À l’occasion du centième anniversaire des apparitions de Marie à Fatima, il sera beaucoup question de ce qui s’est passé alors, des messages qui ont été confiés aux trois enfants, Lucie, Jacinthe et François, et, encore, du fameux miracle du soleil du 13 octobre 1917, phénomène dont furent témoins des dizaines de milliers de personnes. Cachée sous l’éclat de ce soleil dansant, une vision dite « multiforme » s’élaborait, dont seule Lucie put contempler l’intégralité.
Dans le récit qu’elle en fait, Lucie mentionne que, dans la première partie de cette vision: « Joseph et l’Enfant Jésus semblaient bénir le monde avec des gestes qu’ils faisaient de la main, en forme de croix »; et que, dans la seconde partie: « Notre Seigneur paraissait bénir le monde de la même manière que l’avait fait saint Joseph […].» [1]
Quelque chose m’intriguait dans ce récit. Lucie n’en était sûrement pas à sa première expérience de bénédiction. Elle connaissait la manière de bénir des prêtres, ou peut-être la bénédiction paternelle, quoique je ne sache pas si cette bénédiction était d’usage au Portugal à cette époque, ou si, par ailleurs, il existait une bénédiction maternelle. Ce que je peux dire, c’est que la bénédiction dite paternelle telle que je la connais se donne habituellement par imposition des mains et non en formant une croix, ce qui est plutôt l’usage pour la bénédiction dite sacramentelle donnée par les prêtres. Il me semblait donc qu’il aurait été tout à fait naturel que Lucie compare la bénédiction de Jésus « Notre Seigneur » opérée « avec des gestes de la main, en forme de croix » à celle, par exemple, de « Monsieur le Curé ». Puisque cela n’a pas été le cas, c’est donc qu’il y avait une différence « perceptible », que l’enfant dans sa candeur évangélique a pu saisir et retenir. Mais de quel ordre était cette différence? La question est demeurée en suspens un certain temps dans ma tête.
L’événement du 13 octobre 1917, me suis-je dit, est certainement impressionnant en lui-même, mais il se situe dans un contexte qui doit lui aussi être significatif, puisqu’il a surgi dans l’Histoire en un lieu et un temps précis.
Ce qui m’a frappée tout d’abord, c’est qu’il s’est produit dans un village chrétien et même catholique, sur le territoire d’une localité au nom d’Islam, puisque « Fatima », qui est le nom de la fille bien-aimée du prophète Mahomet, était, à ce qu’on dit, le nom d’une princesse musulmane convertie au christianisme qui avait vécu dans cette région. Puis, par je ne sais quel chemin de questionnement, j’en suis venue à me demander quel était le jour de la semaine correspondant au 13 octobre 1917. Il s’agissait d’un samedi. Tout de suite, on pense à la tradition qui fait, de ce jour, celui de Marie. Une apparition mariale en un jour qui lui est dédié fait certainement sens. Mais, tout à coup, j’ai réalisé … un SAMEDI! Cette bénédiction à la manière de Joseph, qui est patron de l’Église catholique, se manifeste à Fatima, nom vénéré par les musulmans, un samedi, c’est-à-dire le jour du SHABAT, jour béni par excellence dans le judaïsme. La coïncidence m’a stupéfiée.
J’ai déjà relevé la dimension prophétique du fait que Mariam ait choisi Fatima comme lieu d’apparition et, donc, qu’elle impliquait non seulement les chrétiens mais les musulmans dans sa démarche (Fatima au coeur du monde). Je m’aperçois maintenant que l’Événement survenu à Fatima, le jour du Shabat 13 octobre 1917, porte un message qui concerne non seulement les chrétiens catholiques (tous les chrétiens, en fait) et les musulmans, mais encore, d’une manière toute particulière, le peuple juif.
À partir de ce repositionnement dans le temps et l’espace, la bénédiction de Joseph m’est apparue comme ouvrant des avenues de compréhension inédites du message prophétique de Fatima, pour NOTRE monde et NOTRE temps.
L’une des premières avenues est de réaliser que les acteurs principaux de l’Événement de Fatima sont des membres éminents du peuple hébreu et qu’il ne s’agit pas, encore une fois, d’un détail anodin. Or, l’usage de leurs noms francisés: « Marie », « Joseph » et « Jésus », finit par éclipser cette réalité. L’oubli récurrent de Joseph et l’oubli de sa judaïté me semblent d’ailleurs aller de pair. Pourtant, il est tout à fait justifié de penser que « Iôçeph » tout comme « Mariam » et « Iéshoua » (leurs noms, selon une certaine transcription en hébreu) manifestent dans leur « manière » d’être et d’agir les traits de leur peuple, le Peuple élu par Dieu/Élôhïm lui-même.
Dans cette perspective, la question plus précise que je me suis posée est la suivante: Iôçeph manifesterait-il dans sa manière de bénir le monde à Fatima le caractère et même la vocation d’Israël ?
Pour saisir le sens et la portée de la bénédiction de Iôçeph à Fatima, il faut savoir que la bénédiction chez les juifs n’est pas de l’ordre d’un rituel sacramentel comme dans le catholicisme. Concrètement, le jour du Shabat est initié par la femme – donc, Mariam – qui préside à l’allumage des chandelles, geste symbolique rappelant le jour UN de la création, lorsque Dieu/Élôhïm a dit: « Que la lumière soit! ». Il revient au père de famille – donc, à Iôçeph – de bénir sa maison au retour de la synagogue. La bénédiction de Iôçeph n’est donc pas la bénédiction d’un rabbin/prêtre.
