« D’après la Congrégation pour les sacrements et le culte divin, il faut éviter d’en arriver à une inflation du sanctoral ». Cette raison quelque peu obscure pour quelqu’un qui ne connaît pas le langage des « Congrégations romaines » (« ministères du Vatican », pourrait-on traduire) a été évoquée pour justifier le retrait de la mention de Joseph comme « patron de l’Église universelle » à la solennité du 19 mars, dans le nouveau calendrier liturgique de 1962. Depuis lors, au niveau de l’Église universelle, on ne célèbre que Joseph « époux de Marie ».
Fêter Joseph à la fois comme époux de Marie et patron de l’Église universelle suffirait-il à surcharger le « sanctoral », c’est-à-dire le calendrier des fêtes de saints ? À ma connaissance, personne n’a répliqué ouvertement à cet argument futile, mais on n’en pense pas moins, du moins je l’espère. Par exemple, les Carmélites de Thérèse d’Avila font état de cette mesure visant, dit-on, à contrer l’inflation du sanctoral, mais elles prennent soin de rappeler que Joseph demeure « patron de l’Église universelle ». En effet, Joseph demeure officiellement « patron de l’Église universelle », il n’a tout simplement plus de fête qui le célèbre. Étrange, non ?
Cette situation étrange amènera d’ailleurs l’auteur d’un mémoire de joséphologie (étude de la dévotion à Joseph) à faire le commentaire suivant :
Si St Joseph est toujours Patron de l’Eglise universelle, mais que des hommes d’Église le cachent… les fidèles ne peuvent développer leur dévotion… et encore moins se mettre à l’écoute du « Maître à prier » de Thérèse d’Avila, pour agir en conséquence, dans leurs familles d’abord, dans leur travail et la société ensuite. (Jacques Doublier-Villette)
Voici mon interprétation des choses.
Je disais dans une réponse à Hélèna, l’une de mes commentatrices (« Le biographe et son biographié ») :
Politiquement, j’ai remarqué que les enjeux les plus importants suscitaient les résistances les plus grandes. Alors je conjecture : l’essentiel ne serait pas le plus loué, mais ce que l’on tait, ce que l’on méprise, ce que l’on essaie de faire passer au second plan, de rendre plus « assimilable », parce qu’il menace un certain ordre établi.
Politiquement donc, les modifications apportées au nouveau calendrier liturgique manifesteraient-elles l’existence d’une résistance dans l’Église à l’égard de Joseph ? Et cette résistance serait-elle indicatrice de l’importance de l’enjeu du rapport à Joseph ?
C’est ce que je pense. Et vous ?
Francine D. Pelletier
Demain : « Joseph et le socialisme chrétien »
Bonjour Francine,
Je me lance à un commentaire post-canonisation en espérant qu’il n’est pas trop tard pour avoir le bonheur d’avoir une réponse…
l’Eglise est un trésor qui a survécu à plein de crises au fil des ans … mais on dirait que l’Eglise ne fait que rebuter de plus en plus les fidèles. Sous couvert d’éviter une inflation du sanctoral, on ne dit plus rien, on piétine, on socialise. Les prêtres vont dire du bout des lèvres en chuchotant presque ce qu’ils devraient proclamer tout haut. Vous voyez… je parle des prêtres… comme s’ils étaient seuls à constituer l’Eglise… y a-t-il une place pour des gens non prêtres, non religieux, non pauvres, non démunis, non rejettés, non doucereux, dans l’Eglise?
On veut cacher Joseph?…
Il n’était pas prêtre…
Pas religieux…
Pauvre?… en tout cas il gagnait sa vie
Démuni?… de la race de David démuni? j’en doute
Rejetté?… je ne vois pas pourquoi
Est-ce que l’Église forme à devenir pauvre, démuni… ne devrait-elle pas transformer les fidèles à dégager l’assurance et la dignité des enfants de Dieu selon la multitude extraordinaire des talents de chacun?
A l’aide Joseph !!!!! Viens au secours de l’Eglise!
@Pascale
Je crois que vous avez raison de critiquer les orientations «pastorales» de la hiérarchie catholique actuelle et cela est encore plus justifié pour les églises locales qui se laissent aller à toutes sortes de spéculations plus ou moins théologiques ou sociologiques ou politiques et abandonnent graduellement les procupations «classiques» de la pastorale.
Cela dit, même si les papes ont tendance à maintenir davantage cette ligne classique, il n’en demeure pas moins que ce qui resort des échos que nous reçevons de Rome n’est pas nécéssairement plus stimulant pour la vitalité de l’église.
