Les trois sujets proposés par nos lectrices et lecteurs que je vais aborder ont en commun de révéler un certain malaise à l’égard de ce que la religion catholique peut avoir de rébarbatif pour nos contemporains :
- une sainteté qui se présente sous le signe du tourment intérieur (semaine du 21 février)
- une Église sans vie (semaine du 28 février)
- un enseignement contraignant pour la liberté (semaine du 7 mars)
Semaine du 21 février : La sainteté en souffrance
Ce sujet a été proposé par Nancy (mardi 22 février 2011 – 14:53)
« On m’a parlé dernièrement de mère Thérésa qui a vécu 50 ans dans des troubles intérieurs profonds, se demandant même si Dieu existait. Je pense aussi au frère André, Mary MacKillop et tous les autres. Je regarde aussi autour de moi. Comment se fait-il que ceux et celles qui aiment et servent Dieu sont soumis à de si grandes souffrances. Pourtant, il nous a fait pour la joie, l’abondance et le bonheur et pourtant la vie des saints et saintes en est une de souffrances et de très grandes souffrances. N’est-ce pas contradictoire? Est-ce possible d’être saint en ayant une vie simple et heureuse? »
Considérant que Nancy apporte déjà plusieurs éléments propices aux échanges, il tiendra lieu de blogue de départ. Je fais moi-même un premier commentaire ci-dessous. Joignez-vous à nous!
Colombe LeRoy
Nancy,
vous nous invitez à réfléchir sur la sainteté en relation avec la souffrance. On peut traiter ce sujet sous différentes facettes. Entre autres, vous demandez : « Est-ce possible d’être saint en ayant une vie simple et heureuse ? » Je me suis dit : pourquoi ne pas poser la question autrement ? Est-il possible de vivre une vie simple et heureuse sans souffrance, que l’on soit saint ou pas ?
Personnellement, je conçois que la souffrance est naturelle. Dans bien des cas, elle sert de feu rouge. Elle avise et protège de bien des maux qui pourraient éventuellement menacer même notre vie s’ils n’étaient pas détectés. Pensons seulement à nos sens. Nous ne pouvons imaginer par exemple l’absence de la sensation de brûlure qui sonne la cloche si nous nous approchons d’un rond chaud. Si nous avons un mal de tête ou un mal d’estomac, c’est qu’il y a des causes. Feu rouge ! Sur les plans psychologique et spirituel, je crois que c’est le même phénomène. Un malaise, un trouble, une angoisse ? Feu rouge !
Éliminer toute souffrance, selon moi, ce serait comme marcher sans balises, sans signaux. Peut-être que les saints ont davantage de signaux justement pour les aider à avoir une vie plus simple et heureuse.
Madame LeRoy,
Je n’avais jamais vu la souffrance de cette façon. Je me demandais justement comment l’accepter quand elle arrive et surtout pourquoi l’aimer.
De la voir comme un sens me la rend tout à fait naturelle, comme faisant partie de ce que je suis, sans aucune amertume, mais plutôt une sécurité.
Mais j’ai encore de la difficulté à concilier que les saints (es) aient vécus des souffrances intérieures aussi intenses. Le feu rouge n’est-il pas un peu trop persistant et transperçant?
Merci pour ce commentaire qui m’aide à comprendre une réalité complexe et merci à Nancy d’avoir lancé le sujet.
Evelyne
Ouais, la foi ne met pas à l’abri des difficultés et souffrances. Chose certaine, affirmer que les saints vivent de grandes souffrances anéantit les arguments des non-croyants qui disent que la religion est un refuge pour ceux qui veulent fuir les difficultés de la vie.
Bon point Eustache. De quoi faire réfléchir ceux qui pensent comme Karl Marx qui la religion n’est qu’un refuge des apeurés!
Sauf que moi, ça me fait un peu peur quand même cette question de souffrance. Quels sont donc les « ronds de poële brûlants » de la vie intérieure? Moi, il me semble que les lumières qui allument sont plutôt les vertes qui m’orientent vers une plus grande facilité, un plus grand confort…
Bonjour Mme Le Roy,
J’ai suivi votre équipe depuis les débuts. J’ai toujours apprécié vos écrits ainsi que les écrits des autres collaborateurs. Chacun à votre façon, donnez de la matière à réflexion. Je vous en remercie car j’en ai profité grandement.
J’aimerais vous partager une réflexion que je me faisais suite à votre commentaire.