La bénédiction chez les juifs prend son sens initial et, je dirais, ontologique dans la Création même. Celui qui bénit, fondamentalement et essentiellement, en tous temps et lieux, c’est Dieu/Élôhïm, qui inscrit dans sa création une bénédiction dont la dynastie humaine, exercée Homme! et Femme!, est établie médiatrice:
Et bénit eux, Élôhïm, et dit à eux: fructifiez et multipliez et remplissez la terre et (la) conquérez et dominez sur les poissons de la mer et sur l’oiseau des cieux et sur toute vie qui ondule sur la terre. (Gn 1:28)
Toute bénédiction prend donc sa source dans cette bénédiction du Commencement. C’est pourquoi aussi toute bénédiction chez les juifs commence par la reconnaissance envers Dieu, que l’on bénit (dire du bien) pour l’un ou l’autre de ses dons. Et il y a davantage. La seconde partie de la bénédiction consiste à bénir le jour « à venir » où ce don atteindra sa plénitude. Ce jour correspond au Jour le Septième de la Création, c’est-à-dire le Shabat, le dernier Jour, le seul Jour qui fasse l’objet d’une bénédiction propre d’Élôhïm. Car il constitue l’Heure juste, le Jour Saint, le Jour du Seigneur lui-même:
Et bénit, Élôhïm, le jour le septième. Et il sanctifie lui car en lui il se retire… (Gn 2:3)
« Iôçeph, fils de David… » C’est ainsi que l’ange, dans un songe (Matthieu 1:20), s’est adressé au Juste, époux de Mariam. La bénédiction de Iôçeph est fondée sur les « générations » (Tôledot, en hébreu), car Iôçeph est « fils de », et elle est fondée sur une « dynastie », car il est fils du roi David. Elle émane ainsi de la bénédiction attribuée à la famille et à la lignée de David (Luc 2:4), de laquelle devait naître, par promesse divine, un roi dont le règne n’aurait pas de fin.
Cette bénédiction a des RACINES qui remontent, selon la généalogie que l’on trouve chez Luc, jusqu’à ADaM et jusqu’à Dieu/Élôhïm lui-même, ainsi que des RAMEAUX qui, à partir d’Abraham (généalogie de Matthieu), s’étendent jusqu’au Christ, le Messie-Roi incorporant dans sa propre filiation toutes les nations.
Fondée sur une généalogie familiale et, qui plus est, dynastique, la bénédiction de Iôçeph à Fatima lors du Shabat 13 octobre 1917 comporte une symbolique qui embrasse toute l’Histoire du premier au dernier jour, dans son Commencement comme dans sa Fin.
Ces quelques réflexions ne donnent qu’une petite mesure encore, j’en conviens aisément, de la densité mystique de la bénédiction de Iôçeph à Fatima. Mais cette densité a dû être telle, à mon sens, qu’il n’est pas surprenant que Lucie, qui était au coeur même de l’événement, en ait intérieurement et profondément ressenti l’effet, au point que celui-ci surpasse en elle sa perception habituelle d’une bénédiction, et qu’elle ait pu, en conséquence, percevoir aussitôt et nettement la manière de bénir de Iéshoua en filiation de celle de Iôçeph: le Fils de l’Homme bénissant le monde de la même manière que le fils de David.
(À suivre)
[1] Extrait de « Lucie raconte Fatima » (traduction intégrale des «Mémoires de Soeur Lucie», présentation Dom Claude Jean-Nesmy, o.s.b., traduction R.P. Reginald Simonin, o.p., 1976 (2e édition), Fatima-Éditions-Desclée de Brouwer, p.168.
Bonjour Francine
J’ai bien apprécié votre réflexion sur la signification mystique de la journée, choisie par la Vierge, pour se manifester et présenter Joseph, tenant Jésus dans ses bras, tout en bénissant le monde. J’ai poussé ma curiosité un peu plus loin sur la signification des dates. Les apparitions de la Vierge ont toutes eu lieu un 13 du mois. Mais il y a une exception à cette « règle » qu’avait établie Marie avec Lucie, Jacinthe et François: l’apparition du 19 août 1917, un DIMANCHE. Est-ce que Marie a choisi ainsi le DIMANCHE parce que c’est à ce moment qu’elle annonçait aux enfants qu’elle donnerait un signe le 13 octobre, et qu’elle apparaîtrait en compagnie de Joseph et de Jésus, pour « donner la paix au peuple et bénir le monde »?
Or pour nous catholiques, DIMANCHE est le jour du Seigneur, jour d’action de grâces et de commémoration du sacrifice pour le salut du monde. La Vierge insiste auprès des enfants sur l’importance de la « communion » au sacrifice de son Fils: « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âme vont en enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles. »
Christian L.
Bonjour Francine,
Soyez assurée que mon commentaire précédent ne veut d’aucune façon diminuer l’importance de la bénédiction de Joseph, le samedi (Shabat) 13 octobre 1917, tel que vous l’avez démontrée dans votre texte. Je voulais simplement faire un constat au niveau des dates.
Christian L.