C’est que les PRIORITÉS sont problématiques dans tous les cas. Certaines églises locales privilégient une approche populiste et politiquement correcte pour protéger leur fond de roulement en terme de «clientèle». La hiérarchie romaine tente de maintenir le bateau à flot en s’aggrippant à ses vieilles institutions qui sont saturées de concepts et de stipulations diverses. D’où la nécéssité pour celle-ci de contrôller les influx nouveaux en introduisant par exemple ce concept d’inflation du sanctoral. Mais le paradoxe ici vient du fait que l’on continue tout de même de le saturer, à preuve les récentes canonisations dont celle d’André Bessette, alors que Joseph continu d’être écarté dans son essence dont le vocable de patron de l’Église universelle réprésente UNE des dimensions.
Je suis convaincu que la problématique du sacerdoce est le fondement, et de la résistance romaine, et de la vacuité des églises locales et de leurs pasteurs; c’est là que se trouve la véritable inflation dans l’église.
@Jurgen Faine-Caram
OK! Disons qu’on essaie de régler le sort de l’Église …. (je m’amuse un peu bien sûr)…
Je pense qu’il faudrait d’abord retrouver la mission de l’église. Selon vous… quel est le rôle de l’Église? Sa mission?
Je me suis posé la question dernièrement, je me suis dit que l’Église demeure une référence au niveau de la doctrine. Si je suis seule à vouloir entretenir ma foi et celle de ceux qui m’entoure… je pourrais arriver à des impasses dans mes questionnements ou je pourrais prends des tangentes non désirables. Selon moi, une des missions de l’Église est de garder vivante la doctrine de l’Église et de l’enseigner.
À ce moment-Ià… vive les prêtres et les personnes consacrées qui creusent davantage la doctrine pour pouvoir la partager. Dans le roulis du quotidien métro-boulot-dodo, c’est parfois plus difficile à suivre.
Qu’en pensez-vous
@ Pascale
Est-ce que l’église se définit avant tout par sa mission? L’ekklesia (église) est d’abord l’assemblée du peuple de Dieu. Dans la pensée de Jésus, elle peut être liée au Temple mystique (auquel il réfère par ailleurs):
«Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Ëglise»…
Jésus continue en affirmant à Pierre:
… «et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié.» Mt 16:19
C’est sur ce passage que repose le principe, dit pétrinien, qui implique la notion fondamentale de tête mais qui ne se conçoit pas sans le groupe apostolique:
«II institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre, puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, auxquels il donna le nom de Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre, puis André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, le fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélé, et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra.» (Mc 3: 13-19).
Il y a donc dans l’église la dimension apostolique et c’est à celle-ci qu’incombe la mission que vous évoquez. Et cette mission c’est l’annonce de la Bonne Nouvelle, ni plus ni moins.
Le groupe apostolique avec Pierre en tête et ensuite chacun des membres de l’église, dans sa dimension apostolique, sont appelés à cette mission. C’est-à-dire, Pierre, les apôtres… et vous et moi selon notre appel. Ma position critique face à la question du sacerdoce n’est donc pas une remise en question de la fondation de l’église mais de la tangente sacerdotale qui a fini par la définir. «Régler le sort de l’église» comme vous dites pourrait se faire en recentrant l’ekklesia sur ses fondements qui ne sont pas sacerdotaux mais apostoliques.
J’ai choisi de citer le passage de Marc avec la nomenclature des douze apôtres car elle dit beaucoup de chose. Principalement pour moi elle montre l’importance donnée par Jésus à chacun de ces individus, mais aussi les limites humaines de ce groupe, représentées par la trahison ultérieure de Judas. L’église apostolique étant donc humaine, comme en fait foi la nomenclature évoquée plus haut, était destinée à connaître ses errements et même ses trahisons. De plus, en étant insérée dans l’histoire, elle devait et doit encore progresser vers le Royaume en ajustant ses institutions au rythme du temps. Ce que selon moi elle n’a pas fait suffisamment.
Cela dit, je ne suis pas non plus certain qu’il nous appartienne de «régler le sort de l’église». Je crois plutôt que c’est l’Esprit qui va s’en charger et l’Esprit agit par les prophètes. Prions donc pour que l’Esprit les suscite, pour que l’église, assemblée de tous les «Vivants» et temple de la présence de Dieu dans le monde, soit renouvelée, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
@Pascale et Jurgen Faine-Caram
Depuis un mois, j’ai souvent relu votre échange à propos des vicissitudes de l’Église. De mon point de vue, politique, je me suis demandé d’où pouvaient venir les compromissions de l’Église avec les idéologies du jour.