Vous posez la question : « Est-ce possible de vivre une vie simple et heureuse sans souffrances que l’on soit saint ou pas? »
J’ose m’avancer en disant non. Je crois que c’est impossible d’être heureux sans avoir certaines souffrances. Si l’on regarde seulement le premier événement de notre vie : la naissance : il y a une grande joie à la naissance d’un enfant, mais il y a aussi des souffrances de la part de la mère et de l’enfant.
Saint ou pas, le vrai bonheur est relié à la souffrance. Pour être heureux, il faut aimer, aimer c’est se donner, s’ouvrir à l’autre donc abandonner son « Égo ». Nous n’avons qu’à regarder autour de nous. Ceux et celles qui sont remplis de leur « Égo » ou, sont à la recherche de satisfaire leur « Égo », ne sont pas vraiment heureux, ils sont toujours à la recherche du bonheur, jamais satisfaits, donc ils souffrent et en plus ils sont malheureux! Les pauvres!
Mais vous savez se détacher de son « Égo » c’est tout un exercice qui nous fait souffrir! Par contre c’est là que l’on trouve le vrai bonheur!
Madame Marchio,
J’ai peur moi aussi. Je me dis toutefois qu’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père et que Dieu ne demande jamais ce qui est au-delà de nos forces.
La souffrance a toujours été et demeure une pierre d’achoppement pour les croyants et les incroyants. Ce sera toujours une « folie » pour les yeux de notre « sagesse » trop humaine
Parfois elle peut servir de feu rouge pour éviter un mauvais chemin, c’est très intéressant de la voir ainsi. Mais ce n’est certainement pas toujours le cas. Le Christ nous a sauvés par la croix (quelle folie!) et Il n’avait pas besoin de «feu rouge ». Marie, (bien-aimée et bien-heureuse) à qui Siméon a prédit « qu’un glaive de douleur » la transpercerait , n’avait pas besoin de « balises».
Et si la souffrance des saints et saintes avait un autre sens? Leurs vies sont données à Dieu, N’est-ce pas normal qu’Il agisse avec eux comme il a agit avec Jésus et Marie, leur donnant de participer à l’oeuvre du salut? Salut personnel et salut de l’humanité? Avec les mêmes moyens: la souffrance acceptée et offerte.
Mais j’imagine que pour en arriver là il faut beaucoup désirer communier à la vie de Dieu. Devant un grand désir aucune souffrance n’est trop grande pour atteindre un objectif.
Merci à M. Marchand et à Gaby pour vos commentaires. Je partage votre point de vue sur la souffrance. Pour moi, la souffrance est très complexe et comporte plusieurs aspects. Oui, je peux la concevoir comme un feu rouge, mais je crois que la souffrance est là pour être offerte, pour être objet de maturation et de cheminement dans la vie. Personne peut prétendre ne pas souffrir: on perd des être chers, on vit des « brouillards » intérieurs, notre corps fait défaut etc. Et à chaque fois, si cette souffrance est bien vécue, bien offerte, la personne en sort grandie. Je crois aussi, comme le mentionne M.Marchand que la souffrance peut être un outil pour se décentrer de soi et cela nous apporte le vrai bonheur. En plus, en s’oubliant soi-même, on oublie notre souffrance et cela nous aide à la vivre.
Merci pour ces réflexions, ces idées.
Je vois que certains ici parlent « d’offrir sa souffrance ». C’est un idée classique du catholicisme traditionel. Est-il possible de parler de la souffrance et même de la faire comprendre sans référer à ce concept? Un athée peut-il accepter sa souffrance? Puisque la souffrance est une expérience universelle, la question se pose.
Peut-on mettre sur le même pied de compréhension la sainteté et le bonheur? Si tous les saints ont souffert, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas été heureux.
Tant de personnes ont écrit au cours des siècles sur le sujet; je n’ai pas d’exemple patent, le Christ fut-il malheureux, Marie fut-elle malheureuse, Joseph était-il malheureux de partir pour l’Égypte de nuit, le Christ n’a-t-il pas dit qu’il désirait d’un grand désir de boire à la coupe, les moines de Tibérine qui ont été enlevés et décapités étaient-ils malheureux?
Le film à l’affiche présentement , Des dieux et des hommes, nous présentent sept personnes qui avaient choisi de suivre le dessein que Dieu leur avait tracé et ne respirent d’aucune façon, des secousses intérieures que l’on pourrait associé au fait de ne pas être heureux.
