Flashback: Du point de vue biblique, le voile exprime d’une part, que les attributs de Dieu sont inaccessibles à l’être humain, et d’autre part, que Dieu «sous son voile» veut se montrer, se dévoiler, mais sans que meure celui ou celle qui le voit. Ceci s’est exprimé concrètement par un voile: le parokhet. Ce voile protégeait l’arche d’alliance et séparait le saint des saints du reste du Temple de Jérusalem. (Voile et dévoilement: 1-Le parokhet)
Au moment où le Christ meurt en croix, le voile du Temple se déchire, de haut en bas. Du point de vue chrétien, ce dévoilement de Dieu implique une transformation de notre part, comme l’a bien saisi Paul de Tarse qui témoigne:
[…] et non comme Moïse, qui se mettait un voile sur le visage pour empêcher les enfants d’Israël de voir la fin de ce qui était passager…
Mais leur pensée s’est obscurcie. Jusqu’à ce jour en effet, lorsqu’on lit l’Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n’est point levé; car c’est le Christ qui le fait disparaître.
Oui, jusqu’à ce jour, lors de la lecture de Moïse, un voile est posé sur leur cœur.
C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe.
Car le Seigneur, c’est l’Esprit, et où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.
Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, toujours plus glorieuse, comme il convient à l’action du Seigneur, qui est Esprit. (2 Co 3, 13-18)
S’il en est ainsi, porter un voile empêcherait de refléter sur notre visage cette gloire du Seigneur… Avant de conclure en ce sens, parcourons brièvement son histoire.
– Petit historique du voile
Le voile, au contraire de ce qu’on en pense généralement, n’est pas spécifiquement islamique: il remonte à l’Antiquité.
Pour les hommes ou les femmes, le voilement de la tête exprimait une consécration, une oblation, envers les dieux ou la patrie. On adorait les dieux la tête couverte, par humilité. Ainsi, la kippa, portée par les Juifs, exprime l’autorité suprême de Dieu sur celui qui la porte.
On se voilait aussi pour créer une sorte d’intimité avec Dieu, s’isoler avec lui, ou encore, pour se purifier, comme si se voiler exprimait le désir d’entrer plus profondément en soi-même.
Du côté des femmes, en plus de la consécration au culte, le voile pouvait indiquer le fait d’être marié. Au Proche-Orient antique, le port du voile était aussi le privilège des femmes libres, à la différence des esclaves.
Le voile, particulièrement en ce dernier sens, a pu représenter un certain affranchissement pour les femmes. Bien mince cependant, car dans l’Antiquité, elles étaient considérées comme inférieures aux hommes, comme on peut le lire chez nos grands philosophes, Aristote et Platon…
Chez les Grecs anciens, on cachait la femme et, en même temps, on la dénudait aussi:
À l’autre extrémité du temps, un silence d’un autre genre, c’est celui des femmes grecques. […] Le voile des femmes, dans le passé grec comme ailleurs et en d’autres temps, s’accompagne de leur silence, il en fait des créatures invisibles, les exclut du monde de l’échange. Dans l’espace masculin, on regarde la femme cachée qui passe, mais on ne la voit pas, évidemment on ne lui parle pas. […] Elle est visible, mais invisible. (p. 128)
Un des aspects du rapport de l’art grec avec le voile peut être exprimé ainsi: «Dans les rues des villes grecques, les femmes étaient couvertes; dans l’art, elles sont, pour la plupart, découvertes et exposées». (p.129)
(résumé du livre «Femmes voilées, les Grecs aussi» de Lloyd Llewellyn-Jones, par Pierre Brulé )
Chez les Romains, la femme restait mineure toute sa vie. Les vestales, par contre, du fait qu’elles se consacraient au culte, avaient le privilège d’être affranchies de l’autorité paternelle. Elles portaient alors le voile, comme la divinité Vesta, qui était représentée voilée.
En Palestine, au temps de Jésus, les femmes mariées portaient le voile. La Torah n’en fait pas une prescription, mais il semble bien que les femmes des temps bibliques le portaient. C’est dans la même foulée qu’il était porté, chez les premiers chrétiens, par les femmes qui se consacraient à Dieu, tradition qui perdure chez certaines religieuses catholiques.
– Le voile aujourd’hui
Le voile est encore largement présent aujourd’hui, porté de manière plus ou moins intégrale, surtout dans le monde musulman.
Il revêt pour les femmes qui le portent de multiples significations, allant de l’affirmation identitaire (comme cette jeune québécoise devenue musulmane qui affirmait se sentir plus près ainsi des valeurs de sa grand-mère…), à une certaine soif d’absolu, en passant même parfois par l’expression d’un désir d’esthétisme.
Par contre, même si des femmes qui le portent affirment ne pas se sentir dominées, le voile n’en reste pas moins la trace d’une lourdeur qui pèse sur la femme depuis longtemps, un certain «odieux» qui l’accompagne partout.
C’est en justifiant ce rapport asymétrique entre homme et femme, qu’on a, au cours des âges jusqu’à aujourd’hui, vendu et acheté la femme, qu’on l’a fait taire, ou dévoilée violemment par le viol rituel ou culturel, ou encore, tout simplement, cachée. Pensons entre autres, aux photos saisissantes des femmes afghanes complètement voilées.
Le voile qui cache la femme permet de la mettre au silence. Pour la protéger, la préserver? La séparer en quelque sorte de l’homme?
– L’enjeu du rapport homme et femme
S’il est destiné à passer, l’histoire allant dans ce sens, le voile tombera, non sans résistance, ni heurts parfois violents. Le bouillonnement actuel du monde arabe en est peut-être l’un des signes.
Le travail n’est pourtant pas à faire seulement dans le monde arabe. Chaque être humain y est convié: faire advenir le vrai visage de l’humanité, homme et femme.
L’apôtre Paul dit en effet aux chrétiens:
[…] baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ: il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme. (Galates 3, 27-28)
L’homme et la femme demeurent, et demeureront, mais ce que dit Paul, c’est que leur rapport est appelé à se transformer: «car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.»
Le rapport homme et femme a presque toujours eu tendance à s’exprimer dans l’humanité par des comportements relevant du désir et de la domination, et ce depuis la Genèse. (Genèse 3, 16)
Que l’on soit chrétien ou non, le regard que nous portons, hommes ou femmes, les uns sur les autres, n’est-il pas à changer de l’intérieur?
Quand je regarde les rapports hommes femmes dans l’histoire, je me demande pourquoi ça évolue si lentement. Mais le travail à faire est énorme.
Je sais que je dois commencer par changer mon propre rapport, et c’est très exigent.
Comme modèle, je prends Marie et Joseph. J’essaie de regarder les autres à leur manière…et pour moi, c’est impossible sans la prière.
Il y a deux mille ans, Marie et Joseph ont vécu sans désir ni domination, presque secrètement.
On peut penser que sûrement et secrètement, on se rapproche du rapport homme-femme rétabli dans le monde…