C’est mon attention à Joseph, en tant que Fils de David, qui m’a conduite à m’intéresser au rapport entre Israël et l’Église. Historiquement, il y aurait une rupture entre lsraël et l’Église qui remonterait au fait qu’lsraël, en tant que peuple, n’a pas reçu le témoignage du Christ. Jésus lui-même, dans la parabole des vignerons homicides, évoque un certain transfert des prérogatives d’Israël à un autre peuple suite à ce refus d’accueillir le Fils.
Historiquement, la France a été surnommée la «fille aînée de l’Église». Le baptême de Clovis, roi des Francs et unificateur de ce qui devint alors la France, a été considéré comme le premier acte de l’avènement de ce que l’on a appelé la chrétienté. La chrétienté est elle-même un terme unificateur des États et elle est porteuse de la notion de Royaume de Dieu. Saint Augustin a écrit «La Cité de Dieu» et Charlemagne a puisé dans cette œuvre l’inspiration de son empire «très chrétien».
La France aurait ainsi pris la relève d’lsraël. Quant aux Juifs, ils sont devenus des espèces de parias de l’histoire des royaumes et des empires, bien qu’encore immensément jalousés pour leur prospérité et enviés pour leur «résilience». Mon hypothèse est que cette jalousie et cette envie ont des racines plus profondes; les conséquences du refus d’lsraël de reconnaître le Christ, si elles sont effectives, ne remettent pas en cause son élection. L’apôtre Paul en parle explicitement: Israël «a été enfermé dans la désobéissance», mais sa «conversion» au Christ surviendra à la fin et elle sera le signe de l’avènement du Royaume.
En attendant cet avènement, je me demande si l’Église ne se cherche pas un autre lsraël à travers ses divers concordats politiques. Les rapports entre l’État et l’Église varient entre animosité et compromis. Il y a aussi des moments particuliers de l’histoire où des exercices de gouvernement alliant les deux ont été marqués par leur justice et leur fécondité, la paix et la prospérité.
L’Église étant une société universelle qui implique un gouvernement fondé sur la souveraineté de Dieu, elle ne peut s’exclure du monde; elle subit les contrecoups des divers désaxements politiques des États. Pour avoir la paix ou pour éviter le pire, ses chefs peuvent être tentés de recourir à des compromis.
Prenons la Révolution française qui a transformé la Fille aînée de l’Ëglise en étalon de laïcité. On oublie souvent que cette Révolution dépasse le simple fait de remplacer un régime politique par un autre: passer de la monarchie à la démocratie. Cette révolution se voulait universelle et le début d’une ère nouvelle. Même Marx reconnaissait que la Révolution universelle serait annoncée par le «coq gaulois». Ce n’est pas sans raison profondément symbolique que l’un des gestes révolutionnaires français fut d’inventer un nouveau calendrier et de recommencer à calculer les années sans référence à l’avènement du Christ.
L’Église a opposé une résistance à cette subversion universelle; les martyrs furent nombreux. Les révolutionnaires les plus entichés de laïcité ont même cru à un moment que l’Église était détruite. Mais comme Israêl, l’Église fait preuve d’une extraordinaire résilience. Les résiliences d’Israël et de l’Église puisent à la même source: la souveraineté de Dieu qui est irrépressible. Jésus a dit de son Église que les portes de l’enfer ne prévaudraient pas contre elle et il semble en être de même d’Israël en tant que peuple élu de Dieu. Les deux constituent un système: Israël, l’élection, et l’Église, l’universalité.
Ce que je déplore moi aussi dans l’Ëglise, c’est l’espèce de propension à renier ses prérogatives au profit d’une certaine connivence avec les «puissants» du jour. Et cette propension afflige TOUS LES MEMBRES de l’Église. Il n’est pas indifférent que Pierre soit celui qui ait renié le Christ par peur du groupe symbolique constitué par les personnes réunies autour du feu, dans la cour de la maison du grand prêtre, et ce, alors que Jésus serait bientôt livré à l’envahisseur romain.
Il y a présentement une certaine compromission avec les idées socialistes? humanistes? libertaires? La chrétienté est un concept qui tombe en lambeaux?
Les «puissants» du jour chercheront toujours à contrer le «pouvoir» réel et résilient dont l’Église et même Israël témoignent malgré leurs faiblesses. Les «puissants», éphémères et récurrents, chercheront toujours à les compromettre à leur profit, en défiant la souveraineté de Dieu qui est au fondement du droit et en voulant instaurer de nouveaux régimes. Pour leur part, les chrétiens devront toujours résister à la tentation de renier leur foi, de la compromettre dans le but de se ménager les «puissants», que ce soit par crainte ou ambition, ou, plus simplement, pour avoir la paix. Ce genre de paix n’est pas celle du Christ. La perspective du combat à mener et la vigilance qu’elle suppose sont inaliénables de l’expérience de tout chrétien.