Tous vos propos me font réfléchir et m’amènent à vous partager une interrogation que je porte depuis longtemps. C’est au sujet de l’expression « offrir ses souffrances à Dieu ». Je ne vois pas pourquoi je lui offrirais une souffrance. Ce langage me parait porter une part de dolorisme: il me semble ne pas traduire en profondeur et de façon satisfaisante les liens qui existent entre Dieu, nous et la souffrance. Comme s’il y avait dans cette expression des résonnances de sacrifice, au mauvais sens du terme. Je vois une piste dans le fait d’accepter la souffrance, dans une maturité, comme si l’accepter était déjà être en » travail d’avènement « .
Merci Josée et Jurgen de pousser plus loin la réflection sur la souffrance. Je me suis demandée cette semaine comment un athée pouvait vivre la souffrance. Je ne crois pas qu’il peut y avoir autant de sérénité à moins d’accepter sa souffrance mais, pourquoi l’accepter si il n’y a rien à gagner?
Premièrement, existe-t-il vraiment des athées??? C’est déjà une souffrance en soi! Peut-être voient-ils « l’acceptation » de la souffrance comme un accomplissement plus parfait de la maîtrise du « soi », une épreuve à gagner pour montrer qu’ils « grandissent » car devant notre souffrance, on constate qu’on ne peut contrôler tous les aspects de notre vie, de notre corps.
Alors pour un croyant, le but doit être autre j’imagine. Ah! quel mystère que ce Dieu qui s’est fait homme jusqu’à la souffrance.
@Suzanne Marchio
Envisager la sainteté uniquement dans une perspective de souffrance, alors oui, il y a de quoi avoir peur. Loin d’être en désaccord avec vous, je crois que des moments de « facilité » sont aussi nécessaires, pas seulement les ronds de poêle brûlants; ces « feux verts » peuvent, à l’occasion, être une confirmation que nous marchons sur la bonne route. Ce que je veux dire par les « ronds de poêle brûlants », c’est que, si on quitte la route, on peut s’en apercevoir, le sentir : il y a une certaine souffrance qui surgit. La « brûlure » peut être aiguë dans certains cas, mais elle peut être plus subtile (les feux jaunes ?), comme ces malaises que l’on ressent dans certaines situations et qui font que l’on est mal dans sa peau. On sent intuitivement que quelque chose ne tourne pas rond. Et c’est tant mieux ! C’est le temps de s’arrêter et de reconsidérer la marche à suivre. D’ailleurs, après un feu rouge, il y a toujours un feu vert…
@Josée Lacoursière
Je crois qu’il y a de fait dans cette expression « des résonnances de sacrifice, au mauvais sens du terme ». Nous sommes passés d’une valorisation excessive de la souffrance à l’élimination complète de la souffrance. Et cela nous pose problème. Nous ne voulons pas revenir à des conceptions fausses. Mais pourquoi le Christ a-t-il accepté de mourir sur la croix ? Si la souffrance n’a aucune valeur en soi, ce serait une mauvaise décision de sa part. Pourquoi aussi les martyres ? Je crois aussi que lorsque nous offrons nos vies, nous n’offrons pas seulement notre souffrance, nous offrons toute notre vie. Nous parlons ici de souffrance parce que nous essayons de la cerner davantage mais ce n’est qu’une réalité parmi tant d’autres.
@Josée Lacoursière
En lisant votre commentaire, une phrase d’une chanson populaire m’est venue en tête et cela n’a rien de religieux, c’est plutôt dans le cadre d’une réflexion sur la cause d’une rupture d’une relation à deux: « We always shared the laughters but we never shared the tears ». L’auteur amène une réflexion très concrète que chacun peut vivre dans ses relations avec les autres ou avec Dieu et qui, je trouve, rejoins un peu votre commentaire.
J’aime bien votre terme « d’accepter » mais je trouve cela un peu « résignant », sans être fataliste du tout. Je comprends très bien que vous voulez plus dire « se prendre en main » et poursuivre la route mais dans mon cas, j’ai déjà un esprit qui me pousse à « tout faire par moi-même » et dont le terme « d’accepter » résonne un peu comme un sens unique dans ma tête. Alors que le terme « offrir » (qui a effectivement été servi à beaucoup de sauces), appelle chez moi, un mouvement d’ouverture, un cri du coeur qui demande à ce que Dieu vienne remplir la pauvreté de son coeur. « Venez à moi vous tous qui ployez sous le fardeau, et vous trouverez du repos ». Alors pour moi, « offrir » n’est pas image de dolorisme mais de libération, de paix. Bonne quête!