lui offre le gîte et le repos après l’effort du déplacement.

La Provence est donc un lieu de visite. Marthe, Marie-Madeleine et Lazare sont venus visiter la Provence, ils ont marché sur ses chemins et nous pouvons marcher à leur suite. Pèlerins de l’espace. Marie et Joseph nous ont visités à Cotignac. La femme et l’homme de Dieu sont venus. Ils sont passés par une porte des cieux. Ils sont venus nous voir et nous les avons vus. Ils ont créé, face à cette porte, des centres où l’on peut, à notre tour, les visiter. Pèlerins de la visite.

C’est à cette intersection que nous retrouvons notre bon ami, François de Sales, évêque, et Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, baronne, et leur profonde réflexion sur le sens de la visite qui fonde leur oeuvre commune, la congrégation des filles de la Visitation.

C’est ce que François et Jeanne voulaient instituer: la visite de l’autre. Comme Marie.

Mais se greffait à cette vision, tout naturellement, celle de l’accueil, incarné par Marthe, l’hôte exemplaire, l’amie de Jésus. Ils ont pensé, un moment, les appeler « filles de Sainte Marthe ».

Ces femmes devaient sortir et visiter comme Marie. Elles devaient accueillir l’autre et le servir comme Marthe. Et elles devaient être à l’écoute de l’Autre comme Marie-Madeleine. Car finalement, juste retour des choses, Marie-Madeleine, attirée par une force invincible vers le centre de sa vie, termine ses jours à la Sainte-Baume, ouvrant ainsi sans doute une nouvelle porte sur les cieux. Une porte privée, certes, mais non moins grande ouverte pour celui ou celle qui osera y passer avec le parfum précieux de son oblation et les larmes de son désir.

François et Jeanne voulaient des femmes qui accueillent et des femmes qui marchent. Des femmes qui marchent et des femmes qui prient.

Tel était donc le programme, nouveau et moderne, que François et Jeanne proposaient au monde et à l’Église. Aujourd’hui, nous marchons et nous prions, comme pèlerins, femmes et hommes, dans ces traces et ces lieux et nous pouvons rapporter chez nous les mémoires de ces visites et de ces rencontres. C’est là une des fonctions cachées de l’espace.

Ce contenu a été publié dans Capsules de pèlerinage, Inspirations, Jean-Marc Rufiange, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

1 Responses to Pèlerins de l’espace

  1. François Bernier dit :

    J’ai frappé à la porte d’une connaissance tout récemment. Dans mon esprit je ne rendais pas visite, j’allais faire une commission que je souhaitais être brève. Cette connaissance m’a ouvert la porte de son humble domicile, offert un sourire affable et invité à m’asseoir. Je me suis senti accueilli, avec une simplicité déconcertante, et dès lors ma commission brève s’est transformée en conversation prolongée. Nous avons parlé d’expériences de foi profondes, avec la chaleur d’une écoute réciproque de qualité.

    Je suis sorti de cette maison avec un sentiment de bien-être, le coeur réchauffé et joyeux. Je veux souligner ici l’importance de l’hospitalité. Les mots « hospitalité » et « hôpital » ont même racine. À l’hôpital, on soigne les personnes, on les panse, on les soulage. L’hospitalité est un beaume qui fait du bien, qui réconforte à la fois le corps et l’âme.

    Je vous souhaite de belles expériences d’hospitalité.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée.

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.