Imaginez-vous que tout brûle. Vous n’avez plus rien. Votre dépendance aux événements et à la charité des autres est totale: c’est une question de vie ou de mort. C’était bien la condition de la Huronie chrétienne fuyant la Baie Georgienne en direction de Québec au moment de l’attaque iroquoise de 1650. Quelque 300 Hurons établirent leur campement à proximité des premiers habitants de Québec et bénéficièrent d’un accueil inconditionnel de la part des hospitalières, jésuites et ursulines qui leur fournirent nourriture et vêtements.
Quelques mois plus tard, durant le temps de Noël 1650, une tragédie secoue les modestes festivités de la jeune colonie. Les «Saintes filles» (c’est ainsi que le chef des Hurons Taïraronk surnommait les ursulines) voient leur demeure et la presque totalité de leurs biens détruits par le feu. La désolation et la compassion s’emparent de toute la petite population des premiers habitants. Chacun ouvre la main pour secourir la communauté et les petites filles françaises et amérindiennes qu’elle abritait.
L’un offrait une serviette, l’autre une chemise, l‘autre un manteau, un autre nous donnait une poule, un autre quelques œufs… Parmi tant de témoignages de compassion, nos cœurs étaient attendris au dernier point, nous dit Marie Guyart de l’Incarnation.
Le journal Relations des Jésuites nous rapporte que «Le désastre des ursulines toucha profondément les enfants des bois». Ceux-ci venaient de tout perdre par la guerre et le feu et se trouvaient extrêmement démunis. Ils avaient installé leurs huttes dans la ville, près de l’Hôtel-Dieu et subsistaient de la charité publique. Que pouvaient-ils faire? Comme à l’habitude, les Amérindiens tinrent un long conseil. Tour à tour chacun exprimait une même volonté de fournir quelque sympathie et soutien dans les circonstances. On se rendit chez les hospitalières qui avaient fraternellement accueilli les sinistrés. Le chef huron Taïraronk prononça alors au nom des siens un discours plein de considération à l’intention des ursulines. Voici quelques extraits tirés du discours du chef qui nous font découvrir non seulement la compassion qu’ils éprouvaient mais qui témoignent aussi de la profonde compréhension qu’ils avaient de l’engagement chrétien des ursulines dont ils se reconnaissent bénéficiaires.
Avoir vu brûler cette belle maison de Jésus, avoir vu réduire en cendres cette belle maison de charité, y avoir vu régner le feu sans respecter vos personnes, saintes filles qui l’habitiez… Saintes filles, vous voilà réduites à la même misère que vos pauvres Hurons, pour lesquels vous avez eu une compassion si tendre. Vous voilà sans patrie, sans maison, sans provisions et sans secours, sinon du ciel que vous ne perdez jamais de vue… Nous avons vu que votre courage n’a pas été abattu sous les ruines de cette maison…
Deux colliers de porcelaine qui avaient été réchappés de la destruction seront offerts par les Hurons. Ces colliers sont précieux pour les Amérindiens. Les grains symbolisent les ententes, les alliances contractées. De même ils représentent aussi leur sympathie, et sont offerts pour consoler dans les moments plus pénibles.
La texture de ce moment dépasse tout partage matériel. L‘extrait suivant montre bien le sens de leur geste: la jeune Église huronne veut les conforter dans ce projet de mission canadienne.
Pour affermir vos résolutions… disent-ils (Celles d’avoir quitté famille et pays pour venir leur enseigner la foi chrétienne) voici un présent de 1200 grains de porcelaine, qui enfoncera si bien vos pieds en ce pays, qu’aucun amour de vos parents ou de votre patrie, ne puissent les en retirer. Le second présent que nous vous prions d’agréer, c’est un collier semblable de 1200 grains de porcelaine pour jeter les fondements d’un édifice qui sera encore la maison de Jésus, la maison de prières, et où seront vos classes dans laquelle vous puissiez instruire nos petites filles huronnes. Ce sont nos désirs et ce sont aussi les vôtres…
Quelle communion intense devait animer nos ancêtres amérindiens et français unis dans la foi en ces évènements difficiles de Noël 1650!
Catherine Jean
Wow! Toute une perle ce récit! On devrait le raconter dans les cours d’histoire!
Merci beaucoup Madame Jean pour vos recherches. C’est très édifiant et touchant.
Bonjour Mme Jean,
C’est la première fois que j’ai vent de ce récit. Quelle beau témoignage réciproque dans notre fondation – ça replace un peu la perception un peu rapide qu’on se fait à la fois des hurons et, qui sait, des ursulines. La compassion (et la communion) entre ces deux « tribus » est touchante et inspirante.